L’élève, le prof et le portable… l’histoire d’une entente cordiale

Pour certains élèves, le fait de rester une heure sans actualiser son profil Facebook ou envoyer un SMS, est devenu un véritable calvaire. Comment doit-on, ou plutôt peut-on, réagir en tant qu’enseignant ? Faut-il confisquer l’outil ? Voire interdire l’usage des ordinateurs en cours pour éviter la dispersion des esprits sur internet ? A Tecomah, l’école de l’environnement et du cadre de vie  (située dans les Yvelines, à Jouy-en-Josas), l’équipe de chercheurs du CIRPP que je dirige, a accompagné les enseignants à réfléchir sur leurs propres pratiques en la matière. Comme toutes les actions que nous menons au CIRPP, notre approche a été originale en cela que nous n’avons pas imposé des réponses de l’extérieur mais bien co-construit avec l’équipe une solution adaptée. Plutôt que d’aborder ce sujet par le simple volet de la sanction, nous en avons fait un vrai sujet de recherche-action.
La confrontation avec l’équipe a parfois été violente. Le philosophe Luca Paltrinieri qui a travaillé à leurs côtés, a en effet réussi à pointer du doigt des impensés et des postures que l’équipe pédagogique se refusait à voir. Si la plupart des enseignants pensaient avoir mis en place un fonctionnement démocratique dans leur classe, leurs décisions n’en étaient pas moins symboliquement violentes, plaçant souvent les étudiants face à des injonctions contradictoires.
Les enseignants ont dû opérer une véritable conversion du regard qu’ils portaient sur les étudiants afin de leur permettre d’occuper une plus grande place dans le processus de décision. Or pour certains, cette conversion fut très anxiogène, comme si envisager la relation maître-élève autrement devait nécessairement conduire au chaos.
Nous avons proposé la mise en place d’ateliers durant lesquels les élèves pouvaient échanger sur la question du portable : Comment voulaient-ils l’utiliser ? A quel moment ?, etc. Ils se sont ainsi progressivement engagés dans le travail de rédaction du règlement intérieur. Et désormais quand les profs le présentent devant une classe de nouveaux arrivants en seconde, ils précisent que le règlement a été rédigé par leurs aînés. Cela permet immédiatement de capter l’attention et le respect de l’auditoire. Pour les enseignants aussi la démarche a été porteuse de sens et s’est traduite notamment par la publication d’un article co-écrit avec Luca Paltrinieri [« Collaboration ou coopération ? Une recherche-action sur la sanction à l’école»]
C’est l’idée qu’on se fait de la liberté qui est ici en jeu. D’ailleurs, si on en revient à l’étymologie du terme « éduquer », c’est bien de cela qu’il s’agit : « ex-ducere » signifie conduire « hors de », ce qui implique d’aider l’étudiant à sortir de son état antérieur pour le mener dans un autre état. Cette posture suppose de créer un déplacement, un espace d’incertitude qu’il s’agit d’habiter.
Mais attention, quand on parle de liberté, ce n’est bien sûr pas au sens d’anarchie. J’aime bien citer en l’occurrence, l’expression de ma collègue Marlis Krichewsky qui parle de « dispositifs vides habitables ». La classe et l’enseignant doivent constituer des cadres, des points de référence pour permettre à l’élève de prendre ainsi la pleine mesure de son potentiel de liberté.
Depuis, l’expérience de Tecomah a porté ses fruits et a essaimé au sien d’ESIEE Paris, une école d’ingénieurs appartenant aussi la Chambre de commerce de Paris Ile de France. Preuve que la production de connaissance peut permettre de capitaliser de nouvelles pratiques et créer le cadre de leur reproduction.

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