Yann Bouvier est Chargé de mission pour la « FIPA », Fondation Innovations pour les Apprentissages. Cette institution réunit 13 grands groupes internationaux. Son but est de promouvoir et de développer l’alternance et l’apprentissage de demain. Les propositions d’actions que la fondation porte émanent des entreprises participantes. Elles sont développées ou non selon leur faisabilité et leur pertinence. La FIPA doit maintenant imaginer de nouvelles voies pour l’apprentissage à l’aune de la nouvelle loi. Si l’innovation est l’un de ses objectifs cardinaux, elle impliquera plus de rigueur et de vigilance pour les entreprises et les CFA qui naîtront de cette ouverture.
Jean-François FIORINA : Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’apprentissage, à vous impliquer dans la fondation ?
Yann BOUVIER : Je suis un pur produit de l’alternance. J’ai démarré chez EDF en tant qu’alternant, et ai eu un certain nombre d’expériences et de missions dans cette entreprise. J’ai été tuteur d’alternants et d’apprentis quand cette pratique n’était pas encore très développée. J’ai accueilli mon premier alternant dans les années 2000, toujours dans des fonctions tertiaires. Le déclencheur a aussi été le fait que j’ai occupé des fonctions de directeur de formation en apprentissage en l’occurrence du CFA d’EDF. J’avais les deux pieds dans l’alternance et l’apprentissage, et c’est là que les choses se sont faites assez naturellement pour que je sois amené à faire ce travail de chargé de mission. Je coordonne toutes les actions de la fondation en appui au Délégué général et au Président.
Cette mission occupe 50% de mon temps, le reste concerne EDF directement comme l’impact de la nouvelle loi sur notre modèle d’alternance, les CFA d’entreprise, le nouveau système de financement qui incombe des Opérateurs de compétences. Je suis issu d’une école supérieure de commerce.
JFF : Ce qui m’a surpris dans le nom FIPA, ce sont deux mots : le premier, « innovation » et le second, « les apprentissages » et non « l’apprentissage » au singulier.
YB : Je pense que le mot apprentissage était déjà fortement connoté. En accolant un « s », nous avons souhaité quelque chose de fort. Non pour éviter de parler d’alternance, mais de formations en apprentissage sous toutes les formes possibles comme la formation des salariés tout au long de la vie. La loi nous donne raison. Elle met en avant de nombreux dispositifs qui permettent de former des salariés, calés sur le fonctionnement de l’enseignement en alternance et en apprentissage. On parle également de pré apprentissage qui concerne les collégiens. Ce qui leur permet de trouver une orientation et idéalement de faire le choix de l’alternance et de l’apprentissage en contact avec les entreprises.
Cette fondation n’est pas là pour faire de la communication. Elle lance des actions, et si ces actions réussissent, il sera temps de communiquer. Cette fondation invente l’apprentissage de demain et notamment par de nouvelles méthodes. L’innovation et l’expérimentation sont des mots très importants dans la fondation. Nous expérimentons, pas forcément sur des gros volumes mais nous sommes là pour tirer parti des expérimentations, voir ce qui bloque et ce qu’il faudrait faire évoluer.
JFF : Et comment cela fonctionne ? Le porteur de projet vient vous voir et vous le financez ?
YB : Les projets viennent par l’intermédiaire des membres de la fondation. Sa gouvernance s’organise autour de deux instances : le comité opérationnel dans lequel toutes les entreprises sont présentes et le comité exécutif qui fait émerger les besoins. Certaines entreprises nous font également profiter d’actions qu’elles développent à leur niveau et qu’elles ont proposé au comité opérationnel.
Le plus souvent, la concertation fait émerger des besoins pour lesquels nous développons une innovation ciblée. Et l’entreprise qui est un peu le porte-drapeau va viser cette action, travailler un cahier des charges avec proposition d’action au comité opérationnel. Ensuite le comité exécutif valide et finance le déroulement de l’action. Ce principe a fonctionné pour la douzaine d’actions que nous portons et je pense que nous en aurons encore plus au prochain comité exécutif. C’est souvent le partage d’un besoin qui fait que nous sommes amenés à développer une action.
JFF : le lien avec des écoles se fait-il par le biais d’entreprises ?
