The Economist a publié récemment un article intitulé « Montessori management ». La thèse de l’article tient en quelques mots : le mode management basé sur le jeu et le travail collaboratif défendu par des entreprises telles que Google, Amazon ou Wikipedia, est une transposition du modèle de « l’apprentissage-par-le jeu » (« learning through play ») défendu par les écoles Montessori (dont certains dirigeants ont d’ailleurs fréquenté les bancs). Or, ce modèle est inefficace. S’appuyant sur les résultats d’études récentes qui concluent à la perte de temps et à l’inefficacité inhérente au travail collaboratif, l’auteur de l’article va même jusqu’à avancer que ce type de démarche conduit « au conformisme et à la médiocrité », l’open-space étant alors accusé de tous les maux. Le bon modèle serait à l’inverse celui qui encouragerait la compétition et l’individualisme créateur.
La charge est violente, mais elle me paraît peu convaincante. D’abord, je ne partage pas du tout cette vision du management et l’inscription dans un capitalisme de catastrophe où le capital humain n’aurait que peu d’importance. Je pense exactement l’inverse et soutiens qu’il faut mettre en place des formes plus harmonieuses en termes d’organisation du travail. Ensuite, l’auteur avance une lecture caricaturale de l’approche de Maria Montessori qui ne parlait précisément jamais de « jeu » mais de « travail », dans la visée d’un travail émancipatoire.
Dans le cadre de la pédagogie de la coopération qu’elle défend, c’est bien un travail en soi que d’apprendre à collaborer. L’article prend ainsi l’exemple de la direction à double tête défendue par la société BlackBerry, avec d’un côté Jim Balsillie, prof de management et de l’autre Mike Lazaridis, avec un profil de technicien, pour conclure à la stérilité de cette autorité bicéphale, citant Napoléon et sa fameuse formule : « Un mauvais général est meilleur que deux bons ». Mais qu’est-ce que prouve vraiment cet exemple ? Juste le fait que si deux personnes n’ont jamais appris à coopérer, il est évident que le résultat de leur coopération sera le dénominateur commun entre les deux, c’est-à-dire quelque chose de fade. Autrement dit, il faut prendre le problème à l’envers : ce n’est pas le processus de coopération qu’il faut remettre en cause, mais, au contraire, apprendre à mieux en maîtriser toutes les implications. Il s’agit d’une pratique de longue haleine, au même titre que celle qui consiste à pratiquer un instrument de musique.
Contrairement à l’article, je pense donc que l’approche Montessori peut être transposée dans le management, même si bien entendu, il ne faut pas faire un simple « copier-coller ». Cela nécessite un travail intellectuel de modélisation et de retraduction, à la manière dont l’entend Bruno Latour. C’est un peu comme la mésologie du médecin, ce que les pédagogues appellent la réticence didactique : il faut se retenir de plaquer son savoir sur la situation, mais bien questionner la situation à partir de son savoir. Ainsi, par exemple, c’est bien la forme d’exigence et de bienveillance à l’égard d’autrui induite par la pédagogie coopérative qui doit, me semble-t-il, être aujourd’hui défendue au sein de l’entreprise.
Au sein des classes, ce type d’approche est aussi, bien sûr, porteuse de sens. C’est ainsi qu’au CIRPP, nous défendons les bienfaits de la pédagogie coopérative complexe, telle que nous l’avons théorisée avec Nicolas Go, docteur en philosophie et maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université de Rennes 2, en retraduisant, dans le contexte actuel, les apports notamment de la pédagogie de Freinet. J’y reviendrai dans un prochain post !
Le « management Montessori », arnaque ou utopie ?
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