L’empathie comme compétence

Mais au fait, c’est quoi un leader ? C’est avant tout quelqu’un qui a le souci des autres, au sens de prendre soin, d’être à l’écoute. Quelqu’un qui développe l’empathie comme compétence. Or être dans une situation d’empathie ne peut pas se résumer au seul fait d’être à l’écoute de l’autre. Si l’on s’en réfère à l’étymologique du mot, il s’agit d’être em- « dans » la « pathie », souffrance de l’autre ; en d’autres termes, de comprendre ce qu’il éprouve. Ce qui ne signifie pas pour autant d’être en simple résonnance, c’est-à-dire de se contenter d’être le reflet des attitudes et des mimiques de l’autre, ou de se conformer aux désirs projectifs que les autres portent sur soi, en endossant le rôle du manager fraternel, paternel ou maternel.

On pourrait dire que la personne empathique « prête » son intelligence émotionnelle à l’autre pour qu’il puisse se dire, tout en gardant des moments de repli en soi pour éviter d’être dans la fusion. Ce qui suppose donc que le manager connaisse à la fois très bien ses subordonné(e)s, mais surtout se connaisse bien lui-même. Il faut faire de la place en soi pour être empathique. C’est une question d’hygiène personnelle.

Mais, bien sûr, ce travail sur soi et avec les autres requière un certain apprentissage et un véritable entraînement. Or dans les organisations, cette valeur humaine et sociale me semble encore bien trop négligée. Pour beaucoup de structures, les analyses de pratiques individuelles et collectives restent de la « psycho papouille », voire une perte de temps face à l’urgence des objectifs opérationnels. Ce qui, à moyen et long terme, ne peut être qu’un mauvais calcul. Encore une fois (j’insiste !), il est urgent de prendre du temps… pour espérer pouvoir en gagner après !

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Comment prendre (enfin) le temps de réfléchir en entreprise ?

Pour poursuivre la réflexion entamée dans mon précédent billet autour de la figure du manager pédagogue, je pense qu’il serait utile de proposer aux managers opérationnels de participer régulièrement à des ateliers où ils pourraient venir exposer des « problèmes » , des « situations » de travail. Pour que ces ateliers puissent pleinement devenir des espaces bienveillants d’expression des fragilités, il faudrait qu’ils se déroulent entre pairs mais surtout qu’ils soient placés sous l’autorité d’un chercheur-formateur chargé de la régulation et de la neutralité des débats. Il est souvent lent, et parfois douloureux, de passer d’une situation d’hétéronomie à l’actualisation d’une forme d’autonomie. Dans ces conditions, le chercheur peut jouer le rôle d’accoucheur et aider le manager à (re)formuler la problématique (abstraite, transposable et donc potentiellement « résolvable ») que relève le cas pratique.

Ces rendez-vous pourraient avoir lieu sur un rythme hebdomadaire ou mensuel. Ce type de format fonctionne déjà parfaitement dans le cadre de la pédagogie coopérative défendue et expérimentée par mon ami et collègue Nicolas Go. Tous les jours, les enfants listent sur un tableau noir les problèmes /questions auxquel(le)s ils ont été confronté(e)s et qui seront abordé(e)s lors de la séance hebdomadaire de vie de classe. Or les effets de la formulation écrite sont remarquables : le problème ainsi écrit devient un sujet dont il est possible de s’emparer et de débattre dans des moments informels (la cour de récréation, dans le cas présent, mais la transposition à la cafèt ou à la pause café paraît tout à fait plausible). Les bénéfices de ce type de pratiques peuvent donc intervenir tout à la fois en amont, en trouvant les ressources en interne au sein de la communauté de travail; et lors des ateliers en tant que tels. Pour rester compétitives, les organisations gagneraient ainsi à créer des espaces où il soit enfin possible de cesser d’être dans la recherche de solutions purement opérationnelles et s’offrir le luxe de prendre le temps d’être réflexif. D’ailleurs, ces ateliers pourraient être baptisés « ateliers problématisation », si prononcer le mot « problème » ne posait pas problème, précisément, en entreprise.

