Cracking the management code

Faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs ?

Les MOOCs font couler beaucoup d’encre. Entre ceux qui les analysent comme un énième artefact des cours à distance initiés depuis 1728 (d’après distancelearning.com) et ceux qui y voient LA nouvelle donne pédagogique, la modération n’est pas de mise.

Savoir qui voit le mieux dans la boule de cristal ne m’intéresse guère, je peux seulement faire le constat qu’autant d’agitation (certes limitée au microcosme de l’enseignement supérieur) traduit des envies, mais aussi des inquiétudes.

J’ai choisi de livrer ici une analyse marketing du sujet éclairée par des recherches récentes. Afin de, peut-être, pouvoir répondre à la question : faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs?

Brillants ou soporifiques ? J’ai testé!

Je me suis inscrite sur deux MOOCs,  l’un en initiation à la finance, l’autre en initiation à l’irrationalité, que j’ai suivis sur plusieurs heures.

À première vue, les MOOCs, sont tenus par les meilleurs professeurs, celles ou ceux qui sont le plus charismatiques devant une caméra, et capables de maîtriser un scénario pédagogique optimal. J’ai été bluffée par l’ingénierie de la pédagogie : un découpage thématique au scalpel, une excellente progression, du rythme, des illustrations à foison, des lectures complémentaires, un ton à la fois convivial et exigeant, une rigueur des contenus. Bref, tout ce que devrait être un bon cours !

Mais tout n’est pas aussi brillant : ici, une webcam avec une luminosité défaillante, là, un son qui semble sortir d’un puits, des plans fixes, une parole monotone… J’avoue aussi m’être endormie pendant un visionnage : mauvais choix du moment (tard le soir), mauvais choix du lieu (calée sur l’oreiller).

Il y a aussi le côté très « Santa Barbara » de certains teasing, sur fond de palmiers, plages et sable blanc , très soap opera. Le cadre à adopter semble être définitivement anglo-saxon, avec une approche modulaire et une culture des objectifs et des indicateurs très éloignée de la vision française de la pédagogie, construite sur l’intention. La globalisation de l’enseignement et la prégnance d’une vision anglo-saxonne, bien amorcée par les débats sur les accréditations, apparaissent désormais de façon évidente.

Révélateurs de nos défauts

Les MOOCs obligent l’enseignement supérieur (ou, du moins les enseignants qui veulent affronter la question) à sortir d’un déni : les étudiants ont le sentiment de ne pas apprendre grand-chose en cours et, surtout, de s’y ennuyer profondément. Longtemps, on a préféré montrer du doigt les mauvais comportements des étudiants qui présentent à leurs professeurs une forêt de rabats d’ordinateurs et qui pratiquent la « présence absente », surfant sur les réseaux sociaux pendant les cours.  Aujourd’hui, se poser la question de l’intérêt du cours est certes déstabilisant mais il est impossible d’en faire l’économie.

Il faut admettre que le savoir vertical pur, typique du cours magistral est en voie de disparition et qu’on peut en apprendre beaucoup plus et beaucoup plus rapidement en allant sur la Toile. Paradoxalement, les MOOCs réhabilitent le savoir vertical mais permettent de revoir sa formule en tirant la qualité pédagogique vers le haut.

Accélérateurs du changement

On peut toujours se dire que « l’outil est neutre » et que c’est ce qu’on en fait qui lui donne du sens.  L’argument a maintes fois été utilisé, particulièrement pour les outils dérivés d’Internet. C’est oublier que tout outil structure le comportement de celui qui l’utilise. Parions que le MOOC va modifier nos façons d’apprendre et d’enseigner, comme Internet a modifié nos habitudes d’achat.

Une seconde règle est que le consommateur va toujours plus vite que l’offreur. Cela signifie que, n’en déplaise à leurs détracteurs, si des apprenants en devenir du monde entier adoptent les MOOCs, il faudra faire avec. Et si possible vite, pour pouvoir encore participer au façonnage du phénomène.

