Cracking the management code

Archive mensuelles: mars 2018

Classement des business schools, effet Matthieu et big data 

Tout le monde connait l’effet Matthieu au moins dans ses effets. Rappelons-nous : l’effet Mathieu a été mis en évidence par Robert Merton en 1968, quand il a observé que les travaux des scientifiques prestigieux sont mieux reconnus que ceux de chercheurs moins connus même s’il s’agit de travaux similaires.

Comme il est dit dans l’évangile selon Saint Matthieu (Matthieu 13 :10-17) : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. ». Ce que dit autrement le dicton populaire : « On ne prête qu’aux riches … » ou encore l « L’argent va à l’argent ».

L’effet Matthieu dans les Business Schools

Or, il apparaît de plus en plus que cet effet Matthieu fonctionne à plein dans les classements des business schools, avec trois déclinaisons :

1/ L’ « effet de halo » : ce que font les écoles les mieux classées est toujours mieux perçu, ainsi, une innovation portée par une école bien classée est appréciée comme plus crédible, instaurant un effet leader et un effet suiveurs qui « collent » au classement,

2/ L’ « auto-prophétie » : le classement jouant à plein dans le choix des étudiants et des prescripteurs (professeurs de lycée, de classe prépa, familles ..). Il y a un effet auto-prophétique qui renchérit les effets de classements : les meilleurs élèves vont dans les meilleures écoles, et les meilleures écoles attirent les meilleurs élèves … et ainsi de suite

3/ L’effet leader (ou « the winner takes it all ») : toute publicité déclenchée et donc financée par une école moins classée va être automatiquement attribuée à une école mieux classée.

Bref, on ne prête qu’aux écoles bien classées et on ôte à celles qui sont en bas de tableau. C’est bien l’effet Matthieu.

Il est très difficile de sortir de cet effet Matthieu, surtout à un moment où les écoles de haut de tableau, pour des raisons de survie-développement (je ne reviens pas sur les mutations des business models) font jouer à plein leur marque et leur réputation pour attirer un nombre toujours plus grand d’étudiants.

A tel point que j’ai entendu des directeurs d’écoles mal classées dire (en plaisantant … quoique …) que leurs écoles devraient toucher un pourcentage pour l’intégration d’un étudiant dans une école mieux classée … En effet, leurs allocations de ressources retournent en partie aux leaders.

L’inertie des classements depuis des décennies démontre l’existence de cet effet Matthieu car si quelques écoles ont fait leur chemin c’est en jouant avec les mêmes critères que les têtes de peloton, et non pas en « disruptant ». Celles qui s’y sont risqué l’ont payé fort cher (sûrement aussi pour cause de mauvaise stratégie).

Le rôle structurant des classements médiatiques

Loin de moi l’idée de rejeter les classements. Les étudiants, leurs familles en ont besoin pour comprendre un peu mieux ce monde si complexe de l’ESR en management. Les années passant, ces classements ont, dans leur ensemble, progressé en finesse d’analyse, en vérification des preuves, en pertinence des critères, donnant ainsi une image à la fois plus précise et plus équitable de l’ensemble de l’offre.

Mais il y a encore beaucoup de pratiques qui servent l’effet Matthieu :  je pense au classement recherche Educpros qui privilégie le nombre de rang 1, certes plus faciles à comptabiliser mais qui occulte des publications certes moins classées mais qui tissent une recherche pouvant être abondante, de qualité, correspondant certainement à la demande des milieux économiques, et soutenant parfaitement la pédagogie. On peut aussi regarder des critères comme : les mentions au bac, le nombre de séjours à l’étranger, les accréditations …qui mettent les écoles dans des corridors pour ressembler toujours plus et mieux aux leaders…

« Si tu as un bâton, on te donnera un bâton, si tu n’as pas de bâton, on te le prendra. » écrivait Christine Rochefort. Étrange sentence qui sonne assez bien quand on regarde les fameux rankings.

A l’heure où nous observons de grandes mutations dans le monde sous la triple impulsion désormais classique de la globalisation, de la digitalisation et de la responsabilité, ne pourrions-nous pas nous dire que la façon de classer est profondément ringarde et qu’il faudrait rebattre les cartes ? Ou disrupter ?

Disrupter  ?

Il n’y a pas de fatalité, juste la volonté de regarder les choses autrement. C’est ce qui a été fait pour les classements des lycées, qui, malgré leurs imperfections (qu’on ne manquera pas de me faire valoir) ont su marquer un véritable infléchissement. Que s’est-il passé ?

