Vers une parole libre en entreprise?

Comme je l’ai déjà évoqué, notre petite équipe de recherche s’est spécialisée dans la création de cartes heuristiques qui modélisent les enquêtes qu’elle mène in situ en entreprise. Il s’agit ainsi, par exemple, de produire une carte donnant forme aux avis des salariés sur le plan de formation déployé en interne dans leur groupe ou sur la manière dont ils décryptent le processus de décision, etc. D’une manière générale, l’originalité de la démarche tient dans le fait que nos outils d’analyse s’adaptent au plus proche des contextes spécifiques étudiés. Dans cette perspective, la valeur ajoutée de ces approches réside moins dans l’outil que le processus qui permet l’autorisation d’une parole authentique.

Concrètement, il est ainsi possible de faire apparaître des nuages de mots, ou mieux encore des réseaux sémantiques qui reflètent, tel un miroir déformant, la pensée dominante au sein de l’organisation. Or, les managers ont souvent un premier réflexe déceptif quand ils découvrent nos cartes et nos réseaux et assurent n’y découvrir que ce qu’ils avaient déjà pressenti. Mais derrière la déception, se cache, me semble-t-il un constat beaucoup plus radical et qui s’explique en partie par le fait que la parole n’est pas libre en entreprise. Ou pour le dire autrement, quand on demande à des individus de s’exprimer librement… ils se retrouvent finalement tous à dire la même chose, pris dans l’imaginaire social, et peu capables de s’en rendre compte. Sauf à être, comme avec nos cartes, confrontés au miroir réflexif de leurs représentations.

Ce phénomène s’explique à la fois par une forme évidente d’auto-censure (reflet de la peur d’une sanction prise par la hiérarchie), mais il renvoie surtout à l’incorporation d’un ensemble de normes et de discours dominants. On se situe alors au-delà de l’action coercitive du chef : il n’est même plus possible de penser autrement. On parle beaucoup d’intelligence collective, mais on est surtout confronté à des formes d’apathie collective.

Le salut pourrait venir, comme souvent, des marges. Nos approchent permettent de se concentrer non pas sur les mots les plus répétés, mais sur ceux prononcés un tout petit peu par tout le monde. Il s’agit ainsi de repérer les mots qui s’écartent du réseau central et qui constituent autant de signaux faibles à prendre au sérieux en ce qu’ils expriment l’envie de faire et de penser autrement. Gary Hamel dans La fin du management. Inventer les règles de demain assurait que l’organisation devait avant tout être fédératrice de passion. Aider les entreprises à sortir de la pensée mainstream me semble en la matière constituer un bon aiguillon du désir !

 Jaccard

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Légende : Exemple de carte. Celle-ci repose sur la mobilisation de l’indice mathématique, dit indice de Jaccard. Elle est intéressante car elle souligne les liens logiques qui s’établissent entre des clusters sémantiques, c’est-à-dire des ensembles de mots différents. Elle a été réalisée en septembre 2015 par Florian Mascio à partir des mots qui bruissent dans les billets que j’ai publiés dans ces colonnes semaine après semaine.

 

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