Cracking the management code

Archive mensuelles: mars 2017

La formation professionnalisante et courte : il faut de vrais « rôles modèles » !

Nous avons tous lu récemment des plaidoyers tout à fait intéressants en faveur de la formation professionnalisante et de la formation supérieure courte (CAP, BEP, Bac pro, jusqu’au DUT,licence pro ou Bachelor). Ils ne sont pas nouveaux et reviennent chaque année au moment des choix d’orientation comme les hirondelles au printemps. D’année en année, les arguments sont les mêmes, tout à fait pertinents et solides.

Le problème, c’est qu’ils ne portent pas. Rien ne change ! Certes, le système éducatif doit évoluer, mais avant tout, il a besoin de vrais « rôles modèles », crédibles et attractifs, ce qui n’est pas le cas actuellement.

 

On peut retenir des discours pro-formations courtes deux thèses majeures :

  • La première porte sur les métiers auxquels conduisent les formations diplômantes infra bac, avec l’urgence absolue de les redécouvrir et de les revaloriser. En effet, quoi de plus noble d’être artisan ? Plombier, couvreur, boulanger …. D’autant plus que l’emploi est assuré puisqu’on peine à recruter faute de candidats … Or, la France a besoin de ces métiers pour faire tourner son activité économique. Autre argument souvent avancé : ces formations conduisent à des professions qui demandent un esprit entrepreneurial, en plein dans l’air du temps ! Il s’agit donc de répondre aux réticences que l’on observe, car ces métiers ne font pas rêver les plus jeunes !

 

  • Le second argument développe l’idée, dument validée, que les entreprises ne peuvent recruter uniquement des Bac +5. Il en va comme de l’armée, on ne peut avoir dans un bataillon uniquement des généraux, il faut bien de la hiérarchie intermédiaire ! Toutes les formations visant un diplôme infra bac, bac et jusqu’à Bac +3 se doivent de préparer leurs étudiants à l’insertion professionnelle, quitte à employer des mesures coercitives pour interdire, tant que faire se peut, la fameuse « poursuite d’études ». Le bon sens incarné !

 

Tout est dit. Et pourtant ça ne fonctionne pas, la poursuite d’études continue à se développer. Pourquoi ?

Il y a trois raisons majeures qui sont autant de freins :

1/ Le poids de l’affectif et de l’irrationnel dans le choix des orientations,

2/ L’effet paradoxal des études courtes,

3/ L’absence de légitimité des porteurs de messages.

 

  • Le poids de l’affectif et de l’irrationnel

Le premier frein, c’est qu’on ne choisit pas sa formation uniquement de façon rationnelle et pour rendre service à la nation. ! Chacun a bien compris que le choix des études engage pour longtemps, et ses véritables ressorts sont : les « tripes », le « tout sauf » et la « délégation par ignorance » devant ce monde hypercodé qu’est la formation.

Que se passe-t-il dans les familles ? Ou dans la tête du jeune homme ou de la jeune fille s’il n’est pas accompagné ? On cherche une formation qui permettra de construire un avenir professionnel le meilleur possible, avec les critères de : statut social, rémunération, stabilité, d’employabilité, et bien sûr d’intérêt. – Je fais une incise sur la question de l’intérêt d’un métier, car elle est fascinante et très mal traitée. En effet, on ne peut évaluer l’intérêt d’un métier que si on le connait, or, la découverte de la palette professionnelle se limite en général à ce qu’on observe dans son cercle familial. Le fameux stage de troisième se déroule en général dans l’entreprise paternelle ou maternelle. La reproduction sociale continue à sévir, malgré les quelques développements qu’a connus l’orientation dans les collèges et les lycées.-

Il faut l’admettre, l’orientation se fait majoritairement « par défaut ». Parce qu’on n’a pas « le niveau », parce qu’on ne connait pas toutes les possibilités, parce qu’on suit les conseils d’un tiers identifié comme expert …

 

  • L’effet paradoxal des études courtes,

J’ai pu observer cet effet paradoxal pendant mes 5 années comme chef du département GEA à l’IUT Lumière Lyon 2 (1995-2000). Déjà en 1993, le projet de cet IUT était d’accueillir des bacheliers voulant s’insérer dans la vie professionnelle à Bac +2, et qui n’étaient pas des « premiers de la classe », mais détenaient des compétences ou des expériences autres que scolaires. La formation était complètement innovante puisque tous les étudiants étaient obligatoirement en alternance (contrats de qualification puis contrats d’apprentissage) lors de la seconde année. Et qui dit apprentissage dit bien sûr projet s’insertion … Malgré toute la volonté de l’équipe pédagogique, les choses se sont très vite inversées. Qu’observait-on ? Les étudiants persuadés de leur envie d’études courtes reprenaient confiance en eux et découvraient de nouvelles modalités de formation grâce à l’alternance. Leur entourage, personnel comme professionnel, les poussaient à continuer vers la licence pro, une école de management, un IUP … Combien de fois ai-je entendu : «Mais, il (ou elle) ne va s’arrêter maintenant, il vaut mieux que cela ! ». J’ai quitté cette magnifique expérience en 2000, mais elle m’a convaincue de l’immense responsabilité que nous avions à interdire la poursuite d’études, comme cela se fait encore.

