J’ai souvent évoqué dans mes différentes publications ma joie d’exercer mon métier de directeur d’école, ses missions passionnantes et les très belles possibilités d’évolution. C’est ce qui me fait me lever chaque matin avec enthousiasme avec la très belle récompense de voir évoluer, s’épanouir et réussir mes étudiants. La question qui m’interpelle aujourd’hui, dans ce post plus personnel, concerne l’avenir de l’Enseignement supérieur et, plus particulièrement, le responsable d’établissement que je suis. Ces réflexions sont la conséquence d’un certain nombre d’événements dramatiques qui vont selon moi vont avoir un impact durable.
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Premier constat :
Liberté d’expression en danger dans les établissements du supérieur ?
L’annulation de certaines conférences ou la perturbation d’autres dans différentes universités françaises n’est-elle pas un tournant ? Avec cette question, n’assistons-nous pas à la remise en question de la liberté d’expression ?
Pour moi, les étudiants doivent avoir la possibilité de rencontrer une grande diversité d’interlocuteurs et d’être confrontés – dans la limite de la légalité bien sûr – à des points de vue différents. C’est fondamental pour que chaque étudiant puisse construire sa propre personnalité et sa propre opinion sur le monde.
Nos étudiants ont besoin de cette confrontation et de ces débats d’idées. J’y suis particulièrement attaché et c’est pour cela, par exemple, que j’ai toujours autorisé l’association étudiante « GEM en débat » à inviter des femmes et hommes politiques de tout bord. Il semble que cette liberté d’expression ne soit pas (plus) toujours possible, notamment du fait de réactions violentes d’individus ou de groupes extrémistes.
Ces réactions ne datent pas d’aujourd’hui. Je me rappelle avoir évoqué dans mes cours sur l’internationalisation au début des années 2000, le mouvement du « politiquement correct » aux USA. Un livre, une Amérique qui fait peur m’avait profondément marqué, notamment par ce qui se passait au sein des universités américaines.
Depuis, la situation s’est aggravée et un article du Point, il y a quelques mois, montrait comment ces dernières – même les plus prestigieuses – étaient obligées de « gérer » les conférences d’intervenants extérieurs, voire même de refuser l’intervention de personnes publiques « de haut niveau ». Le fait qu’Henry Kissinger ait été insulté par des étudiants lors d’une conférence montre que l’on a quasiment atteint les limites de l’indicible mais il me semblait que la France était (pour l’instant) épargnée par ces réactions extrêmes
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Deuxième constat :
En matière d’enseignement, où se situe la limite des interventions en géopolitique ou en stratégie d’entreprises ?
GEM a la chance d’avoir des étudiants du monde entier et je l’ai même indiqué la semaine dernière, la diversité de la salle de classe est une vraie richesse. Elle n’empêche pas des situations complexes quand nous devons évoquer la situation de certains pays – avec notre prisme – alors que des ressortissants de ces pays se trouvent dans cette même salle de classe et n’ont pas (encore) le recul nécessaire, ni l’analyse critique pour appréhender le cours.
Comment, par exemple, parler d’Huawei et de la 5G ? Que faire ?
L’évitement ou des versions très politiquement correctes ne sont bien évidemment pas la solution. On voit bien l’importance également de développer chez nos étudiants ces fameuses compétences du XXIème siècle (esprit critique, culture générale, argumentation et éloquence, etc). Cette liberté académique doit être affirmée pour permettre à nos professeurs d’enseigner sans contraintes.
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Troisième constat :
Une recherche académique manipulée ?
Voici une autre problématique à laquelle nous allons être confrontés : l’indépendance de la recherche. Dans sa guerre commerciale, Trump fait feu de tout bois, y compris dans le domaine de la recherche comme on peut le constater à la suite de la parution de ces deux articles.
Les Chinois ne sont pas non plus dans ce domaine des victimes toutes désignées puisque différents articles et sources ont également évoqué la part d’apprentis espions dans des labos de recherche ou dans les universités occidentales.
Le monde de la recherche est un monde de collaboration, s’il faut devenir paranoïaque, cela va devenir compliqué !
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Dernière réflexion
La situation personnelle de nos étudiants, à la suite du dramatique événement de la semaine dernière (l’immolation d’un étudiant désespéré à Lyon).
L’école du futur devra également prendre en compte les conditions de vie de nos étudiants, ce qui suppose prendre en charge et assumer des missions (et par là même des responsabilités) sociales.
Nous ne pourrons le faire seul car cela requiert des compétences que nous n’avons pas.
— Aborder sereinement, avec aplomb et confiance, l’entrée dans la vie (active) et dans le monde qui se profile impose aux établissements éducatifs — de la maternelle à l’enseignement supérieur — une rigueur intellectuelle et une responsabilité sociétale sans faille. Comment former de futurs citoyens et acteurs de l’économie de ce nouveau monde, si l’école au sens large du terme, n’est plus ce sanctuaire de la pensée, du dialogue et de la controverse organisés, de l’élévation de chacun-e ? C’est notre plus haute responsabilité d’éducateurs, d’accompagnants et de chefs d’établissement.
J’ai la faiblesse de penser que l’honnêteté intellectuelle, la transparence, le bon sens, la bienveillance viendront à bout de ces dérives et seront les gages de la réussite de nos établissements et de nos étudiants sur le long terme.
À suivre…