Cracking the management code

Archive mensuelles: juin 2013

Faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs ?

Les MOOCs font couler beaucoup d’encre. Entre ceux qui les analysent comme un énième artefact des cours à distance initiés depuis 1728 (d’après distancelearning.com) et ceux qui y voient LA nouvelle donne pédagogique, la modération n’est pas de mise.

Savoir qui voit le mieux dans la boule de cristal ne m’intéresse guère, je peux seulement faire le constat qu’autant d’agitation (certes limitée au microcosme de l’enseignement supérieur) traduit des envies, mais aussi des inquiétudes.

J’ai choisi de livrer ici une analyse marketing du sujet éclairée par des recherches récentes. Afin de, peut-être, pouvoir répondre à la question : faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs?

Brillants ou soporifiques ? J’ai testé!

Je me suis inscrite sur deux MOOCs,  l’un en initiation à la finance, l’autre en initiation à l’irrationalité, que j’ai suivis sur plusieurs heures.

À première vue, les MOOCs, sont tenus par les meilleurs professeurs, celles ou ceux qui sont le plus charismatiques devant une caméra, et capables de maîtriser un scénario pédagogique optimal. J’ai été bluffée par l’ingénierie de la pédagogie : un découpage thématique au scalpel, une excellente progression, du rythme, des illustrations à foison, des lectures complémentaires, un ton à la fois convivial et exigeant, une rigueur des contenus. Bref, tout ce que devrait être un bon cours !

Mais tout n’est pas aussi brillant : ici, une webcam avec une luminosité défaillante, là, un son qui semble sortir d’un puits, des plans fixes, une parole monotone… J’avoue aussi m’être endormie pendant un visionnage : mauvais choix du moment (tard le soir), mauvais choix du lieu (calée sur l’oreiller).

Il y a aussi le côté très « Santa Barbara » de certains teasing, sur fond de palmiers, plages et sable blanc , très soap opera. Le cadre à adopter semble être définitivement anglo-saxon, avec une approche modulaire et une culture des objectifs et des indicateurs très éloignée de la vision française de la pédagogie, construite sur l’intention. La globalisation de l’enseignement et la prégnance d’une vision anglo-saxonne, bien amorcée par les débats sur les accréditations, apparaissent désormais de façon évidente.

Révélateurs de nos défauts

Les MOOCs obligent l’enseignement supérieur (ou, du moins les enseignants qui veulent affronter la question) à sortir d’un déni : les étudiants ont le sentiment de ne pas apprendre grand-chose en cours et, surtout, de s’y ennuyer profondément. Longtemps, on a préféré montrer du doigt les mauvais comportements des étudiants qui présentent à leurs professeurs une forêt de rabats d’ordinateurs et qui pratiquent la « présence absente », surfant sur les réseaux sociaux pendant les cours.  Aujourd’hui, se poser la question de l’intérêt du cours est certes déstabilisant mais il est impossible d’en faire l’économie.

Il faut admettre que le savoir vertical pur, typique du cours magistral est en voie de disparition et qu’on peut en apprendre beaucoup plus et beaucoup plus rapidement en allant sur la Toile. Paradoxalement, les MOOCs réhabilitent le savoir vertical mais permettent de revoir sa formule en tirant la qualité pédagogique vers le haut.

Accélérateurs du changement

On peut toujours se dire que « l’outil est neutre » et que c’est ce qu’on en fait qui lui donne du sens.  L’argument a maintes fois été utilisé, particulièrement pour les outils dérivés d’Internet. C’est oublier que tout outil structure le comportement de celui qui l’utilise. Parions que le MOOC va modifier nos façons d’apprendre et d’enseigner, comme Internet a modifié nos habitudes d’achat.

Une seconde règle est que le consommateur va toujours plus vite que l’offreur. Cela signifie que, n’en déplaise à leurs détracteurs, si des apprenants en devenir du monde entier adoptent les MOOCs, il faudra faire avec. Et si possible vite, pour pouvoir encore participer au façonnage du phénomène.

Souvenez-vous ! Il y a dix ans, les spécialistes des sites marchands affirmaient que certains produits (très chers ou très impliquants) ne pourraient être vendus en ligne. C’est tout le contraire qui s’est mis en marche et le succès de la vente en ligne de diamants, de chaussures ou de fruits et légumes le démontre au quotidien.

Empêcheurs d’apprendre en rond

Les MOOCs proposent une pédagogie en ligne alternant le virtuel (le « clic ») et le réel (« le mortier »). Cette culture du « click and mortar« , qui est maintenant bien maîtrisée par le consommateur dans de nombreux domaines (achat d’un ordinateur ou d’une robe…), dessine l’avenir des MOOCs. Et questionne fortement les habitudes d’apprentissage.

