Cet article est paru comme tribune pour NewsTank Education le 9 Juin 2017 : https://education.newstank.fr/fr/article/printable/95425/enseignement-superieur-territoire-vote-isabelle-barth.html
Nous avons tous lu en long et en large les décryptages des votes qui ont conduit les Etats Unis à l’élection de Trump, et la Grande Bretagne au Brexit. Nous avons aussi tous vu les cartes de la géographie des votes lors de la dernière élection présidentielle. Les conclusions des analyses sont unanimes : les votes extrêmes expriment le repli sur soi, la peur de la globalisation, l’angoisse de l’avenir, et s’expliquent par un sentiment de « déclassement » en lien avec un faible niveau d’éducation.
Une géographie des suffrages
Partout, les diplômés sont des gens plus aisés, plus haut dans l’échelle sociale, et résidant dans des métropoles, et partout, ils votent pour des candidats confiants en l’avenir et prônant l’ouverture sur le monde.
Il y a donc une géographie des suffrages où les métropoles sont portées vers des votes pour le centre ou des partis modérés et les campagnes s’expriment pour des extrêmes. On sait aussi que les électeurs plus instruits et plus informés perçoivent mieux les différences de positions entre les candidats, et sont donc, de facto, moins radicaux dans leurs choix, ce qu’on nomme le « vote par enjeux ».
L’excellent ouvrage de Davezies La fracture territoriale (1), nous livre une analyse aigue du phénomène en France, qui ne date pas d’hier. Il y décrit 4 France :
- Une France productive marchande concentrée dans les grandes villes qui réunit 36 % de la population,
- Une France non productive, non marchande et dynamique à l’Ouest d’une ligne Cherbourg Nice, qui représente 44 % de la population,
- Une France productive, marchande, en difficulté, avec des bassins industriels déprimés, dans la moitié Nord du pays et qui compte 8% de la population,
- Une France non productive, non marchande, en difficulté, victime du déclin industriel, que l’on trouve dans le nord est avec 12% de la population.
Davezies nous explique que pour certaines régions les plus défavorisées, la situation est très grave car, en cas de crise, elles n’ont plus aucun amortisseur avec l’assèchement des finances publiques. C’est le cas de la « diagonale du vide » qui va de la Bourgogne, en passant par le Nord de l’Auvergne, le Limousin, jusqu’aux Hautes Pyrénées.
Le territoire terreau des grandes questions sociales
Or, les grandes questions sociales ne se développent pas « hors sol ». Au contraire, elles émanent largement du territoire. Ce déterminant géographique du vote est théorisé par le « gradient d’urbanité » qui renvoie à la distance à la ville (2).
De plus, la structure des emplois aggravent le phénomène d’appauvrissement dans certaines zones. En effet, depuis plusieurs années, les « petits Blancs » français voient leur situation se dégrader car les immigrés sont finalement sous représentés dans la population ouvrière industrielle et souffrent moins qu’eux des destructions d’emplois massives dans ces secteurs.
L’espace, nous dit Davezies est le grand absent de l’économie, or une des causes de l’appauvrissement est l’ « immobilité résidentielle », particulièrement dans les pays latins. La mobilité est vécue comme une violence par les plus vulnérables ainsi, entre 2001 et 2006 11% des familles de cadres français ont changé de département pour seulement 4% de familles d’ouvriers.
Devant un tel tableau (dressé ici à grands traits), et sachant que le niveau d’éducation est corrélé au niveau d’emploi et que les deux le sont aux votes exprimés, on peut légitimement se demander le rôle qu’a oublié de jouer l’enseignement supérieur dans cette évolution.
Le rôle de l’enseignement supérieur dans le développement des territoires
En effet, depuis bientôt deux décennies, l’enseignement supérieur n’a de cesse de prôner la carte de la concentration et des « grands » établissements (par le nombre), au nom de l’excellence, et pour être visible de Shangaï. Ainsi, au nom d’une taille critique dont on ne sait rien, et d’économies d’échelle qu’on sait imperceptibles, les établissements d’enseignement supérieurs se recentrent sur les grandes métropoles.
Les sites délocalisés (comme les départements d’IUT) sont soumis au soupçon de la « secondarisation », de la baisse de qualité, et aux contraintes de coûts ou d’absence de volontaires chez les enseignants-chercheurs.
On observe que la concentration universitaire se superpose à la concentration métropolitaine pour avoir de grands centres d’excellence.
Très concrètement : l’absence d’accès facile à une première année d’université compte tenu du coût en temps, en énergie, en tranquillité, peut créer un phénomène d’autocensure chez des jeunes bacheliers. Ils peuvent renoncer à des études supérieures tant les obstacles pour partir étudier à 50/60 kms peuvent leur sembler insurmontables. Ainsi une étude du CESE de janvier 2017 (3) propose une cartographie des jeunes ruraux français tout à fait intéressante : ils sont 1,6 millions entre 16 et 29 ans soit 18 % de la population française et sont très attachés à leur territoire. Leurs études sont plus courtes devant le « frein financier lié à la mobilité », ainsi 7,3 % d’entre eux sont diplômés des 2ème et 3ème cycles contre 15,4% des jeunes urbains. De plus, une étude de 2013 montre que les jeunes étudiants s’ancrent dans les grandes villes où ils s’installent pour étudier, accentuant encore le phénomène (4).
En effet, faute d’un département délocalisé d’IUT, ou de tout autre faculté dans de petites villes, le choix se résume à quitter son cocon familial et amical, au moins toute la semaine. Ce n’est plus l’adage« education to people » qui est en cours mais bien plutôt » people to education » qui sévit et propose une vision des mobilités éducatives, où même les villes de taille moyenne disparaissent de l’équation.
Un abandon coupable
Est-ce que l’Université et, au-delà, l’ensemble de l’enseignement post bac (car, par exemple, les écoles de management n’ont pas non plus brillé dans les choix de maintien sur les territoires) ne portent pas une part de responsabilité dans les votes extrêmes pouvant conduire à des choix dramatiques pour une nation entière ?
Les stratégies d’accompagnement du mouvement de métropolisation de l’Enseignement supérieur sont actées même si elles ne sont pas clairement exprimées. La fermeture d’une antenne universitaire se fait à bas bruit, et ne provoque pas les mêmes protestations qu’une maternité ou un hôpital. Mais il nous faut réfléchir aux effets induits et diffus que cette disparition produit d’un point de vue sociologique et politique au niveau local d’abord, puis, par phénomène d’agrégation et de résonnance sur l’ensemble du territoire national.
Les Universités comme les Business School cherchent actuellement avec les calculs de leur « facteurs d’impact », à prouver leur rôle d’acteur sociétal et de pourvoyeur de développement économique sur leur territoire. Elles devraient aussi calculer leur impact de dégradation de la richesse intellectuelle et politique quand elles se retirent.
Il en va de la responsabilité de l’Enseignement Supérieur français.
- Daveszies, L. (2012) La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale , ed. du Seuil
- Guilluy(Christophe), Fractures françaises., 2010, Paris, éditions Bourin
- Etude du CESE (11/01/2017) « Place des jeunes dans les territoires ruraux », Rapporteurs Bertrand Coly et Danielle Even
- Loncle, P. (2013), « Politique de jeunesse et territoires, pourquoi coopérer ? » EHESP