Les classements ont choisi de ne plus évaluer la performance les lycées en se focalisant uniquement sur la réussite au baccalauréat, qui non seulement alimentait cet effet Matthieu, mais donnait lieu à de mauvaises pratiques comme le renvoi d’élèves avant le Bac afin de ne pas plomber les statistiques.

Poussés par le Ministère, les « classeurs » (i.e.les media qui classent) ont identifié le « lycée accompagnant », c’est-à-dire le lycée qui mène ses élèves à la réussite, quelle que soit leur origine, leur niveau de départ, le prestige du lieu d’implantation … en évaluant du coup la « valeur ajoutée » de l’établissement.

Les classeurs des écoles de management pourraient s’inspirer de cette vision qui rebattrait les cartes et estomperait l’effet Mathieu.

Ce serait d’autant plus pertinent que beaucoup de « grandes écoles » de management ont une sélectivité qui a beaucoup évolué. Les causes en sont : 1/ la hausse significative des effectifs de leurs promotions, ce qui implique nécessairement une baisse de la sélectivité, et 2/ une sélection qui a de moins en moins à voir avec les concours avec la multiplication des voies d’admissions. Ces deux stratégies induisent une population étudiante de plus en plus diverse, ou de moins en moins homogène, selon.

Dessine-moi une busines school accompagnante

J’entends déjà dire que toutes les écoles sont accompagnantes et que, si elles ne l’étaient pas, elles n’auraient pas les taux d’insertion que nous savons, ni la satisfaction mainte fois mesurée de leurs alumni.

Mais je persiste néanmoins dans mon raisonnement. Est-ce que ne serait pas une vision plus en phase avec l’air du temps que l’addition des accréditations, de publications, du nombre de partenaires accrédités etc etc … ? Que pourrait être une « école accompagnante » ? Quels critères permettraient de le vérifier ?

Une école accompagnante est une école qui hisse vers la diplomation et surtout vers une insertion professionnelle ambitieuse et en adéquation avec leur projet TOUS ses étudiants, quel que soit leur niveau de départ. En cela les écoles de bas de tableau font un travail méritoire. Pour enseigner depuis de nombreuses années à l’Université et en Business Schools, il est toujours plus facile d’avoir de bons résultats avec des élèves déjà performants à l’arrivée.

L’idéal serait de pouvoir mesurer à année équivalente les connaissances dans telle ou telle discipline : comme le TOEFL ou le TOEIC permettent de mesurer un niveau d’anglais « hors les murs », pour voir effectivement où sont les meilleurs scores. On découvrirait peut-être que les élèves d’une école de rang 18 ou 20 ont de meilleurs scores qu’une école de rang 4 ou 5 en marketing ou en contrôle de gestion  !

Un autre idéal serait un score à l’entrée et un score à la sortie pour mesurer les progressions. Cela permettrait aussi de valider des innovations pédagogiques en comparant ce qui est comparable, et faire ainsi de véritables liens entre le résultat et le processus pour l’atteindre. Ce qui n’est pas le cas actuellement où les « innovations pédagogiques » ne sont jamais mesurées en double aveugle.

On pourrait alors parler de VALEUR AJOUTÉE des écoles pour leurs étudiants.

L’arrivée des big data

Sur quels critères cette valeur ajoutée pourrait-elle être indicée ? Je formule quelques pistes :

1/ L’écart entre l’attendu et le réalisé

Il faut pour cela calculer les scores attendus pour une école donnée en fonction du profil des étudiants intégrés, scores pour des tests globaux de connaissances mais aussi en lien avec les compétences attendues dans le monde du travail.

Cette possibilité de suivre un parcours d’étudiant sur la longueur de son parcours de formation, et donc d’avoir des projections sur sa réussite est maintenant tout à fait possible avec les big data. On peut maintenant construire à partir de profils, des projections de parcours. Nous ne sommes donc dans la science-fiction, mais bien à l’aube de nouvelles modalités d’évaluation de la performance d’une institution d’enseignement Des universités américaines s’y sont mises comme celles de l’University Innovation Alliance.

2/ Créer des scores indépendants dans de nombreuses matières : il serait très intéressant d’avoir des scores sur des outils communs sur des disciplines autres que l’anglais pour qualifier le niveau d’un candidat en dehors de l’évaluation propre de son institution d’origine. Là encore, des dispositifs sont à l’œuvre avec la possibilité d’administrer les tests de façon massive et non falsifiable comme de concaténer les résultats de façon globale, toujours grâce à l’Intelligence Artificielle.