YB : Le lien avec les écoles se fait au cas par cas. Il peut émerger lors d’une action mais jusqu’ici, aucune école n’est venue nous proposer une idée. Pour tout vous dire, j’avais même sondé l’EM Normandie sur l’insertion des personnes issues des QPV (NDLR : Quartiers Populaires de la Ville) pour leur donner accès à un grade master. Mais cela ne s’est pas fait, excepté dans un cas, sans que ce soit l’école qui soit venue vers nous. C’est BNPP avant que la loi n’arrive qui nous a demandé de travailler sur la mobilité des apprentis au niveau de la communauté européenne dans certaines de leurs filiales. Dans leur idée, ils avaient envisagé de travailler avec l’ESSEC qui a très vite été partie prenante de l’action. L’école avait un rôle à jouer sur Erasmus. L’idée de cette action était de ne plus faire qu’une mobilité linguistique de quelques mois mais de faire une véritable mobilité d’apprentissage d’au moins un an.
JFF : D’accord, donc si j’ai un projet, je peux venir vous voir ?
YB : Oui, c’est complètement ouvert. Est-ce que, pour la fondation, pour l’apprentissage et pour les entreprises qui la composent, ce projet semble intéressant à expérimenter et à mettre en œuvre ? Voilà comment nous procédons.
JFF : Vous qui avez une longue expérience de l’alternance, quels sont à l’heure actuelle les points de vigilance ?
YB : De ce point de vue, je suis un ambassadeur de l’alternance sous toutes ses formes. J’ai pu me rendre compte à quel point nous permettions à toutes sortes de profils de trouver un emploi.
L’alternance permet de tout faire, pour tout type de populations, et les statistiques parlent pour d’elles-mêmes : l’accès à l’emploi est presque garanti dans certains cursus, en tout cas les possibilités de trouver rapidement un emploi sont réelles. C’est à mon avis plus qu’une voie d’excellence.
Il y a deux points de vigilance à développer sur lesquels nous ne sommes pas allés assez loin. Le premier, ce sont toutes les questions autour de la valorisation de la formation en alternance et en apprentissage. Il manque des actes managériaux forts en France et c’est fondamental pour que du point de vue des parents, l’image de l’apprentissage et de l’alternance soit ultra valorisée.
Le deuxième sujet qui, à mon avis, est mésestimé ce sont les décrochés. On s’imagine qu’avec cette loi et le plan investissement compétences, les formations et les prépas apprentissage, cette question sera réglée. Ce n’est pas vrai. Nous vivons un vrai paradoxe, les entreprises ont besoin de main-d’œuvre qualifiée et l’apprentissage devrait régler cela. Mais en fait, ces populations de décrochés, ces presque 2 millions sont très loin de l’emploi. Nous le vivons dans l’une des actions de la FIPA. Il faut un dispositif d’accompagnement très en amont, basé sur l’alternance qui va permettre de les reconnecter au marché du travail. L’apprentissage seul ne réglera pas ce problème. Les pouvoirs publics l’ont sous-estimé.
JFF : Sur cette loi, je souhaite échanger sur 2 points : le premier étant la possibilité pour les entreprises de créer leurs propres CFA ou de le faire en commun. Ne risque-t-on pas d’arriver à une atomisation du nombre de CFA, chacun se faisant concurrence ? Et pour les jeunes qui ont déjà des problèmes d’orientation, ne risque-t-on pas de créer un autre problème pire que celui que nous aurions résolu avec cette loi ?
YB : Il est bien évident qu’un certain nombre de CFA n’existeront plus demain, pour la simple raison qu’ils n’auront pas pris conscience ou trop tardivement de ce qui est en train d’arriver.
Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde mais il faudra adapter son modèle. Le système reste assez libéral donc c’est l’offre et la demande qui vont faire équilibre. Nous sommes sur un marché, et ce sont les ambitions du gouvernement que de le voir croître.
Ma conviction personnelle quant aux créations de CFA, c’est qu’on voit bien l’importance de plusieurs facteurs. Pour une entreprise, il faut avoir un projet de formation qui passe par l’apprentissage, soit des collaborateurs, soit des apprentis ou alternants, il faut donc que ce soit un projet pérenne et quelque chose qui tourne autour de la GPEC. Ensuite, il y a des logiques de rentabilité donc si vous êtes positionné sur un cursus où il va y avoir des contrats à niveau de prise en charge faible, ce ne sera pas très judicieux d’y aller. Ce que je suis en train de dire, c’est que tout le monde ne pourra pas créer son CFA, bien au contraire. Ceux qui vont partir la fleur au fusil, ce sont les futurs échecs de demain. Il faut une taille critique, des logiques de rentabilité, et ne pas oublier les exigences de qualité qui n’existaient pas jusque là. Il est bien évident que vous allez obtenir un agrément qui sera contrôlé ou on vous attendra sur vos résultats. Donc créer un CFA, c’est une réflexion qui ne se prend pas à la légère. Beaucoup s’imaginent créer un CFA, mais pour passer du rêve à la réalité, il faut être prudent et beaucoup ne pourront pas aller jusqu’au bout de leur idée.
