Cracking the management code

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Les Herbiers vs le PSG ! A quand l’ESDES vs HEC ? (1)

Il y a quelques temps, nous avons pu suivre un de ces évènements sportifs improbables, qui repose sur la « glorieuse incertitude du sport » : la finale de la Coupe de France de football entre le PSG et les Herbiers ! C’est l’occasion de raconter une belle histoire : celles des petits poucets qui défient les Géants, David contre Goliath … Comme le montre l’infographie suivante :

C’est aussi l’occasion de nourrir un certain suspense dans un univers qui finalement est très prévisible, c’est encore le moment de grandes unions sacrées (on nous a décrit avec abondance la mobilisation de tous les habitants des Herbiers) dernières les équipes. Et c’est enfin la possibilité de montrer que les fameux classements très hiérarchiques et dépendants de critères essentiellement financiers peuvent être bousculés quand on s’en donne les moyens, et ceci au bénéfice de tous.

En effet, on peut faire l’hypothèse que ces « happenings » dopent les audiences médiatiques, le merchandising des clubs, et surtout l’engouement global pour le football comme sport.

On compare beaucoup le monde des business school à celui du football particulièrement avec l’idée du Mercato pour les enseignants-chercheurs. L’autre similitude la plus forte est cette question des classements, et de la hiérarchie qu’ils installent.

Secouer le cocotier est toujours stimulant, et je trouve intéressant de regarder ce qui se passe dans le foot, ce qui pourrait être stimulant pour les business schools, en partant de l’hypothèse qu’elles aient envie  de faire bouger les lignes. Mais c’est seulement une hypothèse bien sûr …

Evidemment, deux questions se posent : pourquoi le faire ? et vis-à-vis de qui ?

Pourquoi le faire ?

C’est une bonne question, surtout pour les écoles de première partie du tableau qui n’ont pas intérêt à se mettre en danger, et qui peuvent craindre de déstabiliser le marché du travail à la sortie du diplôme.

J’apporterais deux arguments.

Le premier est celui largement mobilisé par Loïck Roche (directeur de GEM et président du chapitre des BS au sein de la CGE) sous le vocable de « théorie du lotissement » et qui veut que, pour maintenir leur légitimité globale dans l’enseignement supérieur, comme pour garantir la qualité de leur offre de formation, les 35 business schools grade master française doivent jouer « collectif ». La perte, la dégringolade d’une seule d’entre elle pouvant nuire à leur réputation globalement, et fausser des équilibres. L’impact de la disparition ou quasi disparition des BS ayant choisi le regroupement France Business School n’a jamais été évalué, même si on se doute des trous géants qu’elles ont laissés dans leur environnement local, le soutien des partenaires économiques locaux pour certaines (on peut penser à Clermont-Ferrand) étant une preuve par contraste.

Le second est de s’inscrire dans un contexte où de nombreux codes sont bousculés. Les attentes ne sont plus la verticalité, les silos, le « chacun pour soi », l’ « homogénéité », l’ « élitisme », tout particulièrement dans le monde du travail. Il serait intéressant que les écoles mettent à l’œuvre ce qu’elles enseignent tous les jours à leurs élèves et apprenants. A savoir : la collaboration l’horizontalité, l’égalité des chances …. On est loin du modèle de la « coopérative », mais des partenariats comme celui initié par GEM et EM Normandie, ou comme celui existant entre Strasbourg Montpellier et Rennes, sont intéressants à analyser dans leur création de valeur. Certes il y a beaucoup de collaborations avec des écoles étrangères, mais c’est déjà vu et plus simple. Dans le jeu global, il y a bien une concurrence franco-française ! Et c’est cela qui est plus compliqué.

L’idée est donc de pouvoir bousculer (un peu) les codes pour créer de la valeur globale pour les formations supérieures en management.

 

Quelles seraient les cibles ?

Le match Les Herbiers/PSG et tout ce qui s’est joué pour en arriver là est clairement destiné aux amateurs de foot, et arrivent à drainer des personnes qui jusque-là n’étaient pas particulièrement intéressées mais qui se « prennent au jeu » pour des raisons diverses et variés : pression médiatique, goût du suspens, besoin d’affiliation, fantasme du petit qui prend sa revanche …

Les fédérations de sports collectifs américaines se sont clairement positionnés sur cet objectif de créer une véritable incertitude pour entretenir le suspens et donc l’intérêt des spectateurs et téléspectateurs jusqu’au bout du championnat.