Souvenez-vous ! Il y a dix ans, les spécialistes des sites marchands affirmaient que certains produits (très chers ou très impliquants) ne pourraient être vendus en ligne. C’est tout le contraire qui s’est mis en marche et le succès de la vente en ligne de diamants, de chaussures ou de fruits et légumes le démontre au quotidien.

Empêcheurs d’apprendre en rond

Les MOOCs proposent une pédagogie en ligne alternant le virtuel (le « clic ») et le réel (« le mortier »). Cette culture du « click and mortar« , qui est maintenant bien maîtrisée par le consommateur dans de nombreux domaines (achat d’un ordinateur ou d’une robe…), dessine l’avenir des MOOCs. Et questionne fortement les habitudes d’apprentissage.

Alors que l’enseignement classique repose sur une présence en cours et sur une socialisation par les travaux à mener hors des salles de classe (seul ou en groupe),  les MOOCs inversent les temps d’apprentissage : d’abord des cours suivis en ligne, ensuite des rencontres pour se socialiser.

Les MOOCs exigent une autre façon de travailler. Il faut être un apprenant autonome et mature connaissant ses besoins quand il s’agit de choisir le cours et d’organiser son temps (souvent 5 à 6 heures de suivi par semaine et de nombreuses autres heures de travail en autonomie). Il faut ensuite être capable d’entrer dans la « conversation pédagogique », d’interpeller, de créer des échanges et des alliances, tout à la fois avec la communauté des apprenants et l’enseignant. Il faudra certainement des MOOCs pour apprendre à suivre les MOOCs, sinon le taux d’abandon risque de stagner.

Gageons sur la prime au présentiel : soit pendant des cours qui s’intercalent, soit dans des forums « hors les murs » pour que le professeur puisse aller à la rencontre des étudiants (on parle de « tournées » de professeurs reçus comme des stars dans de nombreux pays).

Vecteurs de la transformation de l’enseignement

L’enseignement est classé dans les activités de service. Comme elles, il se caractérise par le fait qu’il est intangible, qu’il ne peut être stocké et qu’on ne peut mesurer sa qualité qu’après l’avoir acheté et consommé.

Les chercheurs ont mis en exergue trois types de produits et de service difficiles à évaluer, donc perçus comme risqués à acquérir :

– les services de recherche. Ce sont tous les produits et les services facilement testables, où l’information est disponible sans difficulté, ce sont la plupart des produits et des services de grande consommation : aller au cinéma, acheter un  pantalon font partie de cette catégorie.

– les services d’expérience. Ils exigent une recherche d’information plus longue et plus coûteuse à acquérir (en temps surtout). De plus, la qualité du service ou du produit ne sera vraiment évaluée qu’après consommation, c’est le cas d’un voyage ou de la réservation d’une chambre d’hôtel.

– les services de croyance. Ils sont très complexes à évaluer car l’information est compliquée à obtenir et, surtout, on ne peut pas vraiment apprécier leur qualité même après les avoir consommés. C’est le cas des services d’un avocat après un jugement ou encore d’une opération de chirurgie esthétique, qui peut être bien évaluée par le spécialiste mais être un échec total selon le patient. Le risque perçu de les acheter est alors très grand. Devant la difficulté à se renseigner pour se rassurer se mettent en place des systèmes de « croyance » : on souhaite que cela marche parce qu’on ne peut pas penser autrement.

L’enseignement faisait partie jusqu’à très récemment des services de croyance. En effet, comment évaluer de façon incontestable la qualité d’un cours ? Avec les MOOCs, l’accès très aisé à un « test » du cours, à l’information qui le décrit, va transformer l’enseignement en service d’expérience, ce qui le démocratise mais le banalise aussi. Le cours n’est plus un « colloque singulier » entre le professeur et ses élèves derrière la porte de la classe, il s’expose aux yeux du monde.

