Un petit monde

Etat des lieux de l’Université – 2

Je reprends avec pas mal de retard l’analyse débutée ici. Mêmes sources, mêmes chiffres. J’avais exposé précédemment bon nombre de données pour l’année 2016-2017, je vais maintenant regarder l’évolution de divers indicateurs de 2001 à 2017.

 

On peut commencer par le nombre d’enseignants (équivalent temps plein ou ETP, voir méthode de calcul dans l’article précédent) et d’étudiants toutes disciplines confondues, que je place sur un même graphe (attention aux échelles, s’il vous plaît) (cliquer pour agrandir):

ETP EC étudiants

 

On voit que certes, le nombre d’étudiants a fortement augmenté depuis 8 ans (+20% entre le niveau le plus bas de 2009 et 2017), mais aussi qu’il avait baissé juste auparavant (-8% entre 2004 et 2009). On voit aussi qu’il y a une « opposition de phase » entre l’augmentation des effectifs enseignants (quasiment +20% entre 2000 et 2008, constants ou en légère baisse depuis) et celle des étudiants (en moyenne constante entre 2001 et 2011, en forte augmentation depuis). Personnellement, j’ai donc tendance à considérer comme « dangereuse » toute analyse ne se fondant que sur, disons, les 5 dernières années.

 

On peut creuser un peu et regarder ce qu’il se passe par grande discipline (cf définition dans l’article précédent)

En droit/éco:

Droit

 

En LSHS:

LSHS

 

En sciences:

Sciences

 

En santé:

Santé

 

On voit que les politiques de recrutement d’une part, et de « massification » de l’enseignement d’autre part, n’ont pas été vraiment homogènes selon les disciplines.

Concernant les enseignants, droit et sciences ont à peu près suivi l’allure « moyenne », de façon plus ou moins accidentée: augmentation progressive au début des années 2000 puis stagnation ou légère baisse depuis une petite dizaine d’années. Il y a eu une augmentation brutale en lettres à la fin des années 2000, avec un recrutement (ou une réaffectation) massif(ve) de PRAGs, dont j’ignore la raison. En santé, les effectifs sont à peu de choses près constants depuis 15 ans.

A contrario, l’augmentation du nombre d’étudiants en droit et en santé est constante et impressionnante (+30 et +50% en 15 ans) quand le nombre d’étudiants en sciences et en LSHS en 2017 dépasse à peine celui de 2001 (l’augmentation des dernières années compensant à peine la baisse substantielle de la fin des années 2000).

 

Si l’on regarde maintenant le nombre (ou ratio) d’étudiants par ETP enseignants, par discipline, on obtient ceci:

ratio etudiants etp

 

On a donc des disparités fortes en termes de disciplines: comme tentative d’explication (qui peut être non pertinente, mais que je tente quand même), on peut avancer que le droit fonctionne « historiquement » largement par cours magistraux face à de grandes audiences, là où en sciences les besoins en taux d’encadrement importants sont imposés par les travaux pratiques devant machines ou paillasses.

Plus globalement, on peut voir que pour une discipline donnée (hormis le cas particulier de la santé où on est passé de 13 à 20 étudiants par enseignant en 15 ans), le taux d’encadrement n’a pas énormément varié en 15 ans. De fait, on revient aujourd’hui, en moyenne, aux valeurs de 2001. En LSHS, ce taux d’encadrement s’est même amélioré.

 

Cela semble aller à l’encontre de ce que j’entends de la part de mes collègues (tous surchargés) mais aussi d’indicateurs plus « macros »: il semble bel et bien que le nombre d’heures complémentaires des enseignants-chercheurs (et le recours aux vacataires, bien que ceci ne puisse être documenté quantitativement) explose dans bon nombre d’établissements. Comment expliquer cet apparent paradoxe?

 

On m’a dit qu’il pouvait s’agir d’une évolution du nombre d’heures, notamment en licence, suite au passage au LMD (licence-master-doctorat, harmonisation des heures à l’échelle européenne là où chaque grande discipline avait ses « habitudes », initiée en 2002 mais mise en place plutôt vers 2006 ou après). Et qu’il faudrait en quelque sorte harmoniser le taux d’encadrement d’une façon quelconque prenant en compte le nombre d’heures annuelles effectué par un étudiant. C’est possible, mais le seul document officiel que j’ai trouvé sur le sujet (une brochure du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche vantant la nouvelle licence et datant de 2011) contredit cette interprétation, ou en tout cas montre que les changements qu’elle pourrait induire sont assez marginaux:

Avant 2002 (donc avant mes données), on avait effectivement de fortes disparités

avant 2002

Mais cela s’est ensuite quelque peu harmonisé (entre 2002 et 2011)

2002 LMD

même si on a encore 15% d’écart entre LSHS et sciences. La LMD étant censée avoir tout harmonisé à 1500h, le nombre d’heures en sciences a baissé (ce qui contribuerait à « décharger » les EC de ces disciplines). Par contre les heures en LSHS et droit/éco n’ont pas beaucoup changé si ces tableaux sont exacts. Pour les masters, je n’ai pas réussi à trouver d’information claire.

 

Selon moi (et d’autres collègues avec qui j’ai pu discuter), ce qui peut expliquer l’inflation des heures d’enseignement la où le nombre d’étudiants pour enseignants n’a que peu évolué en 15 ans, c’est la multiplication de filières universitaires « sélectives » en petits effectifs. Le nombre d’apprentis dans le supérieur a ainsi par exemple été multiplié par 3 (de 50000 à 150000 en 15 ans, entre 2000 et 2015). Il s’agit d’une volonté politique de développer ces formations (elles « irriguent les établissements en ressource propre », comme on dit en langage managérial), pas toujours très bien « accompagnée » sur le terrain hélas. On me suggère aussi que la répartition cours magistral/TD a pu évoluer au cours des 20 dernières années, conduisant pour les enseignants à plus d’heures de présentiel face à élève (1h de cours magistral = 1.5h de TD dans la comptabilisation de nos heures de service), mais je n’ai pas de moyens simples de vérifier cette hypothèse. En lien avec cette dernière, on me signale que l’augmentation récente des effectifs aurait aussi pu conduire au doublement de certaines heures de TD (au-delà de 40 étudiants, on scinde en 2 groupes et les heures doivent donc être données deux fois), augmentant ainsi le service des enseignants..

Du côté des universitaires, il faut aussi peut-être noter une propension à multiplier des formations analogues mais « concurrentes » dans des établissements très voisins voir au sein d’un même établissement (les petits prés carrés…). Ainsi, j’ai l’impression qu’il y a une difficulté certaine à rationaliser, mutualiser, voire fermer des formations en perte de vitesse. Pour évoquer brièvement mon cas personnel, il m’arrive fréquemment de donner plusieurs fois le même cours pour 2 formations différentes, voire pour 2 modalités différentes de la même formation (initial vs apprentissage, par exemple). Il y a clairement mieux à faire de ce côté la…

 

A suivre (je n’ai pas encore d’idées précises, mais avec les compilations des données faites, il y a beaucoup de choses que l’on peut regarder: peut-être que je regarderai en détail l’évolution des personnels, par grande discipline, ou que je creuserai le cas particulier des STAPS)

Commentaire (1)

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