Le prof dans les habits du community manager

Pour continuer la réflexion engagée la semaine dernière sur le social learning [à relire ici], j’aimerais évoquer une récente enquête réalisée au département de psychologie de l’université d’Oregon par quatre confrères et intitulée « Analytical reasoning task reveals limits of social learning in networks » (à retrouver ici). Leur objectif était d’analyser les apports du travail en groupe dans l’apprentissage du raisonnement. L’étude s’est déroulée en cinq étapes successives mobilisant à chaque fois une vingtaine d’étudiants et faisant varier le degré de connexion entre eux : d’isolés, ils ont été connectés à un nombre inégal de personnes, jusqu’à être tous reliés les uns aux autres.

Dans chaque situation, une question simple était posée à l’étudiant, comme par exemple : « Si cinq machines mettent cinq minutes à fabriquer cinq gadgets, combien de temps vont mettre 100 machines à fabriquer 100 gadgets ? » Si de façon instinctive, on serait tenté de répondre 100 minutes, la bonne réponse est évidemment 5 minutes. Lorsqu’il était connecté, l’étudiant recevait la réponse donnée par ses camarades et pouvait s’il le souhaitait modifier son résultat, ce qui se traduisait dans la majorité des cas par une amélioration de son score global. Dans l’ensemble, l’étudiant le plus connecté à un réseau était celui qui atteignait le meilleur résultat.

Mes confrères en concluent que le travail en groupe entraine une « contagion du résultat », i.e.  les résultats s’améliorent quand les élèves sont en réseau et réfléchissent à plusieurs, mais à un défaut de « contagion du processus », i.e. que l’étudiant n’apprend pas au contact de ses condisciples à modifier sa façon de raisonner.

Quels enseignements tirer de cette expérience ? D’abord, bien sûr, qu’il ne suffit pas simplement de se mettre en réseau… pour espérer tirer les avantages du réseau ! Ceci est d’autant plus vrai en France, où depuis le plus jeune âge les écoliers n’ont jamais appris à travailler en groupe. Dans l’école française, les seuls moments collectifs sont bien souvent réservés à la production d’exposés dont on évalue globalement le résultat, mais jamais individuellement et/ou collectivement le processus d’apprentissage : Comment j’apprends différemment en groupe ? Mais aussi qu’est-ce que j’ai appris en groupe sur le fonctionnement d’un groupe ? etc.

Deuxièmement, c’est une illusion que de se reposer sur la seule « bonne volonté » pour espérer créer du travail collectif. Le résultat est souvent désastreux, le travail en groupe se résumant alors à la distribution de rôles figés : le leader qui dicte les ordres, l’élève sérieux qui obéit, et les autres qui se cachent pour en faire le moins possible.  Pour lutter contre ces tendances, il faut que le prof se pose en garant du bon fonctionnement du groupe, qu’il soit un médiateur, une sorte de community manager qui réinterroge, et mette le travail au travail. En effet, pour qu’il y ait « contagion des processus », pour reprendre l’expression de mes collègues, il faut créer des temps d’arrêt, de réflexivité, et de débat. Pour ne pas en rester au niveau du résultat, il faut travailler sur le « méta », i.e. précisément l’animation du travail de groupe.

Pour transmettre et créer du savoir, il faut que l’enseignant soit d’abord ancré dans une discipline de sorte qu’il puisse a minima critiquer le monde depuis cette discipline.  L’open research montre que les collaborations sur internet fonctionnent d’autant mieux quand les chercheurs disposent d’un niveau de méta-cognition très élevé. Pour que le travail de groupe soit efficace, il faut ainsi accepter de partager honnêtement ses résultats.

Par ailleurs, l’enseignant doit, pour pouvoir occuper ce rôle de community manager, disposer de compétences sociales et psychologiques particulières lui permettant de comprendre pourquoi tel élève occupe telle position et de réussir à faire que chacun transgresse les limites qu’il s’est fixées. Il importe de maîtriser en quelque sorte le « savoir des foules » pour créer les conditions d’émergence d’une intelligence collective. Le chameau est un cheval dessiné par un comité, aurait dit Winston Churchill. Preuve s’il en est qu’il est difficile de faire des choses à plusieurs, mais le pari mérite, me semble-t-il, d’être relevé !

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