Cracking the management code

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Gratuité des études ou prix zéro ?

Nouveau gouvernement, nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, vieux sujets ?

De vieux sujets ou des sujets récurrents comme la question de la gratuité des études. Pendant la campagne présidentielle, la conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM) a plaidé pour une défiscalisation des frais de scolarités des étudiants du privé. Il y a eu des articles décrivant : « l’insolente santé de l’enseignement supérieur privé » en France (Le Monde Campus du 17 Janvier 2022), grâce d’une part à l’apprentissage, largement financé par les deniers publics et de l’autre, au dévissage de l’université qui n’a pas su réagir bien et vite à la nouvelle donne imposée par la pandémie et les confinements.

Alors : payer ou ne pas payer pour étudier ?

Quand on pose la question, la France se divise en deux. Il y a ceux et celles pour qui la gratuité n’est pas négociable, car ils voient l’éducation comme un bien commun. Or, un bien commun n’est pas monnayable : l’éducation, comme la justice, l’eau ou le soleil.

Les autres sont prêts à payer car ils voient dans l’éducation un investissement, c’est-à-dire la construction d’un avenir meilleur pour leurs enfants.

La France pratique la gratuité pour le plus grand nombre, d’autres pays ont fait d’autres choix, les Etats Unis étant l’exemple le plus connu d’une éducation payante avec ces parents qui économisent dès le jardin d’enfants pour payer un bon collège et une bonne université, ou ces étudiants qui s’endettent sur des décennies pour honorer leur frais de scolarité (on dit que les Obama ont fini de rembourser leurs prêts étudiants à la Maison Blanche).

Comment ne pas rester bloquer sur des croyances ancrées ou des postures idéologiques ?

D’abord, il faut constater que la question de la gratuité et du payant ne se joue pas en noir et blanc et que les pratiques réelles sont beaucoup plus nuancées.

Examinons ce que veut dire « payer ses études en France ». Le panel est large, on peut :

– faire des études gratuites (hormis les frais d’inscription à l’université) pendant 5 ou même 8 ans,

– régler des frais de scolarité plein tarif : 5 ans dans certaines écoles de management peuvent coûter jusqu’à 90 000 euros,

– suivre une formation payante mais prise en charge via l’alternance : contrat d’apprentissage ou de professionnalisation. Ce n’est plus l’apprenant qui paie mais l’entreprise, elle-même soulagée par des aides publiques,

– payer, mais avec des allègements de frais grâce à des systèmes de bourses, d’aides, de soutiens, ou de prises en charge diverses …

Il existe donc déjà toute une palette dont ne se privent pas les familles. Les choses se font souvent chemin faisant, ainsi, après 5 années d’un master universitaire, gratuit mais considéré comme « voie de garage», des milliers d’étudiants vont effectuer une 6ème année dans un MsC ou un MBA privé, en payant (ou en alternance) pour se professionnaliser en quelques mois.

Un constat commun

Pourtant, les résistances aux changements sont énormes et convergent au final, avec au départ des raisons opposées. L’accord se fait sur :

– une université gratuite, sans moyens et de moins en moins attractive, mais qui reste campée sur son « commun », vision défendue par des étudiants élus par moins de 10 % de leurs collègues, et par des enseignants qui ont choisi leur métier pour la recherche, pas pour l’enseignement.

– des écoles privées qui attirent de plus en plus d’étudiants et peuvent ainsi développer leurs ambitions.

La pandémie a encore accentué les fractures avec un système privé montré comme réactif et une université où des secteurs entiers sont restés bloqués.

Abandonner la gratuité pour le prix zéro

Des pistes existent pour sortir de cette apparente opposition :

– La première est de briser le tabou de la gratuité pour le « prix zéro », c’est-à-dire permettre aux universités de facturer des frais de scolarité en fonction des revenus des familles, comme le font déjà les Instituts de Sciences Politiques par exemple. Ce n’est pas jouer sur les mots, c’est redonner de la valeur à la formation, et c’est permettre d’amorcer le cercle vertueux des moyens pour remotiver les enseignants-chercheurs et des équipes administratives, et obtenir un meilleur engagement de leur part,

– La seconde est de rééquilibrer les dotations entre disciplines. Ainsi, le dernier observatoire de la FNEGE (Fédération Nationale de l’Enseignement de Gestion) montre que pour la discipline de gestion (20 % des étudiants en France suivent une formation en gestion !) il y a 1 enseignant-chercheur pour 105 étudiants, alors que c’est 1 pour 20 en économie et 1 pour 33, toutes disciplines confondues. Actuellement, à de rares exceptions près de « redéploiement », les postes universitaires sont renouvelés à l’identique, faisant fi des attentes d’encadrement des étudiants. Ce rééquilibrage leur garantirait un meilleur accompagnement, sans toucher la masse budgétaire.

– La troisième est d’ouvrir à la concurrence des disciplines jusque-là en monopole à l’université : la médecine, le droit, en premier lieu. Concurrence qui se pratique déjà (en creux), avec la délocalisation d’étudiants pour des formations aux effectifs pléthoriques (kiné en Espagne, véto en Belgique ..). La concurrence, c’est de l’émulation et c’est du choix, dans l’enseignement supérieur comme ailleurs . Les sciences du management ou de l’ingénieur le démontrent largement.

Ces trois pistes sont faisables, elles sont souhaitables, pour que tous les étudiants aient le choix.

Et que la question ne se résume pas à payer ou ne pas payer pour étudier.

Communiquer, faire rayonner, valoriser sa recherche !

Save the date : les 4, 5 et 6 Octobre prochains, j’ai le plaisir de lancer la première session d’une formation à destination des enseignants-chercheurs en gestion : « Communiquer, faire rayonner, valoriser sa recherche » dans les locaux de la @FNEGE !

En effet, les chercheurs, toutes disciplines confondues, sont de plus en plus sollicités par les media pour communiquer en dehors des cercles académiques traditionnels.

On leur demande de savoir parler de leurs recherches de façon simple et convaincante à des cibles qui vont de professionnels éclairés au grand public.

Comme les cercles s’élargissent et se multiplient, les supports de communications se diversifient : il s’agit de savoir communiquer à l’écrit ou à l’oral, dans les grands médias que sont la télévision, la radio ou la presse, et de plus en plus, via les réseaux sociaux, les webinaires, les podcasts, face caméra

Dans le même temps, les institutions d’enseignement et de recherche incitent leurs chercheurs à travailler leur impact sur leur environnement. Les accréditations internationales en management le font depuis des années.

Depuis Août 2021, le MESRI a lancé le label SAPS pour « Science Avec et Pour la Société », qui concerne tous les établissements d’enseignement supérieur français.

Si certains chercheurs sont naturellement très à l’aise avec cette autre façon de communiquer, beaucoup sont encore réticents, ou n’en voient pas l’intérêt, faute de maîtrise de cet exercice de vulgarisation, très éloigné des codes de la communication scientifique.

 

Quels sont les objectifs de ces 3 journées :

  • Connaitre le contexte de la vulgarisation scientifique, en identifier les questionnements et comprendre les enjeux
  • Communiquer les résultats d’une recherche scientifique à tous les publics
  • Synthétiser et vulgariser un article de recherche en 600 mots
  • Savoir s’exprimer face aux journalistes > Rédiger un article de vulgarisation ou une tribune
  • Construire sa « marque personnelle » multi-canal et manager sa visibilité sur les réseaux sociaux.

Je serai le « fil rouge » de ces trois journées, auprès d’expert-es de toutes ces questions : @Geraldine Schmidt, @Emilie Hennequin, @Thibault Lieurade, @Cécile Michaut @Patrice Razet, @Theo Haberbusch, et des grands témoins de ces pratiques de vulgarisation.

Le stage démarre avec 10 participants.

Les inscriptions se font à la FNEGE.

Vous savez tout ! à bientôt 😊

https://www.fnege.org/formation/communiquer-faire-rayonner-valoriser-sa-recherche/

Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements 20-21 !

Gaffe au syndrome du lavabo !

Le syndrome du lavabo : c’est avoir le sentiment que son monde n’a aucun horizon, qu’il est uniformément blanc, se limite à des parois lisses, tellement lisses qu’on ne peut les gravir pour en sortir. Et que finalement la seule sortie possible est par le bas, dans la bonde, emporté par un flux qu’on ne maitrise pas.

C’est le sentiment que m’ont décrit des étudiants, chacun à leur façon ces dernières semaines.

