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Pourquoi je candidate à la direction de Sciences Po Paris

Vous avez été nombreux et nombreuses à m’adresser des signes d’encouragement pour ma candidature à la direction de Sciences Po Paris et je vous en remercie.

Je souhaite ardemment mettre mes compétences et mon expérience de manager, d’enseignante, de chercheuse, de mère de six enfants au service de ce projet.

Je propose de décrire ici en quelques lignes le projet que je porte pour Sciences Po Paris, et qui s’inscrit dans ma vision de l’enseignement supérieur.

Pourquoi candidater

Ma candidature connait plusieurs motivations :

La première est de saisir l’opportunité de contribuer au développement d’une institution emblématique de l’enseignement supérieur français. La fonction de directeur-trice ( ?) de Science Po s’inscrit pleinement dans le prolongement de mes engagements dans l’enseignement supérieur. Sa « marque », son histoire, son rayonnement, ses moyens sont exceptionnels, et lui donne la possibilité mais aussi le devoir de l’exemplarité, et d’être une tête de proue de l’enseignement supérieur.

La seconde motivation procède de l’exercice démocratique, au sens du débat dans l’Agora. En candidatant, je pensais m’inscrire dans un échange à plusieurs voix portées par de nombreuses candidatures. Il me semble que l’idée d’un Forum autour de la destinée d’une institution aussi emblématique permet de faire rayonner des idées diverses, de créer des controverses apprenantes, et de contribuer à la vision à 10, 20 ans de l’enseignement supérieur.

Enfin, et c’est une motivation plus personnelle, il me semble que c’est important d’oser ! Pourquoi pas une femme universitaire à la tête de cette institution de bientôt 150 ans ?

Ce que je souhaite de grand et beau à Sciences Po Paris

Je reprends les points saillants de mon projet qui décrivent ma vision de l’enseignement supérieur à 5, 10 ans et même au-delà …

Voici ce que je souhaite pour Sciences Po Paris, que je souhaite à tous les étudiants et les équipes qui les accueillent dans leur formation :

Mon projet s’intitule : « Un temps d’avance dans un monde à construire »

 Il vise à porter l’exigence d’avoir toujours « un temps d’avance », non dans un esprit stérile de compétition mais bien dans le dépassement de soi, car les esprits libres portent en eux une capacité d’innovation et de régénération constante. Ce temps d’avance traduit la responsabilité d’une institution que l’on écoute, d’une vigie du monde contemporain qui analyse les grandes évolutions politiques, socio-économiques, technologiques avec la profondeur de l’histoire et l’excitation d’un futur qu’elle contribue à façonner. Ce temps d’avance se décline dans toute la chaîne de valeur de Sciences Po : la recherche bien sûr qui doit être forte d’une capacité prospective, l’éducation dans ses contenus et ses méthodes, l’impact sur la société par ses innovations, les liens tissés à travers le monde avec les talents les plus prometteurs, jusqu’à la vie-même de l’institution qui devra garantir à chacune et chacun bien-être, développement de soi, et en attendre engagement et implication.

Les propositions sont au nombre de 10 :

1/ Se donner les moyens d’une politique de recherche rayonnante

Les sujets à l’ordre du jour dans le débat public sont autant d’occasion de mettre en avant les travaux académiques et la qualité des chercheurs de l’institution : l’« éclairage Sciences Po » doit devenir un réflexe médiatique pour prendre de la hauteur dans les turbulences de l’actualité d’un monde toujours plus complexe.

L’objectif est de mettre en avant une identité intellectuelle de Sciences Po à partir des objets de recherche transdisciplinaires : mondialisation, mutations du travail, développement urbain, inégalités et discriminations

2/ Former des esprits agiles capables de s’insérer sur un marché du travail en pleine mutation

Dans un monde ouvert, où l’emploi migre en fonction de la disponibilité des talents, il est vital pour une université de former ses jeunes aux métiers d’avenir. Puisque les carrières ne sont plus linéaires et que les métiers changent extrêmement vite, le maître mot est d’entretenir la capacité d’apprentissage. A fortiori alors que se dessine une perspective inédite pour les étudiants, celle de la mise en concurrence de leurs capacités cognitives avec des intelligences artificielles, qui s’imposent progressivement sur toute la gamme des débouchés actuels de Sciences Po (métiers du droit, de l’audit, du conseil, de la finance, du journalisme, etc.). L’intelligence artificielle ne sera pas seulement exécutive et technique : à mesure que le temps passera, elle sera créative et humaine. Pour tenir la distance, il faut résolument faire le pari de l’esprit critique, de l’ouverture, de l’adaptabilité et autres soft skills, appuyés par une solide culture générale.

 3/ Affiner la stratégie de développement international pour importer davantage de talents et exporter davantage de savoir-faire

Les alliances académiques sont un pilier essentiel de la compétitivité des programmes, qu’illustrent notamment les doubles diplômes internationaux. Ils offrent de la visibilité et permettent de se faire reconnaître dans le cercle des meilleures universités. Sciences Po doit désormais s’assumer pleinement comme une université-monde et une tête de pont dans les meilleurs réseaux internationaux à l’heure où la compétition internationale en matière d’enseignement supérieur et de recherche s’intensifie. L’institution doit œuvrer à la constitution d’une grande alliance universitaire pan-européenne qui permettra d’atteindre des tailles critiques, de rivaliser avec les principales universités anglo-saxonnes et asiatiques, et de disposer d’une meilleure capacité de projection pour créer un campus commun à l’étranger.

L’avenir de l’enseignement supérieur se joue sur d’autres continents que le nôtre, à commencer par l’Afrique qui constitue autant un vivier de talents qu’un véritable laboratoire en matière de dynamiques géopolitiques et socio-économiques.

4/ S’appuyer sur la mutation structurelle du modèle économique pour enclencher un cercle vertueux

Le modèle économique de Sciences Po s’est considérablement transformé à mesure de son développement. D’abord, par un poids économique global qui ne cesse de croître et dépasse aujourd’hui les 200 millions d’euros. Ensuite, par une évolution profonde de la structure budgétaire qui sera manifestement amenée à se prolonger dans le mesure où le soutien public ne cesse de s’effriter. Dans un contexte de rigueur budgétaire de l’Etat, il convient de redoubler d’efforts pour préserver a minima le niveau de financement public, tout en restant lucide sur les risques d’une baisse éventuelle à moyen terme.

Pour autant, il n’est plus question d’augmenter les droits de scolarité en formation initiale, qui ont désormais atteint un plafond au-delà duquel les effets d’éviction seraient préjudiciables. Dans un contexte de faible inflation persistante, un gel des frais d’inscription en valeur absolue pendant quelques années aurait au contraire une portée symbolique forte : en décidant de ne pas alimenter une spirale de l’endettement étudiant qui commence à être décriée dans les pays anglo-saxons, Sciences Po ajouterait une nouvelle corde à son arc d’université responsable.

Le défi est de taille pour assumer un financement toujours plus volontariste de l’effort de recherche, une stratégie d’expansion internationale, une politique d’aide sociale généreuse et un investissement de haut niveau en capital humain. Ces priorités sont au fondement d’une dynamique vertueuse dans la mesure où le succès et la visibilité de Sciences Po alimentent en retour la croissance des ressources de l’établissement.

 5/ Réussir la transformation digitale de l’institution

Le numérique change la donne pour l’ensemble des métiers de Sciences Po, oblige à repenser le fonctionnement des campus et l’enseignement du futur. Pour autant, il n’écarte pas du tout le présentiel ni le facteur humain : les gains de productivité réalisés sur les tâches administratives, par exemple, sont une opportunité pour que chacun se recentre sur son cœur de métier, car c’est là que se trouve la véritable valeur ajoutée. Il n’est pas non plus nécessaire de suivre tous les exemples à l’extérieur mais il faut rester ouvert. C’est avant tout une culture de l’expérimentation (test and learn), du collaboratif et du do it yourself qui doit se diffuser à l’échelle de l’établissement. Sciences Po doit être en capacité d’inventer ses propres façons d’utiliser les outils numériques dans sa pédagogie, sa recherche et son organisation.

6/ Faire fructifier le potentiel considérable des alumni

D’une part, leur soutien financier est indispensable pour le développement de l’institution. D’autre part, leur valorisation en termes de relations humaines et d’expertise est au moins aussi essentielle que les apports financiers : en matière d’insertion professionnelle, ils peuvent être de véritables catalyseurs d’opportunités pour les étudiants.

Sciences Po doit avoir pour préoccupation majeure de développer l’affectio societatis des anciens élèves pour leur université, en tissant une relation émotionnelle et intellectuelle fondée sur un rapport de reconnaissance (« give back ») au regard de ce qu’ils y ont reçu.

7/ Réinventer l’expérience Sciences Po à partir du projet Campus 2022

L’implantation du nouveau campus au cœur de Saint-Germain-des-Prés permet de capitaliser sur un héritage intellectuel revitalisé du quartier et d’ancrer l’institution dans une mémoire spatiale commune. Sciences Po deviendra alors le centre névralgique d’un vaste espace de circulation des idées et de la culture au cœur de la métropole parisienne. En réunissant dans un même lieu de vie collective les centres de recherche, les salles d’enseignement, les bureaux, la bibliothèque, des logements sociaux étudiants et des offres de restauration, ce campus « oxfordien » favorisera le brassage intellectuel, l’interdisciplinarité et la créativité, accroîtra le potentiel d’innovation et l’attractivité de l’institution.

En dépit de l’ampleur du projet parisien, les campus en région ne devront pas être laissés pour compte : ils sont autant de témoignages de la décentralisation réussie de Sciences Po, de leviers pour accompagner le dynamisme des métropoles régionales et de racines territoriales dans lesquelles l’institution puise ses talents pour projeter ses ambitions internationales.

8/ S’affirmer comme une université responsable et engagée

Sciences Po se doit de répondre au double défi de l’excellence et de l’exemplarité, parce qu’elle est la vitrine de son propre savoir-faire. Son volontarisme en matière de responsabilité sociale et d’initiatives d’intérêt général donne une portée concrète à son propre effort de recherche et appuie la stratégie de marque en se positionnant comme une référence sur des enjeux au cœur du débat public : promotion de la diversité et de l’égalité des chances, déontologie et transparence, égalité entre les femmes et les hommes, accessibilité pour les publics en situation de handicap, lutte contre le harcèlement et les discriminations, dialogue social, développement durable, valorisation de l’engagement civique. Cette responsabilité particulière de Sciences Po est au fondement de la fierté d’appartenance qui anime chaque membre de sa communauté, d’où l’importance de l’entretenir constamment.

