Voici un site qui a su faire la conquête rapide du monde l’enseignement supérieur et de la recherche, aussi bien en terme de contenus… que de financements. Le premier constat évident : le site est excellent (voir ici le billet de Romain Pierronnet), exigeant et répond à bien des problématiques sociétales : le besoin d’analyses et de recherche de savoirs et de progès pour la société (en plein alternative facts). Dit autrement, ce site est un outil (parmi d’autres) qui permet aux chercheurs d’entrer en contact avec les citoyens et vice-versa… le site porte très bien son nom, et je suis heureux d’en faire la publicité ici… mais la question que je me pose ici concerne moins la qualité indéniable du site que le choix d’y participer, les yeux fermés, pour les établissements, j’interroge la stratégie, bénéfique ou contre-productive selon les cas…
Les enseignants-chercheurs y trouvent leur compte
Pour eux, c’est du gagnant/gagnant. Ils vulgarisent, acquièrent de la notoriété dont les effets sur leur carrière deviennent enfin profitables et entrent en contact avec des publics souvent exigeants mais externes au milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche : utile et rafraîchissant. Par ailleurs, ils peuvent bénéficier d’un accompagnement de qualité de la part de professionnels, c’est à dire avant tout des journalistes. Recours précieux pour certains enseignants, on n’expose pas des idées de le même façon à des pairs et à du grand public, seraient-ils déjà très sensibilisés aux sujets évoqués. Enfin, le site permet également une mise en contact avec des organisations avec toutes les conséquences professionnelles positives qu’il permet.
Les établissements : un choix par défaut ? Un manque d’ambition ?
Les établissements, COMUEs inclues, n’ont pas été moteurs mais sollicités par l’équipe française de the conversation. Il s’agit donc d’une démarche commerciale qui a parfaitement rencontré son public et qui surtout tient sa promesse d’exposition des savoirs et indirectement des chercheurs.
Cependant, tous les établissements n’ont pas franchis le pas. Plusieurs raisons non exhaustives à cela. Si nous mettons de côté l’hostilité à la vulgarisation qui peut encore résister dans quelques îlots appelés à disparaître, restent les questions éditoriales et financières.
Depuis quelques années, un nombre croissant d’universités se sont mis à la pratique éditoriale. Je parle ici d’éditorialisation des savoirs notamment, j’exclus la question de la communication institutionnelle. D’un côté subsistent malheureusement quelques pratiques que l’on qualifiera d’autocentrées ou « à l’ancienne » où les contenus se mélangent sans charte éditoriale, sans questionnement sur les lecteurs, sans distinction entre interne et externe et faisant la part belle au « moi je ». De l’autre, les nouvelles pratiques éditoriales prennent le dessus, souvent intelligentes, fondées sur les thématiques plutôt que sur l’établissement lui même et surtout se posent la question des cibles, leurs caractéristiques et leurs attentes.
Seulement, tout cela à un coût et malheureusement la communication reste souvent un parent pauvre. Mais ce n’est pas la seule explication car des solutions print et/ou digitales peuvent s’avérer tout à fait abordables (qu’elles soient réalisées en interne ou en prestation externe). Le recours à The Conversation peut ressembler alors à une solution miracle face à l’absence de questionnement sur le sujet. C’est justement où se pose le problème. The conversation va valoriser les enseignants-chercheurs, c’est indéniable… mais il ne valorisera pas l’établissement. Ce choix par défaut, seul, peut s’avérer un investissement contre productif en accordant un budget conséquent à une opération à l’impact limité, au détriment de budgets qui puissent, éditorialement, améliorer la notoriété et la légitimité de l’organisation.
The conversation, in ? out ? with ?
Quelle conclusion faire et surtout quelle politique mener sur the conversation ?
La première question fondamentale est : l’établissement a-t-il ou peut-il mener une politique éditoriale au bénéfice de l’établissement ? Si non, alors l’investissement sur The Conversation est totalement bénéfique.
Seconde question : Si l’établissement a un projet éditorial, doit-il passer par The Conversation ? La réponse dépend du projet et notamment de son aspect digital.