Le sentiment pour certains d’être complètement oubliés. Pour d’autres, de ne plus supporter les discours positifs des directions de leurs formations, qui semblent pratiquer la pensée magique !

« On n’a plus le droit de s’amuser, les enfants ne connaissent pas ce que la génération précédente comme la mienne a pu connaître. S’amuser avec ses amis, rigoler, jouer à des jeux d’enfants, s’approcher, s’enlacer, se faire la bise, se mettre à côté de ses amis en classe,…tout ça ils n’ont pas pu en profiter. Les ados et même les étudiants dans mon cas ne peuvent pas profiter de cela. J’ai bientôt 20 ans et sans vouloir me plaindre, je trouve que ce n’est pas une vie de jeunes. »

« Ras le bol des grands discours sur la résilience ! Ras le bol des leçons de morale ! Ras le bol des investissements bidons sur les cours en ligne ! »

Une perte d’identité étudiante

On connait le « syndrome du glissement » pour les personnes très âgées qui rejoignent des  EHPAD, quelque chose de semblable est actuellement à l’œuvre chez les étudiants.

Globalement, on sait que la perception de la durée n’est pas la même en fonction de l’âge. Les mois qui passent comptent double ou triple proportionnellement quand on a 20 ans plutôt que 60. Mais ce n’est pas que du « ressenti ». Objectivement, ces jeunes adultes sont privés de tout ce qui fait ou devrait faire leur vie d’étudiant-e.

« Je vois beaucoup de commentaires qui expliquent qu’il faut relativiser, ne pas se laisser aller, que des situations bien pires existent dans le monde et c’est bien vrai. Mais cette peur décrite est réelle parce qu’elle a un réel impact dans nos vies. »

Au-delà de l’ennui, de la frustration, du sentiment de ne pas avoir la possibilité d’acquérir les compétences attendues, c’est leur identité d’étudiant qui est mise à mal.

Quels sont les attributs d’une vie d’étudiant ? Les cours bien sûr mais aussi (et surtout) tous les moments off qui tissent la communauté :  le café à la pause, les bavardages, les clashes …La vie associative, les fêtes, les évènements, les remises de diplômes, les séjours à l’étranger, les stages, les jobs étudiants, l’alternance, le sport ….

Tout cela a disparu !

« Je sais bien que nous ne sommes pas la pire des situations mais malgré tout on commence petit à petit à dépérir. »

Des inquiétudes mais aussi des problèmes réels

Les problèmes financiers sont réels : les frais de scolarités à payer alors qu’on a perdu son job étudiant ou que ses parents sont en difficulté, renoncer au logement étudiant pour économiser le loyer …

Les inquiétudes sont réelles sur la valeur du diplôme. Quelle sont les garanties que porte un diplôme ?

  • Un bagage de connaissances, alors les cours sont vécus comme insuffisants ou frustrants avec d’énormes écarts selon les institutions et les enseignants.
  • Une expérience professionnelle : comment l’acquérir avec l’absence de stages, le chômage partiel pendant les contrats d’alternance ou pas d’alternance du tout ?
  • Une expérience interculturelle : qui est soit supprimée, soit vécue en ligne de chez soi.
  • Une vie d’adulte indépendant : bien mise à mal avec les retours chez les parents.

Les mois passent, les promesses fleurissent, mais la morosité gagne  du terrain avec cet horrible sentiment de se heurter à une paroi de …lavabo.

« Je suis étudiante  et vraiment je ne trouve aucun stage ce qui m’angoisse littéralement. Les entreprises refusent toujours pour la même raison : la Covid-19. « 

Sanctuariser des moments d’échanges et d’écoute

Ils ont besoin d’être écoutés, d’être entendus, et qu’on leur apporte aussi des solutions.

Les mêmes inquiétudes existent en entreprises et le management est particulièrement sollicité pour être au plus près de leurs équipes.

Une piste est de faire de l’expérience étudiant le critère n°1 cette année. On parle beaucoup et depuis longtemps d’expérience étudiant. Elle est mise à l’épreuve de cette grande crise que nous traversons.

Plutôt que de dupliquer des enseignements en ligne, plutôt que de continuer à mettre la pression sur la publication, ne devrait-on pas sanctuariser une partie du temps des enseignants pour créer des rituels de rencontre et d’échanges essentiels dans ces grands moments d’incertitude, où tous les repères sont chamboulés ? Afin que chaque étudiant puisse bénéficier d’une écoute personnalisée.

Ainsi, une lecture d’articles peut remplacer un cours. Une heure au téléphone ou en skype à échanger sur les difficultés mais surtout sur les possibles, n’est pas substituable.

« Lorsque l’on est parents d’un jeune adulte majeur dans cette situation et loin de la maison on ne peut qu’assister impuissants à sa désespérance en maintenant coûte que coûte avec l’énergie de l’amour le lien familial en espérant qu’il ne soit pas insuffisant. »

Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements des formations 20-21

Et si, pour une fois : les fameux classements des formations (business schools, écoles d’ingénieurs, IAE, MBA …) , si importants quoiqu’on en dise, mettaient ce critère de l’expérience étudiante en premier ? Avec une pondération complètement insensée ?

Ce serait une belle reconnaissance pour nos étudiants, et une façon très concrète de stimuler les écoles et les institutions d’enseignements dans la lutte contre ce syndrome du lavabo.

Mettre de côté des critères comme : le nombre d’étudiants étrangers, les salaires à la sortie, le nombre de création d’entreprises, les étoiles des publications, le nombre d’alumni dans le Who’Who, les doubles diplômes etc etc … tous critères démonétisés cette année, pour aller vers le seul qui compte vraiment : le bien-être de nos étudiants !

Et sur un tel sujet, on peut compter sur l’éthique des dirigeants, des coachs en classement et des classeurs !

PS : Les verbatims sont des commentaires publics sur ma page LINKEDIN

Et s’il fallait savoir « ne pas innover » à la rentrée 2020 ?

La rentrée 2020 s’annonce pas du tout comme les autres. Les étudiants, surtout les « primo-entrants », ainsi que leurs familles, sont inquiets, déstabilisés.

L’enseignement supérieur tel qu’il était établi depuis des décennies, des siècles, se délite sous leurs yeux. Certes, pour « autre chose » que nous, enseignants, experts, directeurs d’institutions percevons comme positif et d’avenir, mais est-ce « entendable » pour eux ? Je ne le crois pas.

Ils n’ont pas envie d’entendre vanter les bienfaits du e-learning, les joies des examens à distance, la splendide « disruption » de leur future école, la formidable capacité à innover pédagogiquement.

Nos étudiant-es ont besoin d’être rassuré-es, et de penser que leurs études ne seront pas si différentes que celles de leurs prédécesseurs. Il va falloir savoir « ne pas innover » à la rentrée.

 

La promesse de la continuité pédagogique, envers et contre tout

Tout l’enseignement supérieur est en ébullition. Le covid 19 est passé par là, rendant réelles en quelques semaines, quelques jours même des innovations pédagogiques dont on parlait beaucoup, qu’on appelait de ses vœux, qu’on voyait se réaliser de ci de là, à grands renforts de projecteurs, de satisfécits, suscitant envies, mais aussi doutes et critiques.

De façon quasi magique, sous le coup du grand confinement, la pédagogie distancielle (le e learning) s’est généraliséz, avec toute une palette de dispositifs, tous plus innovants et originaux les uns que les autres. Car, devant la nécessité, les enseignants ont su faire preuve d’un véritable génie créatif avec de grands succès et de gros ratages. Mais dans l’ensemble la promesse de la fameuse « continuité pédagogique » a bien eu lieu « globalement ».

 

Vers un distanciel à vitesse variable

Après la sidération, la peur de ne pas savoir faire, les énervements et les hésitations devant les outils à maîtriser, les enseignants ont su « traduire » leurs enseignements. Si certains se sont contentés de transposer ce qu’ils faisaient dans leurs classes ou leurs amphis, beaucoup d’autres ont entièrement revu leur contenu et surtout, leurs modalités de transmission.

Après les cafouillages de démarrage, une forme de routine s’est installée, au grand soulagement de tous : « Ce n’était pas si compliqué ! ».

Les bilans sont aussi très variés et variables dans le temps. En effet, après une première période de lune de miel où l’auditoire (les étudiants) faisaient preuve de beaucoup de motivation et d’engagement, la lassitude est passée par là et l’essoufflement a gagné, se traduisant par une forme de désaffection qui a pu donner l’impression à des professeurs de se retrouver très seuls dans les couloirs virtuels de zoom ou de teams quand tous leurs élèves étaient en mode mute et écrans éteints « pour économiser la bande passante » !

