Pendant une vingtaine d’année, j’ai été champion de haut niveau de parapente. L’originalité de cet objet volant est que sa forme d’aile (ou de « voile) dépend de la pression de l’air, car à la différence du deltaplane, il n’a aucune armature solide. Il faut donc s’imaginer avec 3,5 kilos de chiffons au-dessus de la tête et 2000 mètres sous les pieds !
Pour se diriger, il faut apprendre à « écouter » son aile afin de ressentir les mouvements de l’air et prendre les bonnes directions. Réussir un long vol en altitude s’avère donc toujours incertain et périlleux, il faut savoir allier technique, sensibilité, imagination, réflexion et intuition. Dans un tel contexte d’instabilité, on agit par tâtonnement. Avec des « modèles flous » et une vigilance accrue des sens, le pilote parvient ainsi à exploiter les thermiques, pourtant invisibles, sans connaître ni leurs formes, ni leurs forces. Réussir ainsi à capter ces dynamiques, c’est finalement écouter la chance qui se présente à soi pour faire émerger des choses de manière positive. Et c’est en faisant du parapente que j’ai finalement compris – car vécu au plus profond de mon être – cette leçon sur l’action.
Pourquoi vous parler de cette expérience aujourd’hui ? En haute altitude, j’ai appris à prendre la mesure de la finitude de mon être face à l’immensité de la nature. Je suis devenu extrêmement perméable à l’expérience car ma vie y était engagée. Ce sentiment de fragilité est nécessaire car il permet de développer une forme d’humilité.
Or dans un contexte incertain, l’humilité est une posture d’efficacité. Que ce soit en vol ou en situation de management. Tel est en tous cas le pari que nous faisons avec mon collègue Nicolas Go. A l’inverse du modèle de pensée dominant dans le management qui vise à maîtriser au maximum les conditions de l’action, nous pensons en effet que l’incertitude est créatrice de valeur économique, sociale, et sociétale. Comment agir dans un tel contexte ? Comment ne pas se laisser submerger par la peur panique de ne pas tout contrôler ? Pour ce faire, il importe d’exercer perpétuellement une forme de réflexivité sur ce que l’on perçoit de manière intuitive. Cette posture face au monde, que nous avons qualifié de « stratégique », nécessite de développer une intelligence de l’expérience, au sens donné au terme par Célestin Freinet. Le pari est d’apprendre en faisant, mais surtout d’analyser immédiatement l’échec pour essayer à nouveau, mais en étant tout autre, en changeant de posture.
À partir de la théorisation de cette expérience, nous avons développé une pédagogie que nous avons appelée « par le risque », et qui s’appuie sur des détours utilisant la pratique de sports de pleine nature, doublé d’une approche réflexive qui vise à modéliser l’action des participants. Cette action impliquée des participants, dans un contexte de risque perçu fort (et réel limité au maximum !), leur permet de goûter peu à peu à une modification profonde de leur posture de sorte à ce que, peu à peu, ils apprennent à envisager l’incertitude comme une bonne nouvelle, porteuse de créations possibles et non plus seulement de destruction de valeurs, que je conjugue ici au pluriel.
Dans un projet billet, je détaillerai le modèle que nous avons pu faire émerger d’une étude approfondie de la pratique de ces sports, modèle qui permet à nos participants de développer leur propre pratique du management en condition d’incertitude.
(1) Je développerai ce thème lors du Ted Talk qui aura lieu le 29 avril à 14h à Issy les Moulineaux et porté par le réseau Innocherche dirigé par Bertrand Petit