« La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »
Personne n’a mieux résumé que Françoise Giroud la question de l’inégalité dans le milieu professionnel. Elle nous rappelle que le pouvoir dans les milieux économiques, politiques, militaires est détenu par les hommes. Et observe que les femmes n’y ont pas accès sauf à être « hyper-compétentes ». Enfin, elle sous-entend que les hommes qui occupent ces postes n’ont peut-être pas eu la même exigence de compétence.
En cette première semaine de l’égalité professionnelle, on pourrait croire que les choses évoluent dans le bon sens. Pourtant les chiffres sont têtus, qui chaque année mettent en lumière les écarts de salaire entre hommes et femmes à carrière égale. En résumé : « Tout change mais rien ne change. »
Toutes les études menées valident trois points :
- le fameux « plafond de verre » ne permet pas aux femmes d’évoluer dans la prise de responsabilité;
- les modalités d’accès au pouvoir valorisent bien d’autres choses que la seule compétence. On peut citer les réseaux informels ou hors de la sphère professionnelle qui favorisent les accointances masculines;
- les femmes ont besoin de se sentir complètement légitimes et qu’un regard extérieur le leur confirme pour accepter (elles n’exigent que très rarement) de monter dans la hiérarchie.
C’est là qu’il faut savoir dire aux étudiantes (en école de management mais pas seulement) et aux femmes déjà en poste dans l’entreprise :
« Mesdames, mesdemoiselles, pour progresser dans vos carrières : osez être incompétentes. »
L’injonction est pour le moins paradoxale et peut sembler incongrue : il faudrait être mauvaise, inefficace, mal faire son travail pour réussir ? Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est presque cela. Mais seulement presque …
Apprendre de nouveaux comportements
Je m’inspire librement de la méthode de la « solution bizarre » du Mental Research Institute de Palo Alto (1). Selon celle-ci, le changement peut être conçu comme une modification des comportements, on peut en conséquence produire des changements en apprenant de nouveaux comportements.
Pour les chercheurs du Mental Research Institute , « nous faisons nous-même notre malheur » en nous efforçant de reproduire des solutions qui se sont montrées efficaces par le passé mais qui ne correspondent plus à nos attentes et alors que notre contexte de vie a changé. Il faut donc modifier notre vision du problème.
Il s’agit de passer d’un changement de « type 1 » c’est-à-dire qui reste dans la même vision du monde, à un changement de « type 2 », qui permet de voir les faits autrement et de changer leur signification. Parmi les techniques proposées pour y parvenir, je retiens celle du sabotage.
Optez pour le sabotage !
Le sabotage, c’est agir de façon délibérément maladroite et inefficace, en jouant sur le terrain de l’indifférence, et de voir ce qui change avec cette nouvelle façon de faire. Le regard des autres sur nous est-il différent ? Surtout, notre rapport au monde (c’est-à-dire à nos collègues, à notre projet professionnel, à notre hiérarchie…) évolue-t-il ?
Prenons un exemple. Vous avez un document à rendre pour le lendemain matin 9 heures. D’ordinaire, vous annulez votre soirée, vous passez une nuit blanche pour rendre le « rapport des rapports » à l’heure dire, épuisée mais satisfaite de vous être surpassée. La suite peut être variable selon le contexte et les personnes : félicitations, quelquefois, mais bien souvent le rapport a été seulement survolé et d’autres propositions faites par oral ou venant de canaux moins officiels ont été retenues. Quand votre rapport n’est pas récupéré par un N+1 ou N+2 qui s’attribuent vos idées…
La technique du sabotage consiste à renoncer à cette supposée perfection et à arrêter avant de l’atteindre, en partant du principe que 80 % ou 90 % de la qualité est largement suffisant et que les 10 ou 20 % supplémentaires pour atteindre le 100% sont de la sur-qualité n’apportant pas de bénéfices supplémentaires pouvant justifier l’énergie et le temps consacrés, sans parler du stress généré. On peut aussi ajouter que plus l’investissement est grand plus l’attente sur le retour est importante. Si ce retour n’est pas fait, c’est la frustration, le dégoût, la rancœur qui sont au rendez-vous.