Il y a donc matière à se réjouir et la préparation de la rentrée qui s’annonce virtuelle est finalement assez sereine.

 

La célébration du distanciel

Les arguments en faveur du distanciel sont nombreux et répétés à l’envi. Si nous en faisons une courte recension :

  • Moins de m2 donc une économie sur les locaux,
  • Moins de déplacements pour les enseignants comme pour les étudiants,
  • Pas de coûts de logement pour les étudiants qui peuvent rester chez leurs parents,
  • Une asynchronie qui permet à chacun de travailler selon son rythme,
  • Une standardisation de certains cours qui permet de rationnaliser les coûts pédagogiques tout en permettant de hausser la qualité : on confie les cours à des « profs vedettes » et on les diffuse à tous,
  • Une économie sur la masse salariale et … moins de profs à gérer,
  • Un suivi plus individualisé si on se donne la peine de mettre en place quelques analytics bien pensés,
  • Un choix beaucoup plus grand de « cours » avec la possibilité de créer son propre parcours de façon souple,
  • Le temps choisi pour l’organisation de son travail personnel par l’étudiant,
  • Et, globalement, la vision d’un secteur qui, dans ses représentations assimile « tech » et dynamisme.

 

Comparaison peut être raison

Cet engouement me rappelle celui pour les sites marchands tout au début des années 2000. Quand je reprends mes recherches du moment, je retrouve les mêmes arguments :

Les mètres carrés économisés par suppression des boutiques, un meilleur service aux clients avec l‘explosion du choix des produits ou des services, l’amplitude sans freins des heures de connexion, des prix à la baisse (ou une marge préservée), moins (ou plus du tout) de « vendeurs » à gérer (population réputée comme difficile dans beaucoup d’entreprises).

A ce moment-là , on oubliait trois choses qui se sont vite rappelé aux concepteurs de sites ou aux vendeurs « pure players ». Et ceux qui ne l’ont pas compris assez vite se sont ruinés dans la « bulle » Internet du moment.

1/ Tout ne peut pas passer par les fils des ordinateurs (ou maintenant le wifi) : pour beaucoup d’activités le métier essentiel, c’est la logistique des flux, flux de produits c’est vital, et flux des informations (c’est essentiel).

2/ Au-delà du bien, le consommateur (vous, moi) a besoin du lien et la relation à l’autre est indispensable et pas remplaçable par des chatbots, des mails, et même des échanges téléphoniques après sélection de touches étoiles ou dièses, comme indiqué par une voix robotique.

3/ Un lieu présentiel (une boutique, une classe) est aussi un lieu de socialisation et d’échanges « entre les membres d’une même promotion ». Le distanciel casse cet « actif » qui se constitue avec les travaux de groupe, les associations, les échanges avec les alumni …

 

Tirer des enseignements (c’est le cas de le dire)

20 ans après, on a bien compris que l’explosion du commerce en ligne ne s’opposait pas aux magasins « en dur » et la sortie du confinement démontre bien le besoin qu’ont les consommateurs de lieux de socialisation, même si la peur de la contagion, et la crainte pour leur pouvoir d’achat, freinent encore le « magasinage ». Depuis 20 ans, les magasins font mieux que résister, ils s’imposent et se réinventent pour proposer à leur client un service « sans couture » qui permet de passer du site virtuel au site réel, sans rupture.

Cette analogie pour dire que les salles de cours « en dur  »,  les professeurs « en chair et en os » ne doivent pas être balancés avec l’eau du bain de la digitalisation.

Ils sont difficiles à manager (les profs), ils sont souvent trop exigus (les locaux), ils ne sont pas toujours à la hauteur des attentes et des promesses (les deux), ils coûtent chers (les deux ) mais c’est grâce à eux qu’on sait qu’on est dans « son » école ou « sa » fac.

Les locaux comme les professeurs et les équipes administratives font ce qui différencie une école ou une université d’une autre. Sans eux, pas de « climat », pas de bons ou de mauvais souvenirs, pas d’attachement affectif à son établissement de formation

Avec le e-learning, s’installe une relation contractuelle dépouillée d’affect qui fait que le mieux-disant l’emporte, quand ce n’est pas le moins-disant. Et ce concurrent peut être un nouvel acteur sur le marché, puisque le distinctif de l’enseignement supérieur laisse place au substituable.

Adieu aussi les relations alumni, la notion même de réseau qui fait la force des établissements d’enseignement supérieur et surtout des grandes écoles.

Adieu les amitiés étudiantes qui forgent les futures relations amicales et d’affaires.

 

Une question se pose d’urgence, faut-il vraiment en rajouter dans l’innovation ?

Je pense à tous les lycéens qui vont arriver dans un environnement qui est déjà, en situation « normale », inconnu et inquiétant, et auxquels on va ajouter une rupture supplémentaire dans les modalités pédagogiques.

Faut-il vraiment renchérir dans l’innovation ? Dans le tout-distanciel ? Risquant d’ajouter de l’angoisse à l’anxiété ? Ne vaut-il pas mieux « rassurer » « rassurer » en se rapprochant au plus près du connu, de la vision classique d’une rentrée dans le supérieur ? Et chercher à préserver les professeurs, les équipes administratives, et les locaux ?

S’il fallait savoir « ne pas innover » à la rentrée ? Ou, du moins, ne pas mettre en avant cette innovation qui pourra être perçue comme inquiétante. Nos étudiants aspirent à avoir des repères et veulent croire en un avenir serein.

Sachons mettre de côté nos effets d’annonce et nos envies de disruption. C’est trop tôt !

Avec le Covid19, nous n’enseignerons plus la prise de décision de la même façon !

L’importance de la prise de décision en management

Quand on enseigne le management, une grande partie du cours porte sur la prise de décision. Quand on y réfléchit bien, c’est aussi la plus grande partie de la mission d’un manager : décider !

Or, on sait depuis Simon et consorts, que la décision ne peut se prendre qu’en rationalité limitée, avec des informations insuffisantes et imparfaites.

Tout l’enjeu est de faire toucher du doigt ces situations à des étudiants qui n’ont pas eu beaucoup d’occasions d’y être confrontés. Il faut leur montrer l’importance et la diversité des impacts des décisions prises : financiers, sociaux, environnementaux, éthique, vitaux …

L’appel à l’analyse du passé

Pour cela, nous mobilisons de nombreux exemples ou études de cas pour les aider à évaluer des situations complexes. Ces cas sont pris dans la vie des entreprises, mais aussi, dans la vie politique, qui connait son lot de choix cornéliens.

L’analyse des cas réels et passés, est, par définition, facile, car, depuis, on sait « ce qu’il aurait fallu décider ». Ainsi, il aurait fallu arrêter dès les premiers cas, la vente de viande de « vache folle », il aurait fallu stopper les transfusions sanguines dès les premiers soupçons, il aurait fallu suspendre la vente de tant de médicaments après les premiers cas d’effets secondaires dramatiques ; ou encore : on a bien fait de commercialiser les fours à micro-ondes malgré les peurs que cette technologie générait ; ça a été une bonne chose de prendre le risque de lancer les chemins de fer à vapeur malgré les prédictions catastrophiques pour la santé des passagers …

Une idéologie managériale de l’audace en toile de fond

On met alors au jour, en toile de fond du management, un cadre idéologique de la prise de risque, de l’audace, d’aller de l’avant avec de nouveaux projets … Dans un monde incertain, volatile, etc etc … un bon manager est celui -ou celle, bien sûr- qui ose, qui sait aller de l’avant, de façon agile et efficiente. Ce qui peut entrer en tension avec d’autres appréciations.

Ainsi, un principe souvent pointé du doigt par l’audace managériale est le « principe de précaution ».

Rappelons que le principe de précaution a été défini à Rio de Janeiro en 1992, il est inscrit depuis 2005 dans la Constitution française comme article de la Charte de l’Environnement. Selon ce principe : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».

Il n’est pas à confondre avec le principe de prévention qui, lui, intervient une fois que le risque est avéré.

Le principe de précaution est beaucoup plus sensible, et difficile à manipuler.

Dans la pensée managériale, il est souvent perçu comme :

  • néfaste car empêchant toute innovation de se faire
  • castrateur car ralentissant tout développement économique
  • triste car anti-créatif
  • dispendieux car poussant à engager des dépenses pour « se couvrir ».

« Dans le doute, abstiens-toi » ne fait pas partie de la grammaire managériale.

