J’avais dans un article précédent évoqué, sans rentrer dans le détail, l’évolution au fil des années du nombre de nouveaux postes de Maître de Conférences.
Il me semble intéressant de creuser un peu proprement cette question et d’aller plus loin de façon « quantitative », car les débats sur ces questions sont souvent, je trouve, parasités par des idées préconçues pas toujours conformes à la réalité.
J’ai donc compilé (soigneusement j’espère) un certain nombre d’informations contenues dans les rapports annuels disponibles sur le site du Ministère, de 1998 à aujourd’hui. Il n’y a pas d’autre raison profonde à avoir choisi 1998 que la difficulté à trouver des informations antérieures (ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas). En tout état de cause, je ne sais pas si 1998 représente un « optimum » quelconque en faisant un bon point d’origine…
Il faut notamment veiller à faire la distinction entre les situations pré et post-LRU (sessions synchronisées uniquement versus session synchronisée et au fil de l’eau, et possibilité pour les Universités de ne pas « ouvrir au concours » les postes « proposés » par le Ministère). Dans la figure 1, voici donc le bilan (cliquer pour agrandir).
Figure 1
« Postes proposés » est ce que le Ministère a en théorie autorisé à ouvrir (total = postes MCF + PU). On notera que le gouvernement communique quasi-uniquement sur ce chiffre (quand il communique) car, bien qu’il chute rapidement lui aussi, il reste plus important.
« Postes publiés » est ce que les Universités ont décidé d’ouvrir au concours (postes publiés sur Galaxie): il y a déjà une différence non négligeable (par exemple près de 15% en 2014) entre ces deux données. En effet, notamment pour pallier le glissement vieillesse technicité (GVT, terme barbare disant simplement qu’un fonctionnaire connaît des avancements de carrière à l’ancienneté, et qu’à effectif constant le budget augmente « naturellement » du fait des traitements, et ce malgré le gel du point d’indice), ou plus simplement du fait de difficultés financières, certaines Universités décident simplement de ne pas faire ces recrutements qu’on leur autorise pourtant. Il faut noter que les postes finalement « non publiés » sont plus nombreux pour les postes MCF que pour les postes PU (un poste PU ne représentant pas forcément un grand impact budgétaire s’il s’agit d’une promotion interne).
Ensuite, certains postes, bien que publiés, ne sont pas pourvus, pour diverses raisons. Une cinquantaine ou une centaine par an ces dernières années, et quasi constant en terme de % par rapport au volume global de postes (autour de 5%).
Enfin, d’autres le sont en mutation ou détachement, et ne sont donc pas à proprement parler des « créations de poste » puisqu’il s’agit d’un MCF passant d’une Université à l’autre. Le jeu de données « nouveaux postes » est donc le nombre de postes pourvus moins les postes pourvus en détachement et mutation.
La chute en terme de « nouveaux entrants dans le système » est ainsi continue depuis 1998, avec une certaine stabilisation de 2000 à 2006-2007, et une accélération depuis.
En 6 ans (soit en gros depuis le passage à l’autonomie des Universités), on est passé de 1800 à 1200 « nouveaux postes », une chute de 33%!
Je ne sais pas expliquer le point 2001, le point 2008 est semble-t-il lié à la transition d’un mode de concours « 1ère session + 2ème session » (avant 2008) à « 1ère session + au fil de l’eau » (à partir de 2009). En 2008, il n’y a, apparemment, pas eu de 2ème session (qui représentait, en volume, environ 10% des postes ouverts sur une année).
Petite remarque amusante: une extrapolation linéaire conduit à 0 nouveaux postes aux alentours de 2032. En ne regardant que depuis le passage à l’autonomie, on atteint 0 aux alentours de 2025.
Mais il n’y a pas eu que la LRU. Depuis 2007, il y a également, même si cela a changé de nom, la RGPP ou « révision générale des politiques publiques ». Par révision générale, on entend surtout (ou on aimerait entendre, même si les gouvernements ont du mal à y arriver en pratique) « réduction des coûts » et donc « diminution ou non-inflation des personnels » (avec par exemple, la mise en place de la règle du remplacement d’un départ en retraite sur deux seulement).
Il est donc également intéressant de regarder non plus les créations de postes, mais l’évolution du nombre total d’enseignants-chercheurs au fil des ans.