9/ Être en conversation avec son environnement économique

Parce qu’une université incarne la transition vers le marché du travail et se constitue en haut lieu d’innovation, elle se positionne structurellement comme un hub en interaction toujours plus étroite avec le monde de l’entreprise. Ainsi, une intégration en amont des entreprises aux projets éducatifs de Sciences Po offre la meilleure préparation possible aux étudiants en garantissant l’adéquation de leur formation à l’emploi visé. Cette proximité autorise aussi une connaissance mutuelle facilitant la mobilisation de managers souhaitant témoigner ou enseigner dans les différents cursus de Sciences Po. Elle permet également de créer des réflexes de formation tout au long de la vie, d’accueil de stagiaires et d’alternants. Elle offre enfin des opportunités pour mener des recherches-action amorçant ainsi le cercle vertueux de création de connaissance actionnable et de publications pour les chercheurs de l’institution. L’enjeu est donc d’imaginer des modalités concrètes de collaboration pour transformer utilement ces structures productives en véritables acteurs de la formation et partenaires de recherche.

10/ Cultiver un esprit convivial d’université à visage humain

Une université est avant tout une communauté vivante de femmes et d’hommes, toutes et tous engagés dans un projet commun organisé autour de trois axes qui s’enrichissent mutuellement : créer de la connaissance dans des domaines dédiés, former des apprenants, diffuser le savoir dans la société. La recherche en sciences humaines et sociales, l’enseignement et toutes les activités de transmission constituent un capital immatériel à nul autre pareil. Les expertises, les procédures, les outils de reporting sont indispensables mais insuffisants car ce sont les personnes sur le terrain au quotidien (les enseignants-chercheurs, les intervenants professionnels, les équipes administratives) qui sont garantes de l’excellence des formations, qui portent l’image de l’institution, qui font sa notoriété et son attractivité.

Aussi, le premier devoir d’un directeur de Sciences Po est-il naturellement d’animer ces communautés, d’être au contact et en dialogue constant avec elles, d’accompagner leur développement et de s’assurer de leur bien-être, en trouvant le juste équilibre entre bienveillance et exigence. Cet aspect de la mission est essentiel et garantit l’engagement de celles et ceux qui aiment et font Sciences Po.

 

L’enseignement supérieur, le territoire, et le vote.

Cet article est paru comme tribune pour NewsTank Education le 9 Juin 2017 : https://education.newstank.fr/fr/article/printable/95425/enseignement-superieur-territoire-vote-isabelle-barth.html

Nous avons tous lu en long et en large les décryptages des votes qui ont conduit les Etats Unis à l’élection de Trump, et la Grande Bretagne au Brexit. Nous avons aussi tous vu les cartes de la géographie des votes lors de la dernière élection présidentielle. Les conclusions des analyses sont unanimes : les votes extrêmes expriment le repli sur soi, la peur de la globalisation, l’angoisse de l’avenir, et s’expliquent par un sentiment de « déclassement » en lien avec un faible niveau d’éducation.

Une géographie des suffrages

Partout, les diplômés sont des gens plus aisés, plus haut dans l’échelle sociale, et résidant dans des métropoles, et partout, ils votent pour des candidats confiants en l’avenir et prônant l’ouverture sur le monde.

Il y a donc une géographie des suffrages où les métropoles sont portées vers des votes pour le centre ou des partis modérés et les campagnes s’expriment pour des extrêmes. On sait aussi que les électeurs plus instruits et plus informés perçoivent mieux les différences de positions entre les candidats, et sont donc, de facto, moins radicaux dans leurs choix, ce qu’on nomme le « vote par enjeux ».

L’excellent ouvrage de Davezies La fracture territoriale (1), nous livre une analyse aigue du phénomène en France, qui ne date pas d’hier. Il y décrit 4 France :

  • Une France productive marchande concentrée dans les grandes villes qui réunit 36 % de la population,
  • Une France non productive, non marchande et dynamique à l’Ouest d’une ligne Cherbourg Nice, qui représente 44 % de la population,
  • Une France productive, marchande, en difficulté, avec des bassins industriels déprimés, dans la moitié Nord du pays et qui compte 8% de la population,
  • Une France non productive, non marchande, en difficulté, victime du déclin industriel, que l’on trouve dans le nord est avec 12% de la population.

Davezies nous explique que pour certaines régions les plus défavorisées, la situation est très grave car, en cas de crise, elles n’ont plus aucun amortisseur avec l’assèchement des finances publiques. C’est le cas de la « diagonale du vide » qui va de la Bourgogne, en passant par le Nord de l’Auvergne, le Limousin, jusqu’aux Hautes Pyrénées.

Le territoire terreau des grandes questions sociales

Or, les grandes questions sociales ne se développent pas « hors sol ». Au contraire, elles émanent largement du territoire. Ce déterminant géographique du vote est théorisé par le « gradient d’urbanité » qui renvoie à la distance à la ville (2).

De plus, la structure des emplois aggravent le phénomène d’appauvrissement dans certaines zones. En effet, depuis plusieurs années, les « petits Blancs » français voient leur situation se dégrader car les immigrés sont finalement sous représentés dans la population ouvrière industrielle et souffrent moins qu’eux des destructions d’emplois massives dans ces secteurs.

L’espace, nous dit Davezies est le grand absent de l’économie, or une des causes de l’appauvrissement est l’ « immobilité résidentielle », particulièrement dans les pays latins. La mobilité est vécue comme une violence par les plus vulnérables ainsi, entre 2001 et 2006 11% des familles de cadres français ont changé de département pour seulement 4% de familles d’ouvriers.

Devant un tel tableau (dressé ici à grands traits), et sachant que le niveau d’éducation est corrélé au niveau d’emploi et que les deux le sont aux votes exprimés, on peut légitimement se demander le rôle qu’a oublié de jouer l’enseignement supérieur dans cette évolution.

Le rôle de l’enseignement supérieur dans le développement des territoires

En effet, depuis bientôt deux décennies, l’enseignement supérieur n’a de cesse de prôner la carte de la concentration et des « grands » établissements (par le nombre), au nom de l’excellence, et pour être visible de Shangaï. Ainsi, au nom d’une taille critique dont on ne sait rien, et d’économies d’échelle qu’on sait imperceptibles, les établissements d’enseignement supérieurs se recentrent sur les grandes métropoles.

Les sites délocalisés (comme les départements d’IUT) sont soumis au soupçon de la « secondarisation », de la baisse de qualité, et aux contraintes de coûts ou d’absence de volontaires chez les enseignants-chercheurs.

On observe que la concentration universitaire se superpose à la concentration métropolitaine pour avoir de grands centres d’excellence.

Très concrètement : l’absence d’accès facile à une première année d’université compte tenu du coût en temps, en énergie, en tranquillité, peut créer un phénomène d’autocensure chez des jeunes bacheliers. Ils peuvent renoncer à des études supérieures tant les obstacles pour partir étudier à 50/60 kms peuvent leur sembler insurmontables. Ainsi une étude du CESE de janvier 2017 (3) propose une cartographie des jeunes ruraux français tout à fait intéressante : ils sont 1,6 millions entre 16 et 29 ans soit 18 % de la population française et sont très attachés à leur territoire. Leurs études sont plus courtes devant le « frein financier lié à la mobilité », ainsi 7,3 % d’entre eux sont diplômés des 2ème et 3ème cycles contre 15,4% des jeunes urbains. De plus, une étude de 2013 montre que les jeunes étudiants s’ancrent dans les grandes villes où ils s’installent pour étudier, accentuant encore le phénomène (4).

En effet, faute d’un département délocalisé d’IUT, ou de tout autre faculté  dans de petites villes, le choix se résume à quitter son cocon familial et amical, au moins toute la semaine. Ce n’est plus l’adage« education to people » qui est en cours mais bien plutôt » people to education » qui sévit et propose une vision des mobilités éducatives, où même les villes de taille moyenne disparaissent de l’équation.

Un abandon coupable

Est-ce que l’Université et, au-delà, l’ensemble de l’enseignement post bac (car, par exemple,  les écoles de management n’ont pas non plus brillé dans les choix de maintien sur les territoires) ne portent pas une part de responsabilité dans les votes extrêmes pouvant conduire à des choix dramatiques pour une nation entière ?

Les stratégies d’accompagnement du mouvement de métropolisation de l’Enseignement supérieur sont actées même si elles ne sont pas clairement exprimées. La fermeture d’une antenne universitaire se fait à bas bruit, et ne provoque pas les mêmes protestations qu’une maternité ou un hôpital. Mais il nous faut réfléchir aux effets induits et diffus que cette disparition produit d’un point de vue sociologique et politique au niveau local d’abord, puis, par phénomène d’agrégation et de résonnance sur l’ensemble du territoire national.

Les Universités comme les Business School cherchent actuellement avec les calculs de leur « facteurs d’impact », à prouver leur rôle d’acteur sociétal et de pourvoyeur de développement économique sur leur territoire. Elles devraient aussi calculer leur impact de dégradation de la richesse intellectuelle et politique quand elles se retirent.

Il en va de la responsabilité de l’Enseignement Supérieur français.

 

  • Daveszies, L. (2012) La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale , ed. du Seuil
  • Guilluy(Christophe), Fractures françaises., 2010, Paris, éditions Bourin
  • Etude du CESE (11/01/2017) « Place des jeunes dans les territoires ruraux », Rapporteurs Bertrand Coly et Danielle Even
  • Loncle, P. (2013), « Politique de jeunesse et territoires, pourquoi coopérer ? » EHESP

 Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux

Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …. ou l’apprentissage par l’exemple

 

J’ai le sentiment en écrivant ces lignes que de nombreux lecteurs vont estimer que j’enfonce des portes ouvertes, que d’autres vont dire rapidement « mais ce sont des erreurs grossières » ou : « je ne me serais jamais trouvé dans cette situation » …

Donc, pour ceux et celles qui sont des pros des réseaux sociaux et qui en connaissent tous les tours et les détours : passez votre route ! Vous allez perdre votre précieux temps.

Pour les autres, qui souhaitent se lancer dans le partage d’idées ou d’expériences sur le Web, par l’intermédiaire de blogs, Linkedin, Tweeter ou autre, je vous propose de partager une expérience récente qui relève de l’ « apprentissage par l’erreur ».

Pour cela, il faut littéralement « autopsier » le phénomène, une fois qu’il est bien refroidi, pour comprendre ce qui s’est passé, et chercher à en tirer quelques enseignements.

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La chronologie des faits

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Je dresse un rapide exposé des événements qui constituent l’objet de cette analyse.

Le 2 Août 2017, un article parait dans le Canard Enchainé à propos de la responsable de communication de la campagne d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye. Dans cet article, le journaliste fait allusion à un texto qu’aurait (le conditionnel est essentiel) envoyé Sibeth Ndiaye à un de ses collègues journalistes. A la demande de confirmation de la mort de Simone Veil (personnellement, je trouve la démarche étonnante, mais bon …). Sibeth Ndiaye aurait répondu par un texto pour le moins lapidaire : « Yes, la meuf est dead ! ». Dans les heures qui suivent, la polémique enfle autour de ce texto (réel ou pas ?). Je lis plusieurs commentaires et analyses. Il y a ceux qui condamnent sans se poser la question de la confirmation de l’existence de ce sms, et ceux qui cherchent à calmer le jeu en expliquant le caractère confidentiel de l’échange … L’unanimité se fait sur le manque d’élégance des propos concernant une personne que tout le monde respecte et qui est une grande figure française au parcours exceptionnel, mais, à ma connaissance, personne n’a vraiment vu le texto qui est démenti par sa présumée auteure.

