Réflexions sur l’après-Charlie

Quelques jours après la violence de la déflagration provoquée par l’attentat contre Charlie Hebdo, il est important, me semble-t-il, de continuer à chercher le sens de cet événement. Quand on prend le temps de regarder le parcours des deux frères Kouachi, force est de constater que leur vie fut remplie de ruptures, de chaos et de drames. Leur acte, aussi abject soit-il, ressemble à un suicide, symptomatique d’une forme d’impuissance à agir autrement. Face à ce constat, une question émerge, abyssale : Comment le système éducatif peut-il accueillir ces jeunes ? Comment détecter et  penser (panser) leurs fragilités ? Comment malgré ce qu’ils ont vécu les accompagner à devenir des citoyens réflexifs qui ne soient pas la cible privilégiée d’embrigadements de tous ordres ?

La violence de cet acte reflète, dans une certaine mesure, la violence de notre société en elle-même productrice d’exclusion. Dans cette perspective, le système éducatif est malheureusement une machine à reproduire les inégalités plutôt qu’un cadre émancipateur. Tentons de comprendre pourquoi notre système éducatif peut-il être aussi violent, au sens de la violence symbolique chère à Pierre Bourdieu ?

Pour celui/celle qui se retrouve hors-cadre, en marge, l’école impose sur lui/elle une forte charge symbolique à laquelle il lui faut se soumettre, car les espaces de dialogue n’existent pas : où peut-on en effet discuter des partis pris éducatifs, qu’ils concernent la discipline, les savoirs enseignés, la manière avec laquelle ils sont enseignés ? Dépourvus de ressources intellectuelles pour argumenter et défendre leur(s) point(s) de vue, certains jeunes qui ressentent cette violence symbolique n’ont pas « les mots pour le dire » et se retrouvent acculés à user de la violence physique. Au CIRPP, nous avons souvent rencontré et travaillé cette situation. Dès que l’on peut la nommer et l’accueillir, les mouvements de violence réelle s’estompent et le débat peut reprendre.

Violence symbolique, violence physique

Cela m’évoque un débat qui avait été organisé un jour au sein du CFI (Centre de formation industrielle), un établissement de la Chambre de commerce d’île-de-France accueillant beaucoup de jeunes éjectés du système éducatif traditionnel. La discussion portant sur l’utilité de la psychanalyse avait rapidement opposé deux camps. D’un côté, deux étudiants très agressifs arguant de la dangerosité d’un tel courant théorique. De l’autre, un groupe plus mesuré, sachant maîtriser la rhétorique. Au bout d’un moment, l’un des deux jeunes du groupe « agressif » avait brutalement claqué la porte en reconnaissant a posteriori s’être retrouvé à court d’argument. La violence du désarroi s’était ainsi exprimé à défaut de pouvoir argumenter. Pourtant, l’étudiant, en expliquant sa posture, avait pu sans problème réintégrer le groupe.

Dans l’ensemble, l’école offre très peu d’espaces pour apprendre à construire un point de vue oblique, critique, et surtout, à co-élaborer des questions. Comme le dit mon collègue et ami François Taddei, il ne faudrait pas évaluer les élèves sur leur capacité à répondre à des questions posées par d’autres mais sur leur capacité à poser eux-mêmes des questions pertinentes. D’ailleurs, des outils existent pour développer ces méta-compétences, je pense notamment, pour ne citer qu’un exemple, à la pédagogie du procès qui consiste à développer des arguments pour plaider la cause d’un objet, d’une idée. Ces initiatives mériteraient d’être développées.

Plus généralement, il me semble nécessaire de défendre un système éducatif qui soit plus ouvert à la diversité des langues au sens des langues nationales, mais au aussi des différents langages. Je voudrais à ce propos reprendre à mon compte cette ambition de Jacques Ardoino de faire de chacun d’entre nous des polyglottes, capable de maîtriser toutes les langues – celle de l’école, des parents, de la rue, etc. Par ailleurs, si notre école républicaine doit certes être laïque, elle doit surtout être inclusive. Or notre conception actuelle de la laïcité qui interdit la religion constitue une violence envers celui/celle qui croit. Pourtant, il existe bien un autre modèle de la laïcité présentant l’ensemble des religions, sans parti-pris, dans une visée œcuménique. Il serait ainsi temps de réfléchir à une vraie éducation à la religion pour éviter que des jeunes déboussolés ne se raccrochent ainsi à de faux prophètes pour donner du sens à leur vie.

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