La gestion de la crise du Covid19 à l’aune de celle du SRAS en 2003

Nous vivons tous en direct ces difficultés avec la crise du #covid 19. Faisons un petit résumé de la situation.

Nous sommes très nombreux à nous demander comment on a pu en arriver là, surtout quand nous nous comparons à notre partenaire européen : l’Allemagne.

Les analyses montrent qu’une bonne partie de la difficulté à mettre en place une politique cohérente et surtout efficace, vient de l’évolution de la crise d’un autre coronavirus, le SRAS en 2009.

Cette pandémie du SRAS avait été gérée de façon radicalement différente : devant le risque d’une pandémie massive, le principe de précaution avait été appliqué par le gouvernement de l’époque, et des dépenses très importantes avaient été engagées pour l’achat de matériels divers (dont les fameux masques) pour protéger la population française. Comme la crise n’a pas eu lieu, il y a eu deux effets :

1/ Une mise en cause très sévère de la gestion de la crise jugée dispendieuse.

2/ Un second effet, dont nous ne subissons que maintenant le ricochet : le sentiment qu’il ne fallait pas gérer de la même façon le coup d’après, et ne pas engager tout de suite les grands moyens ! Ce dont nous subissons les conséquences avec la pénurie du matériel comme les masques.

Au-delà du biais cognitif pour l’appréciation de la situation, le principe de précaution est une fois de plus battu en brèche !

L’épisode n’a pu qu’alimenter la perception négative du principe de précaution, vu, dans ce cas de figure comme dispendieux et fait « pour se couvrir ».

Du vertueux principe de précaution à l’accusation de « précautionnisme »

Le principe de précaution est souvent taxé de « précautionnisme » (1), c’est-à-dire d’ « excès de précaution », qui se traduit par le refus d’avancer par peur des risques, l’immobilisme ou l’attentisme.

Les exemples de précautionnisme pullulent : la remise en cause de certains vaccins (ou même du principe de la vaccination) à cause de quelques très rares cas de mauvaises réactions ; la culture des OGM ; les ondes électromagnétiques, l’implantation des éoliennes

L’argument des « audacieux » est que le refus d’avancer se fonde sur des croyances (les anti-vaccins, les anti-OGM ..) et non sur l’objectivité scientifique.

Si on revient à la prise de décision, la question est bien celle de l’évaluation des risques qui relève des « sachants » (les scientifiques) et la décision elle-même appartient au manager ou au politique.

Sachant que le processus est fragile : dans quelle mesure le diagnostic scientifique est-il fiable ? Une crise émergente se caractérisant de plus par l’absence d’historique, comme de données suffisamment nombreuses et exploitables. Le risque peut donc être surestimé ou sous-estimé.

Un autre point qui surajoute à la difficulté sont que les liens entre décideurs et scientifiques peuvent introduire des biais (comme c’est le cas de médicaments dont les risques ont été sous-évalués du fait du lobbying des laboratoires envers le monde médical).

Le monde du management s’insurge contre cette frilosité qui coûte cher et ne permet pas d’avancer aussi vite qu’on le souhaiterait.

Les arguments sont nombreux : la surestimation des faibles probabilités est un des principaux arguments. Selon le fameux principe « je crois ce que je crains », il est facile de démontrer que l’opinion publique surestime les dangers, souvent relayée et poussée à la fois en cela par le monde médiatique.

On laisserait alors la croyance décider, avec des accusations de populisme et de démagogie.

Le débat actuel autour de la chloriquine est une autre illustration de cette difficulté : le principe de précaution pousse à ne pas agir car les risques ne sont pas estimés, et s’oppose à l’audace toute entrepreneuriale de ses défenseurs.

Une situation apprenante

L’année prochaine, quand la poussière sera un peu retombée, le cours sur la théorie de la décision sera passionnant et surement passionné, tant tout le monde l’aura vécu dans sa chair pendant de très longues semaines.

Une autre leçon de cette crise.

 

(1)L’inquiétant principe de précaution Bronner, G. ; Géhin, E., PUF, 2010

Face au covid19 : notre responsabilité d’enseignants

Nous en sommes au 13ème jour du #confinement et je mesure la responsabilité que nous devons avoir en tant qu’enseignants.

J’entends à France Inter un universitaire interroger d’une façon comminatoire la ministre de l’enseignement supérieure sur les reports de dates d’un concours, quand, dans le même temps, une de mes étudiantes m’apprend que son père vient de décéder du #Covid19.

« Nous ne savons pas, et cela nous sort de notre zone de confort »

Je vois aussi sur les réseaux sociaux des pétitions d’enseignants et d’étudiants qui circulent à propos de la réorganisation des cours, des concours, des examens … avec des mots très forts comme : injustice, iniquité, irresponsabilité, inégalité …

Certes, il est difficile d’accepter, après une ou deux années de prépa, d’un grand investissement, voire de sacrifice, de voir le concours tant redouté être décalé dans le temps et réorganisé, ou même supprimé. C’est une évidence !  Qu’on ressente une forme de désarroi et de frustration, est tout à fait naturel. Mais, refuser l’évidence et s’arcbouter à ce qui « aurait dû être » relève du déni ou de l’aveuglement.

En effet, nous ne savons pas ! Et cela nous sort de notre zone de confort. En effet, nul ne sait à quelles dates exactes se dérouleront les concours et les examens 2020, ni quelles en seront les exactes nouvelles modalités car nous n’avons pas de boule de cristal !

« Cette période est inédite en ce que chaque jour modifie ou défait les prévisions de la veille. »

L’année 2020 sera une année extra-ordinaire, elle nous bouscule et chamboule tous nos plans. Les mariages, les vacances, les voyages, les fêtes de famille sont annulés, les funérailles ne permettent pas de partager son chagrin, on ne se réunit que virtuellement, les parents font la classe à la maison … et il n’y aura peut être pas d’oraux, et peut être pas de concours tout court !

On peut aussi, avec le scénario du pire, imaginer qu’il n’y aura pas de rentrée.

Et dire que ce n’est « pas possible », relève de la croyance ou de la pensée magique, tant les incertitudes sont grandes.

Et si la rentrée a lieu, les entreprises accueilleront-elles en aussi grand nombre des alternants ? Les séjours académiques à l’étranger pourront-ils se dérouler « comme prévu » ? Peut-être, peut-être pas …

« Etre agile pour se préparer à l’imprévisible « 

Les enseignants ont une vraie responsabilité pour rassurer leurs élèves et étudiants, les aider à comprendre la situation, à hiérarchiser les problèmes, à gérer leurs impatiences et leurs frustrations, à accepter que tout n’est pas comme ils le souhaiteraient, et pas du tout comme ils l’imaginaient.

.C’est injuste peut-être, mais c’est comme cela, et il faut l’accepter, non pas en étant soumis, mais en se préparant à l’imprévisible.

On enseigne dans les cours de management, la notion d’ « agilité », on la loue même, car elle est vraiment perçue comme une des vertus cardinales des organisations et des hommes et femmes qui les dirigent. Être agile, c’est être flexible, tout le contraire de la rigidité. Et cela vaut tant pour une entreprise que pour des personnes. Être agile, c’est envisager des scénarios alternatifs, et même adopter avec engagement celui qu’on n’avait pas identifié. Être agile, c’est savoir renoncer. Être agile, c’est être serein même dans des contextes difficiles, complexes, périlleux, incertains. Nous reconnaissons bien là notre environnement actuel !

En tant qu’enseignants, soyons agiles et aidons nos étudiants à l’être. La vie est longue, la leur surtout et ils auront tant d’autres obstacles ou contrariétés à affronter !

« Egalité, inéquité, injustice …. entre croyances  et frustrations »

Aidons-les aussi à s’affranchir de croyances, par définition non vérifiées qui leur font dire en boucle que ces concours « sans oraux » ne seront pas équitables, inégalitaires, et que c’est « injuste »…

Ils seront par définition égalitaires puisque la règle sera la même pour tout le monde, et ils seront inéquitables comme le sont tous les concours malgré toutes les dispositions prises et améliorées depuis des années

Est-il équitable d’avoir le sujet qu’on vient de bachoter ? De bénéficier d’un correcteur plus laxiste ? De passer son concours avec un gros mal de tête, ou le lendemain de la mort de sa grand-mère ?

Est-ce que les oraux améliorent les classements des moins bons préparationnaires ? Rien n’a jamais été démontré, au contraire, il semblerait que, sur les grands nombres, la tendance du niveau écrit se confirme à l’oral (d’après des échanges avec des professeurs de classe prépas expérimentés). Il y a toujours des exceptions à une règle, surtout empirique, mais ne comptons pas trop sur l’atypique, même si c’est notre meilleur ami, ou notre cousine !