Concernant les écoles de management, on peut envisager deux cibles :

les étudiants qui seraient gagnants dans le sens où ils s’autoriseraient à intégrer une école qui leur convient vraiment sans se polariser sur le classement,

les entreprises qui accueillent les stagiaires, alternants, diplômés qui auraient accès à des talents moins « évidents » pour elles, mais qui, au bout du compte, leur conviendraient tout autant ou même mieux.

On lutte ici contre le fameux principe de précaution, qui affecte aussi bien les entreprises en matière de RH, que les étudiants quand il s’agit de leurs études. Bousculer les classements et montrer d’autres facettes des formations seraient une façon de faire baisser le risque perçu, qui, comme chacun sait est le frein principal de l’engagement dans le service (redisons-le : la formation est un service).

 

Alors comment ?

Je propose de regarder les similarités entre le secteur des BS et les clubs de foot français

Les deux figures ci-dessous montrent un parallélisme étonnant. La place dans le classement est lié (à quelques exceptions près) au budget.

La première figure est extraite du rapport financier du football professionnel français pour la saison 2016-2017, document du DNCG.

J’ai construit le second graphique à partir de deux sources : les indicateurs 2017 mis en ligne sur le site de la CEFDG et le « classement des classements » proposés par L’Essentiel du Sup. Il y aurait beaucoup à redire sur la qualité de ces données : les budgets sont du déclaratif, les classements mobilisent des critères discutables et s’appuient sur les données transmises par les écoles, le classement des classement est une moyenne des rangs acquis dans les classements les plus médiatiques  etc etc …

Mais finalement les règles même tronquées sont les mêmes pour tout le monde, et cela donne une idée générale avec une tendance suffisamment marquée pour avoir une base de discussion légitime.

 

Comment mettre bousculer la hiérarchie des business schools ?

L’idée est de trouver un tiers. Ce n’est pas simple car beaucoup de tiers possibles sont liés à ces fameux classements. Il en est ainsi des classes prépas, elles même évaluées sur le classement des écoles qu’intègrent leurs étudiants, il en est ainsi des entreprises qui ont tout intérêt à travailler avec les « meilleures ».

Je propose trois pistes, qui sont juste un début de réflexion :

1/ La première est de mobiliser l’existant et d’intégrer dans les classements des compétitions qui existent et qui sont communes à beaucoup d’écoles : les compétitions sportives comme la coupe EDHEC, le rallye 4L, les Négociales, et tous les concours que proposent les entreprises.

Ce ne sont pas toujours les écoles les mieux classées qui gagnent, et les intégrer aux classements pourraient avoir du sens, car la participation à ces concours, les talents qu’ils mettent au jour sont certainement symptomatiques des écoles. Mais ce ne serait qu’un début

2/ Développer d’autres challenges en entreprises ou par les entreprises, de façon à ce qu’elles bénéficient de la diversité des écoles et de leurs apports, mais aussi puissent constater (le cas échéant) que le rang du diplôme n’est pas la garantie absolue de la qualité du diplômé.

3/ Intégrer dans les classements des évaluations tierces auxquelles se soumettraient tous les étudiants de toutes les écoles : c’est maintenant possible avec les évaluations en ligne et sur des grands nombres. Et cela peut être décliné dans de nombreuses thématiques. Il existe déjà quelques certificats, mais cela demanderait un développement conjoint et massif. Il serait intéressant de recenser des certificats existants aux USA.

 

Dans ces conditions, on pourrait imaginer un match ESDEC vs HEC, sans présager du résultat, en se disant qu’on rebrasse les cartes de façon à développer la valeur de l’ensemble des business schools, plutôt que de se la partager en tranches de plus en plus fines, comme y conduit une vision par la hiérarchie des classements.

