Cracking the management code

Archive mensuelles: novembre 2015

Les attentats de Paris : nous sommes face à nos responsabilités d’éducateur !

Face à mes responsabilités de femme, de chercheuse, de professeur !
En tant que femme, mère et chercheuse, on me demande ce que m’inspirent ces évènements. Évidemment, il n’est pas question pour moi de livrer une quelconque analyse politique. Juste essayer de comprendre ce qui est à l’œuvre dans ces moments et surtout, essayer de prendre un peu de recul pour continuer tout simplement à avancer et à vivre.
Nous devons aux victimes cette réflexion sur les enseignements à tirer d’un tel drame.

Résister !
L’objectif des terroristes est le chaos, le chaos et la peur. La plus belle réponse est de continuer à vivre, à travailler, à avancer, en un mot nous devons résister.
Il nous faut enseigner que l’interpellation et le lancement d’alerte ne sont pas optionnels et que, malgré les résistances, les peurs, les raisons de ne pas faire, il faut avoir le courage de rester debout et de dire les choses avant que la crise atteigne son paroxysme … et qu’il soit trop tard. Le silence, l’omerta sont la pire des choses dans une communauté humaine.

Être modeste face à la « gestion des risques »
Notre société dite « moderne » a pour credo le « zéro » : zéro défaut, zéro stock, zéro erreur, zéro risque ! C’est une vaste mascarade, ça n’existe pas malgré tous les discours que l’on peut entendre en médecine, en politique, et surtout en management !
Plus que la « gestion des risques » que nous nous obstinons à enseigner, il faut revenir à des fondamentaux sur la fragilité humaine et le rôle de la prise de décision. Or, faire des choix est apprentissage au jour le jour souvent douloureux et toujours fragile.
Il faut apprendre ou réapprendre que face à chaque décision, personnelle ou professionnelle, il n’y a que nous, en tant que personne avec nos doutes. Derrière tout process, tout dispositif, toute théorie, il n’y a que des êtres humains, pas des « systèmes » comme on aime souvent l’invoquer. Ce fut le cas pour la crise des subprimes, c’est aussi le cas dans la crise que vit Volkswagen. Les attentats de Paris qui nous attaquent dans notre chair, ont la vertu de nous le rappeler avec cruauté.

Se dire que la vulnérabilité est une force
Nos modes de management privilégient la force, l’engagement, la compétition, l’ostentation … des « valeurs » qui ne conduisent qu’à l’affrontement, aux rapports de force, au bras de fer. Nous n’avons à la bouche que le leadership, la réussite, la performance financière, la conquête, le dépassement de soi … et nous les vendons toujours et encore à nos étudiants dans une surenchère inquiétante.
Ces attentats pointent notre vulnérabilité et dénoncent nos prétentions.
Ils nous obligent à regarder autrement le monde du management, car la vulnérabilité n’est pas un aveu de faiblesse ! Nous pouvons en faire une force ! C’est en changeant la hiérarchie des valeurs de façon structurante que nous amènerons le monde des entreprises, et le monde plus largement, à changer.
Les femmes ont un rôle important à jouer dans ces mutations et je suis une fois de plus frappée par leur absence dans les milieux dit d’ « experts ». La guerre, les attentats, les crises sont encore trop des affaires d’hommes ! C’est aussi le cas de toutes les sphères de pouvoir politique et économique. Aider nos étudiants à changer leur vision de la réussite fait partie de notre engagement de professeurs, de chercheurs, d’éducateurs.

Reconstruire nos hiérarchies
La vie au travail est souvent vue comme un lieu de concurrence, où tous les moyens sont permis pour faire trébucher les autres, où la réussite personnelle s’opère au prix de la réussite collective. Vivre ou être témoin de tels drames est certainement l’occasion de se dire qu’on peut travailler autrement, et que le projet commun peut être une belle aventure, en mettant de côté tout ce qui pollue le quotidien.
Il est très urgent de faire un exercice d’introspection et d’en profiter pour atténuer ce que nous pensons être des drames et qui, à la lumière de ces évènements, ne sont en réalité que de petits tracas, bien faciles à effacer.
Prendre des moments régulièrement pour réfléchir à qui nous sommes, qui nous voulons être profondément, l’accord entre nos valeurs et celles de ceux avec qui nous travaillons, savoir aller vers l’autre sont des exercices salutaires qu’il faudrait instituer dans nos écoles.

Exercer la faculté à prendre du recul
Dans ces moments de crise, nous sommes en perfusion avec l’information qui dégringole de partout : tweeter, facebook, télévision, sites web, radio … c’est une cacophonie d’émotions et d’informations, de témoignages et d’expertises, de vraies et de fausses questions ! La machine médiatique est en marche. La nuance et la précaution ne font pas partie de sa grammaire.
C’est là qu’il faut exercer notre droit au recul et essayer de mettre les évènements en perspective. Ces évènements nous submergent mais ils existent ailleurs, à Beyrouth ou à Bagdad. Paris en a connu des semblables il y a trente ans. L’histoire bégaie, ne l’oublions pas. Une fois la vague d’émotion passée, comment tirer des enseignements de ces drames pour avancer et surtout, ne pas recommencer ?
Pratiquer cette distance critique est un exercice difficile et nous avons la chance de pouvoir transmettre ce savoir-faire car il est au cœur de notre métier de chercheur. Il faut apprendre à démêler le ressenti de l’explication. Il faut sortir de la subjectivité pour aller vers l’objectivité. Mais la grande difficulté est d’accepter que le changement ne se construit pas en niant cette subjectivité, cette émotion, ce ressenti. C’est un travail qui exige respect des personnes et lucidité. C’est là tout le fond de la responsabilité managériale.

Apprendre de la crise
Les heures passent, la vie reprend son cours, et l’oubli fait son œuvre, ce qui est aussi constitutif de notre humanité. Si oublier au quotidien est un processus normal, il est interdit d’être dans le déni. Il n’y a pas de baguette magique qui efface les tragédies qui nous frappent. Il va falloir trouver des justes milieux, souvent par tâtonnements, souvent par essai-erreur.
Ainsi, il n’est pas simple de partager l’émotion sans dramatiser, il n’est pas évident de se protéger et rester vigilant sans entrer dans la psychose. Ce dosage est au cœur du management tel que nous devrions l’enseigner, il est à la fois sa grandeur et son ingratitude. Il faut tenir bon dans la nuance, et résister aux outils et aux méthodes « tout faits » si faciles à enseigner.

Ne pas chercher de bouc émissaire
Dans les moments de tension, de crise, il est souvent tentant de vouloir trouver un bouc émissaire, et de pointer du doigt un supposé coupable. Il nous faut enseigner que les succès comme les erreurs ne se font jamais seuls mais se construisent à plusieurs. Comme il faut se garder d’accuser les musulmans ou les étrangers pour les attentats de Paris, la responsabilité est de ne pas stigmatiser pour s’exonérer de ses propres culpabilités.

Ne pas oublier
Après des drames comme ces attentats, après des crises qu’elles soient personnelles ou professionnelles, notre responsabilité d’éducateur est de dire qu’il faut continuer à vivre malgré tout, mais aussi, qu’il ne faut pas oublier.
La grande erreur du management, sa grande faute est de vouloir oublier et de passer vite, trop vite, à autre chose. Nous devons apprendre à nos étudiants qu’il faut faire quelque chose des crises, des échecs, seul ou collectivement, chacun à son rythme, avec ses forces et ses faiblesses.
Les attentats de Paris nous obligent à former différemment nos étudiants, pour qu’ils exercent pleinement leur responsabilité, comme professionnels, comme citoyens tout simplement.