Alors que l’enseignement classique repose sur une présence en cours et sur une socialisation par les travaux à mener hors des salles de classe (seul ou en groupe),  les MOOCs inversent les temps d’apprentissage : d’abord des cours suivis en ligne, ensuite des rencontres pour se socialiser.

Les MOOCs exigent une autre façon de travailler. Il faut être un apprenant autonome et mature connaissant ses besoins quand il s’agit de choisir le cours et d’organiser son temps (souvent 5 à 6 heures de suivi par semaine et de nombreuses autres heures de travail en autonomie). Il faut ensuite être capable d’entrer dans la « conversation pédagogique », d’interpeller, de créer des échanges et des alliances, tout à la fois avec la communauté des apprenants et l’enseignant. Il faudra certainement des MOOCs pour apprendre à suivre les MOOCs, sinon le taux d’abandon risque de stagner.

Gageons sur la prime au présentiel : soit pendant des cours qui s’intercalent, soit dans des forums « hors les murs » pour que le professeur puisse aller à la rencontre des étudiants (on parle de « tournées » de professeurs reçus comme des stars dans de nombreux pays).

Vecteurs de la transformation de l’enseignement

L’enseignement est classé dans les activités de service. Comme elles, il se caractérise par le fait qu’il est intangible, qu’il ne peut être stocké et qu’on ne peut mesurer sa qualité qu’après l’avoir acheté et consommé.

Les chercheurs ont mis en exergue trois types de produits et de service difficiles à évaluer, donc perçus comme risqués à acquérir :

– les services de recherche. Ce sont tous les produits et les services facilement testables, où l’information est disponible sans difficulté, ce sont la plupart des produits et des services de grande consommation : aller au cinéma, acheter un  pantalon font partie de cette catégorie.

– les services d’expérience. Ils exigent une recherche d’information plus longue et plus coûteuse à acquérir (en temps surtout). De plus, la qualité du service ou du produit ne sera vraiment évaluée qu’après consommation, c’est le cas d’un voyage ou de la réservation d’une chambre d’hôtel.

– les services de croyance. Ils sont très complexes à évaluer car l’information est compliquée à obtenir et, surtout, on ne peut pas vraiment apprécier leur qualité même après les avoir consommés. C’est le cas des services d’un avocat après un jugement ou encore d’une opération de chirurgie esthétique, qui peut être bien évaluée par le spécialiste mais être un échec total selon le patient. Le risque perçu de les acheter est alors très grand. Devant la difficulté à se renseigner pour se rassurer se mettent en place des systèmes de « croyance » : on souhaite que cela marche parce qu’on ne peut pas penser autrement.

L’enseignement faisait partie jusqu’à très récemment des services de croyance. En effet, comment évaluer de façon incontestable la qualité d’un cours ? Avec les MOOCs, l’accès très aisé à un « test » du cours, à l’information qui le décrit, va transformer l’enseignement en service d’expérience, ce qui le démocratise mais le banalise aussi. Le cours n’est plus un « colloque singulier » entre le professeur et ses élèves derrière la porte de la classe, il s’expose aux yeux du monde.

Éléments perturbateurs

Avec leur « mise en boîte », les cours deviennent stockables et testables. La communauté des apprenants inverse le sens du savoir. De vertical, il devient progressivement horizontal : on va apprendre plus et mieux des collègues que de l’enseignant même, dont la seule marge de manœuvre sera d’être mis en mode repeat par l’apprenant.

On connaît bien le rôle du bouche-à-oreille sur la popularité des cours classiques et de leurs enseignants, mais on sait aussi que les critères peuvent relever davantage du « show » (« il est drôle »), des horaires (« pas trop tôt le matin ») ou des évaluations (« il note cool »), décalant ainsi les critères d’appréciation de l’exigence à la démagogie pédagogique. Ce contrôle de l’information sur les réseaux sociaux sera essentiel pour ne pas tomber dans des dérives dommageables. Le community management est à l’ordre du jour, mais fort peu évoqué jusqu’alors, car le professeur semble au centre du dispositif, devenant presque l’homme à tout faire (comment pourra-t-il répondre à ses milliers d’étudiants ?).

Gratuits, payants, ni l’un ni l’autre ?

