Cracking the management code

Archive mensuelles: septembre 2015

« J’ai fait un rêve » : Un monde où chacun avait un Bac + 5

J’ai fait un rêve étrange…

Il y a quelques jours, j’ai fait un rêve étrange. Comme souvent, je n’en ai que des réminiscences qui présentent de nombreuses lacunes, et comme tous les rêves, il est plein d’incohérences et d’irrationalité.

Ce rêve se passait en France, j’en suis certaine, et à une époque que je situerais vers 2025, mais c’était peut-être un peu avant ou après, c’est compliqué à affirmer.

J’évoluais donc dans une société où tout le monde, absolument tout le monde était diplômé bac + 5.  J’assistais à une réunion de crise, plus qu’une réunion, un colloque, un sommet, qui se déroulait au Parlement européen de Strasbourg, car le sujet semblait s’étendre au-delà de nos frontières.

L’assemblée était constituée essentiellement de chefs d’entreprises, d’universitaires et d’autres experts qui se demandaient comment gérer un marché de l’emploi où tous les candidats faisaient valoir invariablement un diplôme bac + 5, qui s’appelait « Master ».

Comment en étions nous arrivés là ?

Les chefs d’entreprises et autres consultants en recrutement étaient d’accord sur un point : le monde universitaire avait failli dans sa tâche en laissant se créer une telle dérive qui défiait le plus simple bon sens. Comment croire que toutes les compétences se valaient ?

Ce à quoi quelques universitaires répondaient que non seulement, ils s’étaient «battus pour éviter cette situation » mais qu’ils avaient « prédit avec des études projectives cette nouvelle donne avec beaucoup de précision et d’anticipation ». Finalement, tout le monde se mit d’accord pour rendre les politiques de l’époque responsables, mais comme ils n’étaient pas présents et, pour beaucoup, plus au pouvoir, les discussions s’enlisèrent.

A un moment, il me semble qu’on s’interrogea sur le process « Tous bac + 5 », mais j’avoue en garder un souvenir incertain, une superposition de plusieurs images. La première est celle d’une université où les enseignants en toges se promenaient dans les jardins et les couloirs, tout sourires, l’air léger, heureux de ne plus avoir à gérer d’examens, concevoir de sujets de contrôles, corriger des centaines de copies ou subir des sessions d’oraux de rattrapage. Délivrés qu’ils étaient d’avoir à organiser la validation de connaissances puisque le passage à l’année supérieure était acquis.

Une durée d’études personnalisée

Une autre image, tout aussi confuse et irréaliste se superpose. Celle d’une université où chaque bachelier est accueilli et orienté sur la base de ses connaissances et de son projet, puis accompagné pendant cinq ans dans la progression de ses acquisitions, avec une équipe multidisciplinaire d’enseignants, mais aussi de professionnels et de coachs. Chaque étudiant peut mobiliser des outils de formation qui vont de la classe, lieu de socialisation, au MOOC, SPOC, tutorats individuels, assistance en ligne 24h/24 et bien sûr toute la palette de la professionnalisation avec des séjours en entreprise à la carte. Dans cet univers, la notion de Bac + 5 ne renvoie plus à une durée d’études, qui n’a plus aucun sens, mais à un niveau de connaissance qu’on acquiert sur une durée personnalisée. Certains ont leur master au bout de 2 ans, d’autres au bout de 5 ou 7 ans.

Par honnêteté, je dois préciser que je ne me souviens pas d’avoir vu les locaux d’une université ou école de ma connaissance, mais que les bâtiments et les lieux dont j’ai le souvenir étaient beaux, ergonomiques, propres et accueillants.

Dans un monde où tout est bleu, le bleu n’existe plus

A un moment du colloque, un grand universitaire cita la phrase célèbre de Benjamin Lee Whorf  : « Dans un monde où tout est bleu, le bleu n’existe plus », pour illustrer le fait que tous les diplômes étant Bac + 5 de façon uniforme, la notion de diplôme n’avait plus de sens pour les recruteurs.

