Langage informatique v.s langues étrangères ?

J’ai lu récemment que certains États américains envisageaient de permettre aux élèves de remplacer dans leur cursus, les cours de langues étrangères par des cours de code [Article à retrouver ici]. Or cette annonce – bluff ou réalité ? – me semble particulièrement intéressante à commenter à plus d’un titre.

D’abord parce que ce glissement sémantique crée une forme d’égalité entre langage informatique et langue parlée ou écrite. Or parle-t-on bien de la même chose ? Les processus d’apprentissage de l’un et de l’autre peuvent-ils être comparables ? Il faudrait davantage pousser l’exploration dans les sciences de la linguistique pour répondre de façon catégorique à cette question, mais une chose est sûre : les espaces discursifs créés dans l’un et l’autre cas divergent. Si le langage informatique familiarise les jeunes à parler aux machines, renforçant une forme d’entre-soi ; les langues étrangères les ouvrent aux autres. Or la symétrie créée entre les deux formes de langage pourrait précisément avoir comme conséquence de ne concevoir l’apprentissage des langues étrangères que sur le seul mode utilitariste. Ce qui pourrait rapidement avoir de fâcheuses conséquences, si ce n’est déjà fait…. Il importe en effet que l’acte même de « communiquer » ne soit pas limité de façon restrictive au fait d’échanger des informations, mais bien de découvrir d’autres mondes et d’autres cultures.

 

Développer les « méta-connaissances »

Par ailleurs, il importe de s’interroger sur ce que veut réellement dire ce fameux slogan que certaines écoles – je pense chez nous à l’école 42 – portent en étendard : « Apprenez à coder ! ». Certes, mais pour en faire quoi ? Dans quel(s) but(s) ? Bien sûr, il serait faux de qualifier 42 de «  boite à coder », tant je sais que les collègues qui y travaillent prennent bien soin de toutes ces dimensions. Je salue au passage l’initiative entrepreneuriale qui parfois pourrait manquer aux institutions auxquelles j’ai le plaisir d’appartenir. Mais j’ai l’impression que bien souvent on se contente de vendre du rêve à des jeunes exclus du système scolaire, comme si la maîtrise du langage informatique pouvait en soi leur permettre de s’affranchir de toute autre contrainte. Or comment éviter que ces jeunes ne deviennent pas les nouveaux OS du monde moderne employés à produire des lignes de code, « à pisser de la ligne » comme l’on disait très joliment à l’époque où l’on essayait de m’inculquer ces langages ? Précisément en leur disant que l’apprentissage du « code » ne fait pas tout !

Au cours de ma formation d’ingénieur, j’ai moi-même passé beaucoup de temps à apprendre à coder, à maîtriser des langages informatiques – pour beaucoup d’ailleurs devenus obsolètes depuis. Mais aujourd’hui, seule compte vraiment la réflexivité que j’ai pu développer sur ces langages. Dans le monde informatique, la vraie valeur-ajoutée ne se situe pas dans la maîtrise des détails techniques, mais bien dans la compréhension de l’architecture du langage. Ce qui suppose d’être capable de faire des liens improbables, de perpétuellement questionner ce qui semble acquis et donc de faire œuvre d’esprit critique. Or ces réflexes s’acquièrent précisément en développant l’interdisciplinarité et en questionnant les savoirs techniques du point de vue des sciences humaines. D’ailleurs, les cadres de la Sillicon Valley l’ont bien compris, envoyant en nombre leurs enfants dans des écoles à pédagogie active type Steiner, Montessori et autres « labels » de ce type… et non dans des « boîtes à coder ». Ils ont bien compris que le langage informatique n’est qu’un outil permettant d’explorer des mondes possibles.

La culture des langues

Plutôt que de vouloir substituer les langues humaines au langage machine, il serait bien plus urgent de compenser l’aridité du langage machine par la culture des langues, dont l’une des multiples fonctions est de pouvoir exprimer des mondes intérieurs, des images, des émotions, etc. Il s’agit donc bien, selon moi, non pas de faire un choix entre l’un ou l’autre, mais bien de nourrir l’un (le langage informatique) de toute la richesse sémantique et évocatrice de l’autre (la langue humaine). Le polyglottisme ( au sens des langues nationales, et aussi des langages professionnels) si cher à Jacques Ardoino est une des clés de l’éducation pour que précisément nous puissions continuer à créer un vivre ensemble qui vaille la peine d’être vécu.

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