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Coup de blues passager du prof de gestion

C’est la rentrée ! Avec à la clé, de nouveaux élèves que je découvre avec un plaisir toujours renouvelé. Mais cette année tout particulièrement, un doute m’a assailli : Pourquoi continuer à faire des cours de contrôle de gestion ? Dans les temps troublés que nous traversons l’urgence n’est-elle pas plutôt à enseigner la philosophie ou la méditation ? Quel sens donner à l’enseignement de la comptabilité analytique, l’analyse budgétaire ou le calcul de coût ? Comment aborder ces disciplines autrement que comme de simples recettes standards permettant de calculer la performance d’une organisation ? Mon collègue Fabien de Geuser, professeur de gestion à l’ESCP, rappelait dans une conférence organisée il y a quelques mois au sein du CIRPP (à retrouver ici) à quel point le contrôle de gestion constitue, en réalité, un idéal du processus d’apprentissage. Il s’agit en effet de mettre en place des outils permettant d’évaluer à tout moment les effets des décisions prises et d’encourager, en retour, l’organisation à apprendre de ses erreurs. L’objectif du contrôleur de gestion est ainsi de fournir les outils au manager pour être un bon pédagogue.

Or, il ne suffit pas de décréter par principe une telle posture pour qu’elle soit incarnée dans les pratiques. C’est là où, je crois, nous avons aussi un rôle à jouer en tant qu’enseignant, en occupant le rôle du « guide on the side » des managers (Andrew H. Van de Ven parle d’« engaged scholarship », appelant de ses vœux que le corps professoral s’engage dans le monde qui l’entoure et sorte de sa tour d’ivoire). Dans ces conditions, la formation cesse alors d’être un formatage – au sens premier de l’étymologie du terme – pour devenir une aventure dont ni les uns ni les autres ne savent vraiment comment elle va se dérouler (en citant mon collègue et ami François Taddei on pourrait parler de « knowledge adventure »). Le dispositif doit alors être suffisamment plastique et adaptable pour répondre aux besoins du collectif, mais aussi et surtout aux demandes singulières de chaque collaborateur. C’est là où, bien sûr, les outils technologiques peuvent nous aider à repérer ce qui fait vraiment sens pour les individus et ensuite à personnaliser les apports en termes de formation. Le petit coup de blues passé, je vois ainsi apparaître toutes les possibilités à venir. Et surtout l’urgence à écouter et accompagner l’émergence de ces nouvelles figures au sein des organisations, qu’elles se montrent sous les traits du manager réflexif ou du manager pédagogue… La mutation du manager doit passer par la mutation synchrone du prof de management !

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De l’art de poser des questions décalées

L’école est souvent le lieu où malheureusement on apprend à poser des questions attendues, des questions qui supposent l’existence d’un problème déjà défini et donc qui sous-tendent des réponses formatées. Certes s’il est plus rassurant pour l’enseignant, de maîtriser a priori le cadre dans lequel sont posées les questions, il reste que seules les questions décalées sont porteuses d’une vraie potentialité disruptive.

Quitte à ce qu’elles restent sans réponses dans un premier temps, l’essentiel est que ces questions permettent de faire un pas de côté, d’aborder différemment le même problème. J’ai déjà évoqué dans ce blog, l’importance de créer au sein de l’école un espace pour que puisse émerger et être accueillie cette déviance positive. Et s’il faut encourager ces prises de parole dès le plus jeune âge, il faut poursuivre dans cette voie dans l’enseignement supérieur et la formation continue. L’enjeu est de taille : transmettre à nos futurs managers l’idée qu’il est légitime de se poser des questions, surtout celles qui paraissent de prime abord « à côté de la plaque ».

