Il y a quelques jours, l’EM Strasbourg a accueilli l’Université d’été du Medef en Alsace sur le thème de la « Fierté ». Ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à ce sentiment, assez mal compris et finalement assez peu partagé en France, patrie de l’autocritique et de l’autoflagellation.
Pourquoi débattre de la fierté ?
Il y a un an, quelques jours avant la réunion qui devait choisir le thème de cette Université d’été, je traversais l’esplanade du Trocadéro à Paris, parmi une foule dense et cosmopolite. Des milliers de personnes venant des quatre coins du monde se croisent tous les jours dans ce lieu, et, vous l’ignorez peut être, marchent sur des dalles où sont gravés les premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le premier étant :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité »
Je connaissais bien le tailleur de pierres, maintenant décédé, qui a gravé ces mots. Tailleur de pierre de père en fils, il m’a toujours dit sa fierté de faire ce métier, et il avait été tout particulièrement fier d’avoir été choisi pour graver ces mots initiateurs des Droits de l’Homme au Trocadéro. Il ne gagnait pas très bien sa vie mais il était fier de son métier, fier de ses œuvres, fier de laisser une trace aux yeux de tous de son art.
Je me suis alors posée la question. Sommes-nous tous ainsi fiers de ce que nous faisons, fiers de ce que nous sommes ?
Qu’est-ce que la fierté ?
L’étymologie nous donne trois pistes intéressantes à explorer :
- L’origine latine du verbe fidere qui a permis de décliner tous les mots français autour de la confiance : se fier à, se confier;
- Le détour anglais par l’anglais : en effet, le mot pride (confiance en anglais) vient du vieux français « preux », synonyme de « courageux ». Il me semble que cette alliance de la confiance et du courage renvoie bien aux bonnes pratiques du management. Elle est une excellente raison de revendiquer la fierté d’être manager ou entrepreneur;
- Il existe une troisième origine : le mot latin ferus qui signifie « farouche », « sauvage », et qui renvoie à une face plus obscure de la fierté, quand elle décrit une personne réservée, peu accessible, voire même susceptible, et attestant d’une haute opinion de sa valeur. Cette fierté-là confine à l’orgueil. Si la fierté est un sentiment noble qui permet d’avancer avec assurance dans la vie, sans avoir à se mesurer aux autres, ni à les rabaisser, l’orgueil exprime « le mépris de tout, sauf de soi-même », selon le philosophe Théophraste.
Ce lien avec l’orgueil explique certainement cette méfiance pour la fierté que nous avons dans le contexte culturel français. L’orgueil est en effet, dans la religion catholique, un péché capital, puisqu’il exprime du mépris pour les autres, et par là-même pour la création divine et pour Dieu. La culture judéo-chrétienne prône plutôt l’humilité et son expression directe qu’est la modestie. L’humilité, qui est la qualité de se voir de façon réaliste, ne s’oppose pas à la fierté. Au contraire, une personne peut être fière de ce qu’elle a fait, parce qu’elle possède suffisamment d’humilité pour évaluer les efforts qu’elle a dû fournir pour y arriver.
Soyons donc fiers, loin de tout orgueil.
De quoi pouvons-nous être fiers ?
- Être fiers de ce que nous sommes, même si nous n’y sommes pas toujours pour grand-chose quand il s’agit d’être fier d’être Français ou bien fier d’être Alsacien;
- Être fiers de ce que d’autres font pour nous, en tant que communauté : ainsi nous pouvons être fiers de nos champions sportifs même si nous ne sommes pas sur le tatami ou dans le bassin olympique avec eux;
- Être fiers de ce que nous faisons indirectement, fiers de nos enfants, fiers de nos collaborateurs, comme des salariés peuvent être fiers de leur entreprise;
- Et enfin, être fiers de ce que nous réalisons, d’autant plus fiers qu’il y a des difficultés, des défis à relever. La fierté renvoie alors au mérite. C’est là que s’exprime véritablement la fierté : celle qui est lié au mérite, mérite d’avoir réussi, d’être devenu ce que nous sommes, d’avoir contribué à des succès partagé.
