Pour pouvoir espérer mettre réellement le travail au travail, il faut que le lieu dans lequel se déroule la formation soit le plus proche possible des situations d’interactions quotidiennes. Pour des managers, par exemple, le lieu idéal reste la salle de réunion pour pouvoir comprendre le sens des différentes prises de position et faire émerger les véritables problématiques. Pour reprendre les termes de mon collègue Nicolas Go, un programme de formation pour être performant doit reproduire par mimétisme les pratiques de référence. Il faut sortir de la simple scholastique et des beaux power points diffusés dans un amphi qui ont comme effets pervers de saboter toute pensée critique par l’éblouissement même de leur forme. Dans cette configuration, les apprenants sont cantonnés à la position de simple consommateur, certes confortable, mais qui se révèle très pauvre en apprentissages.
Ce qui ne signifie pas, évidemment, que la sortie de l’amphi se solde par la mort du prof, bien au contraire ! C’est à lui que revient, in fine, de faire la synthèse de ce qui a émergé de la situation-crise simulée. La théorie vient alors expliciter les cas pratiques et les situations concrètes, et non s’y substituer de façon surplombante. Le cours doit être conçu comme un moment privilégié d’accélération des prises de conscience. C’est en tous cas le rôle assigné à ce que je désigne avec mon équipe sous le terme de concepts seuil, conçus comme des reformulations théoriques qui aident les acteurs à penser autrement. Un de ces concepts seuils opératoires consiste par exemple à présenter l’organisation comme devant nécessairement être « ambidextre » pour signifier qu’elle doit tenir dans le même temps ce qui relève de l’organisation (pour assurer son quotidien) et de l’innovation (pour imaginer son futur).
Pour développer la capacité des individus à transformer le réel, il importe donc de partir de leurs considérations pratiques. C’est l’essence même d’une approche casuistique qui, en ce qu’elle part de « vrais cas », répond à une nécessité intérieure des acteurs, et non à une simple demande émanant de la direction. Et ce n’est qu’à cette condition qu’il est possible de rendre les apprenants pleinement auteurs de leur formation.