« Et qu’est-ce qui se passerait si… »
J’ai lu récemment un article très stimulant écrit par deux chercheurs américains Steven Krupp and Paul J. H. Schoemaker [à retrouver ici], dont le propos souligne précisément l’importance d’une telle position. Tous deux ont réalisé une enquête auprès de plus de 30 000 managers – synthétisée dans un livre (1) – autour de cette question centrale : comment se prennent les décisions au sein de l’entreprise ? Ils développent l’idée qu’il est important de poser des « questions pivots », sous le mode du « Et qu’est-ce qui se passerait si… ». Certes, reconnaissent-ils ce type de questions créé nécessairement une forme d’inconfort, car la réponse n’apparaît pas d’emblée, mais l’enjeu est de réussir à déplacer le focus afin de concevoir des solutions innovantes, voire de trouver des solutions à des problèmes qui ne se posent pas encore. Il faut pour cela s’autoriser à poser des questions dérangeantes pouvant aller jusqu’à la remise en cause de l’activité même… et ainsi pouvoir oser imaginer un futur tout autre.

Adopter une telle posture suppose aussi de parier sur les vertus de l’expérimentation, quitte, là encore, à envisager l’échec. Steven Krupp et Paul J. H. Schoemaker rappellent fort à propos cette phrase d’Elon Musk le chef dirigeant de Tesla Motors qui conçoit et fabrique des véhicules électriques haut de gamme. A la question de savoir d’où lui venait sa capacité à produire des idées innovantes, Musk répondait : « Essayer encore et encore ! Pour faire du business, la première devise est d’essayer. Vous devez essayer jusqu’à ce que jusqu’à ce que votre cerveau vous fasse mal ! » Belle leçon à méditer pour nos étudiants !

(1) Winning the Long Game: How Strategic Leaders Shape the Future, 2014.

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Aux chiottes la philo !

« Je pense donc je suis » (Descartes), « Exige beaucoup de toi-même et attends peu des autres. Beaucoup d’ennuis te seront épargnés » (Confucius), « Rien n’est plus dangereux que lorsque l’ignorance et l’intolérance sont armées de pouvoir » (Voltaire)… Si mes toilettes ne sont pas très spacieuses, nous avons, malgré tout, pris l’habitude d’accrocher en famille des citations de philosophes sur les murs. Et tout pourrait facilement y prendre place : des cartes, des équations, des chronologies, des croquis de dissections d’anatomie ! Quel bonheur que de transformer cette pièce exiguë en un cabinet de curiosité.

Et je ne suis pas le seul à pratiquer cet art ! Nombre de mes collègues au CIRPP partagent mon goût de transformer leurs WC en un espace d’apprentissage spontané : il est en effet possible, seul sur le trône, d’apprendre sans s’en rendre compte, de mémoriser des choses importantes, l’air de rien. Mieux, le savoir entre alors pleinement dans le quotidien et perd de sa sacralité. Tout devient possible ! Et progressivement, les questions des enfants émergent ainsi dans les interstices de la vie de famille : à table, en voiture, dans le métro… Une bonne façon de leur montrer que la philo ne sert pas seulement qu’à passer le bac !

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Pourquoi l’école produit des « sur-performeurs anxieux » ?

Quand mon amie Thanh Nghiem évoque son passé de « partner » chez MacKinsey (une grande société de conseil en entreprise), elle se rappelle avoir été une parfaite « anxious over-achiever », c’est-à-dire une « sur-performeuse anxieuse ». Elle se rendait alors souvent au travail la peur au ventre, craignant toujours de ne pas être à la hauteur, et développant, de ce fait, des trésors d’énergie pour aller au delà des résultats demandés et pour, perpétuellement, essayer de se surpasser.

Il est facile de comprendre pourquoi certaines entreprises raffolent de ces profils : ils sont excellents et facilement manipulables du fait de leurs anxiété chronique. D’ailleurs, cette discussion aurait été banale si le lendemain je n’avais pas passé plus de deux heures à rassurer ma fille, elle-même ultra-anxieuse. Quasi en pleurs, elle me disait alors craindre d’être sévèrement sanctionnée pour l’oubli de son cahier de liaison. J’ai alors compris à quoi servait le collège : à fabriquer des « anxious overachievers » ! Je suis même quasi-certain que la France détient le record du mal au ventre à l’école !