 

(1) première et dernière écoles au classement des classements proposé par « L’essentiel du Sup » Headway année 2017

Classement des business schools, effet Matthieu et big data 

Tout le monde connait l’effet Matthieu au moins dans ses effets. Rappelons-nous : l’effet Mathieu a été mis en évidence par Robert Merton en 1968, quand il a observé que les travaux des scientifiques prestigieux sont mieux reconnus que ceux de chercheurs moins connus même s’il s’agit de travaux similaires.

Comme il est dit dans l’évangile selon Saint Matthieu (Matthieu 13 :10-17) : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. ». Ce que dit autrement le dicton populaire : « On ne prête qu’aux riches … » ou encore l « L’argent va à l’argent ».

L’effet Matthieu dans les Business Schools

Or, il apparaît de plus en plus que cet effet Matthieu fonctionne à plein dans les classements des business schools, avec trois déclinaisons :

1/ L’ « effet de halo » : ce que font les écoles les mieux classées est toujours mieux perçu, ainsi, une innovation portée par une école bien classée est appréciée comme plus crédible, instaurant un effet leader et un effet suiveurs qui « collent » au classement,

2/ L’ « auto-prophétie » : le classement jouant à plein dans le choix des étudiants et des prescripteurs (professeurs de lycée, de classe prépa, familles ..). Il y a un effet auto-prophétique qui renchérit les effets de classements : les meilleurs élèves vont dans les meilleures écoles, et les meilleures écoles attirent les meilleurs élèves … et ainsi de suite

3/ L’effet leader (ou « the winner takes it all ») : toute publicité déclenchée et donc financée par une école moins classée va être automatiquement attribuée à une école mieux classée.

Bref, on ne prête qu’aux écoles bien classées et on ôte à celles qui sont en bas de tableau. C’est bien l’effet Matthieu.

Il est très difficile de sortir de cet effet Matthieu, surtout à un moment où les écoles de haut de tableau, pour des raisons de survie-développement (je ne reviens pas sur les mutations des business models) font jouer à plein leur marque et leur réputation pour attirer un nombre toujours plus grand d’étudiants.

A tel point que j’ai entendu des directeurs d’écoles mal classées dire (en plaisantant … quoique …) que leurs écoles devraient toucher un pourcentage pour l’intégration d’un étudiant dans une école mieux classée … En effet, leurs allocations de ressources retournent en partie aux leaders.

L’inertie des classements depuis des décennies démontre l’existence de cet effet Matthieu car si quelques écoles ont fait leur chemin c’est en jouant avec les mêmes critères que les têtes de peloton, et non pas en « disruptant ». Celles qui s’y sont risqué l’ont payé fort cher (sûrement aussi pour cause de mauvaise stratégie).

Le rôle structurant des classements médiatiques

Loin de moi l’idée de rejeter les classements. Les étudiants, leurs familles en ont besoin pour comprendre un peu mieux ce monde si complexe de l’ESR en management. Les années passant, ces classements ont, dans leur ensemble, progressé en finesse d’analyse, en vérification des preuves, en pertinence des critères, donnant ainsi une image à la fois plus précise et plus équitable de l’ensemble de l’offre.

Mais il y a encore beaucoup de pratiques qui servent l’effet Matthieu :  je pense au classement recherche Educpros qui privilégie le nombre de rang 1, certes plus faciles à comptabiliser mais qui occulte des publications certes moins classées mais qui tissent une recherche pouvant être abondante, de qualité, correspondant certainement à la demande des milieux économiques, et soutenant parfaitement la pédagogie. On peut aussi regarder des critères comme : les mentions au bac, le nombre de séjours à l’étranger, les accréditations …qui mettent les écoles dans des corridors pour ressembler toujours plus et mieux aux leaders…

« Si tu as un bâton, on te donnera un bâton, si tu n’as pas de bâton, on te le prendra. » écrivait Christine Rochefort. Étrange sentence qui sonne assez bien quand on regarde les fameux rankings.

A l’heure où nous observons de grandes mutations dans le monde sous la triple impulsion désormais classique de la globalisation, de la digitalisation et de la responsabilité, ne pourrions-nous pas nous dire que la façon de classer est profondément ringarde et qu’il faudrait rebattre les cartes ? Ou disrupter ?

Disrupter  ?