On s’interroge beaucoup sur le modèle économique des MOOCs avec différentes alternatives :

– paiement, sinon des cours, du moins de la certification afférente (stratégie de loss leading : on attire par le gratuit pour mieux vendre ensuite l’indispensable, tout le monde connaît cela avec les consoles de jeux ou le bon vieux Polaroid) ;

– bénévolat total, déjà peu crédible et il ne faudra peut-être pas aller plus loin car sinon c’est tout le sentiment d’appartenance à l’établissement qui risque de se diluer, faute de création du lien lors des cours en présentiel ;

– sponsoring par les grandes universités dans une politique de notoriété et de branding (ça y ressemble déjà beaucoup) ;

– et finalement une stratégie à la Facebook où les financeurs parient sur l’enjeu des données de ces millions d’apprenants qui livrent leur vie privée et leurs habitudes d’apprentissage. Les MOOCs reprendraient ainsi la fameuse antienne « quand c’est gratuit, c’est toi le produit », faisant des cours en ligne les pourvoyeurs d’une vaste base de données sur les participants à ces enseignements. On voit bien le potentiel du dispositif et des proximités évidentes avec des business models basés sur le massif, le non-marchand, le lien social et le dévoilement de soi.

Promoteurs d’un nouveau rapport Nord-Sud

Après l’homo faber, l’homo economicus et surtout le plus récent homo consumens, au centre d’une société où l’identité se définit par les modes de consommation, on assiste peut-être à l’émergence d’un homo percipiens c’est à dire d’un homme (ou d’une femme bien sûr) « apprenant » et qui dessinerait le périmètre d’une société se définissant par la connaissance : « Dis-moi ce que tu apprends et je construirai le monde que tu attends. »  Les MOOCs ausculteraient nos intimités  pour mieux les revendre à de potentiels utilisateurs.

Si cet aspect-là est obscur, un autre est plus clair et même réjouissant : mettre sur un pied d’égalité le Sud et le Nord. Les déserts pédagogiques dans certaines régions du monde sont peuplés de personnes qui ont soif de savoir et d’accès à ce savoir. Les MOOCs leur en donnent tout simplement les moyens. Si ces millions de personnes s’imposent par leur présence assidue, d’autant plus assidue qu’ils n’ont pas d’alternative présentielle, on peut faire l’hypothèse que se dessine une prise en compte de l’humanité très différente de celle qui consomme. Le pouvoir d’achat cédant le pas au pouvoir d’apprentissage ? Nous sommes dans la prospective, mais le marché va toujours beaucoup plus vite que l’offreur ou l’analyste.

Ne dites pas à mes parents que je suis doctorant en management, ils croient que je cherche un emploi

513CJEJYAZL._ Au-delà du clin d’oeil rhétorique à un ouvrage bien connu faisons un constat: en 2013, la perspective de se lancer dans un programme doctoral en sciences de gestion ne fait pas rêver beaucoup d’étudiant et d’étudiantes. Ils sont en effet de moins en moins nombreux à avoir le projet de continuer leurs études après le master 2. Pourquoi se lancer dans une telle aventure ? C’est la question que posent de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur, comme prochainement l’ABG et l’AEF.

Faire une recherche doctorale en sciences de gestion c’est bien sûr aller vers un diplôme à bac + 8. Mais c’est avant tout construire un projet de connaissance. La thèse consiste, suivant les cas et les ambitions, à proposer de nouvelles théories, à en enrichir ou à revalider des cadres théoriques dans des contextes nouveaux. Elle offre également  un apport managérial, respectant en ceci le projet des sciences de gestion se définissant comme des sciences de l’action. Il s’agit de produire une connaissance praticable, actionnable, au service des organisations et de leurs dirigeants.

Je dirige et j’accompagne de nombreux thésards depuis plus d’une décennie. L’EM Strasbourg que je dirige actuellement est l’une des rares Business School en mesure de délivrer le doctorat, grâce à  son appartenance à l’université de Strasbourg. Voilà qui m’a permis d’identifier aussi bien les arguments en faveur qu’en défaveur de l’aventure que représente un programme doctoral.

Les raisons de ne pas faire une thèse de doctorat

Commençons par les six grands arguments récurrents à l’appui des préventions et des refus de se lancer dans un doctorat.