Deux jours après, je me dis que ce qui s’est passé est intéressant d’un point de vue « vie au travail » ou plus largement relationnel. En effet, ce texto qui fait scandale me rappelle des crises que j’ai pu connaitre suite à des mails ou des textos mal rédigés, mal compris, ou partis trop vite sous le coup de la colère ou d’un verre de trop ….

Mon objectif : rappeler les dégâts que peuvent faire ces nouveaux moyens de communication que je qualifie de « oraux-écrits », c’est-à-dire qu’on manie comme s’ils étaient de l’oral, en oubliant que le décalage dans le temps et dans les contextes entre émission et réception peuvent être dévastateurs. J’identifie dans ce billet six situations avec les risques qu’elles peuvent engendrer, illustrées par six cas de catastrophes vécues ou observées.

L’article complet peut être lu à ce lien : http://www.liberation.fr/debats/2017/08/04/textos-attention-aux-auto-gaffes_1588115

J’envoie le texte à Libération Idées car je me dis que cela peut les intéresser, et en effet une heure après l’envoi, je recueille leur intérêt pour ce billet, qui est mis en ligne quelques heures après, soit le 4 août midi.

Et là, je vois mon fil tweeter s’affoler avec des commentaires agressifs voire menaçants, avec des dérives complètes dans l’interprétation, qui vont jusqu’à forger une « théorie du complot » mettant en cause et dans le même sac le support (Libération), l’auteur (moi), la présumée coupable (Sibeth Ndiaye)… les migrants, les Juifs, les noirs, les journalistes etc etc …

Je m’empresse de dire qu’il y avait aussi pas mal de « like » et de « retweets », et que le billet partagé sur Linkedin a été bien reçu avec des commentaires positifs, montrant que sur ce réseau, les lecteurs avaient bien compris le sens du billet (qu’ils soient d’accord ou pas), à savoir inciter à une réflexion sur la façon dont nous communiquons et à la tolérance dans les cas de dérapages.

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La plongée dans le côté sombre du web (1),quelques éléments d’explication

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Plus que d’une plongée, il s’agit davantage d’une « trempette » du côté sombre du web, car je ne veux pas non plus exagérer le phénomène, mais cela ne lui enlève pas sa valeur d’exemple.

J’ai commis plusieurs erreurs :

Sur le fond :

  • J’ai sous estimé la dimension politique du sujet, en le prenant « toute chose égale par ailleurs », et en ignorant le contexte de « Macron bashing» qui s’est développé pendant l’été,
  • J’ai aussi largement sous estimé la dimension sexiste et raciste de la situation : je rappelle que Sibeth Ndiaye est une jeune femme noire, d’origine africaine.

Sur la forme

  • J’ai choisi un titre qui m’est venue spontanément, sans en peser la « charge émotionnelle », puisque j’ai intitulé ce billet « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndiaye ! ».

Je n’ai pas évalué la proximité avec les « Je suis », « Je suis Charlie », « Je suis Paris », « Je suis Nice » … tellement entrés dans la conscience collective, et liés à des drames nationaux.

 

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La dramaturgie en cinq actes

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Un retour en arrière montre qu’il y a cinq stades, que j’illustre avec quelques tweets emblématiques.

1/ La mise en cause du billet, à partir du titre (Yes, nous sommes tous des Sibeth Nadiaye !):

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2/ La mise en cause des protagonistes :

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3/ La dérive avec élargissement de la polémique à d’autres sujets :

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4/ Les « débats » croisés entre « tweeters » :
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5/ La théorie du complot : comment le media m’a instrumentalisée pour se faire bien voir par Macron …

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L’analyse et les enseignements à partager

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1/ Dans un billet 90% est dans le titre : il accroche et il résume même ce qu’il ne veut pas dire, et sur tweeter, de nombreux adeptes se contentent de cela. Le dosage entre le désir d’accroche et risque de mésinterprétation est donc délicat ! La preuve en est que Libération a changé le titre au bout de 24 heures (2), et que le billet qui était numéro 4 dans le top 100 des idées de Libé a rapidement dégringolé dans le « hit parade ».

2/ Le support n’est pas neutre : Libération n’est pas Linkedin qui n’est pas Tweeter … Les mêmes idées écrites de la même façon ne touchent pas les mêmes personnes, un truisme …mais c’est la preuve par l’exemple.

3/ Le tempo est essentiel : la décontextualisation n’est pas toujours possible « à chaud », il vaut mieux attendre que la polémique refroidisse si on veut justement ne pas y être mêlé. Sinon, elle vous embarque sans tenir compte de vos précautions (ce qui était le cas dans mon billet).

 

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Une conclusion ironique :  

une parfaite illustration de mon billet

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 En fait, l’ironie est que toute cette polémique est une parfaite illustration de mon billet : on écrit comme on pense, on profite de son anonymat pour déverser sa haine, on comprend les choses à moitié, on se trompe de sujet (voir ci-dessous) etc etc ….

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Bref, beaucoup de bruit pour rien, comme disait le grand Shakespeare, mais une bonne leçon de choses, avec ces étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …

Si vous avez aimé ce billet, partagez- le ! 🙂

(1) Pas le Dark-Web, il s’agit de bien autre chose !

(2) Le : « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndyaye ! », est devenu : « Textos, attention aux auto-gaffes ».

APB : un dispositif de maltraitance

APB : un « tue l’avenir »

Les résultats d’APB sont tombés il y a quelques jours, douchant les espoirs de bon nombre de lycéens, avec un impact d’autant plus fort sur leur moral qu’ils sont en pleine préparation du bac, et donc fragilisés.

Vu de loin, APB est un processus rationnel, qui obéit à une loi classique dans l’éducation : la sélection bâtie sur la performance. Il y a d’un côté ceux qui ont tout ou beaucoup car ils sont « meilleurs » et les autres, ceux qui sont moyens, sans véritables atouts au regard des critères des concours.

Les bons sont confortés dans leur qualité, les autres dans leur médiocrité.

Mais cette rationalité ne tient pas quand on est un lycéen relégué au rang des « rejetés «, ou ses parents qui soutiennent au mieux le moral de leur rejeton, sans bien comprendre ce qui se passe.

Ces derniers jours, j’ai vu pleurer des lycéens. Ils avaient perdu leurs illusions, ils avaient le sentiment d’être des « mauvais », et ils n’arrivaient pas à se projeter dans l’avenir qu’on leur imposait.

 

S’adapter sans cesse à un outil qui ne change pas : est-ce sérieux ?

Rappelons rapidement que ce dispositif APB est apparu en 2008 avec comme objectif une meilleure mise en relation de milliers de formations avec des dizaines de milliers de lycéens, dans une visée très égalitaire.

Dès cette année-là, on a bien repéré les nombreux dysfonctionnements  inhérents à l’outil, dysfonctionnements visibles ou supposés. Ainsi, des lycéens moyens dans de très bons établissements très exigeants voyaient passer devant eux des lycéens mieux notés dans des établissements moins élitistes. Des formations qui avaient l’habitude de recevoir 500 dossiers se retrouvaient avec 5000, et étaient obligés d’abandonner l’analyse personnalisée des dossiers.

Les années ont passé et peu à peu les pratiques se sont adaptées à APB, mais malheureusement, il n’y a eu aucune mise en cause de l’outil.

Au rang des dysfonctionnements invisibles : les fameux algorithmes avec des choix discutables, des absences de mises à niveau, comme il a été démontré récemment, après des années passées pour obtenir les clés du système.

Mais ce n’est pas l’aspect technique que je veux traiter, c’est la question des émotions pour montrer l’aberration de ce rideau de fer qui s’abat sur nos enfants.

 

Le post APB : le sentiment d’abandon, d’injustice et de perte de sens

Que se passe-t-il pendant la terminale, non pas techniquement, mais dans la tête et le cœur de nos lycéens ? Je distingue trois étapes qui posent chacune d’énormes problèmes :

1/ Il y a d’abord la phase d’assimilation théorique d’APB avec deux  problèmes :

  • la mobilisation porte sur la maitrise de l’outil dont la complexité masque le véritable enjeu de l’orientation,
  • l’incapacité d’anticipation à cause du Bac qui est perçu comme la véritable priorité, reléguant le choix des études à l’ « après Bac ».

2/ Ensuite, se pose la question du « clic » et de l’hyper choix. Etre incité à prendre des dizaines d’options (sous peine de ne rien avoir) conduit à un sentiment d’attentes et d’espérance au-delà du raisonnable. C’est humain.

Nos lycéens sont les ultimes décideurs de leurs clics, et ils font leurs  « vœux » comme on fait sa « liste au Père Noël ». Or, avoir demandé, c’est déjà s’engagé mentalement dans le processus d’obtenir. Les attentes étant immenses (et même irréalistes), la déception est d’autant plus grande.

3/ L’atterrissage est en effet très rude pour ceux qui n’ont pas leurs premiers vœux. Il est d’autant plus violent qu’il n’y a aucun accompagnement, hormis les parents qui sont dans le même désarroi que leur progéniture. Nos jeunes sont envahis par plusieurs sentiments : celui d’abandon car il n’ya pas de service après APB, un sentiment de trahison car ils y croyaient dur comme fer, un sentiment d’injustice car ils se comparent sans en avoir les éléments avec leurs camarades, un sentiment de désespoir car ils sont projetés dans un avenir qui n’était pas leur projet, et, finalement un sentiment de perte de sens sur ce qui est le plus essentiel pour eux : leur avenir.

 

Une vraie maltraitance

Si une entreprise s’aventurait à ce type de fonctionnement, elle serait rapidement taxée de maltraitance envers ses collaborateurs.

APB et tout l’écosystème qu’il génère depuis maintenant une décennie est un instrument de maltraitance vis-à-vis de nos jeunes.

Je ne parle même pas de l’inégalité qu’il introduit entre les jeunes dont les parents vont trouver des solutions de rattrapage et les autres …

Toutes les rationalisations ex post, toutes les injonctions à rebondir, toutes les théories sur l’apprentissage de ses échecs, ne tiennent pas devant un jeune homme ou une jeune fille de 18 ans qui pleure sur les cendres de ses espoirs anéantis.

APB : une copie entièrement à revoir.

L’Université de Perpignan, pour le pire … et pour le meilleur ?

Avec son « Au pire, il y a l’Université de Perpignan », la récente campagne de communication de cette université interpelle. Par les interrogations et les mécontentements qu’elle soulève, elle renvoie l’enseignement supérieur à ses pratiques de communication. L’enseignement supérieur est-il un produit comme les autres ?

