Faut-il prendre les Serious games au sérieux ?

Que peuvent apporter les Serious games aux outils pédagogiques traditionnels ? Comment et quand doivent-ils être mobilisés ? Dans quelle condition les élèves parviennent-ils à transposer les résultats obtenus dans le cadre fictif du jeu dans la réalité de l’apprentissage? Réponses en forme de cas d’école avec le jeu « 21rst century car challenge » développé par la société megalearning et mis en œuvre dans un cours d’ESCP-Europe. L’analyse qu’a faite Nicolas Mangin de ce dispositif, dans le cadre d’une enquête réalisée sous l’égide  du CIRPP, est à ce propos fort éclairante.
Le jeu d’entreprise est une forme d’apprentissage à travers laquelle les élèves conçoivent et mettent en œuvre des scenarios fictifs. En l’occurrence, dans le cas de « 21 rst century car challenge », il s’agissait pour le petit groupe d’étudiants d’ESCP-Europe de se répartir en plusieurs équipes (formés de 4-5 élèves) avec l’objectif de fabriquer des véhicules destinés à des segments de clientèle différents (Brésil, Russie, Inde, Chine). Chaque équipe devait définir et mettre en œuvre une stratégie en respectant une double contrainte, celle du modèle économique programmé dans le logiciel et celle composée de l’ensemble des solutions défendues par les équipes concurrentes. Mais ce modèle, censé favoriser l’immersion ainsi que l’implication émotive et cognitive des étudiants-joueurs, ne fonctionne que si, et seulement si, plusieurs conditions sont réunies.

La progression. Il importe tout d’abord en tant que pédagogue de réfléchir à la place que doit occuper le jeu dans le cursus d’apprentissage. L’impact de la simulation est en effet très différent selon le moment où elle intervient dans la formation des participants. Quand le jeu est introduit avant toute autre forme d’apprentissage, le risque est grand que les élèves pensent pouvoir aborder les problèmes de gestion sans mobiliser des analyses préalables. Ils sont et restent dans une solution totalement fictive.
En revanche, quand le jeu est utilisé en conclusion d’un cursus, il peut permettre d’éprouver plus directement les compétences et les connaissances acquises de façon théorique. Il importe donc que le jeu soit pleinement intégré dans le cursus et pas seulement envisagé comme une étape ludique dans un parcours. Ce qui suppose aussi de prendre son temps. A la fois entre chaque étape du jeu et à l’issue du jeu pour réaliser un feed-back. Faute de quoi ce n’est plus une plongée dans un monde que permet le jeu, mais simplement une partie de surf sur l’écume !

L’évaluation. Prendre au sérieux les Serious games, suppose aussi d’associer au jeu des objectifs précis et évaluables. Trop souvent les performances et les systèmes de récompense restent déconnectés des savoirs dispensés. Gagner, i.e passer à une nouvelle étape du jeu, devient plus important que d’apprendre. Or précisément, les jeux d’entreprise peuvent constituer une vraie ressource pour l’enseignant en ce qu’ils peuvent permettre la transmission de savoirs cognitifs, mais aussi de savoir-faire, de savoir-être, voire de savoir-devenir (aptitudes au changement et à l’innovation). Il existe pour chacun de ces savoirs des instruments de mesure qui doivent être intégrés au jeu.
Dans le cas de « 21 rst century car challenge », il serait par exemple, envisageable de demander aux étudiants d’évaluer leurs pairs dans leur manière d’être et d’agir en groupe ainsi que d’analyser les outils développés par les équipes concurrentes. D’une manière générale, il faut aussi accompagner les élèves dans l’analyse du modèle qui est sous-jacent dans l’organisation et l’architecture du jeu (ce qu’on appelle la « doctrine », i.e. le message). Seul ce travail de modélisation permet de comparer le jeu au monde réel et d’en analyser les limites.

L’implication. Il importe aussi de favoriser l’implication des élèves dans le jeu en leur évitant d’être passifs face à des animateurs qui occupent trop souvent le rôle de maître du jeu omniscient. Le processus doit être inversé : il revient aux élèves d’expliquer aux animateurs ce qui se passe, et pas l’inverse. Ce qui suppose de la part des joueurs d’accepter de se retrouver « sans filet ». Il faut en effet introduire de l’incertitude, pour éviter que le jeu ne se transforme en une simple machine à apprendre les bons gestes dans un cadre rassurant et espérer le transformer en expérience.
Il me semble pertinent en la matière de faire résonner la distinction entre « play » et « game », telle qu’elle est parfaitement analysée par René Barbier (à retrouver ici). Le « play » correspond au plaisir de jouer sans autres règles que celles que se donne le joueur. « L’exemple du petit chat à qui l’on offre une petite balle et qui va la faire rouler dans tous les sens en sautant comme s’il attrapait une souris, manifeste la jouissance de l’être-au-monde de tout être vivant dans lequel s’incarne le sens inné du jeu radical », souligne René Barbier. A cet élan vital s’oppose le « game » qui est un processus planifié, codifié qui mène à une conclusion pré-établie. Si le jeu « game » ferme les portes de part sa conception, est-il possible d’imaginer des jeux « play », c’est à dire où tout serait ouvert, les pédagogues se retrouvant dans la même incertitude que les joueurs ? Le défi mérite d’être relevé.

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