Il n’y a pas de fatalité, juste la volonté de regarder les choses autrement. C’est ce qui a été fait pour les classements des lycées, qui, malgré leurs imperfections (qu’on ne manquera pas de me faire valoir) ont su marquer un véritable infléchissement. Que s’est-il passé ?

Les classements ont choisi de ne plus évaluer la performance les lycées en se focalisant uniquement sur la réussite au baccalauréat, qui non seulement alimentait cet effet Matthieu, mais donnait lieu à de mauvaises pratiques comme le renvoi d’élèves avant le Bac afin de ne pas plomber les statistiques.

Poussés par le Ministère, les « classeurs » (i.e.les media qui classent) ont identifié le « lycée accompagnant », c’est-à-dire le lycée qui mène ses élèves à la réussite, quelle que soit leur origine, leur niveau de départ, le prestige du lieu d’implantation … en évaluant du coup la « valeur ajoutée » de l’établissement.

Les classeurs des écoles de management pourraient s’inspirer de cette vision qui rebattrait les cartes et estomperait l’effet Mathieu.

Ce serait d’autant plus pertinent que beaucoup de « grandes écoles » de management ont une sélectivité qui a beaucoup évolué. Les causes en sont : 1/ la hausse significative des effectifs de leurs promotions, ce qui implique nécessairement une baisse de la sélectivité, et 2/ une sélection qui a de moins en moins à voir avec les concours avec la multiplication des voies d’admissions. Ces deux stratégies induisent une population étudiante de plus en plus diverse, ou de moins en moins homogène, selon.

Dessine-moi une busines school accompagnante

J’entends déjà dire que toutes les écoles sont accompagnantes et que, si elles ne l’étaient pas, elles n’auraient pas les taux d’insertion que nous savons, ni la satisfaction mainte fois mesurée de leurs alumni.

Mais je persiste néanmoins dans mon raisonnement. Est-ce que ne serait pas une vision plus en phase avec l’air du temps que l’addition des accréditations, de publications, du nombre de partenaires accrédités etc etc … ? Que pourrait être une « école accompagnante » ? Quels critères permettraient de le vérifier ?

Une école accompagnante est une école qui hisse vers la diplomation et surtout vers une insertion professionnelle ambitieuse et en adéquation avec leur projet TOUS ses étudiants, quel que soit leur niveau de départ. En cela les écoles de bas de tableau font un travail méritoire. Pour enseigner depuis de nombreuses années à l’Université et en Business Schools, il est toujours plus facile d’avoir de bons résultats avec des élèves déjà performants à l’arrivée.

L’idéal serait de pouvoir mesurer à année équivalente les connaissances dans telle ou telle discipline : comme le TOEFL ou le TOEIC permettent de mesurer un niveau d’anglais « hors les murs », pour voir effectivement où sont les meilleurs scores. On découvrirait peut-être que les élèves d’une école de rang 18 ou 20 ont de meilleurs scores qu’une école de rang 4 ou 5 en marketing ou en contrôle de gestion  !

Un autre idéal serait un score à l’entrée et un score à la sortie pour mesurer les progressions. Cela permettrait aussi de valider des innovations pédagogiques en comparant ce qui est comparable, et faire ainsi de véritables liens entre le résultat et le processus pour l’atteindre. Ce qui n’est pas le cas actuellement où les « innovations pédagogiques » ne sont jamais mesurées en double aveugle.

On pourrait alors parler de VALEUR AJOUTÉE des écoles pour leurs étudiants.

L’arrivée des big data

Sur quels critères cette valeur ajoutée pourrait-elle être indicée ? Je formule quelques pistes :

1/ L’écart entre l’attendu et le réalisé

Il faut pour cela calculer les scores attendus pour une école donnée en fonction du profil des étudiants intégrés, scores pour des tests globaux de connaissances mais aussi en lien avec les compétences attendues dans le monde du travail.

Cette possibilité de suivre un parcours d’étudiant sur la longueur de son parcours de formation, et donc d’avoir des projections sur sa réussite est maintenant tout à fait possible avec les big data. On peut maintenant construire à partir de profils, des projections de parcours. Nous ne sommes donc dans la science-fiction, mais bien à l’aube de nouvelles modalités d’évaluation de la performance d’une institution d’enseignement Des universités américaines s’y sont mises comme celles de l’University Innovation Alliance.