Bien sûr, on lit que des Bac + 5 réorientent leurs choix professionnels vers des CAP ou des BEP pour se former à des métiers artisanaux, mais, même s’ils sont intéressants et emblématiques, ces choix restent confidentiels, et ont la particularité d’être assumés, et non subis.

 

  • L’absence de légitimité des porteurs de message

Ce qui pose question, c’est l’exemplarité de ceux qui prônent ces études courtes et professionnalisantes. En clair, que font les enfants des chantres des formations professionnalisantes et courtes ? En fait, je le sais … des études longues, des classes préparatoires, des écoles d’ingénieurs ou de management, des doctorats … Pourquoi ? Parce qu’en tant que parents, ils veulent, comme tout le monde, « ce qu’il y a de meilleur » pour leurs enfants ! Et de façon récurrente, les enquêtes montrent que les études longues (le bac +5) garantissent l’employabilité et un meilleur niveau de rémunération.

J’ai en tête une réunion avec des représentants d’une Chambre des Métiers et de l’Artisanat en vue d’un livre blanc portant sur la revalorisation de leurs métiers. Mes interlocuteurs étaient des chefs d’entreprises artisanales et de nombreux secteurs étaient représentés : la coiffure, la zinguerie, la boulangerie, la plomberie … La discussion a porté sur les difficultés à recruter, la crise des vocations, la mauvaise image que le système éducatif donnait de ces métiers etc etc … A quoi servait le Bac + 5 alors que l’avenir souriait à celui qui se destinait à ces formations et ces professions ? La partie ON terminée, nous avons entamé le OFF et, je leur ai demandé ce que faisaient leurs propres enfants : pas UN ne leur avait recommandé cette voie et ils étaient fiers de les avoir vu s’engager qui dans une école de commerce, qui vers un Master …

Je n’hésite pas à dire que nous sommes en plein clivage entre notre rôle de père ou de mère et celui de chefs d’entreprise ou d’experts en éducation, qui s’opposent complètement.

 

Einstein disait que « faire toujours la même chose en espérant des résultats différents était de la folie » … ou de l’imposture. On ne peut continuer à chanter les louanges de la formation professionnalisante et courte sur la scène, quand, en coulisses, on ouvre l’accès aux escaliers (ou aux ascenseurs) pour sa propre progéniture vers les cieux de la formation la « plus longue possible ».

Pour revaloriser les études courtes, et la formation professionnalisante, pour dissuader de la « poursuite  d’études », s’il faut faire évoluer le système, il faut surtout des « rôles modèles », des personnes qui incarnent ces choix au plus haut niveau.

 

 

 

L’ESR est mort, vive l’INSPIR

La campagne électorale pour la présidence de la République est déjà bien entamée et on peut constater que la question de l’enseignement supérieur n’est pas au cœur des préoccupations des candidats, même s’ils l’abordent tous.

Quel que soit le programme de l’élu(e), il (elle) devra prendre en compte les tendances de fond qui se sont dessinées ces dernières années, car elles continueront à s’affirmer. Je ne parle pas de mouvements ad hoc, esquissés sous les contraintes légales ou réglementaires, mais bien d’évolutions répondant à des attentes sociétales lourdes.

Le (la) nouveau  (nouvelle) ministre  aura à les prendre en compte car elles augurent d’innovations qui se propageront dans les années à venir.

Une observation de ce qui s’est passé ces dernières 5 années nous permet de repérer 5 tendances structurantes pour l’avenir de l’enseignement dit « supérieur ».

 

« L’innovation, c’est accompagner le monde,

la société, les entreprises, les hommes …

dans leurs changements grands ou petits »

 

Le IN : l’exigence d’un savoir innovant,et apportant sa contribution à la société

IN pour Innovation, cette tendance est transversale, mais certainement assez nouvelle. Il n’est pas loin le temps où la grande majorité des universitaires considéraient leur travail de chercheur et même de pédagogue comme « hors sol » et affranchi du temps qui passe. Sans être dans la caricature, le débat existe encore sur l’ « utilité » de la recherche universitaire. Dans nombre de disciplines, la question est résolue depuis longtemps tant les recherches sont liées aux problématiques issues de la société : qu’on songe à la médecine, à la biologie, aux sciences de l’ingénieur …

Le débat persiste en sciences humaines et sociales (au sens étendu du terme). Mais on voit bien monter en puissance au niveau international l’exigence d’un savoir innovant, impactant, et apportant sa contribution à la société. L’innovation, c’est accompagner le monde, la société, les entreprises, les hommes … dans ses changements grands ou petits, non pas en regardant en arrière mais avec le désir de dessiner un chemin prospectif, avec un impact réel, et certainement mesurable. L’innovation touche aussi aux méthodes de recherche et à la pédagogie.

