Au delà de la « révolution numérique » visible par tous, dans quelle mesure peut-on favoriser l’émergence d’une véritable « révolution éducative facilitée par le numérique » ? Cette ambitieuse refonte de nos « vieux modèles » doit permettre la mise en pratique d’un certain nombre de principes pédagogiques innovants. Il s’agit ainsi, via l’usage des outils numériques, d’encourager la co-construction de projets éducatifs et de référentiels de connaissances avec les étudiants (via, par exemple, une bibliothèque numérique), d’aider l’enseignant à occuper davantage la position du « guide on the side » (en suscitant des aller-retour entre l’apprentissage transmissif et la recherche coopérative), de favoriser « l’open-research » en respectant une certaine éthique du « hacking » (précédent billet à retrouver ici). Le développement des outils numériques ont fait aussi apparaître une multiplicité de supports de cours (c&xMOOC, SPOCs, cours en ligne open source, classe virtuelle synchrone, modules en accès libre sur Youtube , Serie TV ( BBC Janala), des jeux « sérieux » ou non, etc.) qui me semblent être des pistes d’innovation intéressantes à explorer quand elles sont développées dans le cadre d’ateliers réflexifs où l’humain garde toute sa place.
Au sein de l’ESCP Europe, nous sommes également en train de réfléchir (1) à la mise en place d’un campus numérique qui pourrait devenir le support de la communauté toujours grandissante de nos apprenants. Il s’agirait ainsi d’accompagner les anciens qui le souhaiteraient à créer de manière ad-hoc de petits collectifs, multi-campus, dans lesquels seraient débattus des études de cas en « live », avec l’objectif d’offrir un espace virtuel servant de support à la formation continue. Dans le cadre de ce campus numérique, en parallèle des parcours physiques ou 100% en ligne, il serait ainsi possible de créer des sortes de « coopératives de connaissances ». Dans la vie du manager, ces moments de ralentissement et de pause permettraient de faire le point, dans une approche de type VAE (validation des acquis de l’expérience) accompagnée par les enseignants.
Cartographies de connaissances
Bien sûr, il s’agit de veiller à ce que ces outils numériques ne créent pas une image trop déformante de la réalité. Il me semble, en la matière, qu’il est important parfois de prendre le contre-pied des modèles que nous fournissent le monde numérique, et, par exemple, de faire l’éloge de la lenteur et de la réflexivité, à l’heure où tout va très vite et où nous sommes pris dans un flux d’information. Paolo Freire a écrit : « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. » (Paulo Freire. (1974), Pédagogie des opprimés suivi de Conscientisation et révolution, Paris, Maspero). Or, si le numérique peut précisément aider à ouvrir une fenêtre sur le monde, le sens de ce monde n’apparaît jamais d’emblée.
Le DEAN de la Saïd Business School à l’université d’Oxford a récemment affirmé que son université devait devenir ce qu’il nomme un « trader de connaissance », mettant en lien des apprenants, et une sorte de cartographie de connaissances. Si la formule a le mérite de nous interpeler, dans le sens où elle semble aller dans le sens d’une autorisation des apprenants, elle n’est pas sans risques. En effet, ce type d’approche peut ruiner toute idée de sérendipité, i.e le fait d’en venir à trouver dans la vie ce que l’on ne cherchait pas. Si j’osais l’analogie avec les sites de rencontre, on pourrait dire que ceux-ci répondent à un besoin de mise en relation dans un monde qui crée de moins en moins d’espaces pour les interactions humaines, mais au détriment de toute sérendipité de la rencontre amoureuse. Tout ça perd un peu de sa poésie !
Dans ma conception, ces cartographies de connaissance en émergence permanente doivent être entendues comme un support, le professeur sera alors davantage un passeur de sens, un traducteur de complexité. Il s’agit ainsi d’accompagner des étudiants dans l’explicitation des écarts qu’ils auraient perçus entre le planifié (mais aussi le perçu, le « ce qui devrait être ») et le vécu, en traversant des paysages de connaissance qu’ils auraient eux même choisi d’explorer. Reste à s’assurer que leur choix soit le plus émancipé possible, ce qui est en soi un vrai défi …
(1) Ces idées et leur mise en œuvre sont développées dans le cadre de ma mission au sein du TeLL (Teaching and Learning Lab) de l’ESCP-Europe.
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