Quelques jours plus tard, on a célébré en famille le premier 8 /20 de ma fille, car elle avait enfin accepté – quoique là encore, en pleurs – de ne pas savoir. Elle s’était détachée de cette exigence mortifère d’excellence sur les notes. A l’image de Zoé Barbé – dont j’évoquais l’article lors d’un précédent billet [à retrouver ici] – je me demande à quoi sert cette école qui s’ingénie tant à fabriquer des surdoués… qu’elle contrôle, voire supprime, tout espace de débat. Le problème, c’est que, trop souvent, l’école oublie d’être un lieu où on analyse, pour ne s’intéresser qu’à la manière dont il est possible de faire mieux. Dans cette optique, il ne s’agit pas de susciter le désir, mais de tout mettre en œuvre pour que l’élève respecte la figure d’autorité incarnée par l’enseignant.

Or seule une situation de déséquilibre – quand tout n’est pas su/prévu/connu à l’avance – permet l’émergence d’un esprit critique. L’enseignant doit alors accepter de prendre des risques, ce que beaucoup d’entre nous ne sont pas prêts à faire. Sans doute est-ce pourquoi il est encore si difficile aujourd’hui d’être intempestif à l’école ! Je suis heureux de savoir que des espaces comme le Centre de Recherches Interdisciplinaires de mon ami François Taddéi existent pour recueillir ces élèves qui se vivent comme anormaux… alors que c’est simplement le système dans lequel ils sont insérés qui créé des situations anormales. Je ne peux ici m’empêcher de citer la phrase célèbre de Jiddu Krishnamurti : « être adapté à une société malade n’est pas un signe de bonne santé » !

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Pourquoi dois-je aller à l’école ?

En ce début d’année, mon ami et collègue François Taddéi a transmis au site The conversation [à retrouver ici] la lettre très émouvante d’une jeune lycéenne, Zoé Barbé, qui est venue dans les locaux du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) – le laboratoire de recherches qu’il pilote – avec une interrogation aussi simple que subversive : Pourquoi dois-je aller à l’école ?

Si cette jeune fille rejette le cadre scolaire traditionnel, ce n’est pas qu’elle s’y retrouve en échec – bien au contraire, ses résultats au bac sont excellents (20 à l’écrit et 18 à l’oral en français ; 20 en sciences) – mais parce que, la plupart du temps, elle s’y ennuie et ne perçoit pas le sens des apprentissages qui lui sont prodigués. D’où ces questions jetées, comme des bouteilles à la mer : « Pourquoi n’offrons-nous pas aux étudiants la possibilité d’apprendre en dehors de leur zone de confort ? Pourquoi ne pas leur donner la possibilité d’explorer des sujets académiques à des fins scolaires et/ou personnelles ? »

Soutenue par l’expertise de l’équipe du CRI, Zoé Barbé développe, dans cette lettre, quelques pistes qui mériteraient d’être étudiées avec attention et bienveillance pour en saisir toute la portée novatrice : la création d’un sondage à échelle internationale posant des questions pour mieux connaître les impressions et opinions des systèmes éducatifs à l’étranger afin de disposer d’une grande base de données dans laquelle il serait possible d’identifier – et donc de reproduire – ce qui semble fonctionner ; l’instauration d’un lycée d’été pour offrir au plus grand nombre la possibilité d’apprendre autrement pendant les vacances et de découvrir de nouvelles disciplines ; ou encore, parmi d’autres propositions, l’idée de créer un moteur de recherches recensant des articles dont la qualité serait identifiée grâce à un système de recommandations et de labels attribués par les profs, mais aussi par les élèves eux-mêmes.

L’objectif global d’une telle démarche serait de sortir du cadre traditionnellement transmissif des connaissances en pariant sur les vertus d’une démocratisation horizontale des savoirs. Ce qui supposerait une révision en profondeur de nos manières de faire. Car force est en effet de constater que notre école récompense aujourd’hui jusqu’à l’excès les bons élèves, quitte à les transformer en parfaits petits soldats paniqués à l’idée d’échouer. Le drame est que certains sont encore fiers de cela… Le changement ne semble pas être pour demain!

