Je mène actuellement un travail avec des cadres dirigeants d’une grande entreprise publique en pleine mutation. Le postulat de départ est de parier sur la maïeutique dont est porteuse la recherche-action. Dans ces séances de travail, on défend ainsi l’idée que le face-à-face entre le chercheur et le cadre peut permettre l’émergence d’une parole singulière. Pourtant, les entretiens sont parfois émaillés de longs silences qui témoignent d’un vrai désarroi à se dire. Car s’il s’agit d’offrir à ces cadres l’occasion de faire un pas de côté, de réfléchir au sens qu’ils donnent à leur métier, la démarche n’est pas sans les déstabiliser fortement. Force est en effet de constater que la notion de « praticien réflexif » défendue par Donald Schön (Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, 1994) est une belle idée, mais sa mise en pratique reste complexe.
Si l’on prend un peu de recul, les managers ne sont en effet pas toujours armés pour faire face aux épreuves posées par leur métier. Les évolutions stratégiques des entreprises vont désormais tellement vite que les managers se trouvent en effet souvent écartelés entre l’obligation de défendre les axes stratégiques initiés par la direction et la confrontation directe avec les équipes sur le terrain qui ne saisissent pas le sens de ces transformations. Faute de savoir comment faire face, ces managers « écartelés » se réfugient souvent dans le déni. Il faut dire aussi que, bien souvent, leur formation ne les a pas préparés à surmonter cette épreuve.
Dans ce contexte, le rôle du/des chercheur/s est alors de les accompagner. Il s’agit de repartir de leurs problèmes ordinaires, et de créer les conditions, ainsi que le climat de confiance pour qu’ils puissent raconter leurs « petits problèmes » . Il s’agit, en reprenant la formule de mon collègue et ami Fabien de Geuser de les aider à « enlever ces petits cailloux dans la chaussure qui empêchent d’avancer ». Et c’est toute la subtilité de la démarche : prendre beaucoup de temps pour révéler des détails … qui en disent beaucoup sur l’individu et son rapport à l’organisation.