Dans ces moments très difficiles, il serait bienséant de hiérarchiser les VRAIES épreuves comme la maladie ou la mort d’un proche, là aussi profondément inégalitaires et injustes : pourquoi lui ? pourquoi moi ? Le virus covid 19 ne discrimine pas, il s’attaque à tous, mais les organismes ne sont pas égaux dans leurs défenses immunitaires. C’est injuste, mais c’est comme ça. Et nous devons faire avec, au mieux bien sûr.

« La bienveillance doit être de mise et les accusations n’ont pas cours »

Nous transmettons aussi dans nos cours de management l’importance de la bienveillance et de la confiance pour un management responsable. Nous avons à rappeler, dans ces moments de crise, que la bienveillance doit être de mise, et que les accusations de défaillance n’ont pas cours.

Tuer le messager n’efface pas la mauvaise nouvelle. Chercher des coupables dans une situation aussi dramatique que celle que nous vivons est une perte de temps et d’énergie, et même, une insulte à l’avenir commun.

Nous vivons une crise, et nous savons tous qu’une crise est aussi l’opportunité de réfléchir différemment et de poser les bases de nouvelles modalités de travail. Cela concerne toute la communauté de l’enseignement, enseignants, enseignants-chercheurs, comme les équipes « administratives ».

« Crise : préparer l’  « après » ensemble »

La crise des concours et des examens est certainement l’occasion de mettre en pratique ces principes d’agilité, de bienveillance, de confiance, de responsabilité.

Elle est aussi, l’occasion d’interroger des dispositifs établis, pour, peut-être les redimensionner, les réorganiser, peut être aussi, pour  se dire ensemble, qu’ils ont toute légitimité à être reconduits en … 2021. Non pas comme des « chefs d’œuvre en péril » à sauvegarder à tout prix dans des réflexes de reproduction, mais parce qu’ils sont bien fondateurs de la qualité de notre système d’éducation pour le plus grand bien de nos étudiants, et de leur destin personnel et professionnel.

Face au covid 19, notre responsabilité d’enseignants, est, plus que jamais d’accompagner, de rassurer et d’aider nos étudiants, nos élèves, à recouvrer la sérénité.

« Je ne te demande pas ce qu’on t’a fait mais ce que tu as fait de ce qu’on t’a fait », une phrase d’inspiration sartrienne, qui peut nous aider à poser les jalons de notre avenir commun.

PS : Le temps d’écrire ce texte, j’apprends la mort par Covid 19, d’une autre personne de mon entourage, je lui dédis ces lignes.

 

Recrutons « des gens bizarres, inadaptés, avec des compétences étranges » #BreakingSkills

Une « petite annonce » est passée relativement inaperçue en France mais elle fait beaucoup parler d’elle dans le monde anglo-saxon.

De quoi s’agit-il ?

D’une annonce de recrutement, ou plutôt d’un vaste manifeste ayant pour objectif de mobiliser des « gens bizarres, inadaptés, avec des compétences étranges » ! en VO : « Weirdos and misfits with odd skills »

  • Qui la lance ? Dominic Cummings, un des principaux conseillers de Boris Johnson pour constituer une équipe à Downing Street !
  • Pourquoi ? Parce qu’avec le Brexit, il va falloir changer la façon de faire de la politique et surtout la façon de prendre des décisions.
  • Comment ? En recrutant une petite équipe de personnes « différentes » (unusual), avec de vraies différences cognitives, pas seulement diverses en âge ou en sexe.
  • Avec quel objectif ? Trouver et exploiter des idées « à fort effet de levier » , ces idées qui sont en général considérées comme mauvaises, et donc écartées.
  • Quelles sont les modalités ? Un appel « au peuple » à partir de son blog, « loin des horreurs des Ressources Humaines », sans aucune garantie de réponse « faute de temps ». Il faut alors, si on est un candidat motivé « insister ».
  • Les conditions ? L’engagement est de deux années, sans weekend ni vacances (Cummings insiste sur le fait qu’il sera difficile d’avoir une vie amoureuse pendant cette période) avec une vraie mise en garde : celle d’être viré-e après quelques semaines si on ne fait pas l’affaire ! C’est dit !

Au seuil de 2020, on est, au plus haut niveau, dans la complète disruption en termes de « non ? gestion des compétences ». Ne nous y trompons pas, ce qui guide ce projet, c’est bien la quête de performance, pas une simple expérimentation.

Que pouvons nous retenir de cette action pour le moins innovante, qui interpelle forcément les acteurs de la formation et du management ?

Des citations inspirantes

Cummings introduit son propos avec plusieurs citations. J’en retiens trois :

Celle d’Eliezer Yudowsky (expert en IA) : « Il s’agit peut-être du plus gros défaut de conception qui contribue au mauvais équilibre de Nash dans lequel… de nombreux gouvernements sont coincés. Chaque personne compétente et performante sait qu’elle ne peut pas faire beaucoup de différence en étant un visage de plus dans cette foule. »

Et : « Une grande partie de notre élite intellectuelle qui pense avoir« les solutions » s’est en fait coupée de la compréhension des bases d’une grande partie du progrès humain le plus important.» Michael Nielsen, physicien.

Ou encore : « Des gens, des idées, des machines – dans cet ordre.» Colonel Boyd.

 

Une autre façon de prendre des décisions politiques

Cummings ne revient pas sur la présence de personnes brillantes dans la fonction publique et la politique mais il est convaincu que la façon dans les décisions sont prises n’est plus adaptée et le sera encore moins dans le contexte du Brexit où tout sera bouleversé.

Pour lui, il faut savoir travailler à l’intersection de l’éducation et de la formation, des sciences de la prédiction et la science des données, de l’intelligence artificielle et des technologies cognitives.

Le constat est formel : « nous n’avons pas le type d’expertise nécessaire pour soutenir le premier Ministre et son gouvernement ». Pour cela, « Nous voulons embaucher un ensemble inhabituel de personnes avec des compétences et des antécédents différents pour travailler à Downing Street avec les meilleurs fonctionnaires ».

Il s’agit de scientifiques des données et développeurs de logiciels, d’économistes, d’experts politiques, de chefs de projet, d’experts en communication, de chercheurs débutants, de gens « bizarres et inadaptés avec des compétences étranges ».

Les catégories énoncées (exceptée la dernière) ne semblent pas particulièrement décalées, c’est dans les descriptifs qu’émergent la vision disruptive.

Des profils « inhabituels »

  •  Ainsi, les « mathématiciens, physiciens, informaticiens, informaticiens » seront « inhabituels » (unsusual).

Ils doivent avoir des « qualifications académiques exceptionnelles dans l’une des meilleures universités du monde » ou « avoir fait quelque chose qui démontre des talents et des compétences équivalentes (ou supérieures). Par contre, le doctorat n’est pas obligatoire, un Msc en mathématique ou physique suffit si les compétences sont « exceptionnelles ».

Pour illustrer son propos, Cummings cite des articles qui illustrent son projet. On peut retenir :

Un article paru dans la revue Nature « Early warning signals for critical transitions in a thermoacoustic system,» (1) qui , examine les systèmes d’alerte précoce en physique qui pourraient être appliqués à d’autres domaines, de la finance aux épidémies. Ou : « Complex Contagions : A Decade in Review, 2017 (2). Un article qui examine un grand nombre d’études sur «ce qui devient viral et pourquoi?». Ou encore : « On the frequency and severity of interstate wars, 2019.» (3) avec une interrogation (un « mystère profond ») portant sur la stabilité du nombre absolu et de la taille des guerres interétatiques malgré les énormes changements connus par la population humaine, le nombre d’Etats, la santé publique, les modes de communication … 

Cummings présente son cahier des charges à ces spécialistes : « Vous devrez être en mesure d’expliquer à d’autres mathématiciens, physiciens et informaticiens les idées contenues dans ces articles, discuter de ce qui pourrait être utile pour nos projets, synthétiser des idées pour d’autres scientifiques des données et les appliquer à des problèmes pratiques. »  Les développeurs de logiciels « inhabituels » devront « aimer travailler sur ces idées, créer des outils et travailler avec des gens formidables ».

  • Les économistes « inhabituels » devront avoir « un dossier exceptionnel d’une grande université »,

Il leur faudra « comprendre les théories économiques conventionnelles »,  « être intéressés par des arguments à la pointe du domaine – par exemple, des travaux de physiciens … », « avoir envie de travailler avec des mathématiciens, des physiciens et des informaticiens ».