En utilisant les rapports annuels de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) (voir ici pour le rapport 2015, sections 6 et 9), on peut suivre l’évolution des effectifs de l’enseignement supérieur depuis 1997, et distinguer titulaires (MCF, PU, professeurs du secondaire affectés à l’Université) des non-titulaires (PAST, ATER, doctorants moniteurs etc). Le rapport ne donne par contre pas la part de « vacataires » (par opposition à non-titulaires qui sont sous contrat principal à l’Université, les vacataires, ont, en théorie, une activité principale autre, les enseignements étant une activité annexe) mais j’y reviendrai dans la suite.
En figure 2 et 3, l’évolution du nombre de personnels enseignants (titulaires et non titulaires) à l’Université, et celle des EC seuls (MCF + PU).
On peut voir une forte augmentation de 1997 à 2005, suivi d’un ralentissement très brutal ensuite, et même une stagnation après 2008. La encore, je ne sais pas si 1997 a été un minimum local où si l’augmentation avait débuté auparavant. Je ne sais pas non plus expliquer cette augmentation des effectifs sous les gouvernements Jospin puis Raffarin (anticipation des départs des baby-boomers? une vision RH sur 10 ans dans la fonction publique serait bien étonnante…).
Mais si l’on résume, on a donc une augmentation de 15% des effectifs en 7 ou 8 ans, et une augmentation de 0.5% ensuite pour les effectifs globaux sur les 7 ou 8 dernières années (et de 1.5% pour les titulaires). Dans l’enseignement supérieur, la RGPP a, semble-t-il, été plus que bien suivie. Qu’en est-il pour les autres corps de la fonction publique?
Il faut noter que, contrairement à (me semble-t-il) certaines idées préconçues, la proportion de non-titulaires n’a elle, quasiment pas bougé au cours des 15 dernières années (de 18 à 21% selon les années).
Enfin, on peut suivre (grâce aux mêmes documents de la DEPP), l’évolution du nombre d’étudiants à l’Université (+ IUT ici), sur à peu près la même période (figure 4, je n’ai trouvé les données que jusqu’à 2001).
Bien qu’un peu plus chaotique, la courbe montre quelque chose d’intéressant, à savoir un comportement quasiment opposé à celui de l’évolution des personnels enseignants. Une « stagnation » des effectifs jusqu’en 2009 (autour de 1.400.000 étudiants) et une brutale augmentation depuis (quasiment +10% sur les 6 dernières années).
Le taux d’encadrement (nombre d’étudiants / nombre d’enseignants) qui était donc d’1 enseignant pour 17 étudiants en 2000 avant de baisser à 15 en 2008, est aujourd’hui remonté à 17. On peut par exemple le comparer à celui des classes préparatoires CPGE (1 enseignant pour 8 étudiants…).
Les déclarations d’intention du Ministère (augmenter fortement la part de diplômés du supérieur dans les années à venir, voir par exemple le rapport StraNES 2015) laissent penser que cette augmentation du nombre d’étudiants dans les filières universitaires va se poursuivre. Les inscriptions en 2015 sont déjà supérieures à ce qu’un rapport prospective de 2013 prévoyait pour 2017. D’ici 5 ans, on peut s’attendre à typiquement 100000 étudiants de plus qu’aujourd’hui, et il y a peu de raisons d’espérer que le nombre d’enseignants chercheurs augmentera. Se pose donc, malgré tout, la question des moyens (et de l’adéquation entre ceux-ci et les ambitions affichées).
Pour mes lecteurs qui n’aiment pas les axes tronqués, en figure 5, 6 et 7, l’évolution des personnels enseignants en normant par les effectifs de 1998, 2001 et 2008, et étudiants en normant par les effectifs de 2001 et 2008 (ne sachant pas si une année particulière a plus de raisons objectives de servir de norme, j’en fais plusieurs; sans normalisation, les données sont trop écrasées avec une origine à 0, et on ne voit rien). Et enfin le ratio étudiants/personnels enseignants.
