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J’ai été pris d’une froide stupeur en lisant l’article de Pierre Dubois, consacré au suicide de la responsable de la communication de l’Université d’Orléans. Je prends donc le clavier pour vous livrer quelques sentiments douloureux partant d’un simple constat : « non, pas encore ». S’il n’est pas aujourd’hui établi un lien direct entre la vie professionnelle et cet acte fatal à Orléans, ce lien a déjà été juridiquement reconnu à Fontenay aux Roses. Cela pose plusieurs questions…
Comment ?
Je ne suis évidemment pas un spécialiste juridique de la question, aussi pour définir le harcèlement, je laisse la parole à la réglementation française : « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Le suicide est évidemment l’issue la plus tragique du harcèlement, il y a également le burn out, l’infarctus, la dépression chronique…
Pour illustrer, je ne vais pas reprendre le cas de l’Université d’Orléans, trop récent et dont les faits ne sont pas établis mais celui de Fontenay aux Roses. Pour cela remontons à juin 2011, date de la condamnation du maire de Fontenay, reconnu coupable de harcèlement moral sur sa directrice de communication, Jenny Sauvagnac, qui s’est suicidée en 2007.
La victime s’était plainte auprès de son mari de ses conditions de travail : manque de moyens et de planification, délais intenables, injonctions contradictoires, critiques acerbes … Lors de l’enquête préliminaire, menée par le parquet de Nanterre, certains collègues ont raconté la surcharge de travail et les objectifs inatteignables fixés par le maire et par la directrice de cabinet. Selon le Procureur, le maire est « volontairement resté hermétique » à la souffrance de sa directrice de la communication qu’il surchargeait de travail et à qui il fixait des délais et des objectifs irréalisables.
Pourquoi ?
Volonté de faire souffrir, d’évincer quelqu’un ou tout simplement absence d’humanité ou désintérêt des conditions de travail de sa ou ses victimes, les raisons peuvent être nombreuses et n’impliquent pas nécessairement une volonté de nuire.
Si ces agissements sont présents dans le public comme dans le privé, je me permets de faire un zoom sur la question des dircoms publics… je me sens évidemment davantage concerné étant dircom moi même. Dans les universités comme dans les collectivités territoriales, il existe une spécificité « aggravante » : nous ne sommes pas dirigés par des managers mais par des élus. Ils n’ont souvent aucune formation de management et en ressentent, malheureusement, rarement le besoin. Cas, à nouveau, « aggravant » pour les dircoms, nous sommes souvent rattachés, formellement ou pas, directement à ou aux élus. Enfin, non seulement cette profession ne dispose pas d’organisme dédié, mais le positionnement du dircom exige la loyauté vis à vis des élus, particulièrement dans la territoriale ou le dircom affiche souvent la même étiquette politique que son patron, ce qui n’est pas le cas dans le milieu universitaire. En bref, ce métier est soumis à l’isolement.
Alors, évidemment, il n’y a pas de fatalité à être harcelé quand on est dircom public, sinon, j’aurais quitté ce métier depuis longtemps. J’ai eu des patrons formidables aussi déterminés et exigeants qu’humains et drôles. Cependant un certain nombre de conditions nous exposent davantage que d’autres métiers (mais sans doute moins que quelques autres). Aussi quand l’élu (ou le nouvel élu) a un comportement inhumain, les conséquences peuvent être dramatiques.
Je me permets de citer Marc Thébault, communicant public : « Je connais, comme d’autres sans doute, ces situations où on en appelle, plus souvent que de raison, à notre servilité plutôt qu’à notre expertise, à notre silence et à notre devoir d’obéissance plutôt qu’à notre esprit critique. Et, bien sur, j’ai en tête les courtisans, éminences grises et autres mouches du coche qui ne se lassent pas de se montrer encore plus durs, encore plus intraitables, encore plus acerbes que leur maître. (…)« .
Agir ?
Agir pour soi en tentant d’arrêter le harcèlement.
1. l’analyser : le présumé harceleur pratique-t-il vraiment des actes de harcèlement : pour en savoir plus, plus de détails sur le site du ministère de la santé (typologies en p6-7 ; techniques en 8-9).
2. combattre ou partir ?
Monter un dossier, partager sa souffrance (proches, DRH, médecin du travail, médiateur…), alerter un syndicat, identifier d’autres personnes harcelées, jouer la solidarité… mais dans tous les cas, rester, au quotidien, professionnel… ou se faire arrêter quand les conditions de travail deviennent insurmontables.
Un espoir ? Réveiller le harceleur, nous ne sommes jamais à l’abri d’une prise de conscience et donc d’une bonne surprise, il est, parfois, possible de désamorcer…
Ou partir, aucune justice dans cet acte mais le choix de la survie… car enfin… après, quelque soit l’issue de toute action… dans un métier où la confiance est déterminante, où votre patron n’a pas de n+1… que bâtir ensuite ?
Mais si ce choix est retenu, pensez à ceux qui restent, vous n’étiez peut-être pas la seule personne à vivre dans ces conditions de travail… laissez un témoignage, rendez vous disponible le cas échéant.
Prévenir ?
Agir pour les autres : vous n’êtes pas le harcelé, mais vous êtes témoin du harcèlement. Vous pouvez intervenir auprès des personnes ou acteurs déjà mentionnés… voire proposer ou suggérer un plan d’actions de prévention des violences.
En bref, agir, car ce n’est peut-être que le point de départ d’une épidémie, comme nous l’avons déjà vu, par le passé, dans de grandes entreprises françaises.
Ce point de vue est intéressant, le harcèlement est beaucoup plus fréquent qu’on ne croit, très sournois dans ses formes, et suscite généralement de l’indifférence ou de la gêne dans les entourages. Une question mériterait d’être développée: celle du droit du salarié car en effet il est assez incroyable dans une démocratie dite avancée que des personnes soient aussi facilement taillables et corvéables sans que rien ou presque ne les protège (car, en réalité, le harcèlement est quasi impossible à prouver).
Ton rapport entre harcèlement et démocratie est très intéressant sur ce que l’on peut supporter ou pas de nos jours, ce devrait même être le point de départ.
J’espère en revanche que le harcèlement est prouvable… quelques fois