Le blog de Jean-François FIORINA

L’Enseignement supérieur agricole : un écosystème au cœur des transitions d’avenir

L’enseignement supérieur agricole en France est à la fois privé et public, historiquement sous la tutelle du ministère de l’Agriculture (MAA) même si aujourd’hui nombre de formations sont aussi délivrées par des universités et grandes écoles sous tutelle du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation  (MESRI). Pour la part pilotée par le MAA, il compte 16000 étudiants et regroupe de nombreux diplômes et secteurs. Il fait face à des changements dans la sociologie de ses étudiants et doit relever de nombreux défis sociétaux (environnementaux, climatiques, énergétiques, numériques…) qu’un croisement disciplinaire devrait favoriser y compris avec les écoles de management. Interview de Claude BERNHARD,, Directeur d’Agreenium, l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France.

Jean-François FIORINA : Comment peut-on caractériser l’Enseignement supérieur agricole en France, de qui dépend-t-il ?

Claude BERNHARD : Il y a un enseignement supérieur « agricole » qui englobe les écoles agronomiques, vétérinaires, celles centrées sur le paysage ou sur les problématiques d’eau ainsi qu’une école qui forme les enseignants des lycées agricoles. Depuis la création du ministère de l’Agriculture, les écoles agricoles sont sous sa tutelle principalement.

Jean-François FIORINA : Ce n’est pas surprenant ?

Claude BERNHARD : Il y a des ministères que l’on qualifie de techniques qui ont un dispositif d’enseignement spécifique. C’est le cas du ministère de l’Écologie, de l’Intérieur, de la Culture, qui ont leurs propres écoles également. Mais au ministère de l’Agriculture, c’est sans doute particulièrement développé puisque quantitativement c’est le ministère dont dépend le plus d’étudiants et d’établissements. Au sein même du ministère de l’Agriculture qui avoisine les 30 000 agents aujourd’hui, plus de la moitié sont des fonctionnaires qui travaillent dans le domaine de l’enseignement.

JFF : À tous types de postes, pédagogiques ou non ?

CB : En effet, j’englobe les enseignants mais aussi le personnel d’administration centrale et déconcentrée qui pilotent les dispositifs.

JFF : Est-ce que sa structuration est la même que pour les autres types d’enseignements supérieurs ? En BTS, DUT, licence master et doctorat ?

CB : Les établissements supérieurs du MAA délivrent des diplômes d’enseignement supérieur français qui sont régis par les disposition générales avec une offre de BTS (relevant des lycées agricoles), du L-M-D, d’ingénieurs et de vétérinaires. Le positionnement cœur de cible se joue au niveau master.

L’offre de référence, c’est d’une part la formation d’ingénieur en trois ans (après deux années de préparation en classes préparatoires ou par une formation universitaire), et d’autre part, la formation vétérinaire qui est exclusivement délivrée en France par quatre écoles  vétérinaires publiques. On peut signaler la montée en puissance de l’apprentissage pour toutes les formations (hormis vétérinaires).

JFF : Est-ce qu’il y a également des formations qui seraient dans le domaine du management ?

CB : Le management est une des composantes du référentiel des diplômes d’ingénieur et de vétérinaire. Cette dimension fait partie des préoccupations mais il n’y a pas d’école de management agricole au sens de « business school agricole ».

JFF : C’est une volonté affichée ou parce qu’il n’y a pas eu d’opportunités ?  

CB : Je pense que c’est lié au fait que le pilotage est très technique et piloté par la puissance publique. L’agriculture est un vrai secteur stratégique, c’est ce qui justifie la tutelle du ministère de l’Agriculture puisque c’est un secteur sensible. Il est important pour la balance commerciale mais aussi pour la sécurité alimentaire.

Nous avons besoin de gens qui soient formés au meilleur niveau pour se bagarrer dans la compétition internationale. Et la France reste un grand pays agricole, pas uniquement fondé sur la qualité des sols et un climat favorable, mais aussi du fait de son enseignement et de sa recherche agricole de premier plan mondial.