 

« Chercher une vision 

plus fluide des transitions. »

Le TRANS : passer les frontières quelles qu’elles soient

C’est une des évolutions actuelles les plus fortes : passer les frontières quelles qu’elles soient. Je soulignerai avant tout la transdisciplinarité et la transculturalité.

De plus en plus d’établissements d’enseignement post bac évoluent, au-delà même de l’internationalisation, vers la transculturalité. Certaines écoles de commerce sont emblématiques de cette globalisation, où le multi-culturel, l’interculturel sont déjà relégués au siècle dernier.

De même, la transdisciplinarité est de plus recherchée. On voit émerger des cursus qui mêlent disciplines techniques, et disciplines humaines et sociales, considérant que, plus qu’une double compétence, c’est vraiment une compétence double qui fera la différence dans le monde professionnel.

Le TRANS, c’est aussi une vision plus fluide des transitions. On observe ainsi des propositions certes encore confidentielles sur la nécessité d’une année postbac pour de nombreux bacheliers qui ne « savent pas ce qu’ils veulent faire » comme études, comme métiers … Ces cursus sont très intéressants dans leurs principes : apport de culture générale, réflexion sur soi et information large sur les métiers … et correspondent largement à des attentes, à défaut d’avoir démontré leur efficacité.

Une véritable mise en œuvre de la formation tout au long de la vie (le 3L : Long Life Learning) qui existe déjà sur le papier mais peu dans sa réalité, tant le diplôme est obtenu « une fois pour toute » est ancré dans notre culture.

 

 Le CUS : la customisation des parcours

CUS comme customisation, c’est-à-dire l’individualisation de la formation conçue comme un parcours. Ce n’est pas nouveau dans le principe, et pas toujours facile à promouvoir, mais on constate que de plus en plus d’étudiants acceptent de construire leur formation « chemin faisant ». La multiplication des accès aux formations s’est développé pour garantir cette proposition.

Un autre CUS, c’est la volonté d’amener les apprenants à une réflexion sur les compétences douces, à travailler à leur développement personnel, car l’enseignement supérieur se veut (quand il en a les moyens) de plus en plus éducatif et regarde ses étudiants comme des personnes et non comme des portefeuilles de compétences ou de connaissances.

 

Le CO : le boom du partage

Le Co ? C’est le boom du partage. La co-construction du savoir avec ses parties prenantes, le co-working avec les nouveaux espaces d’apprentissage, la co-diplomation entre établissements qui apportent leur complémentarité.

Chacun est convaincu de la nécessité des expériences professionnelles pendant les études , avec l’alternance sous contrat salariée, les stages, les petits boulots. L’idée maintenant admise, c’est que bien accompagnées, ces expériences  in vivo sont formatrices.

 

« Ces tendances sont émergentes , trop dispersées,

trop disparates, trop confidentielles pour constituer

un nouveau paradigme du Sup ! »

 

L’ OMNI : un changement de paradigme

L’étudiant omni-canal est déjà là, il apprend par Internet, les réseaux sociaux, les MOOC, le cours présentiel, de son expérience professionnelle, avec ses collègues … mais il attend encore qu’on lui enseigne en omnicanal. En effet, les cursus qui ont su développer les propositions en omnicanal sont attractifs et certainement plus appréciées  que les formations classiques (c’est-à-dire en classe), ou les formations entièrement  virtuelles et distancielles …

Ces tendances sont émergentes, trop dispersées, trop disparates, trop confidentielles pour constituer un nouveau paradigme du Sup ! Il reste à expérimenter, bilanter, améliorer selon la boucle de l’apprentissage. Mais il faut aussi évangéliser, partager, benchmarker, copier, pour une adoption sereine de ces nouveaux modèles ou de ces nouvelles modalités.

Tout cela fait que nous pouvons revisiter le nom de notre ministère de tutelle : l’ESR qui juxtapose Enseignement et Recherche dans le contexte du PostBac sans réel mouvement ni élan stratégique !

Je propose donc à notre prochain(e) ministre d’être celui de l’INSPIR pour INnovation et Individualisation – Savoir – Partage – International – Recherche.

 

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