Éléments perturbateurs

Avec leur « mise en boîte », les cours deviennent stockables et testables. La communauté des apprenants inverse le sens du savoir. De vertical, il devient progressivement horizontal : on va apprendre plus et mieux des collègues que de l’enseignant même, dont la seule marge de manœuvre sera d’être mis en mode repeat par l’apprenant.

On connaît bien le rôle du bouche-à-oreille sur la popularité des cours classiques et de leurs enseignants, mais on sait aussi que les critères peuvent relever davantage du « show » (« il est drôle »), des horaires (« pas trop tôt le matin ») ou des évaluations (« il note cool »), décalant ainsi les critères d’appréciation de l’exigence à la démagogie pédagogique. Ce contrôle de l’information sur les réseaux sociaux sera essentiel pour ne pas tomber dans des dérives dommageables. Le community management est à l’ordre du jour, mais fort peu évoqué jusqu’alors, car le professeur semble au centre du dispositif, devenant presque l’homme à tout faire (comment pourra-t-il répondre à ses milliers d’étudiants ?).

Gratuits, payants, ni l’un ni l’autre ?

On s’interroge beaucoup sur le modèle économique des MOOCs avec différentes alternatives :

– paiement, sinon des cours, du moins de la certification afférente (stratégie de loss leading : on attire par le gratuit pour mieux vendre ensuite l’indispensable, tout le monde connaît cela avec les consoles de jeux ou le bon vieux Polaroid) ;

– bénévolat total, déjà peu crédible et il ne faudra peut-être pas aller plus loin car sinon c’est tout le sentiment d’appartenance à l’établissement qui risque de se diluer, faute de création du lien lors des cours en présentiel ;

– sponsoring par les grandes universités dans une politique de notoriété et de branding (ça y ressemble déjà beaucoup) ;

– et finalement une stratégie à la Facebook où les financeurs parient sur l’enjeu des données de ces millions d’apprenants qui livrent leur vie privée et leurs habitudes d’apprentissage. Les MOOCs reprendraient ainsi la fameuse antienne « quand c’est gratuit, c’est toi le produit », faisant des cours en ligne les pourvoyeurs d’une vaste base de données sur les participants à ces enseignements. On voit bien le potentiel du dispositif et des proximités évidentes avec des business models basés sur le massif, le non-marchand, le lien social et le dévoilement de soi.

Promoteurs d’un nouveau rapport Nord-Sud

Après l’homo faber, l’homo economicus et surtout le plus récent homo consumens, au centre d’une société où l’identité se définit par les modes de consommation, on assiste peut-être à l’émergence d’un homo percipiens c’est à dire d’un homme (ou d’une femme bien sûr) « apprenant » et qui dessinerait le périmètre d’une société se définissant par la connaissance : « Dis-moi ce que tu apprends et je construirai le monde que tu attends. »  Les MOOCs ausculteraient nos intimités  pour mieux les revendre à de potentiels utilisateurs.

Si cet aspect-là est obscur, un autre est plus clair et même réjouissant : mettre sur un pied d’égalité le Sud et le Nord. Les déserts pédagogiques dans certaines régions du monde sont peuplés de personnes qui ont soif de savoir et d’accès à ce savoir. Les MOOCs leur en donnent tout simplement les moyens. Si ces millions de personnes s’imposent par leur présence assidue, d’autant plus assidue qu’ils n’ont pas d’alternative présentielle, on peut faire l’hypothèse que se dessine une prise en compte de l’humanité très différente de celle qui consomme. Le pouvoir d’achat cédant le pas au pouvoir d’apprentissage ? Nous sommes dans la prospective, mais le marché va toujours beaucoup plus vite que l’offreur ou l’analyste.

Commentaires (6)

  1. Pierre Dubois

    Excellente synthèse, Isabelle. Bravo ! Participerez-vous aux Terrasses du Numérique 2013 (Atrium, Campus de l’Esplanade, vendredi 28 juin) ?
    http://blog.educpros.fr/pierredubois/2013/06/25/les-terrasses-du-numerique-2013/

    Répondre
  2. matthieu-cisel

    Très bonne synthèse !

    Répondre
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