Cracking the management code

Archive mensuelles: juin 2014

Fête de la musique : quelques notes qui résonnent pour le management

La fête de la musique est une excellente source d’inspiration pour le chercheur en management, comme pour le manager d’ailleurs, et certainement aussi pour les étudiants en management. Après avoir passé comme tout le monde (ou alors, il fallait vraiment avoir décidé de se couper de la société) une après-midi et une soirée au son de musiques diverses et variées, j’ai envie de proposer quelques notes (non pas musicales malheureusement) pour partager mes observations et mes interrogations quant à ce que la musique peut apporter au management. Il n’y a évidemment aucune ambition ni d’exhaustivité, ni d’expertise (même si je peux revendiquer 12 années d’études de solfège, de piano, et d’orgue).

Quels liens entre musique et management ?

La musique est constitutive de la vie en société depuis les débuts de l’humanité comme en attestent les reliques d’instruments dans les fouilles préhistoriques . Toutes les sociétés humaines ont, sans exception des rites musicaux, des instruments spécifiques, des répertoires.

Par ailleurs, la musique peut elle-même être perçue et analysée comme une société. Elle provoque de nombreux projets qui deviennent des organisations : groupes de musique, chorales, sociétés de spectacle …. qui, de façon plus ou moins formelle, sont managés (ne parle-t-on pas d’ « industrie de la musique ? »)  Enfin, après des  décennies (la modernité ?)  où la musique a déserté le monde des entreprises, elle les réinvestit peu à peu depuis quelques années par des chemins divers : contribution à la formation au management, mécénat, levier du sentiment d’appartenance … C’est donc un lien évolutif, parfois ténu mais toujours réel, qui réunit musique et management.

J’égrène donc mes observations comme j’ai déambulé pendant cette dernière fête de la musique dans les rues, au hasard de rencontres musicales…

 Do : la richesse des configurations organisationnelles en musique

On peut faire une musique extraordinaire dans toutes les configurations possibles : soliste, duo, trio, quatuor, orchestre de chambre, orchestre symphonique … Pour faire de la qualité, il n’y a pas de notion de « taille critique » quand il s’agit de faire de la musique, même si, bien sûr, les compositeurs écrivent leurs œuvres pour certaines formations. Cette richesse des configurations organisationnelles est inspirante pour le monde du management.

 Do dièse : l’importance de l’amateur sur le professionnel

Ce côté « amateur » est fascinant : on peut pratiquer la musique en « amateur », cela semble très éloigné du monde du management. Peut-on envisager de faire du management en « amateur » ? Les risques sont certainement plus grands que celui de faire des fausses notes.

 Ré  : le métier passion

On ne choisit pas d’être musicien professionnel sans passion, sans envie, c’est un constat. Qu’en est-il des vocations en management ?

 Ré dièse : la contribution de tous à un projet commun

Bien souvent,  le « ding » du triangle qui n’intervient qu’une seule fois, ou la contribution de quelques secondes du tambour sont indispensables à l’œuvre musicale où dominent largement les cordes et les instruments à vent. La chaine de la valeur par la preuve !

C’est ce que nous dit Riccardo Muti :

« Un orchestre symphonique est la plus belle métaphore de la société que je connaisse. Chacun est indispensable, mais doit savoir s’effacer pour faire vivre une réalité supérieure ».

Mi : le goût de l’apprentissage

Jouer peut être inné pour certains très privilégiés, mais pour beaucoup, bien jouer  de la musique, bien chanter aussi procède d’un apprentissage continu, sans cesse renouvelé, mais que les musiciens assument sans broncher. A-t-on la même motivation quand il s’agit d’apprendre le management ?

Fa : la synchronisation

Elle n’est pas un choix, dès qu’on doit faire de la musique à plusieurs, il n‘est pas question de jouer solo (même si on est soliste, et encore !) et la notion d’accord n’est pas une métaphore ou un vain mot : il faut être dans le même ton et en harmonie. Si la synchronisation est vitale en management, elle n’est pas suffisamment audible pour qu’on la respecte spontanément.