2/ Créer des scores indépendants dans de nombreuses matières : il serait très intéressant d’avoir des scores sur des outils communs sur des disciplines autres que l’anglais pour qualifier le niveau d’un candidat en dehors de l’évaluation propre de son institution d’origine. Là encore, des dispositifs sont à l’œuvre avec la possibilité d’administrer les tests de façon massive et non falsifiable comme de concaténer les résultats de façon globale, toujours grâce à l’Intelligence Artificielle.

3/ Se pencher sur les ratios d’encadrement dans des services clés comme évidemment les Relations Internationales ou les services carrières, tous ces départements qui demandent une interaction humaine forte pour véritablement assurer leur fonction. Analyser les durées effectives de scolarité qui peuvent être un proxy de la capacité à véritablement s’adapter au rythme d’apprentissage de l’étudiant/apprenant.

4/ De façon plus qualitative, regarder la réalité des mises à niveau pour les publics « diversifiés » : y a-t-il de véritables sessions de formations? Quand se situent-elles ? Avec qui ? Ou a-t-on seulement recours à du e learning, à charge pour le-la candidate de se mettre à niveau ?

5/ Regarder les frais « additifs » qui sont générés par des séjours à l’étranger ou des années de césure, et qui sont supportés par les parents, en plus de frais de scolarité annoncés, afin d’avoir un coût réel de la scolarité.

6/ Calculer pour les étudiants le ROI  de leur scolarité, c’est-à-dire l’amortissement de leurs frais d’étude vs leur carrière à 5 ou 10 ans. On est incapable de dire à quel moment la valeur de la personne l’emporte sur l’effet diplôme ou si l’effet réseau perdure et peut compenser les relatives incompétences d’un alumni. Là encore des suivis dans la durée des alumni tels que le permettent les données massives objectiveront la réalité de la valeur d’une école.

Beaucoup d’autres pistes sont à explorer pour répondre à cette préoccupation de tout un chacun de la véritable valeur ajoutée d’une institution d’enseignement pour ses étudiants.

Il est urgent d’en mobiliser quelques-uns dès à présent dès à présent pour estomper l’effet Matthieu, à condition de le vouloir bien sûr. Mais les avantages peuvent être importants.

Une fable ou à faire ?

Les big data peuvent nous aider à réfléchir à d’autres projets d’écoles sans les condamner à sortir du jeu. Il faut pour cela que les classements soient capables de casser les corridors dans lesquels, plusieurs fois par an, les écoles s’essoufflent pour garder leur place en connaissant par avance l’ordre d’arrivée.

Cet infléchissement, même s’il est difficile à mettre en place répondrait indéniablement aux nouvelles attentes de toutes les parties prenantes de la société :

1/ Etre effectivement dans la RSESR : Responsabilité Sociétale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avec un véritable impact sur l’environnement socio-économique,

2/ répondre aux attentes de personnalisation des cursus des étudiants,

3/ innover au service d’un projet et non pas pour faire valoir de l’innovation, sans aller jusqu’au bout de son apport,

4/ pousser les équipes enseignants et administratives à une contribution globale au service de l’étudiant avec une objectivation des résultats.

L’enjeu est de trouver de nouvelles modalités d’évaluation de ce qui est si important et si immatériel : la formation dans l’enseignement supérieur pour nos étudiants et apprenants. Il est aussi de sortir de l’effet Mathieu en permettant à des écoles moins bien classées de démontrer leur valeur ajoutée en empruntant des chemins différents des leaders.

Cette réflexion permet aussi de revenir à la parabole de l’évangile d’où vient l’effet Matthieu et qui, d’après les exégètes n’est pas un cours d’économie mais bien l’idée de pousser chaque homme et chaque femme à faire grandir ses talents, et à avancer dans la vie avec confiance. N’est-ce pas là la véritable mission d’une Ecole de Management ?