Cette phrase eut beaucoup de résonance et tout le monde y alla de son interpellation : « Une entreprise a besoin de soldats, pas que de généraux ! », « Comment recrute-t-on si tous les CV sont les mêmes ? », « Y a-t-il des masters plus égaux que d’autres ? », « Toutes nos grilles de salaires sont basées sur le niveau de diplômes, on fait comment ? », « Notre convention collective a comme base le niveau de formation, on peut la remettre en question ?»  ….

Les questions fusaient et je ne saurais toutes les rapporter, mais l’ambiance était électrique.

Des masters « rouges » et des masters « bleus »

Lors d’un colloque précédent, il avait été décidé et validé par les instances politiques qu’il fallait classer les masters en rouge et bleu. Les rouges étaient ceux avec lesquels il ne fallait pas transiger et pour lesquels la sélection était non seulement possible mais salutaire. Cela concernait tous les masters ou équivalent en médecine, en informatique, en physique, en biologie …

La liste avait l’air fort longue mais je compris quand un intervenant résuma les choses lapidairement. Il y avait depuis la nuit des temps les disciplines «dures » et les sciences « molles ». Le bleu concernait les sciences « molles ». « D’ailleurs, rappela-t-il savamment, quand les vraies remises en cause commencèrent au milieu de la décennie 10, les contestations ne concernaient aucunement la médecine ou la physique nucléaire, mais bien le droit, l’économie, la gestion ou les sciences humaines … Dont acte ! ».

La journée portait donc bien sur les « masters mous », et la question centrale était de distinguer leur qualité, c’est-à-dire la façon dont, en tant que diplômes, ils garantissaient un passeport de compétences de qualité pour les futurs employeurs.

Qu’est ce qui certifiait le niveau du « séjour » (apparemment le mot « étude » ou « cursus » était banni) universitaire ? Et des acquis alors que tout le monde pouvait faire valoir un, deux, trois masters ou plus ? Sans ces repères si anciens, le monde du travail se retrouvait en grande difficulté.

Comment sortir de l’océan bleu ?

La première suggestion porta sur les nuances de couleurs : on pouvait peut être imaginer des masters bleus clairs et des masters bleus foncés ? Les idées fusèrent : bleu indigo, bleu outremer, bleu France ??? Quelqu’un proposa même le master violet, arguant du mélange bleu et rouge !

Finalement la décision fut prise d’organiser une journée d’échanges sur ce thème et d’inviter des artistes peintres à clarifier cette question de hiérarchie des couleurs.

Un autre atelier portait sur des témoignages d’entreprises à propos d’actions mises en place pour y voir plus clair dans ce maquis du master. Je me souviens d’un « tour d’Europe » des masters, qui reprenait le tour de France des Compagnons du devoir : les diplômés allaient d’entreprise en entreprise, de pays en pays (32 pays européens à ce moment-là) pour tester leurs compétences en action. Mais cela semblait bien long et bien cher à tous, avec beaucoup d’abandons.

Un troisième atelier suggéra de faire des classements des universités ou des écoles accueillant les masters, comme il y en avait dans les années 1990 à 2015. Mais ce fut vite un tollé : outre le fait que ces classements avaient été largement remis en cause, on rappela que deux journalistes avaient récemment été hués par une foule de bloggeurs en colère, car ils avaient osé remettre en cause le master journalisme en postant une vidéo titrée : « Le master journalisme offert aux bloggeurs au bout de 5 tweets ? »

Du rêve au cauchemar

Soudain, ce rêve étrange se transforma en cauchemar : un universitaire émérite, ancien président de COMUE dans les années 10 avait mis le feu à sa robe universitaire en pleine estrade et ainsi brûlé une partie de sa chevelure… Pourquoi ? Parce qu’un groupe de pression manifestait pour l’accès sans sélection au doctorat. Visiblement, seuls 76,67 % des masters pouvaient devenir docteurs, ce qui était une honte et une vraie discrimination ! « Tous docteurs ! » criait la foule en colère, indifférente aux cris de douleurs (morales) de cet honorable universitaire !

Mon voisin souffla : « Est-ce qu’il aurait mieux maîtrisé son geste avec un Master d’incenditologie ? » Mention nouvellement créée en 1599ème section dite de «maîtrise des gestes du feu », si j’ai bien compris.