3/ Se pencher sur les ratios d’encadrement dans des services clés comme évidemment les Relations Internationales ou les services carrières, tous ces départements qui demandent une interaction humaine forte pour véritablement assurer leur fonction. Analyser les durées effectives de scolarité qui peuvent être un proxy de la capacité à véritablement s’adapter au rythme d’apprentissage de l’étudiant/apprenant.

4/ De façon plus qualitative, regarder la réalité des mises à niveau pour les publics « diversifiés » : y a-t-il de véritables sessions de formations? Quand se situent-elles ? Avec qui ? Ou a-t-on seulement recours à du e learning, à charge pour le-la candidate de se mettre à niveau ?

5/ Regarder les frais « additifs » qui sont générés par des séjours à l’étranger ou des années de césure, et qui sont supportés par les parents, en plus de frais de scolarité annoncés, afin d’avoir un coût réel de la scolarité.

6/ Calculer pour les étudiants le ROI  de leur scolarité, c’est-à-dire l’amortissement de leurs frais d’étude vs leur carrière à 5 ou 10 ans. On est incapable de dire à quel moment la valeur de la personne l’emporte sur l’effet diplôme ou si l’effet réseau perdure et peut compenser les relatives incompétences d’un alumni. Là encore des suivis dans la durée des alumni tels que le permettent les données massives objectiveront la réalité de la valeur d’une école.

Beaucoup d’autres pistes sont à explorer pour répondre à cette préoccupation de tout un chacun de la véritable valeur ajoutée d’une institution d’enseignement pour ses étudiants.

Il est urgent d’en mobiliser quelques-uns dès à présent dès à présent pour estomper l’effet Matthieu, à condition de le vouloir bien sûr. Mais les avantages peuvent être importants.

Une fable ou à faire ?

Les big data peuvent nous aider à réfléchir à d’autres projets d’écoles sans les condamner à sortir du jeu. Il faut pour cela que les classements soient capables de casser les corridors dans lesquels, plusieurs fois par an, les écoles s’essoufflent pour garder leur place en connaissant par avance l’ordre d’arrivée.

Cet infléchissement, même s’il est difficile à mettre en place répondrait indéniablement aux nouvelles attentes de toutes les parties prenantes de la société :

1/ Etre effectivement dans la RSESR : Responsabilité Sociétale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avec un véritable impact sur l’environnement socio-économique,

2/ répondre aux attentes de personnalisation des cursus des étudiants,

3/ innover au service d’un projet et non pas pour faire valoir de l’innovation, sans aller jusqu’au bout de son apport,

4/ pousser les équipes enseignants et administratives à une contribution globale au service de l’étudiant avec une objectivation des résultats.

L’enjeu est de trouver de nouvelles modalités d’évaluation de ce qui est si important et si immatériel : la formation dans l’enseignement supérieur pour nos étudiants et apprenants. Il est aussi de sortir de l’effet Mathieu en permettant à des écoles moins bien classées de démontrer leur valeur ajoutée en empruntant des chemins différents des leaders.

Cette réflexion permet aussi de revenir à la parabole de l’évangile d’où vient l’effet Matthieu et qui, d’après les exégètes n’est pas un cours d’économie mais bien l’idée de pousser chaque homme et chaque femme à faire grandir ses talents, et à avancer dans la vie avec confiance. N’est-ce pas là la véritable mission d’une Ecole de Management ?

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Parcoursup, combien de lutins ?

Il y a quelques années, j’aidais mes enfants à écrire leur lettre au Père Noël, maintenant, j’accompagne la rédaction de leur lettre de motivation pour ParcourSup.

En effet, le nouveau dispositif Parcoursup d’orientation vers l’enseignement supérieur demande aux candidats de communiquer leurs motivations pour chacune des formations qu’ils visent, et il est bien précisé que sont attendues une lettre et des motivations spécifiques pour chacune des formations

Le format est libre mais très, très réduit (1500 caractères soit une demie-page) .

C’est là où je pose la question : Parcoursup : combien de lutins ?

Parcoursup : combien de lutins ?