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Comment encourager le « corporate hacking »?

Nous avons créé avec quelques amis appartenant à de grandes entreprises un espace d’échanges de pratiques sur ce que l’on pourrait appeler le « corporate hacking ». Ce mot-valise désigne des salariés qui parviennent à se saisir des moyens mis à leur disposition par leur fonction pour faire dévier (dans un sens positif) la trajectoire de leur organisation. L’apparition de ces « hackers » nouvelle génération qui remettent en cause les modes de pensée dominants au sein de l’entreprise pose la question du nécessaire renouvellement des politiques internes de R&D (recherche et développement). En effet, aujourd’hui un service R&D, aussi performant soit-il, échoue le plus souvent à anticiper les changements qui sont nécessaires à la survie du groupe (voir à ce propos l’éclairante contribution à retrouver ici). L’interne dispose en effet souvent d’une boussole qui va dans le sens des nuages. Seul quelqu’un d’externe peut être attentif à des éléments de disruption.

Or c’est précisément le rôle que peut revêtir le « corporate hacker ». Même s’il occupe une position en interne, il incarne souvent cet empêcheur de tourner en rond. A condition toutefois que l’organisation soit suffisamment intelligente pour le laisser à la marge et lui donner paradoxalement les moyens de rester intempestif. Un « coporate hacker » n’a que faire d’une prime ou d’une avancée de carrière. Ce qui compte avant tout pour lui, c’est de recevoir la reconnaissance de la part de la communauté à laquelle il appartient. Il est donc important de lui laisser du temps et d’ouvrir des espaces – de type fab-lab – au sein duquel il puisse expérimenter, se confronter à d’autres. Ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra être ce conspirateur positif créateur de changement.

Dans le même ordre d’idée, je voulais faire écho ici à la vision défendue par Duc Ha Duong, de Officience, un des membres actifs des 100 barbares (voir ici). A la question de savoir comment expliquer la faillite de nos grandes institutions, Duc Ha Duong soutient que la forme du salariat telle qu’elle est mise en oeuvre dans les très grandes entreprises (qui se traduit par un ensemble de contraintes et de freins à l’initiative individuelle) constitue aujourd’hui un modèle de moins en moins attractif. Selon lui, le grand changement à venir dans le monde du travail, va être un glissement de l’emploi à la cause : on ne recherchera pas à tout prix un emploi mais d’abord des causes à défendre, et on ira travailler là où l’on estime que la cause sera la mieux défendue… Si ce constat est fondé, il est sans doute temps dans nos écoles, de ne plus s’échiner à former à des métiers (qui de toutes façons sont appelés à disparaître) mais à faire émerger des convictions et à outiller nos étudiants pour réussir à les défendre. À méditer.

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La COP21 vue de Loos-en-Gohelle

Alors que les débats se poursuivent en grandes pompes au Bourget pour trouver (soi-disant) un avenir à notre planète, je voudrais évoquer ici l’initiative locale fort enthousiasmante menée dans la commune de Loos-en-Gohelle. Depuis une quinzaine d’année, cette ancienne citée minière située dans la région Nord-Picardie, s’est engagée dans un développement urbain qui respecte des principes de durabilité : projets en écoconstruction (pour les logements sociaux et les bâtiments municipaux), gestion différenciée des espaces verts, mise en place d’une ceinture verte autour de la ville, etc. Ce que le maire, Jean-François Caron définit lui-même comme une « démarche de petits pas », commence à porter ses fruits en termes de mieux vivre, dans un sens tant environnemental que sociétal. A tel point que Loos-en-Gohelle est, en beaucoup de points, devenu une sorte de laboratoire, un vivier de bonnes idées dans lequel il serait possible de puiser pour essayer, modestement, de construire un autre rapport au territoire.