Projet d’émission « Master survival »

Vers la fin il me semble, mon rêve accéléra pour devenir plus confus encore.

Un groupe d’experts travaillait à une émission omnicanal type Master Chef, avec un jury qui déciderait de la qualité des masters d’une université ou d’une école en fonction de la réussite d’un de leur champion. On avait bien eu The Voice, Star Ac, Le meilleur pâtissier… pourquoi pas Master Survival ? Ou Cauchemar en Master ? Ou Le dernier des Masters ?

Les noms de Laurence Boccolini, ou de Cyril Hanouna furent prononcés pour le jury, d’autant que ce dernier cumulait maintenant trois masters dont le tout dernier en rigologie. L’idée que le public soit le juge ultime plaisait beaucoup. C’est ma dernière image de cet atelier.

Plus j’avançais dans la foule, plus les idées étaient folles : un chef d’entreprise exigeait le certificat d’études, l’autre faisait faire les thèmes astraux des candidats, le troisième avait créé sa propre école de masters maison… Back to the future !

Une botte secrète

Dans les ultimes instants de ce rêve, j’assistai à un échange entre deux responsables Ressources humaines. L’un disait à l’autre : « J’ai ma botte secrète,  mais j’évite d’en parler… », « Laquelle ? », demandait son interlocuteur, piqué au vif. « C’est la HDR (habilitation à diriger des recherches), le diplôme à bac +12, encore après le doctorat. Je ne recrute plus que ça : pas trop jeunes, un peu trop intellos… mais je leur fais faire du macramé ou du Mako moulage pour les ramener un peu sur terre. Et même avec ça, j’ai 2 ou 3 ans d’avance, pas plus… par les temps qui courent », souffla-t-il.

« – Vous me laissez votre carte de visite numérique ?

– Volontiers, je vous l’envoie par wetransfer ? Elle dépasse les 12 giga-octets depuis mon dernier diplôme »

Je me réveillai.

Décidément, un rêve bien étrange…

 

Réinventer le dialogue

Lors de l’Université du MEDEF en Alsace qui s’est tenue à l’EM Strasbourg le 4 Septembre, il a été débattu du « dialogue » dans tous ses états. Vues et entendues, les citations et situations ci-dessous vous donneront un aperçu de cette Université d’été 2015.

ENTENDU  « Le top down n’existe pas sur Internet, c’est le grand changement du dialogue ! »
VU: les frères Bogdanoff acceptant avec une immense gentillesse d’être pris en photo avec l’université entière
ENTENDU  « On peut apprendre des choses par les syndicalistes dans le dialogue social »
ENTENDU  « Bien dialoguer nécessite des accords de méthodes »
ENTENDU  « Il n’y a  plus de dialogue entre ceux qui font les lois (la technostructure) et ceux qui les appliquent (les entrepreneurs) »
VU : des managers dialoguer avec des professeurs et des professeurs dialoguer avec des professeurs
ENTENDU : « Le code du travail porte en lui les germes d’un dialogue conflictuel »
ENTENDU : « La publicité ne colle pas avec Internet »
VU : un rabbin, un musulman et un protestant échanger longuement sur la blanquette de veau
ENTENDU  « Le dialogue social s’est cristallisé, il faut changer de modèle et arrêter avec les rustines »
ENTENDU  « Nous devons acquérir une maturité numérique : nos données qui sont vendues fort chères nous appartiennent »
ENTENDU  « Il faut proposer de réfléchir à l’intérêt supérieur de l’entreprise plutôt que supposer l’affrontement salariés/direction »
ENTENDU «  Il y a un moment en management où on renonce à l’intérêt individuel pour aller vers l’intérêt collectif »
VU : l’ex-assistante d’un grand humoriste dire qu’elle cherchait du travail à un amphi de chefs d’entreprise
ENTENDU : « L’entreprise n’est plus motivante, les gens vivent chez eux avec la télé couleur haute définition, ils se retrouvent en entreprise avec la télé noir et blanc »
ENTENDU : « Les leaders savent se connecter aux besoins de la société »
ENTENDU : « Le dialogue social peut être une véritable richesse si on écoute »
VU : des gens rire, se lever, interpeller …
ENTENDU : « L’émotion prépare l’action : s’émouvoir, c’est se mouvoir »
ENTENDU : « L’idée du patron, c’est jamais la vôtre »
ENTENDU : « Avoir de la gratitude pour le passé, de l’engagement pour le présent, être motivé pour le futur »
VU : des élus politiques de gauche, du centre et de droite dialoguer avec des patrons
ENTENDU : « Laissez-nous bosser ! »
ENTENDU : « L’excès d’information appauvrit la communication »
ENTENDU : « Avec des parents sourds, il n’y a pas de dialogue, mais on se comprend »
ENTENDU : « Dans le dialogue, l’écoute est fondamentale »
ENTENDU : « Les SMS, en négociation, c’est très compliqué, car c’est du dialogue différé »
VU : deux femmes sur l’ensemble des intervenants
ENTENDU : « La maladie de la petite phrase ! »
ENTENDU : « Le vrai langage universel, ce sont les mathématiques »
ENTENDU : « Les entrepreneurs sont les héros des temps modernes »
ENTENDU : « Quand vous avez réussi en France,
vous pouvez réussir partout ! »