S’il n’y a pas de « business school agricole », on a des écoles qui ont une forte valence de management public. Moi-même, par exemple, je suis ancien diplômé de l’École nationale du génie rural des eaux et des forêts, aujourd’hui intégrée à AgroParisTech. Elle forme des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture qui sont en charge de ces politiques publiques. Il y a donc des formations en management public, mais toujours au travers de diplômes d’ingénieurs, de masters ou mastères spécialisés avec une forte valence technique et scientifique.

JFF : Est-ce qu’il y a également quelques acteurs privés dans cet enseignement supérieur ?

CB : Dans l‘offre de formation, sur les 16 000 étudiants formés dans l’enseignement supérieur agricole du MAA, à peu près 6 000 étudiants sont formés dans des structures privées.  Cela nous montre le poids de l’enseignement privé dans l’enseignement supérieur, qui est d’ailleurs encore plus présent dans l’enseignement secondaire agricole.

JFF : Qui sont ces acteurs privés ?

CB : L’enseignement catholique est très présent dans l’enseignement technique secondaire, pour le supérieur ce sont 6 établissements qui sont sous contrat avec le MAA : UniLasalle présent sur 3 sites, Purpan à Toulouse, l’ESA à Angers, l’ESB à Nantes, l’ISARA à Lyon et  l’ISA à Lille.

JFF : Est-ce que la dotation financière du ministère de l’Agriculture est plus généreuse que celle de l’enseignement supérieur ?

CB : J’ai l‘impression qu’aujourd’hui les dotations ramenées à l’étudiant ou à l’enseignant se rejoignent en grande partie. Ce qui est important, c’est qu’au sein du ministère de l’Agriculture une part significative du budget soutient à la fois l’enseignement public mais aussi le privé sous contrat subventionné. Le ministère de l’Agriculture consacre 35% de son budget à l’enseignement agricole. Pour fixer les idées, le coût annuel de formation d’un  ingénieur dans un établissement public est de l’ordre de 12 000 €.

JFF :  Vous avez dit qu’il y avait peu de bachelors, que vous étiez plutôt sur des niveaux master, pourquoi ?

CB : Je parlais surtout de positionnement des diplômes de référence de l’enseignement public qui est centré sur la master et peu sur le bachelor. Mais il y a une offre de bachelor dans ces établissements ainsi que dans l’enseignement privé et les universités. Il faut aussi considérer qu’il existe une large offre de BTS agricoles dans les lycées agricoles qui sont proches du niveau du bachelor. Le bachelor dans l’enseignement agricole public sous tutelle du MAA est plutôt un diplôme ouvert sur des cibles à l’international, par exemple sur vignes et vins.

JFF : Ces 16 000 étudiants dont vous avez parlé sont-ils tous issus de filières agricoles, ou est-ce qu’après le bac vous avez des jeunes qui viennent de tous horizons ?

CB : Les étudiants du supérieur recrutés sont de moins en moins issus de familles d’agriculteurs ou du monde agricole. C’est vrai aussi dans une moindre mesure dans l’enseignement technique agricole avec une population péri-urbaine et urbaine et des jeunes qui s’intéressent plutôt aux débouchés dans le domaine environnemental, du service à la personne, du développement territorial. Cela peut conduire à des difficultés pour répondre aux besoins des employeurs. Par exemple, l’origine sociologique des candidats aux écoles vétérinaires, plutôt urbaine, explique en grande partie pourquoi ils ne vont pas forcément s’installer spontanément en milieux ruraux auprès des éleveurs. C’est un peu la même problématique que pour les médecins en santé humaine.

JFF : Donc il n’est pas nécessaire de passer par les lycées agricoles ?

CB : Le taux de poursuite des élèves des lycées agricoles vers l’enseignement supérieur est plutôt faible, ils trouvent des débouchés au niveau du bac pro ou du BTS et ne souhaitent pas nécessairement poursuivre par des études d’ingénieur ou vétérinaire. Cependant l’enseignement agricole porte des valeurs fortes telles que l’ouverture sociale, le MAA développe une véritable politique favorisant l’ascenseur social. Les formations par apprentissage rencontrent un réel succès et se sont beaucoup développées y compris pour les formations d’ingénieurs avec une population diversifiée.

JFF : Par rapport aux 16 000 étudiants, c’est un chiffre qui est en augmentation, en stagnation ou en baisse par rapport aux années passées ?