JFF : Peut-on envisager de nouveaux modèles de collaborations ou de partenariats entre CFA ?
YB : Pourquoi les entreprises qui voudraient créer leurs CFA ne s’allieraient pas avec un CFA ? Ces modèles sont possibles. Par ailleurs, il est possible d’organiser des partenariats, cela fait partie de la mission que je vais mener. Il ne faut concevoir notre effort d’alternance exclusivement via un CFA interne, mais étudier, à un moment donné, ce qu’il est possible de faire dans le champ du partenariat.
JFF : Le deuxième point, peut-être un peu plus critique : l’un des changements de la loi, ce sont les coûts fixés, des coûts-contrats par catégories. Et il risque d’y avoir un écart substantiel entre le coût-contrat et la réalité des coûts des écoles. Est-ce que vous pensez que les entreprises vont être prêtes à financer la différence ?
YB : Ce qu’il faut voir de toute façon, c’est qu’à un moment donné les entreprises ont raisonné sur ce qui était « cœur de métier », ensuite ce qui pouvait être formations à enjeux, puis une dernière catégorie plutôt « support ».
À partir du moment où vous avez la chance d’être — pour des entreprises — dans ce que j’appelle du « cœur de métier », vous vous en sortirez bien parce que les coûts au contrat seront plutôt bien payés. Si vous n’avez pas cette chance, ce n’est pas sûr que vous y trouviez votre compte. Les entreprises vont prioriser l’alternance « cœur de métier » parce qu’ensuite, il y a des enjeux d’emploi, de formation, etc. Après, elles verront comment financer avec ce qui leur reste.
Je pense que ce qui va préjuger du quota demain sera déterminant. Est-ce que le 5% si vous ne le faites pas, ce sera toujours soumis aux mêmes pénalités ou pas ? Si ce sont les mêmes pénalités, des entreprises vont dire qu’elles n’ont pas d’argent à mettre en plus au coûts-contrats.
Je pense qu’il y a aussi une approche qui peut être engagée, c’est de ne pas avoir une convention au cas par cas avec des entreprises. Quand vous estimez avoir des clients qui sont importants pour vous, vous essayez d’avoir une convention globale d’alternance pour l’ensemble de l’entreprise, ce qui va demander par alternant un complètement parce que vous apportez quelque chose de plus. Cette approche va faire que certaines entreprises les plus inventives vont s’en sortir.
JFF : Sur la loi, je vois beaucoup d’avantages, un vrai développement de l’apprentissage qui est une formation de plus en plus demandée par les étudiants. Au-delà de l’aspect financier, il y a un vrai besoin. Ensuite, tous les découpages, en blocs de compétences, toute notre offre de titres fait qu’il y a un potentiel important. Le fait que l’on pourra aussi faire de l’apprentissage sur de la formation à distance offre de belles opportunités, par contre, il y a une réalité, les coûts. Pour terminer, qu’est-ce que vous, les entreprises, attendez de nous, écoles, en terme d’apprentissage ?
YB : Je ne peux pas vous répondre pour toutes les entreprises, mais cela rejoint un peu ce que je vous disais tout à l’heure : les entreprises ont besoin d’abord d’avoir des formations de qualité surtout en apprentissage ; que vous leur proposiez de bons candidats parce que cela leur facilite la vie. Les entreprises auront de plus en plus d’objectifs en matière de RSE, donc il ne faut pas hésiter de proposer des candidats RQTH (NDLR : Reconnaissance Travailleur Handicapé), aider les entreprises à sourcer des candidats issus des QPV (NDLR : Quartiers Populaires de la Ville). Il ne faut pas hésiter non plus à adapter vos cursus à la demande de l’entreprise avec qui vous travaillez beaucoup. Parce que demain, ce sera beaucoup plus simple, surtout par la voie de l’apprentissage, il faut être très connecté à ces besoins.
Bonjour, merci car c’est un très bon article! je suis moi meme en alternance (Formation en apprentissage) auprès du CFA Formaposte et j’ai été retenue parmi les 30 projets sélectionnés pour participer dans quelques jours au concours organisé par la FIPA.
J’aimerai que vous m’interviewiez avant et après cette belle expérience. Cela est-il possible ?