En effet, une fois la lettre au Père Noël rédigée avec sa longue liste de cadeaux tant espérés, il y a toujours un enfant qui pose la question d’un air très inquiet : « Mais il fait comment le Père Noël pour lire toutes ces lettres ? Pour ne pas se tromper de cadeaux ? Pour ne pas échanger les cheminées ? » La réponse des parents est imperturbablement : « Il a beaucoup de lutins qui l’aident, à lire les courriers, à fabriquer les jouets, à les répartir pour la tournée, pour indiquer les bonnes adresses etc etc etc… ». La vraie force du Père Noël, ce sont ses lutins, leur nombre, leur engagement, et leur compétence d’organisation.

Revenons à Parcoursup : si mon fils ou ma fille me demande : « Comment les professeurs vont-ils prendre connaissance de toutes ces lettres de motivation ? Comment vont-ils les prendre en compte dans la sélection l’intégration ? Dans quelle mesure la teneur d’une lettre, ou sa présentation peut-elle infléchir le classement basé sur les notes ? etc etc etc .. »

Je suis bien en peine de lui répondre.

Des hypothèses

Si je m’en fie à mon expérience d’  « avant APB », en tant que chef de département dans un IUT, je me souviens du temps passé par toute l’équipe pédagogique à analyser les dossiers de candidatures :

– il fallait vérifier pour chaque dossier le parcours du lycéen (ou étudiant en réorientation), ses notes des deux dernières années, mais aussi et surtout évaluer la partie qualitative : la narration des expériences, le projet professionnel, les motivations, les compétences spécifiques en lien avec le projet de formation …

Chaque item était noté selon un barème très précis et permettait ainsi d’établir un classement de l’ensemble des dossiers. Sauf cas particulier (comme un dossier ayant posant question à son correcteur qui faisait alors l’objet d’une discussion), le classement ainsi établi était la base de la liste d’admission.

–  C’est pour la liste d’attente que les choses devenaient plus complexes car il fallait la classer et regarder les dossiers de plus près pour éviter la candidature « hors les clous ». Cette nouvelle analyse et le nouvel arrangement qui en résultait se faisait lors d’un jury d’admissibilité (car il avait un oral derrière) pour garantir les échanges de vues et une transparence maximale.

Les facteurs clés de succès de cette opération étaient :

  • Un dossier très étudié dans ces questions et son organisation qui « collaient » aux spécificités de la formation,
  • Un ratio nombre de candidatures/nombre d’enseignants-évaluateurs assez faible pour que le travail soit bien fait et supportable pour le équipes pédagogiques

Croire au Père Noël ?

En ce qui concerne le dossier Parcoursup : les dossiers sont largement formatés et tout particulièrement la lettre de motivation. Des media très compétents (comme L’Etudiant) ont proposé des modèles de réponses. Le risque est immense d’avoir une masse de lettres toutes copiées collées les unes sur les autres, avec les mêmes profils, les mêmes aspirations, les mêmes expériences, les mêmes défauts, les mêmes qualités ….

Dans ces conditions, quel peut être alors leur impact ?

De même, combien d’enseignants vont être impliqués dans cette tâche qui va consister à analyser les dossiers ? Quand on voit qu’un nombre non négligeable de formations peuvent se targuer de milliers de candidats ?

 Une lettre qui discrimine ?

Un autre doute me vient : si le Père Noël se moque complètement des fautes d’orthographe ou de grammaire, est-ce que cette lettre (comme d’ailleurs les formulaires d’auto-évaluation) ne comporte pas un risque de discrimination ? Avec, d’un côté, ceux et celles qui sont bien entouré-e-s ? et … les autres, qui ne peuvent pas avoir recours à un soutien familial (en tous les cas, sur ces compétences).

Comment les professeurs de lycée accompagnent-ils cette rédaction ? Ce qui surajoute aux risques de « conformité » des contenus.

 Où finissent toutes ces lettres ?

Je ne mets pas en doute les bonnes volontés, la plateforme Parcoursup est claire, pédagogique et n’a plus rien à voir avec l’horrible APB pour ceux et celles qui l’ont connu, mais j’aimerais tout de même, pour tous les lycéens et lycéennes, plus tous les étudiants et étudiantes en réorientation qui vont placer leurs espoirs et leur avenir dans cette plateforme en savoir un peu plus.

Et cela me rassurerait si des lutins, des professeurs pouvaient nous expliquer comment, à l’autre bout de la chaîne ils vont gérer ces dossiers, si nombreux et si semblables.

Leur donne-t-on les moyens de procéder sérieusement à cette mission si importante d’orientation ?

J’espère sincèrement qu’on ne nous ne raconte pas une belle histoire, et que toutes ces lettres ne finiront pas comme celles qui s’adressent au Père Noël, dans les nuages le cloud !