Il décrit le candidat idéal : « (Il) pourrait, par exemple, avoir un diplôme en mathématiques et en économie, travailler au LHC un été, travailler avec un fonds quantitatif un autre été et écrire des logiciels pour une startup YC un troisième été!

  • Les chefs de projet devront être « great » (géniaux ? ), être des promoteurs de succès !

Cummings rappelle qu’il « est possible de quantifier les leçons des échecs de projets tels que les projets ferroviaires à grande vitesse car presque tous échouent donc il y a un échantillon suffisamment grand pour faire des comparaisons statistiques, alors qu’il ne peut y avoir aucune analyse statistique des succès car ils sont si rares ».

Le premier projet consistera à améliorer les personnes et les compétences déjà présentes.

  • Cummings veut aussi des chercheurs, mais des chercheurs « débutants »,

Des chercheurs « TRÈS intelligents, tout droit sortis de l’université, avec une extrême curiosité et une capacité de travail acharné ». L’expérience est obsolète. Cummings veut « des gens beaucoup plus brillants que moi qui peuvent travailler dans un environnement extrême ».  Il faut aussi des « communicants » mais pas de ceux qui savent «parler aux lobbies». Sont attendus des experts du cinéma, des campagnes publicitaires, qui font des « choses bizarres ».

  • Les experts politiques doivent être de « classe mondiale ».

Ils devront avoir des compétences générales bien sur mais surtout des expertises approfondies dans des domaines spécifiques. Car l ‘« un des problèmes de la fonction publique est la façon dont les gens sont mélangés de telle sorte qu’ils n’acquièrent pas d’expertise ou qu’ils sont déplacés hors de leurs domaines de compétences. Un vendredi, X est en charge des besoins éducatifs spéciaux, la semaine suivante, X est en charge des budgets. »

  • Enfin, Cummings veut recruter « des cinglés super talentueux » ! avec une «vraie diversité cognitive», pas seulement une diversité « de type bla bla».

« Nous avons besoin de véritables jokers, d’artistes, de gens qui ne sont jamais allés à l’université et se sont battus pour sortir d’un trou d’enfer épouvantable », comme « ce coureur libre sino-cubain d’une famille criminelle engagée par le KGB » car « Si vous voulez comprendre ce que les personnes autour de Poutine pourraient faire, ou comment les gangs criminels internationaux pourraient exploiter les failles de notre sécurité frontalière, vous ne voulez pas plus de diplômés anglais d’Oxbridge qui discutent de Lacan lors de dîners avec des producteurs de télévision et diffusent de fausses nouvelles sur fausses nouvelles ».

 

Une belle interpellation ?

Depuis le temps qu’on lit et qu’on écrit qu’il faut « casser les silos », travailler à l’intersection des champs disciplinaires, construire des équipes « diverses », mobiliser des intelligences différentes, emprunter des chemins intellectuels innovants, ne répétant pas le passé… Il semblerait qu’une expérience inédite soit menée en 2020 chez nos amis brexiteurs.

A suivre avec attention !

(1)    Early warning signals for critical transitions in a thermoacoustic system, E. A. Gopalakrishnan, Yogita Sharma, Tony John, Partha Sharathi Dutta & R. I. Sujith, Scientific Reports volume 6, Article number: 35310 (2016)

(2)    Complex Contagions: A Decade in Review Douglas Guilbeault, Joshua Becker and Damon Centola* Annenberg School for Communication

(3)    On the frequency and severity of interstate wars, Aaron Clauset

 

#insight2020 : la tour de Babel de la science du « développement humain »

Dans la Tour de Babel qu’est devenue la recherche en éducation, il apparaît clairement un objectif encore peu explicite, celui de contribuer à l’émergence d’une nouvelle science commune : la science du « développement humain ». Je m’en explique.

Un foisonnement de recherches avec un point de connexion : le développement humain

 Depuis quelques années, on assiste à un foisonnement des recherches de champs disciplinaires très nombreux et divers et qui s’interrogent toutes sur le développement humain. Que pouvons-nous constater ?

  • Les champs disciplinaires présents sur le sujet sont de plus en plus nombreux: on peut aller des plus anciennes sur le sujet aux plus récemment apparues dans le champ :  la psychologie, la sociologie, l’économie, les sciences de l’éducation, les sciences de gestion, la philosophie, l’histoire, les neuro-sciences, l’informatique avec la gestion des données massives (ou data science) … et la liste est loin d’être exhaustive.
  • Les méthodologies sont également très diverses: cela va du « chemin de vie » ou de la méthode des cas qui s’intéressent à quelques personnes ou à quelques organisations de façon très contingente au traitement des données massives et à la mobilisation de techniques jusque-là réservées au monde médical.
  • La mobilisation de l’interdisciplinarité est de plus en plus évidente : des chercheurs en neurologie vont travailler d’évidence avec des chercheurs en sciences de l’éducation pour comprendre les comportements d’apprentissage, ou des chercheurs en ingénierie vont collaborer avec des psychologues sur les nouveaux outils de formation …
  • Les épistémologies se côtoient sans trop se heurter avec une forme de convergence vers un constructivisme modéré ou de positivisme aménagé, les plus quantitativistes admettent l’importance de comprendre les émotions comme les plus ancrés dans le qualitatifs voient l’enjeu de travailler sur les grands nombres.
  • Les appels à projet encouragent ces mouvements en sollicitant des équipes interdisciplinaires pour une capacité à explorer les phénomènes de façon globale.

MAIS :

  • Les langages restent très différents, avec des incompréhensions, un psychologue et un informaticien observent le même phénomène mais avec des lunettes différentes, et les dialogues restent difficiles, et peuvent donner le sentiment de ralentir les projets.
  • Les objectifs sont divergents, il s’agit pour certains d’optimiser telle ingénierie de formation pour gagner en capacité d’apprentissage, pour d’autres, le défi est de comprendre des parcours de vie sans enjeux de préconisations.
  • Les idéologies ne sont pas partagées et pas toujours explicites : la formation doit-elle rechercher le ROI (retour sur investissement) ? Doit-elle rester un monde en soi, étanche aux cahots du monde extérieur ?
  • Les publications restent très disciplinaires, n’encourageant pas les carrières fondées sur la transdisciplinarité

Ce foisonnement, cette multiplicité de langages et de points de vue fait qu’on peut évoquer une Tour de Babel. Tous œuvrent ensemble à un projet commun mais avec des échanges sporadiques et souvent insuffisants.

 

La Tour de Babel de la science du développement humain

Les convergences sont nombreuses et concourent à l’édification du « développement humain ».

Un point important est que les institutions de formation sont très souvent parties prenantes de ces recherches. Ne serait-ce que parce que les chercheurs sont aussi des formateurs et mobilisent leurs propres institutions pour mener leurs recherches. Toutes ces recherches correspondent donc à des expérimentations en termes de formation, à la mise au jour de réussites ou d’échecs de propositions mises en œuvre sur le terrain.

Que ces recherches soient in vivo ou encore théoriques, toutes concourent, à leur façon à une quête du « développement humain ». Cette quête est aussi ancienne que l’apparition de l’Homme sur Terre, mais elle s’est considérablement accélérée avec le formidable développement de la technologie et particulièrement de ce qu’on nomme l’« Intelligence artificielle ».

Le monde la formation, de l’éducation ne pouvait l’ignorer, il est donc devenu le terrain de la construction de cette nouvelle science, avec l’édification d’une fragile pyramide qui, bon an, mal an prend de la hauteur.

Quels en sont les questionnements communs ? Avec quelles convergences dans les lignes directrices ? 