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Pas de sélection en master, Episode 2 : L’uberisation des talents

On l’a vu dans l’Episode 1, la volonté de non-sélection en Master est le symptôme d’une croyance très française : le diplôme serait garant à la fois de l’obtention d’un poste de dirigeant et du statut social associé. Mais on oublie que refuser la sélection, c’est balayer du revers de la main le travail d’étudiants investis et d’équipes enseignantes engagées. C’est aussi une bombe à retardement lâchée sur le marché du travail.

Si on lève un peu la tête et que l’enseignement supérieur regarde un peu autour de lui, je lui recommande d’observer de plus près un phénomène qui s’amplifie et qui semble recueillir un large consensus, à en croire les audiences. Je veux parler des émissions de télévision basées sur la sélection à outrance pour repérer le talent. Je peux citer The Voice, la Nouvelle Star dans le domaine de la chanson, Le Meilleur Pâtissier, Le Meilleur Cuisinier pour la partie culinaire, mais il existe aussi aussi Le Meilleur tatoueur… et bien sûr Koh Lantha ou autre compétition physique.
On observe plusieurs choses :
1/ la légitimité de la sélection fondée sur le talent,
2/ la mise en avant de la notion d’effort,
2/ l’acceptation de l’élimination par des experts,
3/ la volonté de réussir des candidats et leur bonne compréhension et gestion de l’échec,
4/ la capacité des jurys à formuler le refus

Je ne suis pas naïve quant à la « mise en récit » de ces émissions, mais c’est le miroir qu’elles tendent qui nous intéresse. Elles ont d’ailleurs fait école dans l’éducation et/ou la formation avec des exemples comme l’Ecole 42 qui donne à des volontaires la chance de démontrer leur talents et d’aller jusqu’au bout de leurs projets.
Les réseaux sociaux ont largement participé à la structuration de ces nouveaux plébiscites qui ont lieu en temps réel, et à l’échelle de la planète. L’Uberisation des talents est en marche. Loin de moi l’idée de promouvoir cette culture de l’élimination de type « spermatozoidique » , mais l’image d’un monde où chacun avance et fonce, sachant qu’il n’y aura qu’un heureux élu, ne semble pas complètement déconnectée de ce que nous vivons.

Les effets secondaires de la « non sélection »

Ne pas sélectionner pour emmener de plus en plus d’étudiants au Master 2 est un leurre. Un leurre qui, comme tout leurre, ne pourra engendrer à moyen terme que rage et frustration.
Comme je l’avais écrit dans le post J’ai fait un rêve : Un monde où chacun avait un Bac + 5, nous préparons une bombe à retardement sur le marché du travail, qui devra trouver d’autres moyens pour distinguer les véritables potentiels. On en connait déjà certains : la marque de l’établissement, avec une prime certaine aux Ecoles ; des formations intra entreprises, des méthodes de recrutement de plus en plus élaborées pour valider ce que ne sait plus dire le diplôme.
A terme, il faut s’attendre à la déqualification complète de ce diplôme à bac +5, qui a déjà pris beaucoup de plomb dans l’aile quand on regarde l’évolution sur le long terme des salaires des jeunes diplômés de Master ou leur statut dans l’emploi.

La négation de la différence de chaque personne

Si on regarde un peu autour de nous, on voit des mouvements intéressants se mettre en place, l’essor de l’entrepreneuriat en est un, ou encore le mouvement américain d’abandon des études …. L’insertion sur le marché du travail bien avant le bac + 5 en Allemagne en est un autre, comme la promotion de la formation tout au long de la vie dans les pays nordiques.
En voulant emmener tout le monde à bac +5, on dévalorise un diplôme, on promeut des filières à deux vitesses, on nie l’exigence, et finalement on est dans l’irrespect des étudiants à qui on promet que demain « on diplôme gratis ».
En voulant mettre sur un pied d’égalité tous les étudiants, en leur faisant croire que le diplôme est l’ersatz de la compétence et une garantie de réussite, on nie tout ce qu’il y a de singulier et de talents distinctif dans chaque personne.
On renforce donc encore le dogme d’une hiérarchie sociétale fondée sur le statut, statut qu’est sensé attester le diplôme. Nos étudiants valent mieux que cette cavalerie sans fin.