L’Enseignement supérieur : un « produit » comme les autres ?

Depuis quelques années, l’enseignement supérieur français s’est résolument lancé dans l’art de la communication. Ce qui est un exercice très difficile tant le « service » offert est complexe et tant les propositions se ressemblent.

On se retrouve avec les mêmes dérives que dans le marketing touristiques où toutes les villes sont à la fois historiques, estudiantines et au « cœur de l’Europe », ou toutes les Régions proposent du soleil, de l’air pur, du patrimoine et de l’innovation économique.

Ainsi, toutes les universités, comme toutes les écoles affichent de façon uniforme et lancinante : l’excellence en recherche, l’innovation pédagogique, la variété de l’offre de formation, le partenariat avec les entreprises, l’international, et le plein emploi assuré à la sortie des études …

La liste des promesses est toujours la même, ce qui est bien normal tant elle doit répondre aux attentes de bacheliers souvent ignorant de leur projet professionnel et de leur famille en difficulté devant la complexité de cet univers.

L’enjeu est donc de se démarquer, sinon intrinsèquement, au moins dans le discours pour « faire la différence ». Pour les communicants, il s’agit donc d’être créatifs et si possible disruptifs, pour être repérés dans cet univers de marques.

Faire la différence à tout prix ?

On peut supposer que c’est le pari qu’a voulu faire l’Université de Perpignan avec sa campagne « Au pire, il y a l’université de Perpignan ! »

Ce choix est étonnant. Comment l’expliquer ?

  • Première hypothèse : peut-être veut-on provoquer la réponse contraire, comme lorsqu’on affirme : « Je suis trop nul ! » pour s’entendre dire : « Mais non, tu n’es pas nul, tu es super bon !» ? Mais cela semble un peu complexe avec ce dispositif qui n’est pas du registre de l’intime.
  • Une autre hypothèse est le choix de l’humour, ce que Floch appelait les publicités « obliques » avec une prise de risque importante : celle de ne pas être compris ! Ce qui pourrait bien être le cas. L’humour est toujours difficile à manipuler en communication, car il nécessite une complicité qu’on n’a pas forcément avec sa cible.

Les risques de la campagne de l’université de Perpignan sont importants :

Celui du rejet pour la cible visée (les lycéens bacheliers) qui prendront l’information au pied de la lettre, ou a minima, verront le doute s’instiller à la lecture de cette affirmation.

Celui du malaise pour les étudiants, les enseignants et toutes les équipes déjà en place dans l’université de Perpignan, et qui œuvrent pour son développement et sa légitimité : cette étiquette du « pire » n’est pas la plus agréable à se voir coller sur le dos.

  • Une troisième hypothèse est de vouloir faire du « buzz » … à la Festina ! Rappelons-nous, cette marque de montres complètement inconnue sponsorisait une équipe de cyclisme pendant le Tour de France 1998, elle a connu une notoriété immense et inattendue par le scandale de dopage qui a touché ses compétiteurs. C’est donc l’idée maintes fois théorisée que le pire fait parler et crée la notoriété… Pourquoi pas ? Mais les études supérieures ne sont pas des montres !

 Enlever le haut, puis enlever le bas ?

Nous en sommes donc tous là de nos spéculations, fort circonspects sur la prise de risque de cette campagne. En attendant, ça cause !

Mais, après quelques jours, alors que le suspens est à son comble, on apprend que le président de l’Université sort de son silence et spam le feuilleton en annonçant qu’il y aura une seconde partie et qu’elle présentera la face positive de l’Université de Perpignan, fondée sur un rapport de l’IGAENR.

Il s’agissait donc d’une campagne « aguicheuse » en français, et ce « Au pire » n’était qu’un teasing !

L’université de Perpignan est comme Myriam. Après avoir enlevé le haut et montrer (dans ce cas) le pire, elle va, quelques jours après, enlever le bas, et nous montrer son meilleur jour ?

Un peu d’histoire de pub : fin Août 1981, la France voit fleurir des affiches 4X3 avec la photo d’une jeune femme en maillot de bain face à la mer (Myriam) qui annonce : « Le 2 Septembre, j’enlève le haut ! », le jour dit, les affiches montrent la même personne sans son haut de maillot de bain et annonçant : « Le 4 Septembre, j’enlève le bas ! ». En effet, alors que cette campagne de pub était devenue LE sujet de conversation, le 4 septembre, ponctuellement, Myriam apparait nue sur les affiches, mais cette fois, de dos. Il s’agissait d’une campagne de l’agence CLM-BDDO pour l’afficheur Avenir qui voulait démontrer son efficacité en matière d’affichage. Le pari est largement gagné et Myriam reste une référence majeure dans la grammaire des publicitaires.

C’est ce qu’ont vraisemblablement voulu faire les communicants de l’Université de Perpignan, mais, pour Myriam, aucune information n’avait fuité entre les trois tours… Ni le publicitaire, ni le commanditaire n’avaient livré d’explications.

On peut supposer que la pression a été trop forte à Perpignan pour faire durer le suspens.

Quels enseignements (pas du tout supérieurs …) de cette story ? 

Plusieurs réflexions naissent de cette situation.

Tout d’abord sur la communication de l’université de Perpignan : ce n’est pas parce qu’on ôte le pire qu’on ne trouve que du bon. Il va falloir effacer le premier choc pour faire accepter le message positif. Entre temps, la barrière a été largement rehaussée. Il va falloir frotter fort pour effacer la petite tâche laissée par l’insinuation du « pire ». Le jeu en valait-il la chandelle ?

Sur la communication dans l’enseignement supérieur, il faut se rappeler qu’on ne peut évaluer la qualité d’une formation ou d’une université tant qu’on n’a pas terminé un cycle d’étude, et, de plus cette évaluation restera très subjective et individu-dépendante. L’enseignement se range dans la catégorie des « services de croyance ».

Au moment du choix de l’orientation, car c’est bien cela qui est en cause, l’estimation du risque est maximale avec principalement le risque psychologique de se tromper d’orientation, et le risque financier surtout si les études sont chères.

L’objectif d’une communication dans ce domaine est donc de RASSURER et DONNER ENVIE, puis, d’apporter les preuves que la promesse sera bien tenue : témoignages d’apprenants, de diplômés, photos des locaux, chiffres d’insertion …et classements médiatiques (peut-être plus qu’un rapport administratif qui peut paraître fort obscur car les « preuves » doivent parler au public ciblé). C’est sur cette base qu’il faut être créatif !

Envisageons deux autres « services de croyance » comme l’est l’enseignement supérieur. Verrions-nous une publicité pour la chirurgie esthétique mettant en scène des opérations ratées pour, ensuite, rassurer sur l’excellence des chirurgiens ? Ou bien une personne derrière les barreaux pour prouver, dans un second temps le professionnalisme d’un cabinet d’avocats ? Certainement pas.

Avec une affirmation comme « L’Université de Perpignan : échec assuré », c’est le risque qu’a pris cette université. L’enseignement supérieur n’est certainement pas le sujet qui se prête le mieux à cette stratégie de communication.

L’image d’un établissement de formation se construit sur du temps long, elle est construite autour de mille variables qui vont des récits des étudiants, aux locaux, à la ville d’implantation, à des « figures » aussi qui l’incarnent. Nous sommes sur l’offre d’une « expérience » extrêmement impliquante pour ceux qui vont la vivre et qui doit être traitée en tant que telle.

Comme le disait Pierre Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. On peut certainement rire et faire de l’humour avec l’enseignement supérieur mais pas à destination des lycéens et de leurs familles qui sont plongés dans l’angoisse de l’orientation. Pas non plus à destination des personnels qui ne sont pas au mieux de leur moral si on en croit les enquêtes à ce propos.

In fine, le dilemme sera d’affirmer haut et fort que l’Université de Perpignan tient ses promesses : reste à savoir si on retiendra celle du « pire » ou du « meilleur » ?

 

NB : Ce billet a été publié par NewsTank Education le 17 Mai 2017

 http://education.newstank.fr/fr/article/view/93546/communication-universite-perpignan-pire-meilleur-isabelle-barth.html

 

La formation professionnalisante et courte : il faut de vrais « rôles modèles » !

Nous avons tous lu récemment des plaidoyers tout à fait intéressants en faveur de la formation professionnalisante et de la formation supérieure courte (CAP, BEP, Bac pro, jusqu’au DUT,licence pro ou Bachelor). Ils ne sont pas nouveaux et reviennent chaque année au moment des choix d’orientation comme les hirondelles au printemps. D’année en année, les arguments sont les mêmes, tout à fait pertinents et solides.

Le problème, c’est qu’ils ne portent pas. Rien ne change ! Certes, le système éducatif doit évoluer, mais avant tout, il a besoin de vrais « rôles modèles », crédibles et attractifs, ce qui n’est pas le cas actuellement.

 

On peut retenir des discours pro-formations courtes deux thèses majeures :

  • La première porte sur les métiers auxquels conduisent les formations diplômantes infra bac, avec l’urgence absolue de les redécouvrir et de les revaloriser. En effet, quoi de plus noble d’être artisan ? Plombier, couvreur, boulanger …. D’autant plus que l’emploi est assuré puisqu’on peine à recruter faute de candidats … Or, la France a besoin de ces métiers pour faire tourner son activité économique. Autre argument souvent avancé : ces formations conduisent à des professions qui demandent un esprit entrepreneurial, en plein dans l’air du temps ! Il s’agit donc de répondre aux réticences que l’on observe, car ces métiers ne font pas rêver les plus jeunes !

 

  • Le second argument développe l’idée, dument validée, que les entreprises ne peuvent recruter uniquement des Bac +5. Il en va comme de l’armée, on ne peut avoir dans un bataillon uniquement des généraux, il faut bien de la hiérarchie intermédiaire ! Toutes les formations visant un diplôme infra bac, bac et jusqu’à Bac +3 se doivent de préparer leurs étudiants à l’insertion professionnelle, quitte à employer des mesures coercitives pour interdire, tant que faire se peut, la fameuse « poursuite d’études ». Le bon sens incarné !

 

Tout est dit. Et pourtant ça ne fonctionne pas, la poursuite d’études continue à se développer. Pourquoi ?

Il y a trois raisons majeures qui sont autant de freins :

1/ Le poids de l’affectif et de l’irrationnel dans le choix des orientations,

2/ L’effet paradoxal des études courtes,

3/ L’absence de légitimité des porteurs de messages.

 

  • Le poids de l’affectif et de l’irrationnel

Le premier frein, c’est qu’on ne choisit pas sa formation uniquement de façon rationnelle et pour rendre service à la nation. ! Chacun a bien compris que le choix des études engage pour longtemps, et ses véritables ressorts sont : les « tripes », le « tout sauf » et la « délégation par ignorance » devant ce monde hypercodé qu’est la formation.