  1. La longueur du projet. Il faut, après 5 années d’études (si tout s’est bien passé) repartir sur un projet qui s’annonce sur 3 ans mais s’organise plutôt sur 4 voire 5 années. Une véritable prise de risque alors que le marché du travail reste très favorable aux diplômés bac +5 en management (ressources humaines, marketing/vente, contrôle de gestion, audit …). Dans cette discipline, l’alternative est donc de refuser des offres d’emploi pour s’inscrire dans une poursuite d’études longues.
  2.  La précaritéMême si l’âge d’insertion sur le marché du travail recule d’année en année, il peut sembler peu raisonnable de s’installer encore, à 23 ou 24 ans, dans une perspective de poursuite d’études rejoignant le stéréotype du « Tanguy », vivant au domicile de ses parents, dans une semi-précarité. Même si les écoles doctorales sont de plus en plus exigeantes sur le financement des programmes doctoraux (écartant les financements précaires type petits jobs), ce n’est pas systématique, et le niveau des « bourses doctorales » reste faible (aux environ de 1700 euros par mois). Il faut donc assumer un statut d’étudiant prolongé, avec des revenus qui ne permettent pas facilement d’envisager l’installation dans une vie avec ce que cela implique en termes d’investissements matériels, de stabilité affective voire familiale.
  3. L’implication H24. Tous ceux et celles qui ont tenté l’aventure en témoignent : une thèse, c’est du temps, qui mord sur les soirées, les week-ends et les vacances. Il n’est en effet guère envisageable de travailler à sa recherche à des horaires « de bureau », tant le temps de la recherche souffre des interruptions. Il ne s’agit pas d’un simple projet professionnel mais d’un projet de vie et, dans les cas où le doctorant a déjà une vie familiale, il est extrêmement important que compagnon, compagne et enfants soient bien informés et acceptent ce pacte qui, quoiqu’il arrive, pèsera sur leur vie. Il n’est pas rare de voir aux soutenances des parents ou des conjoints épuisés de ces années qui ont remis en cause leur propre organisation de vie et les ont amenés à épauler le nouveau docteur dans des moments de doutes et de stress, plus nombreux qu’à leur tour.
  4. Le stress et le doute. On ne mène pas un tel projet, sur une période aussi longue, sans stress ni doute. Malgré la présence du directeur de thèse comme des collègues de l’équipe de recherche, le thésard est souvent seul face à ses angoisses. De quelle nature ? Ne pas avoir su mobiliser de façon pertinente la littérature existante sur le sujet, ne pas arriver à stabiliser sa question de recherche, avoir des questions sur la robustesse de son modèle, sur la méthode choisie, ne pas obtenir les résultats attendus, l’angoisse de la page blanche en phase de rédaction… Le travail de recherche est par définition une conduite de projet, avec toute l’incertitude associée quant au résultat attendu.
  5. Le manque de valorisation des métiers d’enseignant-chercheur. Franchement : qui rêve en 2013 de démarrer après 8 années d’études et le grade de docteur, à 2 000 euros bruts par mois (salaire du maître de conférences débutant), alors que le salaire moyen d’un master 2 en gestion oscille autour de 36 000 euros annuels? Bien sûr, les écoles de commerce n’hésitent pas à renchérir sur les salaires des (bons) enseignants-chercheurs. Mais admettons qu’il y a un problème de fond de valorisation du statut, qui n’aide pas à convaincre des étudiants brillants de choisir le programme doctoral.
  6. Le moyen le plus sûr de perdre tout contact avec la réalité. Dernier argument, en lien avec des représentations qui ont la peau dure (mais nous devons travailler avec les ressentis et les représentations), la perspective de devenir un « professeur Tournesol », un savant certes, mais complètement déconnecté de la « vraie vie ». Il faut bien admettre que les mois passant, le doctorant acquiert un langage de plus en plus codé, abscons, il ou elle s’identifie de plus en plus à une communauté avec ses rites et ses codes, qui peut sembler être repliée sur elle-même. Les quelques managers qui fréquentent des congrès de recherche en management sont souvent tiraillés entre la non-compréhension des apports possibles à leur pratique et l’effroi de voir leur propre activité disséquée, évaluée, recodifiée… à tel point qu’ils ne la reconnaissent plus.

Les raisons de faire une thèse de doctorat en sciences de gestion

Après ce tour d’horizon, qui peut paraître sombre, il est important d’aborder la face claire du travail doctoral et les bonnes raisons de se lancer!