Être fier de ses échecs
Un sujet tout à fait intéressant, et longuement débattu lors de l’Université d’été du Medef alsacien, a été l’échec. En effet, le parcours de toute vie, est semé de réussites mais aussi, bien souvent, d’échecs. Or, le rapport à l’échec en France est complexe. En effet, l’échec est souvent assimilé à la faute.
Rappelons-nous : dès notre plus tendre enfance, on ne nous corrige pas des erreurs d’orthographe mais des « fautes » d’orthographe… Au square, les parents américains poussent leurs enfants à grimper aux structures de jeux, les parents français menacent les leurs de la chute. Cela crée indéniablement des repères pérennes.
Il a beaucoup été rappelé que dans d’autres cultures, particulièrement aux Etats-Unis, l’échec est vu comme une façon d’apprendre. Un entrepreneur nous a raconté que, lors de son premier voyage d’affaires aux Etats-Unis, ses interlocuteurs lui avaient demandé combien de fois il s’était « planté », et que sa réponse « zéro fois » le rendait suspect à leurs yeux.
Les témoignages ont été nombreux, de managers comme de politiques, du sentiment de honte ou de l’humiliation vécus lors d’échecs. Ils ont aussi raconté le regard posé sur eux, par leur entourage ou leurs pairs qui les « jugeaient » comme des perdants ou des incapables, au lieu de voir dans cet échec, le projet, l’envie de faire, et toute l’énergie et l’intelligence mobilisées.
Il y a vraiment, en France, un travail à faire, individuel et collectif, sur cette notion d’échec. Nous devons considérer qu’échouer est un socle d’apprentissage extraordinaire. Au lieu d’essayer d’oublier ou de camoufler l’échec, il faut être fier d’avoir tenté, d’avoir relevé le défi qui a été à son origine. Il faut apprendre à apprendre de ses échecs et de ses erreurs, pour ne pas les renouveler, ou pour redémarrer dans des conditions plus favorables.
Le rôle des écoles de management
Les écoles de management ont un rôle essentiel dans ce rapport à l’échec. Des enseignements sur la faillite d’entreprise, sur la gestion de crise, sur la façon dont on mène des fermetures de site… doivent être aussi naturels que ceux qui promeuvent des projets vertueux.
Des témoignages de chefs d’entreprises comme nous en avons reçus à l’Université du Medef à l’EM Strasbourg sont aussi à privilégier. Il n’est plus possible de camoufler ce qui, il y a peu encore, était une honte. On n’est pas un perdant quand on a dû mettre fin à une aventure managériale ou entrepreneuriale. Le savoir-faire du diagnostic lucide contribue aussi à cette construction d’une posture positive.
C’est aussi une culture à apporter sur l’apprentissage par l’erreur. La capacité à la prise de risque est indissociable d’autres apprentissages du management, et, comme beaucoup, elle n’est pas innée mais s’éduque. Aux Business Schools d’être les moteurs de cette formation.
Du sentiment individuel à la fierté du collectif
Un des défis du manager est de diffuser ce sentiment de fierté à toutes les personnes avec qui il travaille, de passer de l’individuel au collectif. La fierté rejoint alors la notion d’appartenance à un groupe, que connaissent bien les sportifs. Il faut alors promouvoir le collectif, mais le faire dans le respect de chacune des personnes qui le constituent.
Cette fierté de collaborer à une entreprise est intimement liée au bien-être au travail, et constitue une des conditions de la performance.
D’autres ressorts de l’entreprise comme la créativité et l’innovation sont en lien avec la fierté, dans le sens où se crée un cercle vertueux. En effet, la fierté, par la confiance en soi qu’elle autorise, facilite le chemin de la réussite, et la réussite donne un sentiment de fierté, fierté d’avoir passé les obstacles, fierté du travail bien fait. Le contexte est alors beaucoup plus porteur pour créer et innnover.