CB : Après avoir beaucoup augmenté dans les années 1990, aujourd’hui, il est stable. On remarque une tension particulière sur les formations vétérinaires qui conduit beaucoup de candidats français à s’orienter vers des formations en Espagne, en Belgique ou en Roumanie, à de moindres coûts avec des durées un peu plus courtes. Il y a manifestement des étudiants qui n’arrivent pas à se former en France, et qui souhaiteraient peut-être le faire. Mais le système est très sélectif, le concours est extrêmement difficile et la durée d’études est la plus longue d’Europe ce qui conduit aujourd’hui à revoir les modalités de ce système de formation. Au niveau de l’offre privée au niveau ingénieur, il y a un réel dynamisme, avec des formations qui ont augmenté leurs effectifs, mais à ma connaissance c’est relativement stable depuis les années 2000.

JFF : Quels sont les autres défis de l’enseignement supérieur agricole ?

Ce sont des enjeux de prise en compte de toutes les transitions auxquelles le monde agricole est obligé de se confronter aujourd’hui :

  • La féminisation est extrêmement poussée, 70 à 80% d’étudiants sont des étudiantes dans l’enseignement supérieur agricole, et cette sociologie des étudiants est à prendre en compte dans la formation, dans les débouchés, dans les problématiques par exemple d’installation dans les territoires ruraux pour répondre aux besoins du monde professionnel.
  • Les enjeux liés aux transitions agro écologiques, climatiques, énergétiques frappent de plein fouet le monde agricole. Les transitions liées à la bioéconomie, aux économies circulaires doivent être prises en compte. Les transitions liées au nouveaux modes alimentaires (des régimes avec moins de viande ou sans gluten) avec un consommateur ayant des exigences très fortes (produits sains, vertueux sur le plan environnemental et social, peu coûteux). Donc dans nos formations, nous devons aménager des équilibres, donner des points de vue, et faire en sorte que les jeunes diplômés puissent s’adapter à leur emploi particulier, tout en restant très conscient de la globalité des enjeux à maîtriser.
  • Les enjeux de la transition numérique touchent tous les secteurs, dans le domaine agricole il y a les enjeux sur le métier même d’agriculteur et sa numérisation ; il suffit d’aller au salon de l’agriculture ou au salon international du machinisme agricole pour s’en convaincre. Mais les modalités d’enseignement doivent aussi s’appuyer sur l’outil numérique. Agreenium développe ainsi avec ses établissements membres des ressources numériques disponibles sur AgreenU, notre université en ligne, notamment des moocs.  Ils peuvent intéresser l’enseignement à distance mais aussi constituer des supports pour l’enseignement en présentiel.  Ces ressources d’enseignement numérique peuvent être adaptées pour différentes zones à travers le monde et servir de relais pour diffuser les pratiques françaises à l’international.

Dans mes fonctions de Directeur de l’institut agronomique vétérinaire et forestier de France, Agreenium, nous avons développé des ressources numériques jusqu’à 24 moocs ont été co-construits avec des membres d’Agreenium, que chaque établissement peut ensuite destiner à un public particulier.

JFF : Je vois deux différences par rapport à notre système ; moins de guerres idéologiques entre le public et le privé et puis une plus grande collaboration entre les établissements. C’est vrai qu’Agreenium me sert un peu de benchmark dans ce que vous faites, que je rêverais de faire avec d’autres établissements.

CB : Je pense qu’aujourd’hui nos établissements, publics comme privés, sont ancrés dans leurs territoires, ils font partie des regroupements locaux et participent activement aux politiques territoriales en lien avec les instances régionales. Mais d’autre part, ils gagnent à partager leurs approches dans ce réseau national thématique que constitue Agreenium, qui englobe formation et recherche, ouvert aux universités au-delà des seuls établissements sous tutelle du MAA.

Agreenium permet de faciliter les collaborations sur des sujets qui sont d’intérêt partagés comme le développement de l’enseignement numérique, le portage de projets à l’international et la mise en visibilité de l’offre de formation et de recherche. Nous avons identifié l’ensemble de l’offre de formation, de laboratoires de recherches de nos membres et partenaires. Cela donne un impact bien plus fort pour l’ensemble de la communauté et permet d’identifier des points d’amélioration de l’offre avec une vision stratégique partagée même si chaque établissement membre reste maitre de sa politique.