 Fa dièse : le tempo !

Le rythme est essentiel en musique, il faut le respecter avec ses Accelerando , Adagio, Agitato, Andantino, Adagietto, Andante … Or, on sait de mieux en mieux que le temps est une variable essentielle en management, le court terme, le long terme, les accélérations, les attentes, les nécessaires pauses se conjuguent aussi bien pour les individus que pour les organisations, mais ne sont pas forcément respectés.

 Sol : le rôle de l’émotion

« La musique est un cri qui vient de l’intérieur », a chanté Bernard Lavilliers, l’émotion fait partie intégrale de la musique, elle la produit comme le démontrent les musiques de films qui génèrent tristesse, peur, angoisse, joie …  Le management reste le monde de la rationalité même si les choses évoluent et que peu à peu, les émotions sont prises en compte, que ce soit en gestion des ressources humaines, ou en marketing. A suivre.

Sol dièse : la créativité

C’est certainement ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la musique : avec seulement 7 notes (un peu plus avec les dièses et/ou les bémols), les compositeurs créent sans cesse de nouvelles mélodies, et, ce depuis des temps immémoriaux. Cette créativité avec finalement si peu de ressources est fascinante pour le monde du management ou le mot est surtout prononcé de façon incantatoire. Surtout quand on écoute Mozart en expliquer le ressort:

« J’essaie simplement de mettre ensemble des notes de musique qui s’aiment »

 La : le lâcher prise !

Je pense à la célèbre phrase de Herbert Von Karajan :

«  L’art de diriger, c’est savoir abandonner la baguette »

Oui, savoir lâcher prise, faire confiance, prendre du recul … combien de managers savent le faire ? Ou souhaitent le faire ? Si peu, malgré les plaintes, les envies, et les burn out …

Si bémol : l’énigme du don

Il y a une spécificité en musique : c’est l’importance du don personnel. Si on ne peut faire un constat aussi radical en management, se pose-t-on suffisamment la question des pré-dispositions ? On pourrait peut-être éviter beaucoup d’erreurs en redisant qu’on ne s’improvise pas manager, et que le bon expert ne fera pas forcément un bon manager comme on le laisse souvent penser.

Si : l’universalité du langage

La musique parle à tout le monde, elle est un langage universel, comme le rappelle le film de Steven Spielberg : « Rencontre du troisième type ». En effet, partout, le do est un do, le ré est un ré (même si les notes ont des noms très divers selon la langue ou la culture). Les agencements ne sont pas les mêmes (gammes chromatiques vs gammes pentatoniques) … mais qu’on soit d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’ailleurs, la musique est entendue et comprise par tous.

L’anglais sera-t-il un jour la langue universelle du monde des entreprises ? Si ce n’est pas déjà le cas, ça y ressemble fort ! La globalisation du management est bien avancée mais encore très en retard sur celle de la musique

Do : l‘interculturel

Malgré cette universalité, la musique reste tribale : les tribus des fous d’opéra, celle du rock, celle de la pop, du reggae, de la folk, de la biguine, de l’orgue, des percussions …Elle a aussi des racines profondes dans une culture, dans un territoire, et peut accompagner chacun dans ses exils. Elle est signe de reconnaissance et d’identité. Si elle transcende les frontières, elle donne des repères.

Le management travaille aussi avec la culture mais la respecte-t-il vraiment ? Mais la « McDonaldisation » guette aussi le monde de la musique après s’être étendue depuis longtemps sur le monde des entreprises.

Ré bémol : le sentiment de maîtrise du geste

La perte de sens est une des causes de la souffrance au travail, les salariés ont en effet le sentiment d’avoir perdu toute maîtrise de ce qu’ils font au travail, tellement il s’est disloqué, taylorisé. Le musicien peut, lui, vérifier en instantané le produit de ses efforts : son mélodieux ou fausses notes,  c’est du pareil au même au regard de ce critère.

