En pleine polémique sur les rythmes scolaires dans le primaire et en maternelle… je voudrais apporter ma modeste contribution à ce débat qui, par bien des aspects, me semble aujourd’hui très mal posé. À force de ne pas questionner un ensemble d’impensés, la réflexion engagée sur le(s) rythme(s) d’apprentissage reste à la surface des choses.
- Premier angle mort : la confusion entre rythme et cadence
On a bien trop souvent tendance à confondre « rythme » avec « cadence ». Or si le « rythme » suppose une forme d’harmonie, la « cadence » s’impose à tous sans distinction et force tout le monde à se mettre au diapason en créant une illusion d’harmonie qui aura précisément écrasé les singularités, les « écarts types », comme diraient les statisticiens.
L’autre tendance est de vouloir à tout prix « remplir » les journées, comme si la plus grande peur des parents comme des enseignants était de laisser du vide, pendant ou entre les cours. Ou alors c’est la plus mauvaise solution qui est choisie avec, par exemple, l’instauration de cette pause le mercredi après-midi… sans que personne ne se préoccupe vraiment de la façon dont les parents s’organisent pour récupérer leurs enfants à l’école ! C’est le propre de la fiction politique actuelle que d’essayer de nous faire croire que l’école devrait être un lieu et un temps sacralisés, en dehors de toute autre contrainte sociétale.
La question de savoir ce que voudrait vraiment dire proposer des journées harmonieuses pour les enfants n’est finalement jamais posée. On y répond en imaginant des journées pré-découpées, formatées avec des horaires et des rituels de pause pré-établis. Si on voulait être un peu cynique et pousser le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait même dire qu’on prépare dès le plus jeune âge nos enfants à se soumettre à la cadence de notre monde moderne et à celle de l’entreprise.
- Deuxième angle mort : gérer la singularité dans la masse
Deux grandes visions de l’éducation s’opposent actuellement : une vision élitiste qui préconise d’imposer aux plus faibles la cadence des meilleurs, quitte à en laisser quelques uns sur le bord de la route et une vision plus égalitariste qui, au nom d’une baisse de rythme, se traduit bien souvent dans les faits par un nivellement par le bas. Comment sortir de cette aporie ? Comment réussir à gérer la singularité des besoins de chacun et l’exigence de la gestion du collectif ? En étant un peu provocateur, on pourrait dire que les marques commerciales ont réussi depuis longtemps à gérer cette injonction paradoxale via les processus de mass-customization qui permettent de s’adapter à chacun tout en gérant la masse…
D’une manière générale, on a une vision trop mécanique des apprentissages, au mépris des vrais rythmes de l’enfant. Or pour reprendre les mots de Rancière, s’il y a égalité des intelligences, elles sont bien inégales dans leur manifestation. Chaque enfant a des rythmes d’apprentissage différents, certains apprenant mieux le matin, d’autres plutôt le soir. Ce qu’avaient déjà bien compris des pédagogues comme Freinet ou Montessori. Ainsi par exemple, avec la pédagogie Montessori, l’enfant choisit son activité, y passe le temps qu’il veut… et construit ainsi progressivement un cheminement singulier.
Aujourd’hui, les outils numériques me semblent aussi pouvoir constituer une réponse adéquate pour répondre aux besoins de chacun au sein d’un collectif, car précisément ils permettent de gérer des rythmes asynchrones. Si sur la partie masquée, individuelle, chacun peut aller à son rythme (i.e, travailler le matin, le soir, etc. ), l’effet de masse est garanti par le partage d’un même outil. Les moments de classe sont aussi l’occasion d’un échange entre pairs et d’un retour sur ces expériences individuelles multiples. Les expérimentations menées notamment au sein du département Practice de l’ESCP-Europe sont en la matière très probants. Une collègue, prof de marketing, a par exemple créé un groupe facebook avec tous ses élèves, et les encourage à investir cet espace virtuel pour témoigner de leurs expériences. On est bien là dans la knowledge adventure, vantée par François Taddéi (voir ici). Ces étudiants apprennent beaucoup plus en témoignant ainsi de leur visite d’entreprises ou de magasins, que quand ils sont assis en amphi devant 400 slides !
- Troisième angle mort : la notion d’espace-temps
Quand on questionne les rythmes scolaires, il faudrait aussi parler des lieux physiques dans lesquels les enfants doivent trouver leur rythme : la classe (et les différents espaces dans la classe !) ; la cour, les couloirs, etc. Comment alterner les changements d’espaces (dans la classe et hors de la classe)? Selon quel type d’alternance? Seule une réflexion en profondeur sur nos façons d’enseigner pourra déboucher sur une vraie refonte des temps et des rythmes d’apprentissage.
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