Manifeste pour une technologie du dissensus

Pourquoi est-ce si difficile aujourd’hui, en entreprise, de sortir de « routine island » ? De s’extraire de cette zone de confort, qui sans être de tout confort, loin de là, reste néanmoins une position rassurante ? Et ce n’est pas faute d’envoyer les managers opérationnels en formation. Nous sommes même actuellement dans un tel régime de « formobésité », que plus personne ne sait vraiment pourquoi il suit telle ou telle formation et quel bénéfice il peut en tirer.

Or, pour être efficace, un programme de formation doit partir d’un diagnostic individuel. J’aime bien dire qu’il faut avant tout s’intéresser à ces « petits cailloux dans la chaussure », ceux qui n’empêchent pas forcément d’avancer mais qui, à force, deviennent handicapants. Et, en cela, les outils technologiques peuvent nous aider à individualiser tout à la fois l’offre et la demande. J’aime bien le mot de mon ami et collègue François Taddei qui parle de « maïeutech » pour désigner la manière dont le recours à la médiation d’un outil technologique peut aider à faire émerger la parole.

Dans les années 1960, James March, grand théoricien et spécialiste de l’étude des systèmes organisés, s’alarmait de l’introduction de la technologie dans les entreprises estimant que le recours systématique à des solutions standardisées risquait de tuer cette part de folie dans la décision humaine qui est pourtant vitale pour innover, créer, se renouveler. Il appelait alors de ses vœux l’émergence d’une « technologie de la folie ». La remarque a le mérite de nous inviter à une salutaire vigilance.

En redisant d’abord, bien sûr, que ces outils ne sont que … des outils ! Et qu’ils ne sont donc efficaces qu’en complément d’un accompagnement humain. C’est vrai, par exemple, des cartes heuristiques avec lesquelles nous travaillons en entreprise. Leur objectif est de représenter graphiquement les données recueillies au sein d’une organisation sous forme de mots, de questions, d’avis (voir un exemple ici). Ces cartes font émerger des problèmes qui n’auraient pas forcément été perçus autrement (comme par exemple, de voir que, dans tel contexte, le mot « contrat » n’est pas relié avec celui de « risque », contrairement à ce que tout le monde aurait pensé). Non seulement, ces cartes rendent donc visibles et intelligibles des constats, mais surtout elles projettent des dissonances cognitives, jouent le rôle d’élément abrasif au sein d’une organisation où tout semble trop souvent aller-de-soi.

Mais, bien sûr, le moment le plus fondamental reste toujours le moment du débriefing, de l’explicitation. Les cartes ont alors la vertu de jouer un effet de médiation symbolique : c’est la carte – et les constats qu’elle révèle – qu’on juge, et pas les chercheurs, ni les opérationnels qui fixent les diagnostics. Gageons que le bon usage d’une telle technologie du dissensus puisse un jour nous aider (enfin) à sortir de routine island !

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