Les Moocs sont souvent présentés comme la nouvelle révolution du savoir. Beaucoup en vante les bienfaits sans toutefois, me semble-t-il, en questionner réellement les attendus et les effets. À l’image d’un Michel Serres qui dans les années 1950 parlait de la télévision comme d’une révolution censée apporter le savoir dans les foyers, c’est le même type de raisonnement qui, plus de 60 ans après, est associé aux Moocs : ils permettraient de désacraliser le savoir et de démocratiser l’accès aux connaissances. Mais il faut faire attention au miroir aux alouettes !
Tout bon pédagogue sait qu’il existe différents types de savoir : 1/l’ensemble des connaissances acquises, les savoirs prouvés et académiques ; 2/les compétences, entre savoir faire et savoir être ; 3/ les méta-compétences, comme le savoir devenir, la capacité de maturation, l’autonomie, l’esprit critique (qui n’est pas le jugement), l’agilité (qui n’est pas l’adaptation)… Autant de méta-compétences qui supposent de la part de l’apprenant un projet et une volonté qui aura été éduquée, entraînée.
Or les Moocs ne se sont bien souvent que le support de savoirs stabilisés, transmis sous forme de vidéos, de cours écrits ou de podcasts qui ont vocation à être téléchargés. Ce sont dans le meilleur des cas des savoirs « homologués » par la communauté savante. Le risque de ce type d’approche, si l’on n’y prend pas garde, est de créer des élèves passifs face au savoir. Ils se retrouvent à consommer des vidéos et des textes, à ingérer du prêt a penser, voire du « pré digéré ». C’est facile donc dangereux. Quand on est dans ce rapport au savoir (celui d’un rapport consommateur et solitaire face au savoir), on n’est plus dans une posture critique. On perd même jusqu’à la volonté de penser par soi-même. C’est le règne des benchmark, des best practices, des raccourcis rapides : « un tel l’a fait, donc je dois le faire moi aussi »…
Car la (sur)valorisation des Moocs ne doit pas nous faire oublier de questionner la place du pédagogue et son rapport au savoir et aux élèves. Là encore, il faut être prudent, car si les Moocs peuvent constituer de nouvelles ressources mises à disposition, l’enseignant doit continuer à jouer une place centrale. Si notre rôle, en tant que pédagogues, est de former les autodidactes de demain, il importe de repérer dès aujourd’hui les savoirs qui seront pertinents. Or la société de demain n’a pas besoin de répétiteurs de Moocs ! L’autodidacte doit apprendre ce que c’est que d’apprendre et pour ce faire, il doit suivre un enseignant qui lui indique le moyen et les raisons d’apprendre. Il faut donner de l’importance à l’imagination créative, à l’intelligence connective et encourager l’émergence d’un esprit critique. Pour l’apprenant, cela suppose de savoir discriminer et évaluer le potentiel créateur contenu dans ce qui vient de l’extérieur. Il doit apprendre à capter ce qui l’intéresse, à décider en fonction de son projet, à se laisser altérer par l’expérience
Sous quelles conditions peut-on s’appuyer sur les Moocs pour développer les autodidactes de demain ? Certains Moocs s’y essayent en proposant, au-delà de la simple mise en ligne de cours magistraux, des exercices, des jeux ou des mises en situation virtuelles. On peut s’entrainer et même contrôler ce que l’on a appris. Il faut alors distinguer les contenus simplement mis en ligne en « open massive et online », de façon quasi automatisée – ce qu’on pourrait appeler « les Moocs-embedded » – et les Moocs « accompagnés » par les pairs ou un tuteur, et « intégrés » dans un dispositif en présentiel. Ce sont ces derniers qui ont bien évidemment ma préférence, quand ils sont couplés à des dispositifs pédagogiques centrés sur l’étudiant et l’expérientiel et qu’ils permettent des formes d’auto-évaluation pertinentes. Sous l’autorité d’un prof qui a été lui même formé par la recherche, les participants au Mooc peuvent alors se remettre en question. L’enjeu est alors pour l’apprenant d’élaborer et d’étayer des savoirs qui pourront le porter toute sa vie.
En conclusion, il importe donc de redire que les Moocs ne sont QUE des outils et en tant que tels, ils ne sont ni bons, ni mauvais. Il faut simplement s’interroger sur la manière de les utiliser. Dans cette optique, il ne faut jamais oublier que le but du pédagogue est de passer du savoir à la connaissance. La connaissance est liée au mot naissance : c’est la naissance d’une autre forme de savoir, celle d’un savoir prouvé parce qu’il est passé au crible de la critique. Si on en reste à la mise en ligne de « savoirs morts », ils ne peuvent déboucher que sur des « activités digestives » – on ingère du savoir sans réfléchir. Or il est important de pénétrer les contenus avec de l’affectif (de les « chauffer », en quelque sorte), de les transformer en étayages pour l’agir et en référentiels pour comprendre le monde…. Encore une fois, l’étudiant n’a pas seulement besoin de savoirs, mais de rencontres et de « reliance » (i.e., de « connexions », en anglais). Au niveau cognitif cela suppose le croisement de points de vue divergents, au niveau affectif cela permet une aventure intellectuelle partagée et empreinte d’émotions. Je m’inquiète d’un avenir où les rencontres humaines ne seraient remplacées que par de simples échanges de Moocs. De quelle pauvreté serait alors entachée les échanges humains (1) ! Pour éviter que les Moocs ne se traduisent par une pauvreté existentielle, il importe donc de rester vigilant.
(1) Ce billet est d’ailleurs issu d’une discussion avec ma collègue Marlis Krichewsky.
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