Ré : l’adaptation aux nouvelles technologies comme aux réseaux sociaux

L’arrivée de nouvelles technologies a permis de créer des instruments inédits comme les synthétiseurs ou la musique électrique. Les réseaux sociaux ont bousculé les relations entre créateurs et auditeurs, les rémunérations classiques (les droits d’auteurs) ont été mises à bas. Il faut encore continuer cette adaptation, et les acteurs du monde de la musique le savent bien. Mais la musique « vivante » continue à faire la démonstration de sa vitalité et chaque année, le 21 Juin en est la preuve !

 Contrepoint

Après cette montée de gamme chromatique, soyons aussi capables d’un peu de recul. Tout n’est pas rose dans le royaume de la musique. Ainsi, la formation est encore basée dans de très nombreux endroits sur un apprentissage fastidieux du solfège puis de l’instrument de façon dogmatique et aride. Le projet est d’avantage de former une élite « douée » que d’encourager des bonnes volontés moins talentueuses, l’élitisme est de mise, avec la sélection qui va avec.

La diversité des musiques organise de très nombreuses chapelles : « on ne mélange pas » le classique et la variété, la pop et le reggae, l’opéra et la variété … même si on peut voir, de ci delà, des exemples intéressants de ce franchissement de frontières jusque-là étanches. Le purisme est souvent au centre des esprits.

La concurrence est érigée en système comme le montrent les formules organisées par la télévision : The Voice, Star Academy…

Si une partie des musiciens ou des mélomanes se sont saisis de façon souvent innovante des réseaux sociaux, il y a encore de nombreuses résistances qui semblent parfois relever de combats d’arrière-garde : pensons à la loi HADOPI et à ses avatars.

Outro

Il ne s’agit donc pas d’être naïf : la musique n’adoucit pas toujours les mœurs, loin de là ! Et les entreprises ne sont pas que des lieux de souffrance.Mais cette interpellation, en ce lendemain de fête, du management par la musique, permet de prendre du recul … en chantant ! Ce qui ne peut pas faire de mal !

Faire de la Business School une « plateforme de conversion » des étudiants

Une Ecole de management est un objet très complexe. Elle  peut être vue de plusieurs façons : un lieu de management en soi, un lieu de formation, un acteur économique sur son territoire, un acteur de l’enseignement supérieur, un drapeau de la France à l’international …. Nous pouvons aussi la voir comme une « plateforme de conversion ». En effet, pour permettre à un jeune homme ou une jeune femme sortant d’un Bac + 2, classe préparatoire, DUT, L2 … de devenir un professionnel, il faut que la Business School transforme un « étudiant causal » en  « étudiant effectual».

Mon analyse s’appuie sur 20 ans d’expérience comme responsable de formations dans l’enseignement supérieur (du Bac + 2 au bac + 8) comme sur 20 années de recherches en management. Un cadre théorique assez récent et maintenant bien installé en entrepreneuriat, l’ « effectuation (1) », permet de bien décrire des phénomènes complexes et de clarifier le projet de formation de l’EM Strasbourg.

Qui est l’étudiant causal ?

L’étudiant (2) causal est un étudiant qui a une vision de sa formation très « prédictive » et très déterministe. C’est un étudiant, qui, au départ du cursus choisi, vise un diplôme et qui va s’organiser pour atteindre cet objectif. Sa vision de la formation est linéaire : il faut réussir sa première année pour passer en deuxième année, réussir la deuxième année pour passer en troisième année etc .. etc … C’est le schéma de toute l’éducation française dès l’école maternelle.

L’étudiant causal cherche à maximiser ses notes, avoir les meilleures notes pour certains, ou bien avoir la moyenne pour « passer ». Cela implique de savantes stratégies qui vont toucher à l’assiduité, la présence en cours, l’investissement dans le travail à fournir (seul ou en groupe), le choix des options, les choix des séjours à l’étranger, le choix des entreprises où effectuer les périodes de stage ou d’alternance ( La grande entreprise ? la PME ? l’industrie ? le service ? la durée du stage ? le poste ? …).