Que se passe-t-il dans les familles ? Ou dans la tête du jeune homme ou de la jeune fille s’il n’est pas accompagné ? On cherche une formation qui permettra de construire un avenir professionnel le meilleur possible, avec les critères de : statut social, rémunération, stabilité, d’employabilité, et bien sûr d’intérêt. – Je fais une incise sur la question de l’intérêt d’un métier, car elle est fascinante et très mal traitée. En effet, on ne peut évaluer l’intérêt d’un métier que si on le connait, or, la découverte de la palette professionnelle se limite en général à ce qu’on observe dans son cercle familial. Le fameux stage de troisième se déroule en général dans l’entreprise paternelle ou maternelle. La reproduction sociale continue à sévir, malgré les quelques développements qu’a connus l’orientation dans les collèges et les lycées.-

Il faut l’admettre, l’orientation se fait majoritairement « par défaut ». Parce qu’on n’a pas « le niveau », parce qu’on ne connait pas toutes les possibilités, parce qu’on suit les conseils d’un tiers identifié comme expert …

 

  • L’effet paradoxal des études courtes,

J’ai pu observer cet effet paradoxal pendant mes 5 années comme chef du département GEA à l’IUT Lumière Lyon 2 (1995-2000). Déjà en 1993, le projet de cet IUT était d’accueillir des bacheliers voulant s’insérer dans la vie professionnelle à Bac +2, et qui n’étaient pas des « premiers de la classe », mais détenaient des compétences ou des expériences autres que scolaires. La formation était complètement innovante puisque tous les étudiants étaient obligatoirement en alternance (contrats de qualification puis contrats d’apprentissage) lors de la seconde année. Et qui dit apprentissage dit bien sûr projet s’insertion … Malgré toute la volonté de l’équipe pédagogique, les choses se sont très vite inversées. Qu’observait-on ? Les étudiants persuadés de leur envie d’études courtes reprenaient confiance en eux et découvraient de nouvelles modalités de formation grâce à l’alternance. Leur entourage, personnel comme professionnel, les poussaient à continuer vers la licence pro, une école de management, un IUP … Combien de fois ai-je entendu : «Mais, il (ou elle) ne va s’arrêter maintenant, il vaut mieux que cela ! ». J’ai quitté cette magnifique expérience en 2000, mais elle m’a convaincue de l’immense responsabilité que nous avions à interdire la poursuite d’études, comme cela se fait encore.

Bien sûr, on lit que des Bac + 5 réorientent leurs choix professionnels vers des CAP ou des BEP pour se former à des métiers artisanaux, mais, même s’ils sont intéressants et emblématiques, ces choix restent confidentiels, et ont la particularité d’être assumés, et non subis.

 

  • L’absence de légitimité des porteurs de message

Ce qui pose question, c’est l’exemplarité de ceux qui prônent ces études courtes et professionnalisantes. En clair, que font les enfants des chantres des formations professionnalisantes et courtes ? En fait, je le sais … des études longues, des classes préparatoires, des écoles d’ingénieurs ou de management, des doctorats … Pourquoi ? Parce qu’en tant que parents, ils veulent, comme tout le monde, « ce qu’il y a de meilleur » pour leurs enfants ! Et de façon récurrente, les enquêtes montrent que les études longues (le bac +5) garantissent l’employabilité et un meilleur niveau de rémunération.

J’ai en tête une réunion avec des représentants d’une Chambre des Métiers et de l’Artisanat en vue d’un livre blanc portant sur la revalorisation de leurs métiers. Mes interlocuteurs étaient des chefs d’entreprises artisanales et de nombreux secteurs étaient représentés : la coiffure, la zinguerie, la boulangerie, la plomberie … La discussion a porté sur les difficultés à recruter, la crise des vocations, la mauvaise image que le système éducatif donnait de ces métiers etc etc … A quoi servait le Bac + 5 alors que l’avenir souriait à celui qui se destinait à ces formations et ces professions ? La partie ON terminée, nous avons entamé le OFF et, je leur ai demandé ce que faisaient leurs propres enfants : pas UN ne leur avait recommandé cette voie et ils étaient fiers de les avoir vu s’engager qui dans une école de commerce, qui vers un Master …

Je n’hésite pas à dire que nous sommes en plein clivage entre notre rôle de père ou de mère et celui de chefs d’entreprise ou d’experts en éducation, qui s’opposent complètement.

 

Einstein disait que « faire toujours la même chose en espérant des résultats différents était de la folie » … ou de l’imposture. On ne peut continuer à chanter les louanges de la formation professionnalisante et courte sur la scène, quand, en coulisses, on ouvre l’accès aux escaliers (ou aux ascenseurs) pour sa propre progéniture vers les cieux de la formation la « plus longue possible ».

Pour revaloriser les études courtes, et la formation professionnalisante, pour dissuader de la « poursuite  d’études », s’il faut faire évoluer le système, il faut surtout des « rôles modèles », des personnes qui incarnent ces choix au plus haut niveau.

 

 

 

L’ESR est mort, vive l’INSPIR

La campagne électorale pour la présidence de la République est déjà bien entamée et on peut constater que la question de l’enseignement supérieur n’est pas au cœur des préoccupations des candidats, même s’ils l’abordent tous.

Quel que soit le programme de l’élu(e), il (elle) devra prendre en compte les tendances de fond qui se sont dessinées ces dernières années, car elles continueront à s’affirmer. Je ne parle pas de mouvements ad hoc, esquissés sous les contraintes légales ou réglementaires, mais bien d’évolutions répondant à des attentes sociétales lourdes.

Le (la) nouveau  (nouvelle) ministre  aura à les prendre en compte car elles augurent d’innovations qui se propageront dans les années à venir.

Une observation de ce qui s’est passé ces dernières 5 années nous permet de repérer 5 tendances structurantes pour l’avenir de l’enseignement dit « supérieur ».

 

« L’innovation, c’est accompagner le monde,

la société, les entreprises, les hommes …

dans leurs changements grands ou petits »

 

Le IN : l’exigence d’un savoir innovant,et apportant sa contribution à la société

IN pour Innovation, cette tendance est transversale, mais certainement assez nouvelle. Il n’est pas loin le temps où la grande majorité des universitaires considéraient leur travail de chercheur et même de pédagogue comme « hors sol » et affranchi du temps qui passe. Sans être dans la caricature, le débat existe encore sur l’ « utilité » de la recherche universitaire. Dans nombre de disciplines, la question est résolue depuis longtemps tant les recherches sont liées aux problématiques issues de la société : qu’on songe à la médecine, à la biologie, aux sciences de l’ingénieur …

Le débat persiste en sciences humaines et sociales (au sens étendu du terme). Mais on voit bien monter en puissance au niveau international l’exigence d’un savoir innovant, impactant, et apportant sa contribution à la société. L’innovation, c’est accompagner le monde, la société, les entreprises, les hommes … dans ses changements grands ou petits, non pas en regardant en arrière mais avec le désir de dessiner un chemin prospectif, avec un impact réel, et certainement mesurable. L’innovation touche aussi aux méthodes de recherche et à la pédagogie.

 

« Chercher une vision 

plus fluide des transitions. »

Le TRANS : passer les frontières quelles qu’elles soient

C’est une des évolutions actuelles les plus fortes : passer les frontières quelles qu’elles soient. Je soulignerai avant tout la transdisciplinarité et la transculturalité.

De plus en plus d’établissements d’enseignement post bac évoluent, au-delà même de l’internationalisation, vers la transculturalité. Certaines écoles de commerce sont emblématiques de cette globalisation, où le multi-culturel, l’interculturel sont déjà relégués au siècle dernier.

De même, la transdisciplinarité est de plus recherchée. On voit émerger des cursus qui mêlent disciplines techniques, et disciplines humaines et sociales, considérant que, plus qu’une double compétence, c’est vraiment une compétence double qui fera la différence dans le monde professionnel.

Le TRANS, c’est aussi une vision plus fluide des transitions. On observe ainsi des propositions certes encore confidentielles sur la nécessité d’une année postbac pour de nombreux bacheliers qui ne « savent pas ce qu’ils veulent faire » comme études, comme métiers … Ces cursus sont très intéressants dans leurs principes : apport de culture générale, réflexion sur soi et information large sur les métiers … et correspondent largement à des attentes, à défaut d’avoir démontré leur efficacité.

Une véritable mise en œuvre de la formation tout au long de la vie (le 3L : Long Life Learning) qui existe déjà sur le papier mais peu dans sa réalité, tant le diplôme est obtenu « une fois pour toute » est ancré dans notre culture.

 

 Le CUS : la customisation des parcours

CUS comme customisation, c’est-à-dire l’individualisation de la formation conçue comme un parcours. Ce n’est pas nouveau dans le principe, et pas toujours facile à promouvoir, mais on constate que de plus en plus d’étudiants acceptent de construire leur formation « chemin faisant ». La multiplication des accès aux formations s’est développé pour garantir cette proposition.

Un autre CUS, c’est la volonté d’amener les apprenants à une réflexion sur les compétences douces, à travailler à leur développement personnel, car l’enseignement supérieur se veut (quand il en a les moyens) de plus en plus éducatif et regarde ses étudiants comme des personnes et non comme des portefeuilles de compétences ou de connaissances.

 

Le CO : le boom du partage

Le Co ? C’est le boom du partage. La co-construction du savoir avec ses parties prenantes, le co-working avec les nouveaux espaces d’apprentissage, la co-diplomation entre établissements qui apportent leur complémentarité.

Chacun est convaincu de la nécessité des expériences professionnelles pendant les études , avec l’alternance sous contrat salariée, les stages, les petits boulots. L’idée maintenant admise, c’est que bien accompagnées, ces expériences  in vivo sont formatrices.

 

« Ces tendances sont émergentes , trop dispersées,

trop disparates, trop confidentielles pour constituer

un nouveau paradigme du Sup ! »

 

L’ OMNI : un changement de paradigme

L’étudiant omni-canal est déjà là, il apprend par Internet, les réseaux sociaux, les MOOC, le cours présentiel, de son expérience professionnelle, avec ses collègues … mais il attend encore qu’on lui enseigne en omnicanal. En effet, les cursus qui ont su développer les propositions en omnicanal sont attractifs et certainement plus appréciées  que les formations classiques (c’est-à-dire en classe), ou les formations entièrement  virtuelles et distancielles …

Ces tendances sont émergentes, trop dispersées, trop disparates, trop confidentielles pour constituer un nouveau paradigme du Sup ! Il reste à expérimenter, bilanter, améliorer selon la boucle de l’apprentissage. Mais il faut aussi évangéliser, partager, benchmarker, copier, pour une adoption sereine de ces nouveaux modèles ou de ces nouvelles modalités.

Tout cela fait que nous pouvons revisiter le nom de notre ministère de tutelle : l’ESR qui juxtapose Enseignement et Recherche dans le contexte du PostBac sans réel mouvement ni élan stratégique !