JFF : Agreenium est bien une marque ombrelle de collaboration de différents établissements qui gardent leurs marques ?

CB : Oui, on n’est pas un établissement qui se substitue aux membres, on est en appui aux membres. Et c’est une marque qui est une sorte de label d’appartenance à un réseau thématique national avec une forte reconnaissance à l’international.

JFF : D’accord, et qui ne délivre pas ses propres diplômes ?

CB : Nous avons la possibilité d’être accrédité pour délivrer nos diplômes mais ce n’est pas notre politique. Cependant, si des membres veulent monter une nouvelle formation et qu’il n’y a pas de leader particulier qui se dégage, nous pouvons déposer des dossiers pour être accrédités et délivrer des diplômes. Agreenium par exemple est accrédité pour délivrer le doctorat au travers de l’école doctorale ABIES mais 6 de nos membres délivrent le doctorat dans 14 autres écoles doctorales.

JFF : Dans les défis, vous n’avez pas parlé de la réforme du bac.

CB : Comme nous recrutons au niveau du master, bien que concernés par la réforme, nous n’avons pas encore ressenti ses effets à ce jour. Agreenium travaille en lien avec les classes préparatoires. Et au niveau du ministère de l’Agriculture, nous avons la chance de gérer l’organisation du bac et des programmes référents. Le lien se fait naturellement au travers du continuum d’enseignement technique agricole et d’enseignement supérieur agricole.

JFF : Quid pour les élèves qui voudraient aller dans les écoles vétérinaires ?

CB : Les écoles vétérinaires recrutent au niveau bac + 2 au travers du concours qu’on appelle concours commun agronomique et vétérinaire. C’est le même concours pour rentrer dans les écoles agronomies et vétérinaires, et une réforme est pilotée avec les écoles vétérinaires par la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche du MAA pour revoir certaines modalités d’accès pour ces écoles.

JFF : Avez-vous des questions ou des points sur lesquels vous auriez aimé échanger ?

CB : Je vous disais que l’on est plutôt centré sur le management public avec les formations d’ingénieurs et vétérinaires qui intègrent une dimension de management, mais nous avons aussi des offres de mastères spécialisés.

La plupart de nos établissements sont membres de la Conférence des Grandes Ecoles et donc côtoient des écoles de management au sein de cette association qui est d’ailleurs présidée par Anne-Lucie Wack, DG de Montpellier SupAgro. Il y a des offres tournées vers le monde professionnel qui peuvent s’inspirer de ce qui se fait dans les écoles de management. La double compétence ingénieur-manager dans nos domaines est extrêmement appréciée. Certaines de nos écoles ont des partenariats avec des écoles de management locales. J’ai été anciennement le directeur de l’ENGEES à Strasbourg, qui au niveau local, au sein de l’association AlsaceTech , avait créé des ponts entre écoles d’ingénieurs et de management alsaciennes. Nos liens sont extrêmement fructueux et très attendus des entreprises. Je pense que ce modèle est à poursuivre.

JFF : Dans le cas GEM, nous avons mis en place des doubles diplômes avec des écoles d’ingénieurs non-agricoles depuis très longtemps. Nous avons été la première à avoir un accord de la CTI pour un double-diplôme avec télécom Bretagne. Par contre, nous avons toujours eu des difficultés à travailler avec les écoles d’agronomie.

CB : Il n’y a pas une politique proactive généralisée, mais il peut y avoir des accords locaux, des complémentarités. Je pense qu’on pourrait souhaiter qu’il y ait plus de convergence. Ce serait très apprécié que s’organisent des rapprochements d’écoles de management-écoles d’ingénieurs-écoles vétérinaires, pour mieux répondre aux besoins du marché en France mais surtout pour un meilleur positionnement international.

 

 

Commentaire (1)

  1. C.Reix

    Bonjour,

    Quelques précisions :
    L’enseignement agricole propose également le Bac général (bientôt anciennement S)qui avec ses options spécifiques est une formation particulièrement appropriée pour intégrer une école d’ingénieur agro.
    Par ailleurs, il existe bien des écoles de management dédiées au monde agricole, notamment l’IHEDREA qui est spécialisée en management agricole et droit rural ou Tecomah..

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