L’étudiant causal est celui qui a un « projet de carrière », mais c’est aussi celui qui n’en a pas et le vit comme un handicap car il « croit » à cette vision de la vie professionnelle. Il va aussi avoir comme caractéristiques de percevoir ses collègues comme des concurrents. Cette vision peut être amicale et affectueuse, mais  n’empêche pas que le collègue (et ami) soit perçu comme celui potentiellement en concurrence lors de choix importants : le stage, le séjour à l’étranger, l’opportunité d’une bourse …

« Consommer » du cours

Cet étudiant porte aussi en lui une conception d’un apprentissage très cadré : il faut « consommer » du cours et ingurgiter de l’information pour accroître le capital connaissance de façon cumulative. Le nombre d’heures en cours est donc un indice de performance et de qualité, même si la façon de les exploiter peut être très variable.

C’est en général cet étudiant causal qui arrive dans une business school, il y a évidemment des étudiants qui ne sont pas dans ce modèle, mais ils sont beaucoup plus rares, car le modèle même de la Grande Ecole attire par essence ces profils. Il n’y a aucun jugement de valeur dans ce constat, ces étudiants ont un fort potentiel intellectuel, envie de « réussir » leur vie, sont très positifs et très actifs. Ils ne sont tout simplement pas en phase avec le monde des entreprises tel qu’il a évolué ces dernières années.

Pour être en phase avec ces nouvelles attentes : l’étudiant causal doit devenir, au cours de ses 3 années (en moyenne) de formation, un étudiant effectual.

Qui est l’étudiant effectual ?

La vie des entreprises, à laquelle se destine le diplômé d’une Business School, se caractérise par une très grande complexité et beaucoup d’incertitude. Pour y réussir, la posture causale, prédictive, rationnelle ne peut être optimale. Elle est tout simplement illusoire. Il va falloir apprendre à adopter une autre posture, d’autres méthodes de travail et surtout une autre vision de la vie et de l’environnement, attitude qui relève de l’effectuation.

L’étudiant effectual est un étudiant qui raisonne en « pertes acceptables » plutôt qu’en « optimisation de gains ». Il va par exemple accepter de ne pas optimiser à tout prix son emploi du temps ou de choisir d’emblée la « bonne » option, il va choisir de faire des « détours » qu’il voit comme productifs, mais qui seraient une perte de temps aux yeux de l’étudiant causal.

Cet étudiant effectual va par exemple choisir un électif « théâtre » ou « philosophie » sans se concentrer exclusivement sur les enseignements de « cœur de métier » : marketing, finance ou informatique. Il est dans l’idée que tout peut l’enrichir. Cet étudiant peut  être vécu comme perturbateur car posant des questions pouvant être perçues comme déplacées, mais qui s’expliquent pas sa curiosité et son envie de comprendre.

L’oral est son royaume, contrairement à l’étudiant causal qui est plus à l’aise à l’écrit.

De la pratique à la connaissance

En matière d’apprentissage, l’étudiant effectual privilégie le mode « inductif », c’est-à-dire qu’il préfère partir de la pratique et des résultats pour revenir à la théorie et à la connaissance que d’attendre d’avoir fait le tour de la théorie pour appliquer.

Cette posture très pragmatique, qui accepte l’ »essai erreur », a longtemps été rejetée en France (même si elle a été aussi beaucoup critiquée et remise en cause régulièrement), mais beaucoup mieux acceptée par les pays anglo-saxons. On admet enfin, que les modalités d’apprentissage doivent être diversifiées et qu’il ne suffit pas d’être le « premier de la classe » pour réussir professionnellement. Cela bouscule énormément de schémas : la linéarité de la scolarité, les hiérarchies des matières, les habitudes d’enseignements… mais le temps fait son œuvre et les choses évoluent, remettant en question le « prêt à enseigner ».