Modifiez vos critères d’exigence
Que constate-t-on ? Le plus souvent le sabotage passe complètement inaperçu, et vous aurez bien eu raison d’être incompétente… Quelquefois il est repéré mais, si l’indifférence est bien de mise, c’est l’autre ou les autres qui feront ce que vous avez refusé délibérément de faire. Ce qui est le plus important, c’est que vous aurez modifié vos critères d’exigence et vos croyances quant à votre légitimité.
Essayez et vous verrez que le delta incompétence ou imperfection n’aura même pas été repéré et vous aura évité de la fatigue, de l’énervement, vous permettant d’allouer votre temps et votre énergie ailleurs. Le « sabotage » vous aura peut-être aussi permis d’éviter une autre situation très pénalisante : celle de ne PAS rendre le document. C’est un des risques de vouloir être au top : ne pas pouvoir finir car ce n’est jamais assez bien. Or un bon rapport est avant tout un rapport rendu.
Un autre exemple peut concerner l’apparence qui est très souvent associée à la compétence. Partez un matin sans vernis sur les ongles, sans avoir coordonné parfaitement votre tenue, en ne mettant pas de ceinture à votre pantalon… Ce petit sabotage (car vous auriez pu le faire) fait-il changer le regard de votre entourage professionnel sur vous ? Surmonter cette petite épreuve pour votre égo perfectionniste sera salutaire pour mieux comprendre que le renoncement à la perfection n’est pas l‘ennemi de votre progression professionnelle. Au contraire, vous gagnez du temps pour autre chose, vous apprenez à lâcher prise, vous n’êtes plus systématiquement dans le jugement de l’autre et à la quête de la légitimité qu’il vous accordera.
Apprendre à être légitime
Ne plus être à la quête de la légitimité, demander une promotion, une hausse salariale, de meilleures conditions de travail n’est pas une évidence pour la grande majorité des femmes. Dans le même temps, leurs compagnons, leurs collègues hommes, se posent moins de questions et avancent, reproduisant les codes appris et qui ont si bien fonctionné jusqu’à présent.
Les femmes doivent apprendre à être légitimes d’emblée, comme les hommes, sans atteindre la permission pour avancer ou la validation de leur compétence. Cette confiance en soi, cette affirmation de soi sont bien sûr des variables individuelles. L’éducation joue aussi beaucoup et que d’emblée l’on pousse les petits garçons à avancer sans se poser trop de questions, alors que les filles sont incitées à la modération, à la prudence, au mérite …
C’est donc plus tard qu’il leur faut apprendre à reconfigurer leur logiciel intérieur, à s’obliger à voir leur place dans le monde différemment. A opérer un changement de « type 2 ». Et la technique du sabotage, de façon modeste et quotidienne peut être une façon de conduire ce changement.
(1) La solution bizarre s’inscrit dans le cadre de la théorie du changement et est issue des travaux de trois chercheurs : Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch.
Bravo Isabelle ! Il fallait oser : c’est drôle, pertinent et d’une méthode vraisemblablement efficace. Je suis heureux que vous employiez le terme de sabotage. En 1976, j’ai commis un livre sur la question : le sabotage dans l’industrie (http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=21419).
Certes, je n’imaginais pas alors qu’il pouvait être une forme de lutte individuelle employée par les femmes. Imaginons aussi un sabotage collectif mis en oeuvre par les femmes d’une même entreprise ! On aurait peut-être franchi une étape pour crever le plafond de verre ?
Incompétentes peut-être mais surtout imparfaites !!!! Pas facile pour nous les femmes d’accepter, de s’accepter telles que nous sommes… La vie nous semblerait certainement plus simple côté pro comme perso !
Bien envoyé! Un post revigorant et déculpabilisant, oui, sortons des modèles qui ne nous apportent qu’insatisfaction et frustration réinventons un autre, sans être dupes ni victimes des freins que nous nous imposons à nous-mêmes
je trouve votre billet très intéressant de plus qu’il relève d’une réalité inquiétante car l’humanité ne parvient pas a dépasser la discrimination au point même de discréditer les meilleurs parce ce sont des femmes
je suis étudiant en master management des organisations et dans le module de sociologie je doit rendre un travail sur les conditions qui permette de faire participer les femmes au management des organisations
car même si on constate une présence de plus en plus grande des femmes dans les entreprise elles restent loin des postes de direction et des hautes sphères de décision.
donc si vous pouvez m’orienter ça serait gentil merci
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