La « géopolitisation » de l’enseignement a montré ces dernières semaines toutes ses dimensions, avec l’irruption du politique à tous les niveaux éducatifs.
C’est d’ailleurs une thématique qui commence à être reprise dans les médias. France Culture a d’ailleurs consacré une émission récemment dont le titre ne laisse planer aucun doute :
« D’Istanbul à Budapest : des universités sous contrôle » et Emilie Aubry (rédactrice en chef, » Le dessous des cartes » sur Arte) a annoncé qu’elle consacrerait un numéro en janvier 2022 à la géopolitique des universités…
C’est l’occasion de revenir sur quelques exemples, malheureusement loin d’être les derniers, sur les questions qui se posent en matière d’éthique. Une ligne blanche à ne pas franchir puisque la base de l’éducation et de nos valeurs, c’est la liberté académique !
Luttes « à mort » Erdogan vs Gülen
Edifiant ce que montre ce premier exemple ou comment Erdogan mène à distance et dans un autre pays une lutte « à mort » contre son ennemi juré Fethullah Gülen. Le vaste réseau éducatif et humanitaire de ce prédicateur turc ne compte désormais plus aucune école en Ethiopie.
Direction Chine
Inspectors from China’s Communist Party have admonished the country’s leading universities for weaknesses in students’ ideological educationhttps://t.co/WagXpw9Mbk
— Times Higher Education (@timeshighered) September 16, 2021
https://platform.twitter.com/widgets.js
Grand retour à l’université (et dans les entreprises) d’une fonction que l’on croyait oubliée, celle de commissaire politique !
Bien évidemment, cette surveillance idéologique s’applique à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur implantés en Chine et donc pas forcément qu’aux universités chinoises
Doit-on (ou devra-t-on) lorsque l’on est Président d’une université étrangère qui s’installe en Chine accepter cette condition ?
Cela ne fait que confirmer que la géopolitique, véritable compétence de tout manager comporte aussi une dimension éthique !
Lien article
China’s crackdown on private #tutoring to be extended to university exam prep, and could impact on students opting to #studyabroad , Yojana Sharma reports https://t.co/AaryzqlGJ1 #edtech #gaokao #internationalstudents #AsiaEd #Auspol pic.twitter.com/Q6FbLrf2rZ
— UniversityWorldNews (@uniworldnews) October 7, 2021
https://platform.twitter.com/widgets.js
Toujours la Chine avec les conséquences de la main de fer de Pékin sur les entreprises de cours privés et de tutorat (l’article en annonce 500.000 online « déclarées » et autant non « déclarées »).
Une possibilité : que les étudiants chinois préparent leur admission dans les universités étrangères pour lesquelles les cours de préparation et de tutorat on-line restent à priori autorisés…
On risque d’assister à une ruée d’étudiants vers ces sociétés de préparation des études à l’étranger. Ce qui va aggraver le risque d’inégalité sociale, prétexte utilisé pour la mise au pas des sociétés de tutorat !
Soulignons aussi le projet de l’Université chinoise d’implanter un mega-campus – réservé parait-il à ses ressortissants – à Budapest. Viktor Orban a cassé sa tirelire pour accueillir ce campus. L’inquiétude est que ce campus serve de camp de base aux espions chinois en Europe. Pour la petite histoire, Budapest avait vécu il y a quelques mois une autre situation de géopolitique dans l’enseignement supérieur avec le départ de l’Université Centrale d’Europe (CEU) de George Soros sous la pression du gouvernement hongrois.
On reste en Chine et ses fameux Instituts Confucius supposés être des instituts culturels mais qui sont accusés d’être très liés au Parti Communiste Chinois. Ils sont en train d’être fermés aussi vite qu’ils ont ouvert !
Pour terminer le lien est évident avec ce que je viens d’écrire, le rapport IRSEM sur les nouvelles stratégies d’influence chinoise a fait l’effet d’une bombe. Les auteurs montrent comment Pékin est très actif dans nombre de Think Tanks, universités et centres de recherche français.
On peut se réjouir de cette prise de conscience, y compris de celle de l’Etat français qui quasiment au même moment publiait un rapport sur les conclusions du rapport de la mission d’information « Influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences ». Après avoir organisé plus de 30 auditions, interrogé l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et étendu ses investigations à plusieurs pays d’ores et déjà touchés, la mission d’information a cherché à alerter sur la réalité de la menace. Elle a formulé 26 recommandations regroupées en 5 objectifs, afin d’armer notre pays et de préparer les établissements à ce qui sera l’un des grands défis du XXIème siècle : préserver et mieux protéger notre patrimoine scientifique, nos libertés académiques et l’intégrité de la recherche.
Ce sont des missions totalement nouvelles pour nos établissements et allons devoir faire preuve de beaucoup de pédagogie y compris auprès de nos étudiants.
Francophonie
Autre situation, celle de l’Agence Universitaire de la Francophonie qui souhaite construire une politique de diplomatie scientifique. N’oublions pas que le français est une langue qui va être de plus en plus parlée dans le monde, surtout en Afrique du fait de sa démographie. Elle doit être plus qu’un vecteur culturel !
Alliances géopolitiques universitaires
Cet article qui a également retenu mon attention.
Faire travailler des étudiants et des universitaires ensemble dans la cadre d’alliances géopolitiques pour aider à la création de réseaux peut se révéler fort utile.
Dans ce même ordre, à souligner la compétition que se livre les pays (et les villes) pour attirer les meilleurs talents. Il y a même un Index mondial « compétitivité et talents » élaboré par l’Insead et Accenture. Celui-ci vient d’être publié et la France vient d’intégrer le top 20 mondial.
Il y aurait donc aussi un géopolitique des talents 😉
Crispations géopolitiques dans les classes
Et ce chiffre, en forme de conclusion, issu d’un tweet de « Café pédagogique ».
90% des professeurs d’histoire-géo enseignent les sujets sensibles https://t.co/vjaVQm0ggp pic.twitter.com/CNR0wxKkym
— Café pédagogique (@cafepedagogique) October 3, 2021
https://platform.twitter.com/widgets.js
Au vu de la crispation des nationalités et des identités, nous avons un risque de clash potentiel dans nos salles de classe quand nos professeurs évoqueront un sujet sous un angle qui ne plait pas aux étudiants d’un pays par exemple. C’est ici qu’il faudra expliquer l’importance et la nécessité de comprendre l’autre tout comme la tolérance pour se comprendre soi-même !
À la semaine prochaine
Mon dernier billet :
Bonjour,
et merci beaucoup pour ces éléments et cette analyse. Ayant moi-même exercé des fonctions de responsable international au sein d’établissements d’enseignement supérieur depuis plus de 20 ans, je pense depuis longtemps que l’impact géopolitique de nos activités mérite de faire l’objet d’études approfondies – tout ce que vous mentionnez le révèle, mais on pourrait également analyser l’influence du processus de Bologne, des classements et accréditations, des regroupements et associations d’établissements etc …
Vaste et passionnant sujet !
Toujours à vous lire avec un vif intérêt )