L’étudiant effectual cherche aussi les partenariats et les alliances plutôt que de voir les autres comme des concurrents potentiels. Le travail à plusieurs devient essentiel et l’apprentissage est collaboratif.

Un difficile désapprentissage en 3 années

Il va falloir « apprendre à désapprendre » pour « désapprendre à apprendre » comme on le faisait depuis le CP.

Ces changements ne se décrètent pas, d’autant plus qu’ils impliquent l’étudiant lui-même mais aussi son entourage qui, ayant été éduqué et formé selon d’autres modalités peut se montrer très critique. C’est ainsi que de nombreux parents trouvent que leurs fils ou leurs filles étudiantes  «ne travaillent pas assez ». Traduisez  : « Ils n’ont pas assez d’heures de cours ». Ou encore qu’ils  « perdent leur temps », à traduire par : « Ils s’occupent du week-end d’intégration ou d’une association ou d’une expo de peinture… au lieu d’aller en cours ».

Cet entourage peut aussi se montrer inquiet quant à des choix qu’implique cette nouvelle vision des études : pourquoi interrompre son cursus pour faire un tour du monde ? Pourquoi vouloir faire son année à l’étranger en Colombie ou au Kazakhstan quand l’Angleterre ou les Etats Unis sont plus accessibles ?

Changer en douceur

Il faut accepter que ces changements se fassent doucement, et nécessitent beaucoup de pédagogie pour être appropriés par ces étudiants et leurs familles. Or, trop de Business School, fortes de leur légitimité et de leurs propres certitudes, soucieuses de ne pas perdre le pas dans la course à l’innovation (ou peut être plutôt à la nouveauté), sont plus dans les effets d’annonce et l’imprécation que dans une démarche respectueuse de la chronobiologie de leurs étudiants. C’est ainsi qu’il faut faire du MOOC puis du SPOC, que le co-working est incontournable, que les tablettes sont les nouvelles tables sacrées de l’enseignant …

Ces discours forts et manquant de nuances, certes enthousiasment les déjà-convaincus, mais déstabilisent une grande majorité qui reste silencieuse et entre en résistance par inertie, car il n’est pas facile de s’élever contre la nouveauté quand on n’a pas forcément les codes, et qu’on risque d’être taxés de réfractaires au changement et donc à l’innovation.

Il me semble donc important de mettre à profit les 3 années (en moyenne) du cursus d’une Grande Ecole pour faire évoluer les étudiants en douceur, sans les mettre en difficulté, même s’il est aussi formateur d’avoir à affronter le défi de certains changements et de sortir de sa zone de confort.

Les choix de l’EM Strasbourg

Nous avons donc décidé à l’EM Strasbourg de ne pas bousculer trop les modalités d’apprentissage de première année : nous avons ainsi réintroduit de la culture générale, de la philosophie, des cours présentiels en langue à côté du CRL en auto-apprentissage…. C’est en  deuxième année que sont proposés le «  parcours associatif », les choix de parcours à la carte, l’année à l’étranger ou encore l’année professionnalisante, les « On site training days » (journées de co-working en entreprise)…

L’acculturation est là dès la première année avec les projets à mener pour les entreprises (action « Prospect act » en groupe et en exercice réel), la plateforme e-learning d’apprentissage aux 3 valeurs de l’école, ou encore la proposition de rejoindre la Ruche et son pré-incubateur de projets d’entreprises.

Un expert forme les enseignants

L’EM Strasbourg propose aussi la modularisation des cours avec des « tracks présentiels » (cours obligatoire et absence sanctionnée) et des « tracks à la présence optionnelle » (présence en cours facultative). Pour accompagner ces changements, un expert en éducation forme nos enseignants aux dernières modalités d’apprentissage et à la qualité de la formation qu’ils prodiguent : être plus proactif en cours, savoir animer un amphi, utiliser Internet dans ses enseignements … sont les thèmes de nos ateliers pédagogiques.