Pas de sélection en master, Episode 1 : La diplômite aigüe

Quand j’étais enfant, je regardais le dimanche après-midi la fameuse émission de Jacques Martin : l’Ecole des fans dans laquelle tous les petits candidats avaient la note 10 quel que soit le niveau de leur prestation ! J’ai l’impression que l’Université a pour vocation de devenir une gigantesque Ecole des fans où les experts n’auront plus que la  petite pancarte du « Oui au passage » à leur disposition lors des jurys.
C’est oublier qu’AVANT d’arriver sur le plateau, les charmants bambins avaient été repérés pour leur bouille, leurs réparties, leur « talent » …. Et avaient fait l’objet d’une sélection, pour garantir la qualité du spectacle.

Une maladie bien  française

La volonté de non-sélection en Master n’est qu’une poussée de fièvre et le symptôme d’une maladie endémique et grave dont souffre la France depuis des décennies : la « diplômite aigüe ».
A lire ou à entendre les débats, on a le sentiment d’assister aux échanges des médecins de Molière qui, rappelons-nous, développaient doctement des analyses et des diagnostics sans aucun lien avec les causes profondes du mal.
Si nous tendons l’oreille, qu’entendons-nous ? :
–    Des débats sans fin sur le moment idoine de la sélection : en L3 ou en M1 ?
–    Des contorsions sémantiques entre « orientation active » et « sélection »
–    Le rôle des moyens dans l’affaire : sont-ils une cause ou une fin ?
Il me semble intéressant de revenir à la racine du mal : la France souffre de diplômite aigüe depuis des siècles et, pour qui voyage, est un des rares pays à être aussi gravement atteint.
La diplômite, c’est la profonde croyance que le diplôme donne le statut sociétal et procure un emploi cadre ou dirigeant, sachant que l’emploi cadre ou dirigeant donne le statut sociétal …
En conduisant tous les étudiants licenciés au Master, on pense conduire un changement de société, mais de facto, on développe un effet paradoxal, car remettre en cause la sélection, c’est, au fond, valoriser encore plus le diplôme et le statut qui est attendu avec, tout ceci au nom de l’égalité des chances et de la promotion des talents.
Le paradoxe est profond et la guérison ne semble pas envisageable sans poser le diagnostic.

Les symptômes de la diplômite

Tout d’abord, quels sont les symptômes de la diplômite ?
Il existe deux symptômes principaux : l’irrespect et la myopie. Développons un peu :

L’irrespect :

Refuser la sélection, c’est ne pas vouloir respecter :
–    Les équipes enseignantes et administratives qui travaillent à la qualité et la réussite de ces cursus dans des conditions déjà souvent de rareté de moyens (voir le hashtag #GorafiESR sur Twitter),
–    Les étudiants qui ont travaillé pendant trois années pour réussir à entrer dans le meilleur Master possible,
–    Le marché du travail qui verra rapidement se déliter le contrat de confiance passé avec l’Université avec la démonétisation des Masters,
–    Tous les étudiants qui croiront à ce scénario et s’engouffreront dans des études où ils ne trouveront pas le service attendu.

La myopie :

Refuser la sélection, c’est ne pas voir plus loin que les quatre bords du parchemin, dans une version plate comme la feuille de papier. Il est bon de rappeler qu’un diplôme ce sont des années de travail, d’enseignements reconnus et consolidés, de dialogue avec les entreprises pour répondre au mieux à leurs attentes, de liens avec la recherche, de promotions qui se sont succédées dans un souci de qualité et d’exigence, des diplômés qui ont évolué avec succès sur le marché du travail, des locaux et des outils pédagogiques à jour, des équipes administratives engagées dans le suivi du cursus et des étudiants …
Tout ceci se fait sur du temps long, avec engagement, obstination, vision stratégique et réajustements quasi quotidiens.
Le diplôme n’est que le condensé de toutes ces actions. Et mettre en danger cette énergie en démotivant, en diminuant les moyens, en ne regardant plus le talent et le potentiel, c’est peu à peu réduire le diplôme à une feuille de papier.
Il faut être myope pour ne pas le voir.