Je m’explique, si le projet éditorial se limite au print, ce qui est souvent le plus légitime (selon les disciplines ou les contextes territoriaux et évidemment les cibles). Alors le recours à The Conversation, s’il n’oblitère pas humainement et financièrement le projet print, reste pertinent. Il peut même être une chance. Comme les outils ne sont pas concurrents, ils peuvent se révéler complémentaires. Le print peut également intégrer des articles préparés pour le site, offrant une nouvelle vie print au contenu digital. Bingo !
En revanche, si le projet éditorial comprend une partie digitale, je pense surtout aux plateformes éditoriales (thématiques ou non), contribuer à The Conversation devient un contre sens dangereux. Je ne vais pas exposer des exemples qui existent mais je connais des établissements qui ont fait des efforts prodigieux et pertinents. Dans ce cas, le risque est de voir des contenus dupliqués, ce qui est problématique en digital, particulièrement en terme de référencement. Imaginez un contenu réalisé par un enseignant-chercheur (aidé ou pas par un journaliste ou un chargé de vulgarisation scientifique interne ou externe) qui sera mieux référencé sur une plateforme extérieure au détriment de la plateforme maison. La seconde limite est la dilution, certains enseignants privilégiant la solution interne et d’autres the conversation.
Finalement, ce qui est peu pertinent est de répondre oui ou non à un financement de The Conversation. Le vrai point de départ est : quel projet éditorial (au service de la vulgarisation et de la marque universitaire en question) mener ? Et à partir des projets établis, quels moyens mobiliser puis quels outils sélectionner et parmi eux… The conversation.
Comme pour un blog personnel, j’imagine que la structure de rattachement du chercheur n’a que peu d’influence pour « empêcher » ses chercheurs de contribuer à The Conversation si ce support n’est pas cohérent avec la ligne éditoriale de l’établissement – une participation plutôt ponctuelle peut même passer inaperçu. Par contre, la plateforme représente une opportunité fabuleuse pour les laissés pour comptes non-accompagnés dans leurs démarches de diffusion des savoirs, comme c’est malheureusement souvent le cas.
Le coût évoqué comprend-il uniquement l’investissement » en temps » des chercheurs (réel pour la structure, surtout les plus petites) ou y a-t-il un coût financier exigé par The Conversation en fonction de l’accompagnement ? Un auteur (vérifié sur formulaire assez poussé Waw !) qui s’inscrit sur le site peut-il publier sans frais ou doit-il contracter une sorte d’abonnement payant ?
Qu’en est-il de la diffusion et de l’utilisation des productions publiées sur The Conversation ? À qui appartiennent les droits ? Je pense à un autre exemple, la plateforme l’Esprit Sorcier http://www.lespritsorcier.org (principalement de la vidéo), qui propose des dossiers « clé en main » à des structures universitaires ou de recherche sur cahier des charges co-écrits entre chercheurs et journalistes. L’investissement représente une enveloppe de l’ordre de 10 000 € mais l’ensemble des contenus est réutilisable à loisirs par les protagonistes.
Merci pour cette analyse !
Charlotte
The conversation est financé par les contrats/subventions qu’il noue avec les établissements. Attention, il s’agit d’un site à but non-lucratif. Nous ne sommes donc pas du tout dans le business des revues scientifiques. Le budget réuni sert à payer la plateforme et les journalistes qui font, je le dis encore, un super boulot.
Comme toi, je pense qu’un établissement qui ne se pose pas la question de son positionnement éditorial, peut avoir recours à the conversation en fermant les yeux. Dit autrement, sans stratégie de communication et de valorisation de leur marque et de leur recherche, il ne faut pas hésiter.
Dans le cas où existe une ambition éditoriale, alors il faut se poser la question de la cohérence globale. The conversation peut alors être une partie de la solution ou au contraire contre productive pour l’établissement. Je connais un établissement qui investit fortement sur sa propre plateforme digitale de vulgarisation avec un très haut niveau de qualité… Deux de ses enseignants écrivent dans the conversation… dans ce cas là, il ne me semble pas que ce soit pertinent.
Point important : il est possible de réutiliser les contenus publiés sur The Conversation, un vrai atout (et qui illustre une fois encore l’esprit sans but lucratif)
Je découvre et trouve cet analyse cohérente et assez fine pour un autodidacte de la géopolitique. Je compte vous accompagner et voir.
Merci