L’essence du management est de donner du sens aux missions des personnes pour collaborer ensemble à la réussite de projets communs. La fierté constitue un ciment indispensable de l’acte managérial.
Fier d’être manager, fier d’être entrepreneur
Toutes les conditions sont réunies pour être fier d’être manager, fier d’être entrepreneur, et ce, de façon complètement légitime. Les défis relevés, les difficultés affrontées sont autant de raisons qui façonnent au quotidien le mérite de la réussite de l’entrepreneur comme du manager. Ses échecs et ses erreurs, s’il les admet et en fait quelque chose pour progresser encore, participent de ce même mérite.
Il y a tout lieu pour les entrepreneurs et les manageurs français d’être fiers, fiers de leurs réalisations, fiers de leurs entreprises, fiers de leurs collaborateurs. A leur façon, ils gravent les mots de la liberté et de la dignité au fronton de leurs entreprises, en écho à ceux qui le sont sur le parvis du Trocadéro.
Quelle différence voyez vous entre la « fierté » (décrite ci dessus) et la « reconnaissance » ?
Je partage entièrement vos propos, à condition que cette fierté ne soit pas gérée par l’égo, par l’interet personnel et « individuel ».
Au contraire, cette fierté devrait répondre aux sentiments (à ce que l’on ressent intérieurement), et être source de synergies, d’écoute, de partage, d’épanouissement.
« Reconnaître » et « accepter » ce qui est, et l’utiliser à bon escient, en toute fierté.
Concernant les erreurs, vous avez entièrement raison. Certains disent : c’est en faisant des erreurs que l’on évolue. Cette vision est mal perçue dans notre société, malheureusement.
Merci pour ce billet qui me rappelle l’expérience de mes voyages de jeunesse qui m’avaient fait rencontrer d’autres jeunes d’autres pays, et particulièrement de pays en conflit d’identité, et j’avais été frappé de ce que jamais ces conflits n’altèrent leur fierté, et je ne parle pas ici de fierté partisane ou nationaliste. Je me souviens par exemple d’un jeune sud-africain noir de Soweto. Pour lui la RSA avait un immense problème à résoudre, mais il était sud-africain sans réserve. Et entendre dans la même soirée un français s’épancher sur le « système », la « société », les autres finalement dont il se désolidarisait, me laissait perplexe. Comme si on ne pouvait pas aborder une difficulté (ou même souvent un simple désagrément) sans en rendre responsable tous les autres sauf soi. Ce sont des souvenirs déjà un peu anciens, mais malheureusement, il me semble que cette attitude perdure, particulièrement lorsque la France décrit ses difficultés et se compare à d’autres pays.
Merci beaucoup Olivier pour ce témoignage, tellement vrai.
Oui, c’est un peu notre mentalité…pas uniquement en France.
Oui, malheureusement, de nombreuses personnes critiquent trop facilement les autres.
Probablement une « fierté » égoiste, qui empêche toute « évolution constructive ».
Probablement une manière de se rassurer (de rassurer son égo).
Peut être une peur de « perdre les commandes »?
Peut être un besoin de « reconnaissance » et de « respect » des autres, en exprimant le problème, sans s’impliquer ?
En quelque sorte, ces personnes ne regardent pas la réalité « en face », mais cachent les difficultés derrière les problèmes des autres. Dommage.
D’une certaine manière, je me fais beaucoup de soucis pour ces personnes. Si elles ne respectent pas les autres (en les critiquant), elles ne se respectent pas elles mêmes.
Et, dans ce cas, un dialogue est pratiquement impossible.
Une forme de « JE+ / TU- » de l’analyse transactionnelle ; une forme de domination, pour « dominer » le problème…mais pas forcément pour le résoudre.
C’est pour cela que, la « fierté » que je lis au travers des propos d’Isabelle Barth se réfère plutôt à l’acceptation et au respect de soi même, de sa formation, de ses connaissances.
Et ainsi, cet individu sera « à même » d’accepter, de respecter l’autre, et de l’aider à s’épanouir. Et cela fait tellement de bien, n’est ce pas ?