ENTENDU : « C’est quand on a réussi en Russie qu’on peut réussir partout ! »
ENTENDU : « L’entreprise n’est pas à gauche, l’entreprise n’est pas à droite »
ENTENDU : « Sortir du cercle : contrôle-contrainte-inspecteur-sanction-démotivation »
ENTENDU : Verlaine a dit : « Si on jugeait les gens à leurs amis, Judas serait un type très bien »
ENTENDU : « Dans le dialogue social, on a que ce qu’on mérite ! »
VU : un patron des patrons hyper-motivé
ENTENDU : « Ceux qui définissent les normes sociales n’ont jamais pris de risques personnels »
ENTENDU : « Les lois religieuses passent après l’intérêt vital des personnes »
ENTENDU : « Choisir le dialogue, cela veut dire aussi éviter les deux extrêmes que sont le monologue et la guerre » citation de Todorov
ENTENDU : « Nous nous interdisons de prendre des décisions importantes par mail »
VU : plus de 600 chefs d’entreprise à l’EM Strasbourg !

Logos, blogs et blabla

Cette année, le dialogue a été choisi comme thème de réflexion et d’échanges pour l’Université d’été du MEDEF en Alsace. Ce sont plus de 600 chefs d’entreprise qui pourront ainsi échanger avec des experts, des intellectuels, des politiques, et porter des regards croisés sur cette notion. Pourquoi questionner ou re-questionner cette idée du dialogue en 2015 ? Pourquoi avoir choisi ce thème qui paraît bien usé, particulièrement dans l’entreprise ? Quels enjeux y a-t-il à le revisiter ? Je dirais que l’année 2015 est l’année où il fallait justement réfléchir au dialogue et cela pour quatre raisons :

1/ Le dialogue, c’est compliqué et cher, mais essayez sans !

Si on reprend la base, dialoguer vient du grec dia (à travers, entre) et logos (la parole). Dialoguer, c’est donc échanger des paroles entre individus. Le nuage sémantique du dialogue convoque des mots, comme conversation, discussion, négociation, débat … L’idée est toujours la même : des personnes sont amenées à échanger des idées, des convictions, des croyances, des opinions pour mieux se connaître, pour trouver des solutions, résoudre un conflit … ou encore pour le simple plaisir de l’échange. Le principe de l’échange est en effet au centre du dialogue, et implique une vision simple mais forte et essentielle : on reconnaît l’autre, on le perçoit comme une personne à part entière. Le dialogue peut être houleux, conflictuel, violent, contraint, factice, mais, s’il existe, c’est que des hommes et des femmes ont accepté de se mettre autour d’une table pour échanger des mots, même en prenant le risque que ces mots soient désagréables à entendre.

