Cracking the management code

#EducationDay | Faut-il éplucher ou épeler l’artichaut ?

Il y a quelques temps, un directeur  de business school m’a rapporté une anecdote savoureuse et édifiante. Au cours d’un débat où il mettait en avant l’enjeu pour une école de management de former des managers ouverts et intelligents et d’insérer dans le monde du travail des têtes bien faites, un chef d’entreprise élu consulaire l’a pris à parti avec cette réplique géniale : « Moi, s’il faut choisir entre un cuisinier qui sait éplucher un artichaut et celui qui sait épeler artichaut, je choisis sans hésitation celui qui sait l’éplucher ! ». Préférer la pratique à la théorie, l’action à stratégie ? Il me semble que cette assertion ouvre des perspectives sans fin et se prête à une réflexion proche d’une dissertation de philosophie. J’ai envie de la prendre comme telle : thèse, antithèse et synthèse !

Thèse : il vaut mieux pour l’entreprise recruter des éplucheurs d’artichauts que des épeleurs d’artichauts

Dans un contexte de compétition accrue, les entreprises attendent des jeunes professionnels prêts à l’emploi, maîtrisant des compétences déjà balisées, experts dans le domaine qu’ils ont choisi pendant leurs cursus.

Il s’agit alors pour les institutions d’enseignement supérieur en management d’inculquer des compétences codifiées, grâce à des parcours spécialisés, afin de conduire les étudiants à l’emploi de la façon la plus efficace possible. Dans cette vision, le corps professoral est constitué essentiellement de professionnels transmettant leur savoir et leur savoir-faire.
On est dans une école de l’efficacité et de la performance éducative. Une école où les objectifs sont évalués en termes d’apprentissage. La pédagogie est celle du geste qu’on apprend par reproduction. Le séjour en entreprise est incontournable et prolongé.

Cette école ne peut que faire peur à des étudiants qui y voient, à juste titre, un risque d’enfermement professionnel dès leur premier emploi et une incapacité à développer sur le long terme un projet professionnel épanouissant.
Cette école peut aussi faire peur à la société, puisque manquant cruellement de capacité de recul, d’esprit critique, des détours qui façonnent la créativité et l’innovation. Le management est alors réduit à des techniques, des tableaux excel. Le monde des entreprises en a été peuplé et continue à l’être, avec un rejet de plus en plus fort des collaborateurs et des dommages collatéraux qu’on ne peut que constater.

Antithèse : il est plus intéressant de recruter des épeleurs d’artichauts que des éplucheurs

L’école des épeleurs d’artichaut est intéressante à regarder. Elle permet de baigner dans la théorie, de maîtriser le concept, sans se poser jamais la question de la mise en œuvre. Les enseignants sont chercheurs, théoriciens. Ils aiment construire des modèles et parler d’un monde qu’ils connaissent presque toujours sur le papier uniquement ou après de brefs séjours.

La pédagogie s’appuie essentiellement sur une posture déductive : la théorie, puis le cas pratique sous la forme d’un exercice, d’une dissertation, d’une analyse, voire d’une étude de cas.
Cette institution d’enseignement du management forme des esprits intellectuellement brillants, pleins de schémas et de cadres théoriques, mais certainement plus destinés à devenir des experts auprès de directions générales, ou choisissant de regarder l’entreprise du balcon de la sphère politique.

Dans cette école, la joute intellectuelle, qu’elle soit écrite ou orale vaut mieux que la décision opérationnelle. Les compétences transversales sont reines. La vraie vie est ailleurs et pour plus tard, d’ailleurs, la professionnalisation est-elle vraiment un but en soi ? Cette institution a longtemps existé, et elle a tellement fait peur aux chefs d’entreprise qu’ils en ont conçues d’autres au début du 20e siècle, plus proches pour eux des besoins attendus en termes de compétences : les écoles de commerce…

Synthèse : Et si on imaginait une école où chacun pouvait être à la fois un éplucheur d’artichauts et un épeleur d’artichaut ?

Cette école se base sur une croyance forte : l’absence de hiérarchie entre l’intellectuel et le manuel. Elle respecte les talents, les rythmes et la façon d’apprendre de chacun dans leur immense diversité. Si, pour certains, il faut passer par la connaissance de l’anatomie de l’artichaut pour bien l’éplucher, pour d’autres, c’est en l’épluchant qu’ils en acquerront la connaissance !

C’est une école où l’on pense qu’un bon stage en cuisine vaut mieux qu’un long séjour en salle de classe à regarder des projections de coupes d’artichauts ! Mais après ce séjour en cuisine, il est primordial de revenir échanger avec de grands cuisiniers sur les infinies possibilités de cuisiner l’artichaut.

En dernière réflexion, étendons le questionnement à d’autres professions. Un chirurgien doit-il choisir entre sa dextérité manuelle et sa connaissance de l’anatomie humaine ? Un ingénieur automobile doit-il choisir entre savoir démonter un moteur et connaître les théories de la carburation ?

Opposer les éplucheurs aux épeleurs d’artichaut est dangereux et ridicule ! C’est tout simplement impossible ! Les institutions d’enseignement supérieur doivent avancer dans ce projet difficile car dual : la promesse faite à leurs partenaires entreprises de jeunes professionnels efficaces et performants tout en respectant leur contrat d’éducateurs, former des esprits ouverts, réflexifs et capables d’apprendre à apprendre.
Comme souvent, la voie est étroite et ardue mais c’est bien là la mission des institutions d’enseignement supérieur en management : Eplucher et épeler, même combat !

Commentaire (1)

  1. Olivier Ridoux

    Encore bravo et merci pour cette réjouissante lecture. À l’appui de vos conclusions un délicieux « Traité de Miamologie » édité par la revue 180°C et sous-titré « Les fondamentaux de la cuisine décryptés par le POURQUOI » . J’en utilise l’introduction dans mes cours (informatique et innovation). Je l’utilise même envers mes collègues éplucheurs avec l’argument que Si un cuisinier peut s’intéresser au Pourquoi, pourquoi pas un Ingénieur ?

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