De la nécessité de créer des communautés apprenantes

Le terme de « communauté » a parfois mauvaise réputation, trop vite associé au « communautarisme » et au « repli sur soi ». Dans la tradition sociologique, le terme est associé aux « stigmates de la « vie naturelle » » (1) : « volonté organique » (Tönnies), « solidarité mécanique » (Durkheim), « activité sociale traditionnelle » (Weber). Puis les sciences sociales ont re-popularisé la notion dans les années 1970-1980, non plus tant sur le seul mode de la préservation primitive des liens organiques, que dans le sens d’une forme d’autogestion reposant sur un principe d’union sociale.

Dans une acception plus dynamique du terme, on pourrait poser que les communautés se (dé)forment au gré des liens que les individus nouent, voire contractualisent, entre eux. La communauté prend alors davantage la morphologie d’un écosystème, d’une constellation d’individus qui décident à un moment précis d’échanger autour d’un même problème, chacun contribuant, depuis son point de vue, à enrichir le débat.

Prenons par exemple, les discussions que nous animons actuellement avec le groupe Bouygues autour de la transformation d’un quartier parisien. Nous avons réussi à créer un petit groupe de réflexion en invitant des architectes, des urbanistes, mais aussi des travailleurs de la petite enfance, des habitants, des constructeurs, des spécialistes de l’agriculture urbaine, un cuisinier de renom, des élus, etc. à imaginer ensemble l’avenir du bâti. Un tel écosystème repose sur le partage d’un même intérêt, dans la logique d’une économie du don. Les partenaires sont « montés à bord » de cette petite communauté apprenante, car ils sont tous désireux d’en savoir plus sur la question de la réinvention de la rénovation urbaine. Certes, le lien qui existe entre les individus est alors faible et limité dans le temps, mais c’est aussi ce qui en fait sa force. Quand un lien est fragile, nous en prenons soin davantage.

« Si tu ne sais pas, va voir ton voisin »

Parler de « communauté apprenante », c’est aussi parier sur le fait qu’il puisse exister, entre des personnes diverses, une communauté d’intérêt, sur le mode du « si tu ne sais pas, va voir ton voisin ». De façon singulière, l’Unesco, en lien avec le CRI (Centre de recherches interdisciplinaires) déjà abondamment cité comme ruche à bonnes idées, réfléchit d’ailleurs à ces nouvelles formes de circulation des savoirs qui pourraient constituer les bases de l’université de demain. Sur les problématiques du monde non résolues à ce jour, il s’agit en effet de chercher à « crowd-sourcer » (recherche dans la foule du village mondial) d’une part celles et ceux qui ont des embryons de solutions, et d’autres part, celles et ceux qui voudraient apprendre à résoudre ces problèmes en apprenant à s’y prendre autrement, à poser des questions nouvelles.

D’une manière générale, cela suppose, bien sûr, de ne pas rester dans l’univers clos de la classe mais d’encourager les élèves/étudiants confrontés à un problème, à aller chercher ailleurs la solution. Or cette invitation ne portera vraiment ses fruits qu’à partir du moment où on prendra vraiment au sérieux la nécessité d’inverser le rapport au savoir. Il ne doit pas être tant question de « classe inversée » – dispositif devenu un slogan à la mode – que de prendre pleinement au sérieux les désirs et les émotions exprimés par les apprenants eux-mêmes.

Par exemple, dans les écoles de management, plutôt que de faire travailler les étudiants sur des cas d’école factices, une vraie position innovante – et pourtant plutôt simple à mettre en place ! – serait de les faire réfléchir sur de vrais problèmes rencontrés par des entreprises. Il s’agirait ainsi de créer une véritable clinique du management en faisant se rencontrer des entreprises cherchant à se nourrir d’un regard nouveau sur leurs problématiques et des étudiants désireux d’apprendre. Tel pourrait être le cadre efficient d’une communauté apprenante.

 

Réfléchir sur des « Massive Transformative Purpose »

Encore faut-il que ces communautés apprenantes parviennent à se fédérer autour d’un objet commun digne d’intérêt. Dans un récent livre intitulé Exponential Organizations, Salim Ismail (2) définit les « Massive Transformative Purpose » (objet social de transformation massive du monde), comme l’ensemble des sujets sur lesquels il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir. Dans cette perspective, il me semble en effet important de déplacer le regard pour ne pas rester dans l’entre-soi des problèmes disciplinaires : en quoi, par exemple, l’histoire en tant qu’étude du passé, peut-elle nous aider à appréhender les grands enjeux du futur ?

Il s’agit ainsi de passer d’une logique de la « discpline based » – une approche où les disciplines sont reines – à une logique du « problem based » – une approche où la résolution des problèmes du monde est au cœur de l’enjeu éducatif de l’institution. C’est un enjeu politique, voire de survie que d’accompagner nos jeunes dans le développement des capacités nécessaires à la compréhension et à la résolution des enjeux majeurs de notre monde moderne.

(1) Sylvain Pasquier (sous la dir), Qu’est-ce qu’une communauté, L’Harmattan, Paris, 2009

(2) Salim Ismail, Exponential Organizations: Why new organizations are ten times better, faster, and cheaper than yours (and what to do about it) , A singularity University book.

 

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