  1. Les enjeux pour la société. L’objectif de la recherche en gestion reste de produire de la connaissance en management pour accompagner les entreprises et leurs dirigeants dans une meilleure compréhension de leurs pratiques pour inventer leur avenir. Le doctorant en sciences de gestion a pour mandat, s’il l’accepte, d’aider les entreprises à agir sur leur environnement et à ne pas à le subir. C’est un enjeu important et positif et il est réjouissant de contribuer, même modestement, à un projet de société.
  2. Les enjeux pour une discipline. Si les sciences de la vie, la philosophie ou encore la sociologie ou l’économie, n’ont plus à prouver leur légitimité, c’est encore un défi pour cette science neuve qu’est la gestion. Faire une recherche doctorale en sciences de gestion, c’est intégrer une communauté qui se construit depuis un peu plus de 50 ans. C’est là un projet tout à fait stimulant, qui laisse aussi de la place aux initiatives de jeunes chercheurs, car le bouillonnement est encore suffisamment important pour que la normalisation ne soit pas trop contraignante.
  3. La formidable stimulation intellectuelle de tout projet doctoral. « Apprendre à apprendre » et « apprendre à travailler »  ne sont pas des vains mots.  Tous les témoignages concordent sur ces mois de jubilation intellectuelle. On observe souvent une addiction à cette stimulation que le jeune chercheur voudra ensuite retrouver tout au long de sa carrière. C’est ce qui peut le conduire à rejoindre la communauté des enseignants-chercheurs, malgré les faibles revenus. Vus sous cet angle, la durée, le stress, le doute apparaissent comme des conditions qui favorisent de nouveaux apprentissages.
  4. Un portefeuille de compétences inédites et rares. Le doctorant acquiert trois compétences auxquelles aspirent de nombreux managers de haut niveau. D’abord, la capacité de déchiffrage, grâce au capital de connaissances acquis par les innombrables lectures et partages d’expériences de la recherche. Ce que ne peut jamais faire un manager en action, faute de temps et de maîtrise des codes de cette littérature. Or les concepts sont de puissants accélérateurs de la compréhension et de l’interprétation du monde qui nous entoure, ils servent à identifier ce qui peut « marcher », en capitalisant sur les expériences engrangées par d’autres dans d’autres contextes. Ensuite, il obtient une compétence de réflexivité, c’est-à-dire cette capacité à se regarder faire, à relire ses propres actions et leur inscription dans un environnement qu’il a appris à déchiffrer. Cette capacité d’interprétation de l’action intègre la compétence à identifier les signaux faibles, souvent invisibles aux yeux des opérationnels. La capacité à gérer le doute sans le nier est également une compétence rarement identifiée dans les organisations. Enfin, le doctorant acquiert une compétence d’apprentissage « continué » (qui implique la capacité à désapprendre et à engranger de nouvelles connaissances en continu). 
  5. Le bac + 8 : la nouvelle frontière des cadres à haut potentiel. Avec la réforme LMD, tous les étudiants cherchent désormais le bac + 5. Les taux de poursuites d’études en attestent, même après des diplômes dits « professionnalisants ». Il est donc une nouvelle donne : la montée en puissance des niveaux de diplomation pour accéder à des postes ou fonctions. Cette inflation rend la concurrence de plus en plus difficile et met la barre toujours plus haut pour  les cadres à haut potentiel.  Avec le doctorat, les métiers du management rejoignent ceux des sciences dites « dures », où les entreprises recrutent depuis longtemps des docteurs pour leurs centres de recherche et développement ou leurs laboratoires. Déjà les docteurs en finance sont largement recrutés dans des institutions bancaires.
  6. Un projet excitant et distinctif. Je n’ai jamais rencontré un docteur regrettant son choix. Sur la durée, il est évident pour tous que le bilan des acquisitions des connaissances et des compétences compense largement les mauvais moments, qui, à leur façon, ont aussi contribué au développement personnel et professionnel du doctorant. Terminer son parcours avec sa soutenance et obtenir le titre de docteur est une joie à nulle autre pareille. C’est rejoindre une communauté de personnes qui ont connu le même cheminement et qui se distinguent par leur soif d’apprendre et de comprendre, avec des outils et des méthodes pour cela. Avoir un doctorat n’est pas un aboutissement comme on pourrait le penser, mais c’est bien l’adoption d’une nouvelle posture face à la vie, une vision de l’existence où tout semble possible, une fois le cap établi et la volonté affirmée.

Finalement, y aller ou pas ?

Oui, trois fois oui ! Commencer une thèse de doctorat c’est identifier avec passion une énigme à résoudre. C’est vouloir mieux comprendre et interpréter le monde qui nous entoure. C’est le « pourquoi » de l’enfant que nous avons été et qui cherchait des réponses à tout ce qui l’étonnait, mais avec des outils et des méthodes que l’on maîtrise. Faire une recherche doctorale, c’est aussi sortir des croyances et des idées toutes faites, conquérir l’objectivité qui permet de sortir des conflits construits sur les « on dit ».

Soyons clair, une recherche doctorale en sciences de gestion a peu de probabilité de modifier le cours de l’histoire du management et des organisations, mais elle peut y contribuer, modestement, et c’est déjà très bien, comme elle contribue à la connaissance sur les pratiques managériales.

Si une recherche doctorale ne change pas le monde, elle change, à coup sûr le doctorant qui la conduit. Et ce processus est sans prix.