On l’entraperçoit déjà, le dialogue a un coût : un coût financier quand il s’agit d’organiser des conférences de crise ou de paix, selon ; ou bien encore des forums autour de l’environnement, ou tout simplement des réunions dans l’entreprise mobilisant des représentants des syndicats ou d’associations. Le coût porte alors sur les conditions matérielles et aussi sur les heures passées à ce dialogue, et qui seront autant de temps retiré aux missions des acteurs du dialogue. Il a aussi un coût psychologique : il existe en effet toujours un pari dans le dialogue, il faut accepter de prendre le risque que ce dialogue échoue et ne mène nulle part, voire pire, réveille des douleurs, des peines, des haines qui étaient latentes ou éteintes jusque-là. Il peut y avoir enfin un coût physique. Certains dialogues, par leur longueur, par les conditions imposées, par la détérioration des relations, peuvent conduire à la fatigue physique et psychique, voire à la mise en danger des parties en présence. Mais il faut bien comprendre que la violence physique porte en elle la rupture du dialogue.

Si le dialogue coûte cher, son absence et son refus coûtent encore davantage à la société. La guerre, le terrorisme, les attentats, les coups … sont l’expression de la négation du dialogue. Les Hommes ne se reconnaissent plus comme Hommes et frappent avec des arsenaux répressifs qui peuvent aller jusqu’aux armes létales.

Certes, le dialogue coûte, il coûte dans sa chair, dans son orgueil, dans son portefeuille, mais essayez un monde sans dialogue et vous aurez Daech, les attentats de Charlie, la haine et la peur parce que la reconnaissance de l’autre que porte l’échange par la parole est alors niée.

2/ Sortons des vieilles lunes : le dialogue dans l’entreprise ne se limite pas au dialogue social

Si l’on prononce le mot dialogue en entreprise, vient immédiatement son épithète « social », avec ses relents de tractations, de discussions sans fin, de négociations au petit terme, dans une optique de jeu à somme nulle, où ce que gagne les uns, les autres l’auront perdu ! Ce dialogue social, si beau dans sa conception première, connaît de façon inéluctable une forme de rabougrissement, de repli sur soi, et se résume le plus souvent à un jeu de rôle entre experts : experts des relations sociales, que ce soit du côté direction de l’entreprise, ou de celui des représentations des salariés. Il n’y a pas grand-chose à défendre, et plus personne ne semble croire aux enjeux que portait cette idée à sa naissance en à la fin du XIXème siècle. Les salariés n’ont plus foi en les syndicats et préfèrent bien souvent mener ce dialogue par eux-mêmes, et les chefs d’entreprise le  vivent souvent comme une machine à faire perdre de la performance à l’entreprise.

L’idée est de se dire que le dialogue ne se limite pas à cet exercice de style bilatéral, mais qu’il est  maintenant partout dans l’entreprise. La vision d’une entreprise comme un acteur sociétal amène inéluctablement à l’idée de sa mise en dialogue avec l’ensemble de ses parties prenantes. Une source d’innovation pour l’entreprise est bien cette capacité à mener un dialogue en continu, et pas seulement institutionnalisé ou à des moments de crise ! Ainsi, voir le marché comme une conversation, et dialoguer avec ses clients, ses « lead users » est une façon de mieux connaître ses consommateurs et leurs attentes. Être en dialogue avec les institutions politiques d’une région est également une façon de créer des emplois, ou des zones de performance dans les territoires. Accepter le dialogue avec ses concurrents, au lieu de mener une guerre concurrentielle sans merci, est aussi une source de créativité.

Le dialogue est un défi pour le manager ! Il doit accepter de renoncer aux autres modalités de management que sont l’autorité ou la règle, qui toutes deux sont des façons de ne pas entrer en dialogue. Accepter le dialogue, c’est aussi renoncer à la fuite et au contournement en assumant la rencontre. On peut sans peine affirmer que le dialogue est la colonne vertébrale du management responsable, dialoguer c’est construire ensemble de la valeur  dans une perspective participative et contributive. C’est s’éloigner des visions managériales inspirées de conduites guerrières où le concurrent est un ennemi et le salarié un fantassin qui doit obéissance. Dialoguer, pour un manager, c’est prendre le risque d’être interpellé, mis en cause, rappelé à ses échecs ou inconduites, mais c’est aussi une façon de rebondir et de trouver des solutions innovantes et de faire quelque chose de ses erreurs.