Je propose donc à notre prochain(e) ministre d’être celui de l’INSPIR pour INnovation et Individualisation – Savoir – Partage – International – Recherche.

 

Ce billet a été publié dans une version légèrement différente sur Linkedin

Ne dites pas à mes collègues que je dirige des thèses, ils croient que je corrige des copies !

Il y a quelques jours, j’ai vécu ma première soutenance de thèse de doctorat (en science de gestion) « nouveau protocole ». Le directeur de thèse était seulement invité à la délibération par le jury si celui-ci l’acceptait ; le cas échéant, il n’avait qu’une voix consultative, et in fine ne pouvait apposer sa signature sur le compte rendu de soutenance.

Nous avons tous eu un sentiment très désagréable et une gêne véritable s’est installée à la lecture de ces nouvelles règles dûment rappelées à l’écrit par l’école doctorale, relayant en cela le texte national.

Après 4 années d’accompagnement de son thésard, notre collègue se retrouvait sur un strapontin au moment de l’évaluation finale de ce travail doctoral. C’est une nouvelle vision du travail de direction de thèse qui s’imposait à nous, et il me semble intéressant de voir ce que cela implique et les questions qui se posent.

 

La direction de thèse : un chemin de plus en plus semé d’embûches

 

Sans revenir plus de 40 ans en arrière, période où les premières thèses de doctorat en sciences de gestion ont été soutenues (1974), force est d’observer que diriger un travail doctoral est de plus en plus compliqué.

La première difficulté est de trouver des candidats à la thèse. Dans notre discipline, ils sont de moins en moins nombreux à vouloir choisir cette continuation d’étude après un Master qui leur offre un accès qualitatif et rémunérateur au marché du travail. Malgré la (toute relative) déqualification des Masters, l’emploi à bac +5 en management reste attractif.

Même si le doctorat ne conduit pas automatiquement au métier d’enseignants chercheur dans la fonction publique, rappelons que le salaire à la sortie d’un étudiant d’IAE ou de business school se situe autour de 35 000 euros par an alors qu’un Maître de conférences après son doctorat, sa qualification et la course au poste démarre à 25 000 euros annuels …

Le nombre de vocations s’est encore réduit avec la suppression des Masters Recherche qui permettaient de tester pendant une année la motivation du thésard comme son potentiel à poursuivre vers le doctorat.

C’est maintenant dans les Masters Pro qu’il faut aller chercher des candidats qui n’auront pas bénéficié de cette année de « banc test » qui permettait de murir un projet pourtant si impliquant.

La deuxième difficulté s’est installée récemment, c’est le rejet de la liberté du directeur de thèse de choisir ses futurs thésards, et plus largement de la latitude laissée au tandem de se constituer. Il est vrai que les critères étaient souvent personnels, fondés sur la relation plus que la raison, et pouvaient paraître opaque à l’entourage. Mais quand on est amené à collaborer durant 4 années en moyenne (parfois plus), il n’est pas aberrant de penser que l’envie de travailler ensemble compte au moins tout autant que des critères durs comme la moyenne des notes de master.

L’installation de comités dans les laboratoires et dans les écoles doctorales qui évaluent le potentiel du candidat au doctorat évacue l’engagement d’un binôme au profit d’évaluations critérisées par des enseignants chercheurs ayant certes l’Habilitation à Diriger les Recherches mais l’ayant souvent peu ou pas pratiqué, méconnaissant de fait, ce travail de longue haleine, et par essence impossible à standardiser.

L’inscription en thèse devient elle-même un véritable défi, qui peut décourager plus d’un directeur de thèse comme plus d’un étudiant.

La difficulté est encore amplifiée avec un « principe de précaution » implicite mais maintenant bien ancré dans beaucoup d’écoles doctorales.

 

La recherche doctorale soumise au principe de précaution

 

On le savait, les doctorants en CIFRE, les professionnels en emploi, et, tous les profils atypiques, étaient plus tolérés que véritablement acceptés par la communauté des enseignants -chercheurs. Combien de fois avons-nous entendu ces petites phrases qui pointaient la « spécificité » de ces impétrants et de leurs recherches ? Ils font pourtant le lien entre le « terrain » de recherche et l’académie, mais souffrent d’une incompétence présumée en théorisation, certainement du fait de leur investissement opérationnel.

Le principe de précaution sur le « fond de la thèse » s’accompagne maintenant de celui sur le financement. Se généralise l’exigence du financement des 3 années de recherche doctorale « hors financement personnel », ce qui exclut de facto tous les doctorants n’ayant pu avoir accès à une bourse ou à un contrat CIFRE, ou à un emploi (sachant que démarrer emploi et thèse en même temps est mission quasi impossible).

Ce financement « a priori » devient vite une course d’obstacles pour le candidat et son directeur de thèse. Prenons l’exemple du contrat CIFRE : le dossier n’est retenu administrativement qu’accompagné de l’accord du laboratoire et celui de l’école doctorale à accueillir le candidat (outre celui de l’entreprise bien sûr), mais il faut 3 mois de délai administratif (qui devrait être réduit à 2 …) pour le traitement du dossier, qui peut en outre,se solder par un refus.

Le candidat doctorant doit donc attendre décembre ou janvier (s’il a réussi à finaliser son dossier en septembre) pour savoir s’il pourra être inscrit, l’école doctorale suspendant son inscription à ce financement… Il faut être sacrément motivé pour résister à de telles incertitudes, d’autant plus quand l’Ecole Doctorale souhaite une inscription avant mi Décembre.

Le chemin le plus sûr est alors celui des bourses doctorales qui sont bien sûr en nombre inférieur au nombre de candidats, ce qui alimente le jeu de la concurrence et surtout celui de la normativité car les critères d’évaluation sont standardisés. L’effet malthusien est garanti. Et la diversité, pourtant source de richesse et de créativité n’est plus au rendez-vous. On se prive de talents qui, passée la première année sur fonds personnels, continuaient leur recherche sous contrat de moniteur ou d’ATER. Pour améliorer le taux de soutenances (les abandons ayant un coût quasi nul étant donné qu’il n’y a aucune rémunération pour le suivi doctoral), on refuse aux doctorants hors-système la chance d’une intégration, certes plus longue, mais souvent réussie au final.

On peut aussi ajouter l’exigence de plus en plus forte des écoles doctorales pour le suivi de séminaires obligatoires pendant les trois années, qui sont de véritables casse têtes pour les doctorants ayant une activité professionnelle.

Ces filtres de plus en plus puissants mis bout à bout découragent les vocations tant du côté doctorant que direction, et obligent à quitter l’idée que la recherche doctorale en sciences de gestion est un compagnonnage.

 

L’abandon du compagnonnage

 

La mise à l’écart du directeur de thèse pendant la soutenance n’est que la face émergée de l’iceberg de sa mise à distance programmée. Le doctorat évolue vers un diplôme d’Ecole Doctorale où le collectif doit prendre le pas sur le compagnonnage.

Cette évolution est justifiée par la recherche d’excellence et une plus grande homogénéité du doctorat. On oppose aux critiques des exemples de « copinage », d’endogamie dans certaines équipes, de manque d’exigence avec des doctorats accordés sans être au niveau attendu.

Il y a certainement eu quelques abus comme dans tout dispositif basé sur la confiance, mais il y toujours eu une régulation par les pairs.

Tout directeur de recherche doctorale sait que la thèse est loin d’être un long fleuve tranquille. La prédiction de réussite est très difficile : un doctorant plein de potentiel au démarrage peut s’effondrer la dernière année, comme un doctorant moins brillant au départ peut soutenir une excellente thèse.

C’est une des grandes difficultés de la direction de thèse : admettre que le chemin est fait d’essais-erreurs, d’alternance de succès et d’échecs, la route vers la thèse n’est pas rectiligne et le directeur de thèse est souvent là pour remotiver, recadrer, relancer le processus. Sans lui, beaucoup de thésards abandonneraient.

 

Joies et peines de la direction de thèse

 

En m’appuyant sur mon expérience personnelle (j’ai fait soutenir 11 thèses depuis 2012) et de nombreux échanges avec des collègues lors de jurys de soutenance, je peux dresser un petit panorama des joies et des peines de la direction de thèse  (pour les raisons de faire une thèse : relire mon post : http://blog.educpros.fr/isabelle-barth/2013/06/10/ne-dites-pas-a-mes-parents-que-je-suis-doctorant-en-management-ils-croient-que-je-cherche-un-emploi/ )

 

Les joies de direction de thèse sont nombreuses, je peux citer :

  • Celle de travailler avec des personnes intelligentes, ayant soif de savoir et qui vous challengent au quotidien,
  • l’acquisition de nouvelles expertises grâce à cette fréquentation assidue des thésards,
  • le sentiment de faire grandir des personnes,
  • et un vrai compagnonnage dans la recherche, la construction de la thèse, et la co-publication de communications et d’articles.

 

Les peines sont nombreuses aussi :

  • La direction de thèse ne se limite pas à l’expertise en épistémologie ou méthodologie, c’est souvent être à la fois père, mère, psychologue, coach
  • Il faut aussi accepter d’être patient, quand le doctorant se trouve dans un « pot-au noir » et n’avance plus, ou qu’il ne vous donne aucune nouvelle pendant des semaines,
  • c’est aussi se mobiliser pour des rendez vous souvent fort longs où rien n’avance, sur la base de documents qui ont été envoyés quelques heures à peine avant le rendez vous, ou entièrement réécrits alors que vous aviez travaillé sur la version précédente,
  • le plus difficile est certainement l’ingratitude du thésard (pas toujours …) qui préfère penser qu’il ne doit sa réussite qu’à lui-même, et oublie la part de son directeur de thèse,
  • il y a enfin les collègues, dans le laboratoire, ou dans les différents séminaires doctoraux qui ne ménagent pas leurs critiques ou leurs réserves sur le travail en cours, en oubliant de souligner les points positifs. Ces collègues qui ignorent qu’un propos d’étape d’une recherche doctorale ne peut être évalué comme un article.

 

Ce mélange doux-amer rebute bien des Professeurs et HDR qui préfèrent garder leur temps et leur énergie pour leurs propres recherches et leurs propres publications. Ce sont souvent ceux-là qui sont les plus critiques et les plus exigeants avec les doctorants … des collègues !

Pourtant, diriger des thèses est essentiel pour le développement de la discipline scientifique « gestion ».

 

La direction de thèse : la survie d’une discipline scientifique

 

On compte les thèses à l’observatoire des thèses de la FNEGE et on observe que depuis des années, le nombre de thèses soutenues en science de gestion reste autour de 350 par an. Ce nombre a d’ailleurs plutôt tendance à diminuer légèrement alors que notre discipline est interpellée par des attentes de plus en plus nombreuses des entreprises.

Cette incitation au développement d’une discipline ne suffit pas, elle peut même être contreproductive quand  on regarde les sujets retenus par les thésards (et leurs directeurs), tant ces sujets sont éloignés des préoccupations des managers.