 

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Les leçons du Professeur Wauquiez : ni conscience ni confiance !

L’ « affaire » Laurent Wauquiez a fait couler beaucoup de salive et d’encre. Elle a été  l’occasion de faire de la publicité aux uns et aux autres, et de régler des comptes, ce qui a éludé une réflexion de fond.

En effet, ce « mini drame » pédagogico-politico-médiatique pose la question du « colloque singulier » entre un professeur (du maître d’école à l’intervenant professionnel) et sa « classe » (de l’élève, à l’étudiant et même à l’apprenant), qui nous concerne tous.

Qu’est-ce que le colloque singulier ?

Dans sa définition stricte, c’est la relation bilatérale et protégée du médecin et de son patient. C’est « la rencontre d’une confiance et d’une conscience » (Louis Portes). Je trouve qu’elle définit parfaitement ce qui se passe dans une salle de cours, même si les élèves/étudiants sont un groupe.

Et c’est là que le bât peut blesser : que se passe-t-il si la conscience n’est pas présente ? Il y a alors abus de confiance. Et, en miroir, que se passe-t-il s’il n’y a pas confiance ? L’acte d’enseignement n’est plus possible.

Ni les enseignants/intervenants, ni les élèves/étudiants ne sont des saints et on ne leur demande pas cela, mais il serait intéressant de les amener à réfléchir à leurs rôles respectifs.

Est-ce que j’enseigne en conscience ? Est-ce que je peux faire confiance à ce professeur ? Puis-je avoir confiance en mes élèves ?

Il semblerait sans revenir outre mesure sur le cas du Professeur Wauquiez, et sur la foi des déclarations que le contrat ait été doublement rompu : ni conscience, ni confiance !

Mais que se passe-t-il exactement dans une salle de classe ? Cette question concerne tout le monde : les élèves, les étudiants, les parents, la communauté enseignante, les intervenants professionnels …

 

Que se passe-t-il dans une salle de classe ?

Quelles questions se posent ?

  • Comme choisit-on les intervenants (du professeur à l’intervenant occasionnel) qui vont enseigner ?
  • Que se passe-t-il dans la salle de classe une fois la porte refermée ?
  • Comment identifier des « dérives » ?
  • Quels sont les garde-fous possibles à ces dérives ?
  • Qui est légitime pour intervenir ?
  • Existe-t-il des protocoles ou des mesures préventives et  curatives le cas échéant ?

Je ne m’inscris pas avec ce billet dans les cas très graves (atteintes aux mœurs, violence), ni dans le soupçon systématique vis-à-vis de la communauté enseignante. Des procédures de recours existent, régulièrement mises en œuvre, même si elles sont régulièrement dénoncées comme inefficaces et trop lentes. J’ai ainsi lu que 34 enseignants avaient été radiés en 2015 (dont 27 pour atteinte aux mœurs).

Ce que je veux aborder ici, c’est l’« ordinaire » auquel nous sommes tous exposés, les « dérapages », dans la salle de classe.

Toutes les fois où un de nos enfants, évoquant un prof nous met en alerte. J’ai ainsi vécu plusieurs expériences en tant que mère qui peuvent résonner à vos oreilles : le (la) prof qui fait passer des idées politiques extrémistes sous prétexte dans son cours d’histoire, le (la) prof qui exprime des idées racistes ou xénophobes, celui (ou celle) qui raconte sa vie intime de façon systématique, le (la) prof qui procède à des petites humiliations vis-à-vis de certains élèves …

Quelle alerte ?

Ce qui m’a toujours intrigué, c’est que ces faits inquiétants, sont souvent rapportés sur le ton de la normalité, comme si le prof avait tout pouvoir sur sa classe, et comme si nos enfants étaient dénués de toute capacité critique ! Il faut constater que c’est souvent le cas car nos élèves sont installés dans cette relation verticale du maître à élève et n’ont pas été éduqués à la distance critique. Du coup, nous découvrons certains faits alors que l’année est déjà écoulée !

Evidemment, cette capacité critique évolue avec l’âge. Mais pas toujours, et en tant que professeur à l’Université ou en Grande Ecole, je me suis souvent rendue compte de l’emprise que nous pouvions avoir sur des étudiants.

De mon expérience, la critique, si elle s’exerce, est en général plus liée à la personne de l’enseignant, qu’à son discours. On accepte des messages ou des comportements « limites » d’un prof sympa et charismatique. « Oui, il y a un problème, mais c’est un bon prof ! ».