Nous misons aussi sur une pédagogie auprès des parents pour qu’ils comprennent mieux et s’approprient ces nouveaux styles d’apprentissage. Car, bien souvent, ces parents ont l’impression que leurs étudiants « ne font rien » parce qu’ils n’ont pas 40 heures de cours par semaine !

Enfin, et surtout, nous posons des mots sur les actions que nous menons et nous les intégrons toutes dans la même cohérence pédagogique. Faire un stage en entreprise, passer une année à l’étranger, suivre des cours en ligne, monter un projet d’association… ne doivent pas rester seulement des expériences stimulantes et réussies. Il faut les mettre en perspective pour comprendre les savoir, savoir-faire et savoir-être qu’elles forment. Sans un nécessaire  travail de réflexivité, l’étudiant ne comprend pas ce qu’il apprend, ne sait pas qu’il sait.

Un programme de développement personnel et professionnel

C’est donc grâce à un programme dit DPP (développement personnel et professionnel) animé par une équipe d’experts, que les étudiants vont peu à peu prendre conscience d’apprentissages insoupçonnés, ou savoir valoriser des compétences acquises au cours de « détours ».

Organiser un WEI (week-end d’intégration) ou une soirée de gala met en action des compétences de gestion de projets tout à fait transmissibles à d’autres secteurs d’activités ou d’autres projets. Faire vivre une association implique des savoir-faire commerciaux, de gestion, de management, certes acquis au jour le jour de façon empirique, mais qui, une fois mis au jour et valorisés, vont constituer un beau portefeuille de compétences. Il en va de même des séjours à l’étranger ou des périodes en entreprises.

L’école, avec l’ensemble de ses équipes (dans ces dispositifs, l’enseignant n’est plus le seul interlocuteur de l’étudiant), s’organise donc comme une véritable plateforme de conversion qui transforme tranquillement et sereinement un étudiant causal , brillant et fort de son capital connaissances en étudiant effectual, en mouvement, pourvu d’un portefeuille de compétences, et en phase avec les attentes des entreprises.

Quel que soit le profil à l’arrivée dans l’école, le rythme de désapprentissage et de réapprentissage de chacun doit être respecté. L’enjeu est de comprendre qui on est, de savoir de quoi on a envie, d’être conscient de son potentiel comme de ses limites et de mettre tout cela en cohérence. L’Ecole de management de Strasbourg conçoit cet accompagnement comme central.

Petite illustration avec… les personnages de Games of Thrones

La saga de Games of Thrones est une excellente illustration de ce qu’est une personne causale et une personne qui évolue de façon effectuale.

