Comment changer en profondeur nos pratiques d’enseignement ? Comment apprendre du terrain pour modifier nos façons de faire et de voir ? Comment inviter le terrain à élargir le champ des pratiques possibles ? Le CIRPP s’est donné comme ambition d’accompagner les profs des 24 écoles de la Chambre de commerce et d’industrie Paris-IDF dans la résolution de ces questions.
L’originalité de notre démarche tient dans la mise en relation entre une équipe de profs innovant sur le terrain et un chercheur en sciences de l’éducation dont le background peut être la philosophie, la psychosociologie, etc. Ce sont en tout cas des chercheurs formés à l’approche clinique de l’intervention dans les organisations. L’aller-retour se veut vertueux : le terrain vient questionner les travaux du chercheur et réciproquement la théorie du chercheur vient éclairer d’un jour nouveau le terrain. C’est le processus de « défi-médiation » décrit par René Barbier, professeur émérite à l’Université de Paris 8 Saint-Denis en sciences de l’éducation, qui fait émerger des questions et du sens. D’un côté, les profs doivent accepter d’être aidés quand ils tentent de quitter ne serait-ce que momentanément la posture de celui qui sait. De l’autre, le chercheur doit endosser le rôle du tiers, de l’ami critique, qui vient questionner ce qui semble questionnable. Le CIRPP est ainsi une plate-forme où on peut se dire, sans être jugé, sous le regard bienveillant de ce chercheur accompagnateur.
L’approche méthodologique que l’on défend est ainsi celle de la recherche-action, imaginée dans les années 1940 par le psychosociologue américain Kurt Lewin, qui repose sur le double postulat de la mise en action d’un chercheur et de la mise en posture de chercheurs des acteurs du terrain. Nous défendons cette approche par la recherche-action non pas par idéologie, mais parce qu’elle est congruente avec notre objet de recherche : l’innovation pédagogique conduite par des initiatives de terrain.
Nous engageons ainsi les enseignants dans un travail très personnel et réflexif. C’est pour cela qu’avec René Barbier, nous préférons parler de recherche-action à dominante existentielle. Nous sommes attentifs à cette dimension de l’imaginaire, du sensible et du symbolique. Comment puis-je témoigner de mon expérience d’enseignant ? Pourquoi utiliser tels mots plutôt que tels autres ? Quelle doit être ma posture face à la classe, face aux collègues ?, etc. Tant que toutes ces questions n’ont pas été explicitées et partagées, aucune coopération n’est possible dans et hors de la classe.
Nous pensons qu’il est important d’accepter de se donner pour donner en retour. Autrement dit, il faut être soi-même, en tant qu’enseignant, capable de se mettre en danger et de remettre en cause ses certitudes pour pouvoir défendre une pédagogie coopérative permettant l’émergence d’un écosystème laissant place à l’incertain. Si plus rien n’est acquis, tout est à (re)construire. Célestin Freinet disait, dans une jolie formule : le signe de l’intelligence humaine c’est la perméabilité à l’expérience. Autrement dit, si je me rends perméable à l’expérience, je laisse l’expérience me transformer. Si cette forme de déstabilisation est anxiogène, elle n’en demeure pas moins positive, car elle permet une mise en mouvement. Ce n’est que si je suis ouvert à l’autre que je peux être dans l’échange symbolique décrit par Marcel Mauss, donner-recevoir-rendre.
Nos projets de recherches (une quarantaine depuis plus de 6 ans) conformément à la théorie de la recherche-action existentielle on fait émerger quatre nature d’effets 1/la transformation concrète des pratiques pédagogiques ; 2/un effet de formation et de co-formation des équipes enseignantes par la recherche; 3/la construction de connaissances nouvelles par la modélisation théorique de réflexion issues du terrain (quelques recherches ont ainsi pu donner lieu à une publication scientifique) ; 4/la création de lien social au sein de l’équipe projet, et au-delà, au sein de l’institution : certaines personnes qui ne se parlaient pas jusqu’alors se retrouvent obligées de travailler ensemble et se découvrent des questionnements communs. Il est important de noter que ce type de démarche ne peut fonctionner que parce que nous nous donnons du temps, c’est un luxe inouï !
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