Les séminaires « de rentrée » ou « d’intégration » sont devenus incontournables ! Même les universités commencent à s’y mettre en proposant aux nouveaux étudiants un temps d’échange et d’accueil. Le séminaire de rentrée est un rite de passage qui matérialise le changement d’établissement, de programme, d’état d’esprit. Pendant longtemps, il était même baptisé à l’ESCP Europe « séminaire portail » – tout un symbole ! – avant d’être renommé « séminaire open » – un autre symbole soulignant l’importance d’un tel espace de liberté dans les programmes.
Durant trois jours, le principe est de proposer aux étudiants des mini-cours d’une heure sous le format « ESCP Europe » et de les inviter à débattre ensuite librement sur ce qu’ils ont entendu, compris, perçu. Ce qui est souvent très instructif pour eux comme pour nous. On les invite aussi à mieux se connaître via des jeux comme celui qui consiste à élaborer individuellement puis collectivement un kit de survie pour passer quelques jours dans l’Antarctique, en classant une quinzaine d’objets par ordre d’importance. Le principe étant ensuite de comparer le-dit classement à celui réalisé par des experts. L’objectif de ce type de jeu est de faire prendre conscience aux étudiants de l’importance de débattre entre eux pour arriver à un consensus, mais aussi des effets de leadership négatifs qui peuvent survenir dans certains cas. En un mot les sensibiliser de manière ludique à toutes les questions qui vont les occuper durant leurs prochaines années d’études.
Accompagner la mutation du regard
Le fait de changer d’espace physique (de la classe prépa à la grande école, pour le dire vite) signifie pour certains le gain d’une grande liberté, mais pour d’autres, le changement peut être violent, c’est pourquoi il me semble nécessaire de l’accompagner au mieux. Le séminaire de rentrée est là pour encadrer ce changement d’espace physique mais aussi symbolique et favoriser la conversion de leur regard. À l’esprit de compétition farouche qui règne dans certaines prépas doit se substituer un esprit collégial où ce qui importe avant tout est de réussir son intégration professionnelle. Alors qu’ils ont été pour beaucoup d’entre eux engagés depuis longtemps dans une course à l’excellence, notre objectif est de les aider à se ralentir, à prendre le temps de vieillir pour devenir plus créatif.
Un objectif programmatique qui s’accompagne souvent par une forme d’incertitude : « Avant on avait des cours objectifs, maintenant, on a l’impression d’avoir des cours subjectifs. On ne sait pas lequel des profs dit la vérité », s’est même inquiétée récemment l’une de mes étudiantes. Cette remarque est représentative du sentiment partagé par beaucoup d’étudiants engagés dans un cursus de business school. Une récente étude a même montré que quand il était demandé aux étudiants d’évaluer leur cours, ils en restaient à la mobilisation des deux catégories « bon » ou « mauvais », sans jamais réussir à analyser l’enseignement au regard de leur objectif futur, à savoir leur rôle à venir de manager.
Ils doivent donc apprendre à réévaluer leur rapport au savoir qui jusque là n’a été qu’un hétéro-savoir. Et le séminaire de rentrée doit, encore une fois, faciliter leur orientation dans ce nouveau champ symbolique des savoirs. Dès les premiers jours, nous essayons de convenir ensemble des règles et des objectifs pour que le triangle «savoirs/formateurs/formés » fonctionne. Ce qui suppose de les aider très tôt à formuler des interrogations pertinentes, au premier rang desquelles, cette question centrale : qu’est-ce que se professionnaliser veut dire ?
Dans mes rêves les plus fous, j’aimerais que ce type de séminaire, très singulier, puisse durer jusqu’aux vacances de la Toussaint et avoir une vraie influence ensuite sur le fond et la forme de nos cours. C’est d’ailleurs le pari relevé au Olin College, un établissement situé dans le Massachussetts qui, à bien des égards, est exemplaire : à chaque début d’année, les enseignants s’entretiennent longuement avec les étudiants pour que chacun exprime ses objectifs et les moyens à mettre en place pour les atteindre. Les cours sont ensuite redéfinis chaque année pour s’adapter à ces objectifs.
Si on pousse jusqu’au bout la logique consistant à se fixer individuellement et collectivement des objectifs en début d’année, il importerait de mettre en place des temps d’évaluation intermédiaire permettant éventuellement de rectifier le tir… et bien sûr une auto-évaluation à la fin du programme. « On sera content à la fin si… » : une petite phrase que l’on aimerait tant entendre résonner en ce début d’année…
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