Pourtant, diriger des thèses a deux effets indispensables à la survie-développement de notre discipline :

  • L’élargissement du vivier d’enseignants-chercheurs, sans quoi, l’avenir de notre discipline semble être bien compromis,
  • la contribution à la construction du savoir, puisqu’une thèse, par définition développe une valeur ajoutée en théorie qui doit contribuer à l’édification de la théorie et bénéficier au plus grand nombre.

 

Diriger des thèses, c’est affronter ces défis et ces difficultés. Beaucoup l’acceptent encore volontiers et avec enthousiasme. On peut craindre que, si la reconnaissance même de ce travail est balayée par des nouvelles dispositions comme la mise à l’écart du directeur de thèse, il devienne difficile de maintenir la motivation.

Certains vont m’opposer la PEDR (Prime d’Encadrement et de Recherche) qui est une reconnaissance certaine, mais qui ne tient pas longtemps devant le volume d’heures qu’implique une direction de recherche doctorale. D’ailleurs, de nombreux directeurs de thèse ont commencé se tourner vers les DBA ou es PHD, plus souples, sans cet excès de normalisation, et beaucoup plus rémunérateurs.

Au nom de la collégialité, au nom de l’égalité de traitement, au nom de l’excellence, on décourage peu à peu les projets qui finalement ne se construisent que sur l’envie, l’initiative personnelle et la prise de risque.

 

Bref, ne dites pas à mes collègues que je dirige des thèses, ils me croient en train de corriger des copies ! C’est plus rassurant !

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Quels messages adresse à l’enseignement supérieur le succès de Trump ?

« KO debout ! »

Comme beaucoup, le résultat des élections présidentielles américaines m’a laissée KO debout.

Une fois passé le premier choc, j’essaie d’en tirer des enseignements car comprendre et expliquer m’ont toujours paru la meilleure façon d’avancer.

Il est clair que le système éducatif est lourdement interpellé, et tout particulièrement l’enseignement supérieur.

 

« Les maux de nos sociétés démocratiques au centre du vote américain »

Au centre de cette élection, comme du vote pour le Brexit, il y a tous les maux de nos sociétés démocratiques : endogamie des élites, petit club fermé ceux qui font l’opinion, idéologie de la transparence. Il y a aussi la peur de ce monde ouvert qui semble si incompréhensible et menaçant à tant de personnes qui voient disparaître peu à peu tous les repères construits au cours des générations qui les ont précédées.

« L’éducation au cœur de ces votes de repli et de rejet »

Nous sommes très nombreux à penser que l’éducation est au cœur de ces votes fondés sur la méfiance et le rejet. Il ne s’agit pas de dire que les gens éduqués sont plus intelligents que les autres, ni que le diplôme soit la garantie de l’intelligence des situations. Mais il est vrai que la formation doit être garante de l’ouverture d’esprit, de l’accès à l’information, et du décryptage des phénomènes. Toutes compétences qui sont de véritables boucliers au repli sur soi et à la méfiance de l’autre.

Comme professeur, je me sens donc très interpellée par cette élection, j’en retiens trois messages.

 

« Trois interpellations à entendre »

La première interpellation est l’urgence de débattre avec les élèves et les étudiants de ce qui s’est passé. Comme après les attentats de l’année dernière, il est nécessaire de se servir de ce cas pour aider nos élèves à comprendre et à analyser le processus à l’œuvre. J’espère que les responsables d’établissements, et surtout d’écoles de management se sont saisis du sujet.

La deuxième est que l’éducation doit aller à l’élève et à l’étudiant, et non le contraire. En effet, les analyses montrent bien qu’un creuset de ce vote américain, comme celui du Brexit est la fracture territoriale. En cela, ce vote si clivant interroge les réformes actuelles qui consistent à polariser l’enseignement supérieurs sur les grandes métropoles, au nom de la visibilité, de l’excellence, des classements…. Fermer des établissements parce qu’ils ne sont pas conformes aux exigences de recherche et de publication, parce qu’ils sont trop coûteux pour les institutions locales, c’est créer des déserts pédagogiques sur le territoire national. Ce ne sont pas les MOOC qui raccommoderont les trous béants faits dans le tissu national. Si j’en reste à la discipline du management, l’abandon à leur triste sort ces dernières années des ESC Amiens, Brest, Chambéry, Tours-Poitiers, Saint Etienne, comme l’ouverture massive de campus à Paris et dans quelques grandes métropoles régionales, montre bien l’importance du phénomène, qu’on observe de façon plus floutée du côté universitaire où il ne fait pas bon être un département d’IUT de villes moyennes ou même une petite université de province.

Je n’ai pas trouvé d’étude sur le sujet mais je pose la question : combien de lycéens français renoncent aux études supérieures par manque de moyens ou simplement d’envie d’aller étudier loin de leur domicile ? Les études existent aux USA et montrent bien la baisse de jeunes rejoignant les universités ces dernières années, et les liens avec le vote de rejet de ces dernières semaines.

La troisième interpellation porte sur notre mission d’enseignants chercheurs : pouvons-nous nous contenter de regarder ce qui se passe ? Il me semble indispensable d’être des chercheurs « en société » avec des recherches-actions, des recherches-interventions qui nous amènent à nous confronter au réel et à « faire bouger les lignes ». Ceci exige qu’après l’analyse et le décryptage vienne le temps des propositions et des prescriptions. Il nous faut aussi choisir des sujets de recherche correspondant aux attentes de la société, et en management, des entreprises, et ne pas se limiter à des sujets complètement essorés pour alimenter avec moins de risque la machine à publications.

 

« Pas de Brexit V3 en mai 2017 »

Finalement, merci Mr Trump ! Vous secouez nos habitudes et vous nous obligez à nous poser de bonnes questions Si nous ne voulons pas d’un Brexit V3 en Mai 2017, il est temps de se mettre au travail.

Viol d’étudiantes : où en est la France ?

Depuis quelques mois, l’actualité universitaire américaine est très marquée par le drame des viols sur les campus. Le problème n’est pas nouveau et on peut se rappeler qu’il avait été mis en récit par le romancier Tom Wolffe dans son roman Moi, Charlotte Simmons en 2006, mais il était passé sous silence jusqu’il y a peu. Cette médiatisation récente me ramène à un cas douloureux que j’ai eu à gérer il y a seulement quelques mois.

Le viol de Jenny

Mon assistante m’interrompt au cours de la matinée, et me demande de recevoir d’urgence une étudiante australienne. Cette jeune fille veut absolument me rencontrer et le sujet est de la plus haute gravité.
Je la reçois en demandant à mon assistante d’être présente car elles ont eu le temps de sympathiser et Jenny (appelons-la comme cela) s’est déjà confié à elle.
J’invite Jenny à parler, et elle m’explique alors l’objet de sa venue : à quelques jours de son retour en Australie, elle tient à me dire que pendant son séjour à Strasbourg dans le cadre de son semestre à l’étranger, elle a été victime d’un viol, et que ce viol a été commis par un étudiant de l’école.
Je suis sous le choc, d’autant plus, que l’émotion prend le dessus et que Jenny pleure à chaudes larmes. Elle raconte sa triste histoire : peu de temps après son arrivée à Strasbourg, elle participe à une soirée où se retrouvent principalement des étudiants internationaux. Lors de cette soirée, elle boit trop, et flirte avec un étudiant anglais, venu aussi pour une année d’étude à Strasbourg. Ils quittent la fête ensemble et elle accepte d’aller chez lui. Ils flirtent de façon poussée mais elle lui dit bien qu’elle ne veut pas aller plus loin. Il en décide autrement et la viole. Elle quitte précipitamment le domicile pour rejoindre le sien. Dans un premier temps, elle n’en parle à personne, mais le secret est trop lourd et quelques jours après, elle s’ouvre à une amie qui, devant son désarroi, lui conseille de consulter.
Elles cherchent alors une psychologue ou un médecin spécialiste qui pourraient aider Jenny. Mais il n’y en a pas à l’École de Management. Il faut contacter les services de l’Université. Devant les difficultés administratives et avec la barrière de la langue (elles ne parlent que très peu le français et le personnel médical que très peu l’anglais), Jenny décide de recontacter son école australienne.
Comme j’ai pu le vérifier ensuite, elle peut se faire prendre en charge par un service dédié de son université australienne, et elle est suivie par une psychologue pendant plusieurs séances par Skype.
Elle me raconte que ce qui a été le plus difficile a été de croiser régulièrement son violeur puisqu’ils partagent souvent les mêmes cours.
Je lui demande si elle a prévenu ses parents, c’est non, et elle ne le souhaite pas. Je lui suggère de porter plainte, sachant que je la soutiendrai, mais là encore, elle ne veut pas, par crainte de la stigmatisation, et, avec son retour prévu dans quelques jours, je me rends compte que le temps est trop court pour la faire revenir sur sa décision.
Je lui propose de réfléchir à tout cela et de revenir me voir avec son départ. Je souhaiterais aussi avoir le nom du garçon pour le convoquer mais Jenny est réticente à le donner.
Je me sens très désarmée. Encore plus quand elle me dit qu’outre les structures de suivi, il y a des cours dans son école australienne où ces questions sont abordées.
Elle me promet de revenir le surlendemain.