Figure 5, 6, 7
Je reviens brièvement sur l’utilisation de vacations au sein de l’ESR. Les données sont difficiles à trouver, notamment parce qu’elles n’étaient visiblement pas forcément bien tenues au sein même des Universités, et encore moins centralisées. Dans un rapport de l’IGAENR qui m’a été transmis par F. Borel-Mathurin que je remercie ici (@Fabrice_BM) (mais qu’on ne trouve hélas pas en ligne), on trouve quelques données pour 2013 uniquement. Leur analyse me semble fausse (je ne détaillerai pas ici pourquoi pour que l’article garde des proportions raisonnables, mais je pourrai éventuellement le préciser en commentaires), mais en première (grossière) approximation, il ressort deux éléments: les heures complémentaires assurées par les enseignants titulaires représentent de l’ordre de 10000 « équivalents temps plein » (ETP) (eg il faudrait recruter 10000 enseignants-chercheurs à temps plein pour qu’il n’y ait plus d’heures complémentaires assurées par les 60000 EC + 15000 enseignants du secondaire en poste à l’université). D’autre part, les vacations représentent moins de 1000 ETP. Ainsi, même en supposant que ce nombre a largement augmenté ces dernières années, il reste « négligeable » (en volume) devant les quelques 100000 ETP que constituent titulaires (avec leurs heures complémentaires) et non titulaires. Il n’y a donc visiblement (ce qui semble contre-intuitif) pas eu explosion des « vacations » ces dernières années.
J’ai essayé de corréler tout ce qui précède au budget global de l’ESR mais il n’en ressort pas grand chose (en tout cas pour moi): le budget ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis 10 ans (22 milliards en 2005, 23 aujourd’hui, 25 ces dernières années).
Le budget de l’ANR (je ferai sans doute un article « complet » sur l’ANR un jour) ayant lui chuté de 30% en 6 ans, je vais conclure sur une assertion polémique (avec laquelle je ne suis d’ailleurs pas forcément d’accord, au fond, mais qui me semble presque pragmatique): peut-être que le nombre de nouveaux recrutements ne baisse pas assez vite finalement. A quoi bon recruter des personnels à qui l’on n’est de toute façon pas capable de donner les moyens de travailler (pour la partie recherche)? Ne faudrait-il pas mieux réformer le statut des enseignants-chercheurs, en donnant plus d’enseignements à la majorité (ce qui permettrait de diminuer le taux d’encadrement), et une décharge d’enseignements avec des gros moyens de recherche au reste?
Je tenterai ultérieurement de trouver d’autres jeux de données notamment sur l’offre de formation, pour essayer de mettre en regard ces questions d’effectifs avec les formations, et réfléchir aux actions qui pourraient être engagées.
Note: les sources sont données dans les liens hypertexte. Sur demande, je peux fournir le fichier excel qui a servi à la réalisation des figures, ainsi que le rapport IGAENR. Je suis également preneur de toute idée pour analyser plus avant les données ou pour en récupérer de nouvelles…
Note 2: désolé pour tous les acronymes et sigles, j’espère qu’ils sont tous clairs. Dans le cas contraire, n’hésitez pas à le signaler en commentaires.
Bonjour ! Merci pour cette note de blog intéressante, quoique déprimante… Serait-il possible d’avoir les données (= le fichier excel) ? Merci d’avance !
Bonsoir, merci à vous.
Pas de problèmes, je vous envoie ça jeudi. Si j’oublie n’hésitez pas à m’envoyer un mail (que vous trouverez facilement par google)
Bonjour
Je pense que vous pourrez trouver des données pour les années antérieures sur ce site http://www.education.gouv.fr/acadoc/
Cordialement
M. Saby
Bonsoir
Merci, je vais regarder ça. J’aimerais bien voir les optimums locaux pour essayer de corréler ça avec des politiques gouvernementales. (en espérant que les données soient concordantes: j’ai pu remarquer que selon les instances, il pouvait y avoir différentes façons de « compter »: pour les étudiants, par exemple, avec ou sans IUT etc…)
Je pense vraiment qu’il faut intégrer des données beaucoup plus anciennes. Il me semble que 1968 serait un bon point de départ. Cela correspond à la naissance d’un projet universitaire moderne qui n’arrête pas de se chercher depuis ce temps.
Bonsoir
Oui bien sûr, mais je fais ce que je peux avec ce que j’ai (les sources ne sont pas toujours faciles à trouver ni faciles à « analyser » simplement parce que la présentation des données peut changer en quelques années, ou d’un rapport à l’autre) et le temps à disposition (ceci reste un « hobby »)… Si cela peut donner des idées à d’autres 🙂
Je n’ai pas encore bien cherché dans les « archives » dont le lien est donné ci-dessus par M. Saby.