3/ Pas de nostalgie, sachons passer du logo au blog

Déjà au XIXème siècle, de nombreux intellectuels se plaignaient de la montée en puissance de la presse qui, à leurs yeux, enterraient les conversations de salons. Ils mettaient aussi en garde contre les dangers de la démocratisation des débats, comme si seuls quelques esprits éclairés avaient droit aux échanges d’idées et de mots. Cela fait sourire, et pourtant nous observons aujourd’hui les mêmes peurs, les mêmes mises en gardes contre la disparition des grands media, presse, radio et télévision, au profit des sites web et des blogs !

En effet, les échanges de mots, de paroles et d’idées se perpétuent depuis que l’Homme est Homme, avec les outils du siècle. Au départ l’agora, avant-hier les salons ou la presse, hier la télévision et les sites d’information et aujourd’hui les blogs, Facebook, Twitter … qui sont autant de vecteurs d’idées et de propos. Ces nouveaux (jusqu’à quand ? ) outils sont bien sûr déroutants et, comme tout outil, porteurs de mauvais usages. Le risque majeur étant celui de la propagation sans fin d’opinions et de rumeurs non vérifiées. Mais il faut faire confiance, peu à peu de bonnes pratiques se mettent en place qui permettent aux véritables dialogues de s’instaurer. Ainsi, ces nouveaux outils sont de formidables vecteurs d’idées nouvelles et de liberté, comme on a pu l’observer pendant la montée en puissance des printemps arabes. Ils sont aussi des alliés puissants pour des populations opprimées comme les femmes en Afghanistan, ou encore le moyen de mettre au jour des scandales comme on a pu le mesurer avec Wikileaks.

Ne soyons pas dans la nostalgie. Les débats d’idées, les joutes oratoires, les échanges présentiels auront toujours droit de cité. Ils cohabitent maintenant avec les réseaux sociaux qui gazouillent d’une autre façon et  sur d’autres tons. L’objectif étant que tous ces dialogues soient capables de dialoguer entre eux pour éviter la cacophonie et construire une harmonie tonale plus forte qui ira jusqu’à tout un chacun, sans aucun laissé pour compte. Cet enjeu de réduire le bruit de fond, actuellement fort élevé compte tenu du nombre de personnes en présence dans ces vastes dialogues mondiaux, est d’importance. Le dialogue ne doit pas sombrer dans le blabla.

4/ Construire un management dialogal : le dialogue, ce n’est pas du blabla

Pour ne pas sombrer dans le café du commerce ou dans l’invective, pour ne pas perdre l’argumentation, la construction des hypothèses ou la description des conjectures, le dialogue doit se doter de règles.
Dans l’entreprise, dialoguer pour ne rien dire est une tactique dilatoire, destructrice de valeur. Il faut former des cadres qui vont se poser les bonnes questions :

– choix de la ou des langues – une seule langue commune ? le recours à des traductions ? Ou encore  le multilinguisme passif ?
– media employé – écrit ? oral ? virtuel ? présentiel ?
–  parties engagées – choix de représentants ? toutes les personnes concernées ?
– tempo – en continu ? fractionné ? rythme des échanges ? échéances ?
–  conduites à tenir – on se dit tout ? On instaure une puissance de modération ?
– à noter, une vigilance particulière pour les dialogues virtuels sur les réseaux sociaux, du fait de l’anonymat réel ou ressenti des acteurs des échanges
Ces cadres doivent être structurants pour le dialogue mais peuvent aussi  constituer les modalités premières du dialogue. Réfléchir à comment l’on va dialoguer, c’est déjà du dialogue !

Appelons de nos vœux un management dialogal, c’est-à-dire un management qui reconnaît l’autre, l’écoute, et cherche à construire de la valeur à partir des idées de toutes les parties engagées dans ce dialogue. Il s’agit bien de sans cesse réinventer le dialogue, non pas dans ses principes, mais dans ses modalités pour qu’il continue à être une des bases de nos sociétés, et plus particulièrement une source d’innovation et de mieux-être dans nos entreprises.

Mon prochain post fera une synthèse des échanges, débats et dialogues lors de cette Université d’été du MEDEF Alsace 2015.