Pour Jean-François Caron, l’action politique doit s’inscrire dans le foisonnement des idées et des initiatives qui proviennent de la base, tant à un niveau macro (à l’échelle d’une région, d’une nation) qu’à un niveau micro (une commune). Mais comment concrètement faire entendre ce bouillonnement d’initiatives citoyennes ? Comment réussir à les capitaliser et les diffuser ? Que faire pour que ces contre-modèles viennent déstabiliser les façons de penser ? Comment bousculer nos élites politiques formées dans les mêmes écoles, dans un entre-soi qui contribue précisément à stériliser les initiatives ? L’idée de Jean-François Caron serait de développer un centre de ressources compilant l’ensemble des « bonnes pratiques ». Ce centre pourrait être fixé géographiquement (par exemple, sur le site minier du 11/19), mais pourrait aussi prendre la forme d’un réseau favorisant, dans une logique 2.0, l’intelligence collective et collaborative. L’objectif de cette « fabrique du politique », qui pourrait se donner à lire comme une sorte d’anti-ENA, serait alors d’offrir un cadre pour penser et agir autrement.

Ce type d’ambition qui vise à créer des lieux utopiques pose plusieurs questions. D’abord, il s’agit d’interroger les effets de l’institutionnalisation : figer ces initiatives foisonnantes dans un cadre comporte le risque de leur ôter tout caractère anti-conformiste. Comme le souligne fort justement mon ami et collègue Nicolas Go, il faut que les tentatives, innovations et inventions issues de la société civile (en économie, en éducation, etc.) restent intempestives et porteuses d’une force déstabilisatrice de l’institution. Pour ce faire, il faut aussi que les initiatives du terrain prennent place dans un cadre théorique qui fournisse à ceux qui les portent, les armes intellectuelles pour penser et justifier un autre monde. C’est bien là que nous avons un rôle à jouer, nous intellectuels et enseignants. Il s’agit non pas seulement d’apposer un label sur des pratiques innovantes, mais bien de participer à l’émergence d’un esprit critique permettant de bousculer les cadres de pensée dominants.

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Ces « petits cailloux » qui empêchent d’avancer

Je mène actuellement un travail avec des cadres dirigeants d’une grande entreprise publique en pleine mutation. Le postulat de départ est de parier sur la maïeutique dont est porteuse la recherche-action. Dans ces séances de travail, on défend ainsi l’idée que le face-à-face entre le chercheur et le cadre peut permettre l’émergence d’une parole singulière. Pourtant, les entretiens sont parfois émaillés de longs silences qui témoignent d’un vrai désarroi à se dire. Car s’il s’agit d’offrir à ces cadres l’occasion de faire un pas de côté, de réfléchir au sens qu’ils donnent à leur métier, la démarche n’est pas sans les déstabiliser fortement. Force est en effet de constater que la notion de « praticien réflexif » défendue par Donald Schön (Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, 1994) est une belle idée, mais sa mise en pratique reste complexe.

Si l’on prend un peu de recul, les managers ne sont en effet pas toujours armés pour faire face aux épreuves posées par leur métier. Les évolutions stratégiques des entreprises vont désormais tellement vite que les managers se trouvent en effet souvent écartelés entre l’obligation de défendre les axes stratégiques initiés par la direction et la confrontation directe avec les équipes sur le terrain qui ne saisissent pas le sens de ces transformations. Faute de savoir comment faire face, ces managers « écartelés » se réfugient souvent dans le déni. Il faut dire aussi que, bien souvent, leur formation ne les a pas préparés à surmonter cette épreuve.

Dans ce contexte, le rôle du/des chercheur/s est alors de les accompagner. Il s’agit de repartir de leurs problèmes ordinaires, et de créer les conditions, ainsi que le climat de confiance pour qu’ils puissent raconter leurs « petits problèmes » . Il s’agit, en reprenant la formule de mon collègue et ami Fabien de Geuser de les aider à « enlever ces petits cailloux dans la chaussure qui empêchent d’avancer ». Et c’est toute la subtilité de la démarche : prendre beaucoup de temps pour révéler des détails … qui en disent beaucoup sur l’individu et son rapport à l’organisation.

 

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