  • La continuité dynamique : Comment apprendre à apprendre ? Comment apprendre tout au long de la vie ? Comment capitaliser sur ses réussites et ses échecs ? La question de l’insertion est à intégrer à ce chapitre avec le maintien de l’employabilité à tous âges. On n’arrête pas d’apprendre avec le diplôme, on continue à se former en continu. L’émergence des « blocs de compétences » et le nouveau geste de consommation du Compte Individuel de Formation en sont un des signaux forts.
  • L’omnicanal  : Comment apprendre ou transmettre dans l’omnicanal avec un parcours « sans couture » entre la salle de classe en présentiel, le e-learning, le webinar, les learning expéditions, l’intégration des outils et des méthodes d’apprentissage le plus divers ? Il y a longtemps que l’on sait qu’il n’y a pas de « clé magique » en matière de formation. L’outil est neutre mais il est aussi structurant. On ne peut l’ignorer. L’heure est à l’assemblage et il y a encore beaucoup à progresser sur ce chemin étroit entre la technologie et le rapport au sachant.
  • L’apprentissage optimisé dans le respect de la diversité : comment avoir un meilleur apprentissage dans le respect des spécificités de chacun-e ? La montée en puissance des recherches sur le handicap est une manifestation de cet enjeu. L’idée que nous avons tous des talents très différents et que nous avons à les faire fructifier, en faisant fi de lois universelles, fait son chemin, certes lentement, mais c’est une telle révolution.
  • L’ouverture aux parties prenantes : la transmission et la formation ne peuvent se centrer sur le seul apprenant et son institution de formation. Elles doivent prendre en compte tous les partenaires en présence : l’institution de formation, les entreprises, les organismes de recherche, les familles, les institutions politiques. On quitte (à regret pour certains) le colloque singulier de la salle de classe, la porte s’ouvre et cela convoque la capacité à créer des liens et ériger des passerelles pour abandonner les silos.
  • L’expérience : elle s’impose avec l’intégration des émotions, des valeurs, de la vie personnelle, de l’histoire de la personne. La mise en avant du ressenti et de la satisfaction de l’apprenant sont une évidence, avec toutes les difficultés que cette vision impose.
  • Le capital personnel : on quitte la notion de qualifications et d’aptitudes pour les compétences métiers (dites dures) et surtout le « boom » des compétences relationnelles et personnelles (ou soft skills). L’employabilité est importante, mais elle n’est plus suffisante. La réalisation de soi est l’objectif, avec toutes les nuances qui s’imposent.

 

Chacun entre, avec ses outils, ses lunettes, ses méthodes, dans cet immense chantier dont la cartographie demande encore à être affinée. Mais il est clair que nous convergeons tous vers l’objectif d’un développement humain, face à celui, exponentiel du développement des « machines intelligentes ».

2020 sera une année essentielle dans cette dynamique !

 

 

 

 

 

 

 

L’immolation d’Anas pose la question du « métier » d’étudiant

L’immolation d’Anas (puisque c’est le prénom qui circule) nous a tous profondément marqués.  Et cela, pour plusieurs raisons :

  • Le suicide en lui-même est un mystère qui nous laisse complètement désemparés et toujours coupables de n’avoir pas su l’empêcher
  • Le suicide par le feu est tellement symbolique dans la volonté de se consumer, d’être réduit en cendres, qu’il en est encore plus effrayant
  • L’immolation publique est un geste symbolique qui se retrouve régulièrement dans l’histoire des mouvements de révoltes ou de révolutions : rappelons-nous l’immolation du bonze Tich Quy Duc le 11 Juin 1963 à Saigon et son impact sur la guerre du Vietnam, ou celui de Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits et légumes qui a déclenché le Printemps Arabe.

Ce geste fatal m’interpelle encore plus à titre personnel car j’ai fait mes études à Lyon 2 (DEA et Doctorat) et étais ensuite enseignant-chercheur pendant 10 ans, dans de nombreuses composantes : IUT Lumière, Faculté d’Histoire, Géographie, Tourisme, IEP de Lyon, Faculté de sciences économiques et de gestion …

Ce suicide m’inspire deux types de réflexions, les unes plus intimes et de l’ordre du souvenir, les autres plus sociétales, et de l’ordre de la perspective.

Des souvenirs de détresses étudiantes

De mes années à l’Université,

  • Je me souviens de la fragilité des étudiants qui s’ouvraient à nous de leurs grandes difficultés, souvent sidérantes : agressions sexuelles, étudiants mis à la porte du domicile familial, étudiants victimes d’addictions qui se retrouvaient sans un sou, décès ou perte d’emploi des parents qui mettaient à mal tous les équilibres et la vision de l’avenir.
  • Je me souviens de leur difficulté à demander de l’aide avec l’idée qu’ « il faut s’en sortir seul », pour ne pas paraître un « looser ». Leur difficulté à comprendre que l’autonomie , c’est aussi savoir compter sur les autres.
  • Je me souviens du manque cruel de moyens de l’Université (Lyon 2 ou d’autres) pour accompagner cette détresse : pas d’assistantes sociales ou de médecins en nombre suffisant, avec des horaires hyper étroits, pas d’argent pour des bourses ou des dépannages en urgence, pas de temps disponible …
  • Des problèmes d’orientation, avec des étudiants perdus dans des études pas faites pour eux, et là aussi, pas de temps ou de moyens pour écouter, diagnostiquer, réorienter, malgré les bonnes volontés et les efforts.

Une fois le diagnostic, assez désespérant, posé, quelles sont les pistes possibles pour sortir de cette situation ? Au-delà des problématiques de moyens, mais sans les oublier bien sûr.

Deux pistes de réflexion qui s’imposent

Je vois deux grands sujets où l’Université doit progresser :

1/ Prendre en compte les activités salariés dans la formation

Les « petits boulots » doivent être intégrés aux études. Quel que soit le travail réalisé, le plus basique, le plus ingrat délivre des compétences qui peuvent être mises au jour, décrites, valorisées et évaluées en ECTS (pour faire simple). Et ceci qu’on soit en fac de langues ou de biologie. Il faut dépasser la vision d’une Université « étanche » à son environnement, il y a d’autres façons d’apprendre que d’être assis dans un amphi. On le sait, on le dit, il faut le mettre en oeuvre. Les Grandes Ecoles ont une véritable expertise dans ce domaine et elle est transférable.

2/ Accepter qu’étudier est un véritable métier.

Il faut s’éloigner de la vision des études supérieures comme une phase de transition, ou, pire, une variable d’ajustement aux chiffres du chômage.

C’est un vrai métier d’être étudiant et chaque étudiant-e contribue à la société. Ce n’est pas seulement un investissement pour « dans 5 ou 10 ans ». Les étudiants consomment, ils se déplacent, ils vont aux spectacles… certes, leur pouvoir d’achat est plus faible mais ils créent de la valeur économique.

Et bien sûr, les étudiants sont des citoyens à part entière, on semble trop souvent l’oublier, comme s’ils flottaient entre deux mondes.

Cela nous renvoie évidemment au salaire de l’étudiant comme le font les pays scandinaves.

Rappelons qu’au Danemark il est autour de 800 euros mensuels pendant les études à condition de travailler 10 heures par semaine (ce qui permet de lier mes deux propositions). En Norvège, il est plus élevé et il s’agit d’un prêt à rembourser une fois installé dans le monde du travail.

Il est certain que ce « salaire » aura des effets « levier » et qu’un euro investi dans un salaire d’étudiant, en rapportera plusieurs à la société. Ce retour sur investissement reste à calculer.

Changer le regard de la société sur les étudiants

Il s’agit de changer notre regard sur les étudiants et de ne pas les considérer comme des « futurs productifs » mais bien comme des producteurs de valeur.

Il s’agit aussi, en les sortant de la précarité à un moment si important de leur vie, de leur (re-) donner une dignité, que beaucoup semblent avoir perdue, sombrant dans la désespérance.

La désespérance qui a poussé Anas à son acte irrémédiable.

 

La fin des concours ? Et pourtant …

« S’il n’y avait pas eu le concours, je ne serais jamais entré à Sciences Po ! », c’est le cri du cœur d’une personne à qui j’apprenais la disparition du concours d’entrée dans son ancien établissement.

C’est une phrase qui mérite qu’on y prête attention. C’est une alerte qui nous incite à questionner ce que nous voyons se mettre en place : la disparition des concours dans l’accès aux formations d’enseignement supérieur.

Cette évolution semble inexorable, mais elle me semble questionnable.

Chronique annoncée de la disparition des concours

 

Je n’ai pas trouvé d’études traitant précisément le sujet mais des signaux forts sont là. Je peux citer :

– la réforme du lycée et du bac évoluant vers le contrôle continu,

– la mise en place de Parcoursup qui a posé les jalons d’une sélectivité pour l’entrée dans l’enseignement supérieur,

– la suppression de la PACES,

l’abandon par des établissements phare comme l’IEP de Paris du concours à l’entrée …

Je peux aussi évoquer (sans en tirer de conclusions trop hâtives) le cas d’un Bachelor ayant troqué le concours pour une sélection sur dossier et oral et qui a vu augmenter significativement ses candidatures.