Sur le plus long terme, il doit sûrement y avoir plus de facilités pour ramener les évolutions aux politiques publiques…
Néanmoins, sur 20 ans, je pense qu’on peut commencer à saisir des tendances.
Bonjour,
Merci pour ce travail. Voici quelques réflexions à la volée!
– Il faut comparer ces courbes avec les courbes de l’évolution des salaires des maitres de conférences sur le lien suivant :http://nicolas.tentillier.free.fr/Salaires/ . La corrélation est intéressante. Le salaire 0 est atteint vers 2110… Donc en 2025 on ne recrute plus d’EC et en 2110 on ne les paye plus!!!!! Ce qui est normal car il n’y en aura plus :)))
– On se retrouve avec un taux d’encadrement équivalent à celui de la fin des années 90. Le système tournait à l’époque et les étudiants n’étaient pas si mal formés… Mais le taux d’échec en première année était encore plus important qu’aujourd’hui!!!
– La courbe ne s’inversant pas, on va donc dépasser ce taux d’encadrement avec pour objectif de créer de l’étudiant diplômé. Et c’est là le véritable problème, diplômer plus d’étudiants avec moins de moyens, même en développant des méthodes peu couteuses en enseignement présenciel (comme le e-learning par exemple), cela va forcément altérer la formation (moins de travaux pratiques dans les disciplines scientifiques, évaluation par QCM etc.) et donc décrédibiliser les diplômes…Et on se posera la question du recrutement des doctorants en France!!!
– L’université n’était déjà pas attractive pour les meilleurs lycéens… je m’inquiète pour l’avenir de l’université.
– Enfin, la remarque sur le financement de la recherche me semble très pertinente également. Mais il y a longtemps (en tout dans mon champ disciplinaire) que les enseignant-chercheurs ne jouent plus les premiers rôles dans la recherche…
– Étant donné que l’état ne joue plus son rôle par faute de moyens, ne faudrait-il pas se résoudre à trouver des moyens ailleurs (privé ou autre….) et par exemple laisser les universités libres sur les droits d’inscriptions ?
En tout cas encore bravo pour ce travail
Merci à vous, pour le compliment et pour votre commentaire.
Plusieurs réflexions intéressantes: je m’étais amusé à comparer avec les courbes d’évolution des salaires, en effet. De mémoire, le point « smic » est intéressant aussi, il est aussi autour de 2030 si je ne m’abuse, comme le 0 recrutement…
La situation est en effet inquiétante pour tout un tas de raison.
Quant à la course aux moyens vers le privé est déjà bien enclenchée (en recherche) mais aussi avec les incitations à développer la formation continue…
Bref, plein de sujets à développer dans de futurs articles…
Bonjour,
Cet article est intéressant. Pensez-vous qu’une analyse par domaine puis discipline pourrait être éclairant notamment en ce qui concerne le poids des vacataires ? j’ai l’impression aussi qu’il y a une différence entre licence (plus gourmande en TD) et master sur ce point. Je ne suis qu’un cas particulier mais la licence dont je suis responsable emploie 70% de vacataires, ce qui évidemment pose des problèmes en termes de suivi des étudiants, et d’emploi du temps. Quant à votre assertion polémique, eh bien, j’ai peur qu’elle ne soit notre futur, avec une spécialisation des universités soit dans la licence (et là plus besoin d’EC) soit dans le master.
Cordialement,
Bonjour
Je pense que la ventilation MCF/non-titulaires est possible par domaine ou discipline. Pour les vacataires je suis plus sceptique notamment parce que l’Etat n’a semble-t-il pas les moyens de centraliser ces données, en tout cas ne l’a pas fait de façon systématique. Je n’ai rien trouvé d’autres que des « montants » et ce pour une année…
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Serait il possible de m’envoyer la fiche exel? On cherche à quantifier l’évolution des taux d’encadrement pour proposer des mesures programmatiques pour 2017
Bonjour
Pas de problèmes sur le principe, pouvez-vous m’envoyer un mail svp pour m’expliquer un peu plus en détail le contexte, qui fait la demande etc? (mon adresse se trouve facilement en tapant mon nom sur votre moteur de recherche internet favori)
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