L’omerta après le crime

Ce drame si douloureux du viol entre étudiants est l’objet d’une véritable omerta, c’est ce que pointent les media américains.
On se doute bien sûr des raisons qui ne sont que trop universelles : d’un côté, autocensure des personnes violées par crainte de la stigmatisation et de ses conséquences, peur d’éventuelles représailles ; de l’autre, souhait de l’établissement de ne pas entacher sa réputation, et de ne pas prendre le risque d’une baisse d’attractivité, d’autant plus dans le contexte américain d’études supérieures payantes.
Pourtant, les prises de parole se multiplient, témoignant de l’ampleur du phénomène et de l’intensité de la souffrance des victimes. En effet, elles sont condamnées à la double peine : celle de l’agression sexuelle et celle du silence autour du crime, ou encore de l’inversion de la culpabilité.
Une très belle lettre ouverte d’une étudiante à son université (et pas la moindre puisqu’il s’agit de Stanford) décrit le processus à l’œuvre.
Une nuit de janvier 2015, deux étudiants suédois roulent à vélo sur le campus de Stanford quand ils surprennent un homme en train de s’en prendre à une femme inconsciente et à demi-nue derrière une benne à ordures. Ils le poursuivent et le maîtrisent, permettant à la police d’intervenir. En mars 2016, un jury californien juge l’agresseur Brock Allen Turner, 20 ans, coupable d’agression sexuelle. Il encourt jusqu’à 14 ans de prison mais est condamné à six mois avec sursis, le juge craignant qu’une plus longue condamnation ait «un impact sévère» sur Turner, encore jeune et nageur de haut niveau.
L’étudiante a lu sa très longue lettre à la barre du tribunal. On en trouve la traduction en Français par BuzzFeed France.
Si on en reprend quelques extraits, voici en substance ce que dit la jeune étudiante victime du viol : :
De son séjour à l’hôpital :

« On m’a inséré plusieurs coton-tiges dans le vagin et l’anus, des aiguilles pour des vaccins, des médicaments, on m’a pointé un Nikon en plein entre mes jambes écartées. On a mis de longs becs pointus à l’intérieur de moi et étalé de la peinture bleue et froide dans mon vagin pour voir s’il y avait des écorchures.
Après quelques heures, on m’a laissée me doucher. Je suis restée là, à examiner mon corps sous le flot d’eau et j’ai décidé que je ne voulais plus de mon corps. J’en étais terrifiée, je ne savais pas ce qu’il y avait eu dans mon corps, s’il avait été contaminé, qui l’avait touché. Je voulais enlever mon corps comme on enlève une veste et le laisser à l’hôpital avec tout le reste.
Ce matin-là, tout ce qu’on m’a dit c’est que j’avais été trouvée derrière une benne, potentiellement pénétrée par un inconnu, et que je devrais me faire dépister à nouveau pour le VIH parce que les résultats mettent parfois un peu de temps à se voir. Mais que pour l’instant, je devrais rentrer chez moi et revenir à ma vie normale. Imagine ce que ça fait de revenir dans le monde avec cette seule information … »

Elle évoque les dégâts psychologiques subis encore des mois après :

« J’ai essayé de faire sortir tout ça de mon esprit mais c’était si lourd que je ne parlais pas, je ne mangeais pas, je ne dormais pas, je n’interagissais avec personne. Après le travail, j’allais en voiture dans un endroit isolé pour hurler. Je ne parlais pas, je ne mangeais pas, je ne dormais pas, je n’interagissais avec personne, et je m’isolais des personnes que j’aimais le plus. »

Elle décrit la stratégie d’inversion de la culpabilité conduite par la défense de l’agresseur :

« On m’a assené des questions fermées, acerbes, qui disséquaient ma vie privée, amoureuse, ma vie passée, ma vie de famille, des questions ineptes, une accumulation de détails sans importance visant à trouver une excuse à ce type qui m’a déshabillée à moitié sans même prendre la peine de me demander mon prénom. Après l’agression physique, j’ai subi une agression verbale, des questions brutales qui disaient, regardez, son témoignage n’est pas cohérent, elle est folle, quasi alcoolique, elle voulait sûrement coucher, ce type est genre un athlète non, ils étaient soûls tous les deux, bref, les trucs dont elle se souvient à l’hôpital sont arrivés après les faits, pourquoi en tenir compte, Brock risque gros alors tout ça est vraiment pénible pour lui. »

Enfin, elle pointe l’incommensurabilité des peines subies :

« Tu m’as entraînée dans cet enfer avec toi, replongée dans cette nuit, encore et encore. Tu as fait tomber nos deux tours, je me suis effondrée en même temps que toi. Si tu penses que j’ai été épargnée, que je m’en suis sortie indemne, qu’aujourd’hui je chevauche vers le soleil couchant et que c’est toi qui souffres le plus, tu te trompes. Personne n’est gagnant. Nous sommes tous dévastés, nous essayons tous de trouver du sens à toute cette souffrance. Les dégâts que tu as subis sont concrets: tu perds titres, diplômes, inscription à l’université. Les dégâts que j’ai subis sont internes, invisibles, je les transporte avec moi. Tu m’as pris ma valeur, ma vie privée, mon énergie, mon temps, ma sécurité, mon intimité, ma confiance en moi, ma voix même, jusqu’à aujourd’hui. »

La culture du viol

Cette affaire qui a eu un énorme retentissement aux USA a pointé la « culture du viol » qui règne sur les campus américain.
De quoi s’agit-il ? C’est faire porter la responsabilité des viols sur les femmes et non sur leurs agresseurs. Dans cette logique, c’est parce qu’une femme s’est habillée de façon tentatrice, a eu une attitude provocante … ou pire, n’a pas su prendre les précautions indispensables comme avoir une bombe anti-agression, ou pratiquer un sport de combat …qui explique le viol. C’est réduire les femmes à des objets tentateurs qui doivent tout mettre en œuvre pour éviter le viol. Malheureusement, cette vision du renversement de la responsabilité est largement partagée comme on peut le constater dans de nombreuses agressions sexuelles, où la victime devient la cible.
Le dernier cercle de l’enfer est le «slut shaming» («humiliation de salope» en français), qui consiste à blâmer publiquement une femme pour ses rapports sexuels (qu’ils soient consentis ou pas). La femme ou la jeune fille est alors traitée publiquement sur les réseaux sociaux d’allumeuse ou de «salope», avec bien souvent, des photos à l’appui.

Pas de ça en France ?

J’aimerais bien, mais il se trouve qu’au cours de ma carrière universitaire, j’ai eu plusieurs fois des jeunes filles dans mon bureau qui m’ont raconté l’agression sexuelle qu’elles avaient subie. Mais il y avait une différence notable : ces viols n’avaient pas été perpétrés, comme pour Jenny, par des étudiants de l’institution ou du cursus dont j’avais la charge. Nous étions dans un contexte français avec, si l’étudiante le souhaitait, un appui familial proche. Nous écoutions, nous encouragions à porter plainte et surtout, nous mettions en relation la victime avec les structures ad hoc, soit à l’université, soit en dehors, selon les cas. Si j’ai eu des échos de procès ou de poursuites judiciaires, je n’en étais que spectatrice.
Dans le cas du viol de Jenny, je mesure la responsabilité du directeur de l’établissement, tant d’accompagnement de la victime que de relation à l’agresseur, sans preuve, sans expertise de ma part.

Quelles différences entre la France et les USA ?

La notion de campus universitaire en France est très éloignée de celles des campus américains qui sont de véritables petites villes où les étudiants dorment, mangent, vivent H24 et 7 jours sur 7 et étudient bien sûr. Cette organisation est rare en France et à part quelques écoles comme HEC, les campus français sont très souvent intramuros ou en proche banlieue, et n’accueillent que peu de logements étudiants, qui sont disséminés dans la ville.
Les étudiants logent donc dans des endroits variés et selon des modalités très diversifiées qui sont donc à l’opposé de la concentration américaine.
Pourtant, la vie étudiante française est intense et se traduit par de nombreuses fêtes, avec plus ou moins de rituels et d’institutionnalisation selon les établissements de rattachement.
Là encore, la liberté d’y participer est beaucoup plus grande en France qu’aux États Unis, où l’appartenance à des associations, des clubs, une faculté, sont incontournables pour trouver sa place dans la société.
Ce modèle de vie étudiante français exclut-il, du coup, la question des agressions sexuelles ? Je ne le pense pas compte tenu des expériences que j’ai pu vivre comme directrice d’une école de management ou responsables de département ou de diplômes. La responsabilité du chef d’établissement se pose d’une autre façon en France, puisqu’il y a en quelque sorte extra-territorialité du crime.

Les enseignements du viol de Jenny

Jenny est bien revenue et m’a donné le nom du garçon. Je lui fais la promesse de le convoquer. Je lui ferai un compte rendu de cet entretien. Je lui demande aussi de me donner des nouvelles après son retour chez elle.
Je convoque l’étudiant anglais, je le reçois avec le directeur des relations internationales de l’école. Nous lui signifions l’objet de l’entretien et notre dégoût devant son geste, ainsi que les risques encourus en cas de plainte. Il ne nie pas, essaie de nous convaincre que Jenny était consentante, mais très vite s’excuse et dit qu’il n’est pas fier de ce qu’il a fait. Il repart libre, mais certainement moins insouciant.
Quels enseignements ai-je tirés de cette histoire ?
Le premier est l’immense périmètre de la responsabilité d’une direction d’école. Je ne parle pas de la responsabilité au sens juridique, mais de la responsabilité morale.
Le fait que l’étudiant ou l’étudiante victime soit inscrit dans une université ou une école justifie-t-il ce lien de responsabilité ? Qu’en est-il si c’est l’étudiant (étudiante ?) agresseur ? Ou faut-il que les deux parties soient inscrites dans le même établissement pour que le problème relève de sa responsabilité ?
Les sujets sont extrêmement nombreux où le directeur (ou la directrice) est interpellé, et se doit d’intervenir, j’en cite quelques-uns pour mémoire : la consommation de l’alcool, des stupéfiants, les incivilités commises dans la ville par les étudiants, les accidents de la vie pendant le cursus …. Mais je souhaite restée centrée sur le viol.
Je me demande si seuls l’expérience et le bon sens suffisent, il faudrait certainement proposer des sensibilisations à ces sujets qui ne sont pas « cœur de métier », mais tellement importants dans la vie au quotidien d’un établissement d’enseignement.
Le deuxième enseignement est l’absence de prise en compte de ces sujets dans les cursus français (même si je suis certaine que des expériences existent de-ci de-là). Entendons-nous : au sens d’en parler, et de sensibiliser l’ensemble des étudiants, et pas seulement les responsables d’association ou certains porteurs de projets à des moments ad hoc.
Pourquoi ce vide ? Plus que de sujets tabous, ce sont des sujets qui relèvent de l’intime et de relations entre adultes, l’institution française a du mal avec le « droit d’ingérence ». L’expérience australienne est très intéressante à ce propos et certainement un exemple de bonnes pratiques à suivre.
Le troisième enseignement est le manque de moyens : le nombre de médecins, d’infirmières, de psychologues est ridiculement bas en regard de la population étudiante. Les choix politiques de faire entrer toujours plus d’étudiants à l’université doivent aussi prendre en compte ce qu’on appelle la « vie étudiante » au sens large du terme, et cette question des agressions sexuelles doivent être évaluées à leur juste mesure.

Nommer les choses pour ne pas ajouter au malheur du monde

Si je reprends mon témoignage : j’ai fait le compte rendu de mon entretien avec l’étudiant à Jenny et je n’ai plus eu de nouvelles de sa part. J’ose espérer qu’elle ne porte pas de stigmates trop graves de son agression.
J’ai réuni les responsables de toutes les associations de l’école pour évoquer le sujet avec eux et il y a eu une excellente écoute. Nous avons envisagé de travailler à une sensibilisation à ces thèmes.
Il n’est pas question pour moi de pointer du doigt toutes les personnes qui sont engagées dans ces prises en charge et qui le font très bien. Il n’est pas non plus question de réduire la vie nocturne étudiante à des épisodes de ce type. Il est évident aussi que si j’ai centré mon récit sur le viol féminin, des jeunes hommes sont aussi victimes d’agression sexuelle.
Mon objectif avec ce témoignage est à l’heure de la mondialisation, de profiter de cette fenêtre inédite que nous ouvrent les USA pour « nommer les choses » afin de ne pas ajouter au malheur du monde.