Bref, le concours n’a plus la cote dans l’enseignement supérieur et les raisons en sont certainement multiples. La principale est certainement celle de son affinité avec la notion d’ «élite». Ce sont en effet les « Grandes Ecoles » qui présentaient cette modalité très spécifique de recrutement.  Il faut bien admettre que si le concours reste la voie principale (je ne dirais pas royale), les pratiques de recrutement sur dossier (souvent assorties de tests et d’un oral) se sont multipliées. Mais il n’empêche que dans l’esprit du grand public, le concours renvoie à Grandes Ecoles, corps, élites … tous termes peu portés dans le cœur de la majorité des Français. Les gilets jaunes sont aussi passés par là.

Le travail de sape avait commencé il y a déjà des décennies avec les travaux de Bourdieu qui montraient les biais de la sélection par les concours. Dans un ouvrage fameux coécrit avec Passeron les auteurs dénonçaient les biais des concours. (Héritiers. Les étudiants et la culture, 1964)

L’abandon du concours viserait donc à s’éloigner d’un monde inégalitaire avec en tête de pont les élites sélectionnées pour un diplôme de grande école.

Une autre bonne raison qu’il ne faut pas négliger non plus est le coût d’organisation d’un concours : dans un format classique, on peut additionner la location de salles, la conception de sujets, les corrections, la surveillance des épreuves  … avec parfois des milliers de personnes au même moment et dans des lieux fort différents, Lui substituer des modalités allégées comme la première étape sur dossier, allège considérablement ces coûts.

La tendance semble inexorable, faire partie d’un de ces phénomènes de fond, qui sont la résultante de multiples faits, de raisons variées, de visions différentes, mais où, au final, tout converge.

Pourtant … un abandon paradoxal

J’observe 4 paradoxes :

  • Le premier est l’amour du grand public pour les concours, en témoigne le succès d’émissions comme Top Chef, Le meilleur Pâtissier, The Voice qui mettent en scène pendant des semaines une compétition qui élimine petit à petit ses candidats pour n’en garder qu’un (une). Dans le même temps, les prix littéraires, les prix d’entreprises, les prix de la mode … fleurissent et connaissent une adhésion massive.
  • Le deuxième paradoxe est que la sélectivité dans l’enseignement supérieur reste un gage de qualité tant pour les familles que pour les recruteurs comme le rapporte une étude conduite par IPSOS pour la CGE avec 70 % d’avis positif pour le grand public et 81 % pour les recruteurs (Septembre 2019). On constate déjà que, grâce à la relative sélectivité de Parcoursup, le taux d’échec en  L1 a diminué.
  • Le troisième paradoxe est que dans un monde où l’Intelligence Artificielle s’empare de plus en plus de tâches liées à la gestion des données, les entreprises réclament des intelligences plus créatives ! Or, le système éducatif actuel ne semble pas encore bien à même d’évaluer ces compétences ou ces capacités si différentes, et reste centré sur l’acquisition des connaissances.
  • Le quatrième paradoxe est de supprimer le concours dans un contexte d’attentes de plus en plus fortes vis-à-vis de la diversité des profils, où l’enjeu est de se centrer sur la compétence sans tenir compte des autres « caractéristiques »  du candidat que sont l’âge, le sexe, la santé, l’apparence physique …

Si je résume le paysage actuel :  c’est donc  : OUI aux concours dans des espaces et sur des thèmes qui ne sont pas ceux de la formation comme la chanson, la cuisine … ; OUI à la sélection dans l’enseignement supérieur ;  mais NON au concours !

Tout cela est vertueux, très vertueux … et pourtant  : « Je ne serais jamais entré à Sciences Po s’il n’y avait pas eu le concours ! ».

Il me semble que cela vaut le coup de se poser quelques questions avant de reléguer le concours dans le cabinet de curiosité de la pédagogie.

Les apports du concours

Qu’apporte le concours que ne permettent pas d’autres modalités de sélection ?

Je retiendrai 4 apports du concours au regard de la sélection sur dossier ou contrôle continu : 

1/ Un concours, c’est par définition l’égalité des chances avec la condition d’anonymat (pas systématique bien évidemment). Tout le monde est sur la ligne de départ, c’est pour cela que la fonction publique recrute majoritairement par concours. Dans un concours, tous les candidats se valent, quels que soient leur statut, leur patronyme, leur sexe, leur santé … le risque de discrimination est moindre. Non seulement le concours est « aveugle » mais il est aussi sans mémoire. C’est à dire qu’on peut avoir une deuxième chance. Ce qui est peu envisageable avec un dossier sur la durée.

2/ Un concours, c’est l’opportunité de « tenter sa chance », en reprenant le fameux slogan du loto : « 100 % des gagnants ont tenté leur chance ! ». Ce n’était pas prévu, c’est l’occasion de faire tout autre chose, un pas de côté ! C’est ce que nous dit Kevin : « J’étais dans un lycée de banlieue et je suis tombé un jour sur une affichette qui présentait le concours de Sciences Po : je me suis dit pourquoi pas ? une journée, on verra bien … on a vu, j’ai réussi ! »

3/ Il y a dans le concours cette formidable possibilité de repêchage, de réussite non programmée. Marieta a été une élève médiocre pendant sa prépa, et ce jour-là, elle excelle ! Hasard ? Chance ? Révélation de talents cachés ? Nul ne le saura, mais nous connaissons tous ce type de « surprise ».

Et j’ajoute les apports à titre individuel :

4/ Un concours c’est aussi, et peut être surtout un défi personnel : celui de la réussite en un temps très court, qui est souvent précédé d’une période de préparation toute aussi intense. Cette pression à la réussite développe chez les préparationnaires et les candidats des compétences hors normes comme : le sens de l’organisation, celui des priorités, la puissance de travail, la résilience …. Un concours laisse ainsi des souvenirs intenses, même en cas d’échec.

Vers un principe de précaution dans l’enseignement supérieur  ?

Pour avoir sélectionné des étudiants pendant des années à l’Université sans concours, en général selon le processus ; « analyse du dossier scolaire, lettre de motivation puis entretien ». Je sais que cette modalité sécurise davantage le recrutement. A priori, pas d’étudiants trop atypiques, dans leurs performances, dans leur parcours, dans leurs personnalités. Qui prendrait le risque de recruter un étudiant brillant scolairement mais apprécié comme « difficile »  ou «avec un relationnel compliqué » ?

Avec l’abandon du concours, c’est l’adieu aux « non conformes », aux «marginaux sécants », et je trouve cela dommage, car, c’est de là que viennent souvent les disruptions, les éclairages singuliers, les étincelles !

Abandonner les concours procède du principe de précaution et de la réduction du risque. Cela dessine un monde sage, trop sage ? Un monde où le futur se limiterait à l’analyse des risques, et qui annoncerait donc un horizon bien réducteur.

A travers l’abandon des concours, qui visons-nous comme étudiants ? Des étudiants réguliers, adaptés, des étudiants « sans mauvaise surprise », conformes …

Je trouve cela dommage à l’heure ou nous attendons des professionnels créatifs, décalés, capable d’affronter l’impossible, avec d’autres façons de voir les choses.

On a beaucoup dit que les concours sont inégalitaires, j’ai lu Bourdieu, j’ai entendu Descoing … ils ont des biais il est vrai, mais toutes les modalités de recrutement en ont. Je plaide pour qu’ils restent une voie possible, parmi d’autres !

On observe d’ailleurs dans les entreprises, le développement de recrutements centrés sur la mise en situation, plus que sur le CV et le diplôme.

La gestion des données massives, l’Intelligence Artificielle apportent cette analyse rationnelle des situations, ce sont les soft skills comme l’intuition, la créativité, la capacité à faire un pas de côté qui sont de plus en plus recherchées. Je ne suis pas certaine (et c’est un euphémisme) que notre système éducatif nous permette de repérer, de valoriser ces talents.

Pour travailler depuis longtemps sur les questions de discrimination, d’égalité des chances, de diversité…. J’alerte sur le fait que la disparition complète du concours uniformiserait et banaliserait encore plus notre enseignement supérieur. On peut mettre des quotas pour l’origine sociale, l’origine éthique vraie ou supposée, le sexe, la situation de handicap … mais pas pour ces compétences si insaisissables et encore tellement mal définies et évaluées pour lesquels nous manquons cruellement de recul.

On prête à Michel Serres l’idée que « le concours serait la pire des modalités de sélection à l’exception de toutes les autres », je n’ai pas retrouvé la citation originelle, mais cela lui ressemble bien ! Et une fois de plus j’adhère à cette analyse iconoclaste et visionnaire !