Les «purs  causaux ». Rationnels, rivés sur leurs objectifs, ils voient le monde comme leur propriété et les autres comme des instruments de leur destin personnel.
  • Daenerys est une très jeune fille au début de la saga. Elle a à affronter des évènements extrêmement violents dont la découverte de la trahison de son frère, qui seront fondateurs d’une quête foncièrement causale. Elle se donne pour objectif de s’asseoir sur le Trône de Fer, et met tout en œuvre pour réussir cet objectif. Elle va suivre un chemin rectiligne, allant de conquête en conquête, considérant tous ceux qui ne sont pas ses alliés déclarés comme des ennemis. Elle réquisitionne toutes les ressources des lieux où elle passe pour les mettre au service de son projet : c’est le cas des Immaculés comme des Puinés.
  • Les Lannister ont en commun d’être des purs causaux au début du récit. Leur avenir est dessiné et se caractérise par une forte certitude. Ils sont des héritiers incontestables, avec la puissance et les moyens financiers qui assurent la pérennité de cette puissance. Au fur et à mesure des évènements, cette certitude va être ébranlée et, chacun à sa façon devra modifier son rapport à la vie. Certains ne comprendront rien au monde qui change autour d’eux. C’est le cas de Joffrey ou, dans une moindre mesure de sa mère Cersei, tous deux restent dans une vision obstinée de leur destinée, détruisant systématiquement tout ce qui peut entraver son déroulement.
  • Si Joffrey est dans un aveuglement pathologique, sa mère Cersei pratique des manœuvres tacticiennes, sans changer sa vision du monde, accablée par un destin qu’elle ne pense pouvoir changer, corsetée dans son rôle de femme révoltée par la soumission à laquelle on l’a contraint, mais restant profondément au service d’une reproduction sociale que ne démentirait par Bourdieu.
Les causaux qui deviennent effectuaux . Ils apprennent à voir le monde qui les entourent comme une source d’opportunité et d’apprentissages.
  • Jamie Lannister, s’il partage au départ cette vision d’un destin tracé, prêt à tout, même aux pires transgressions (comme l’inceste) pour l’assurer, va peu à peu évoluer dans son rapport au monde. Ses mois d’enfermement, des rencontres pour le moins improbables comme la femme chevalier Brienne de Thorte (elle-même très causale), sa mutilation (sa main droite est sectionnée lui faisant perdre tout son avantage physique) vont l’amener à adopter une posture plus effectuale. Ses ressources physiques sont limitées, son statut est érodé (il n’est plus crédible en garde royal), ses soutiens (son père, sa sœur) se dérobent … il doit apprendre à s’ouvrir puis à faire confiance à d’autres personnes, il doit apprendre à raisonner à partir de ses capacités qui ne sont plus « no limit ». Cette capacité à comprendre cette nouvelle donne va le conduire à porter un regard curieux, puis bienveillant sur des personnes pour lesquelles il n’avait avant que le plus profond dédain.
  • Les enfants Starck se trouvent aussi dans cette évolution, très rapidement, la sécurité de Winterfeld et de parents unis et rassurants disparait. Tous se retrouvent confrontés à l’effondrement de leur monde et chacun va conduire sa destinée à sa façon.
  • Robb, l’ainé va rester dans une attitude très causale, animé par son destin d’héritier, qu’il vit de façon sacrificielle. Ses frères et sœurs vont, eux, investir un comportement effectual, avec des nuances, ainsi Sansa est en mode réactif et d’hyper adaptation aux contraintes et aux agressions qu’elle subit. Bran, de par son handicap (il devient paraplégique suite à une chute) va porter un regard différent sur le monde (en l’occurrence mystique) et y voir tout à fait autre chose.
  • C’est Arya qui incarne la personne la plus effectuale de Games of Thrones : dès le départ (et avant les drames qui touchent sa famille) elle est mue par une envie de changement, que ce soit sa condition de fille dans un monde masculin ou ensuite les injustices qu’elle veut punir  et les hiérarchies qu’elle veut bousculer. Elle regarde le monde comme une source continue d’apprentissages qu’il s’agisse de ses leçons d’escrime, de la façon dont on peut éliminer un ennemi… ou chasser et cuisiner du gibier. Le dénominateur commun de ces frères et sœurs est leur immense résilience, leur capacité d’apprentissage, leur habileté à exploiter leurs ressources pour avancer, en renonçant à atteindre d’emblée un but ambitieux.

Décidemment, dans le royaume des 7 couronnes, avec le chaos et l’immense incertitude qui le caractérise, la prime est à l’attitude effectuale, le monde que nous partageons en cette deuxième décennie du XXIème siècle est-il si différent ?


(1) L’effectuation trouve son origine dans les travaux de recherche menés par Sara Sarasvathy (sous la direction d’Herbert Simon), jeune doctorante d’origine indienne, ancienne entrepreneuse. A la fin des années 1990, Sarasvathy cherche à comprendre comment les entrepreneurs raisonnent et agissent dans leur démarche de création. Elle met en évidence deux logiques de raisonnement : la logique causale et la logique qu’elle nomme « effectuale ».

(2) Nous emploierons le masculin pour ne pas alourdir notre propos, mais cet étudiant inclut bien sûr toutes les étudiantes qu’elles soient causales ou effectuales.