Quelle réaction avoir ?

Une fois le doute établi, comment en avoir la preuve ? Et comment réagir sans mettre en danger son enfant ? Ou bien, s’il est adulte, comment réagir sans craindre des mesures de rétorsion ?

En effet, devant ce risque, le silence s’installe. L’élève ou l’étudiant n’exerce pas son devoir d’alerte. S’il le fait, les parents préfèrent également ne pas faire de vagues, parce que ce n’est pas si grave ! Et tout le monde finit l’année en serrant les dents, passant le mistigri à la promo suivante.

Ce n’est guère plus évident dans l’enseignement supérieur. On n’assiste pas au cours d’un collègue, rarement d’un intervenant professionnel, parce que « ça ne se fait pas » ! les raisons invoquées ? Cela va de « il vient me pomper mon cours », à …. « je connais mon métier et il n’a pas à me contrôler ».

Il est vrai que l’évaluation des enseignements est de plus en plus pratiquée dans l’enseignement supérieur, mais elle connait les mêmes dérives : c’est l’enseignant qui est noté plus que le contenu. Et tout le monde sait que les aspects « bonnes notes », « animation » sont souvent les critères non-dits qui emportent l’évaluation.

Quelle intervention ?

Et s’il y a alerte ? Je suis désolée de dire que c’est le principe de non-intervention qui domine. Il n’est pas facile de prendre un(e) collègue(ou même un intervenant extérieur) en quatre yeux et de lui signifier les problèmes qui se posent avec son comportement. En général, on attend un peu, et, silencieusement, on lui retire le cours sous un tout autre prétexte … plus tard …

Je sais que beaucoup d’enseignants, du primaire au supérieur, vont donner tous les exemples du monde pour s’inscrire en faux, mais je demande à chacun de revisiter sa carrière d’élève et d’étudiant … Nous avons tous au moins un exemple en tête. Je répète du « pas (trop) grave » … mais qui pose la question de ce colloque singulier.

 La salle de classe, un lieu sanctuarisé ?

La « salle de classe » est de plus en plus virtuelle et ouverte. Elle reste néanmoins le pivot de l’éducation, du CP à l’Université.

Faut-il respecter cette confidentialité d’un lieu clos ? Rappelons que des élèves sont régulièrement sanctionnés pour avoir diffuser des photos ou des enregistrements de ce qui se passe en cours.

Le débat est ouvert. Ce principe est fondateur. Il est la garantie de la construction d’ « esprits libres », loin des pressions de l’opinion, de la politique, de l’économie … La transmission de la connaissance doit pouvoir être à l’abri du tumulte du monde. Est-ce encore crédible à l’heure des réseaux sociaux ? Il me semble que ce principe se défende encore plus qu’ « avant Internet ». Mais il est hautement exigeant pour le « professeur », quel que soit son statut. La double trahison largement médiatisée entre Wauquiez et des étudiants de l’EM Lyon pose question.

Sortir du tacite

L’enjeu est de sortir du contrat tacite, qui à force de l’être, s’oublie peu à peu. Il faut rappeler régulièrement ce contrat de « confiance et de conscience »

Comment ?

  • Faire signer une charte éthique aux enseignants/intervenants et aux étudiants,
  • Avoir une ligne d’alerte ouverte,
  • Créer un dispositif tiers pour remédier aux problèmes.

Sachant que l’excès de réglementation n’est pas souhaitable et que tout mettre sur la place publique devrait être le dernier recours !

Mais combien d’écoles, de collèges, de lycées, d’universités, de grandes écoles ont-elles institué ces pratiques ?

En conclusion, ce qu’a pu dire Laurent Wauquiez a peu d’intérêt (sauf pour les concernés) et il n’est en rien une exception. Ce qui est intéressant c’est la capacité d’interpellation des étudiants (qui a existé selon le témoignage des présents), c’est leur capacité à remonter à la direction de l’école les dérives qu’ils auraient pu identifier, c’est que l’école ait des instances qui décident des limites du cadre de certaines interventions.

Cette « affaire » bien anecdotique finalement nous rappelle que la conscience et la confiance ne s’opposent pas ! Au contraire, elles doivent s’enrichir mutuellement. Elles s’éduquent et se tricotent au quotidien. Par contre, il faut commencer très tôt, dès la maternelle !

Ce billet a été initialement publié sur Linkedin