La cause profonde de la diplômite

Il faut chercher les racines de la diplômite dans le rapport que les Français entretiennent avec le statut. La  France (Nous revenons à La logique de l’honneur d’Iribarne que j’ai déjà évoqué dans le post : Service client : comprendre le blocage français ) dans une logique de classe et de statut social. Or ce statut social, depuis la fin officielle des classes avec la révolution de 1789, est en lien avec le métier et le diplôme. D’ailleurs, la France continue à préférer les nobles aux riches bourgeois, elle exècre d’ailleurs les « nouveaux riches ».
Aller à Bac +5, c’est avoir le master 2, graal actuel (pour combien de temps ?) dans la pyramide des diplômes, et donc un statut, et dont un emploi. C’est renforcer encore et encore le rôle du statut et le poids de sa hiérarchie dans la société, CQFD.

Dessine-moi un manager intelligent ! So what ?

Si on regarde, même de façon rapide, les « mission statements » des business schools à travers le monde, leur projet est souvent de former des managers « intelligents ».

Mais qu’est-ce que l’intelligence managériale ? L’intelligence est cette capacité à repérer dans notre environnement ce qui constituera l’ensemble des informations à prendre en compte pour avoir un comportement adapté, ou mieux, proactif, c’est-à-dire anticipateur des futurs événements.
L’intelligence s’évalue aussi dans la capacité à identifier les informations. Car l’environnement est vide d’informations en soi, beaucoup de signes n’apparaissent comme pertinents qu’avec un certain degré d’expertise.
Dans la vie professionnelle, l’objectif est d’adopter des comportements adéquats à l’environnement avec pour but d’effectuer des choix, de prendre des décisions, d’établir des relations avec les autres, de mener un projet, d’animer une équipe, le tout avec efficacité et efficience. Cet ensemble complexe construit la performance. S’y ajoute la capacité à comprendre les enjeux, à saisir les opportunités, à repérer et interpréter les signaux faibles, et à capitaliser pour être dans une logique d’apprentissage. Nous sommes alors dans l’intelligence managériale.

Pour décrire les degrés d’intelligence, on peut avoir recours à l’image de cercles concentriques. Au centre : l’individu. Le premier cercle se limite à la personne elle-même et décrit un manager autocentré, seulement préoccupé par lui-même et ses propres actions. Chaque cercle successif décrit ensuite, en s’élargissant, la capacité à prendre en compte un environnement plus riche et plus complexe, incluant des éléments de plus en plus nombreux .

Proposition d’une typologie de l’intelligence managériale

Je propose cinq degrés de l’intelligence managériale. Ils vont du degré zéro ou le manager n’est dotée d’aucune intelligence de son environnement, jusqu’au degré quatre où se retrouvent des personnes ouvertes sur le monde et en grande capacité d’évolution et d’anticipation.

Je résume l’ensemble dans le tableau suivant (cliquez pour agrandir)

manager intelligentJe retiens six domaines à analyser grâce à cette échelle de l’intelligence managériale :

Le positionnement : définir ses missions. Pour qui je travaille ? Quel impact ont mes actions ? Comment je me situe dans l’organisation ?
Le projet : penser ses fonctions en termes de résultats et de projets. Pourquoi je travaille ? Qu’attend-on de moi ? Quelle est ma contribution à l’entreprise ?
L’adaptation : dans un monde professionnel en mutation continue, quelle est l’attitude vis-à-vis du changement ? Passivité ? Lutte ? Refus ? Enthousiasme ?
L’horizon : se projeter dans le temps, est-ce au jour le jour ? La semaine ? Le cycle d’activité de l’entreprise ? Au-delà ?
Le décryptage : repérer des signaux faibles dans l’environnement et anticiper les besoins. Quelle ouverture aux autres ? Quelle capacité à interpréter leurs messages et gérer les interactions ?
–  L’apprentissage : c’est le désapprentissage et le réapprentissage. Quels bilans ? Quels acquis ? Quelles erreurs à ne pas reproduire ?

Les archétypes du manager : du manager nuisible au manager intelligent

1. Le degré zéro sur tous les critères décrit un manager nuisible
C’est un manager qui gère par à-coups, aux décisions imprévisibles, qui n’hésite pas à faire des retours en arrière. Un manager qui déboussole, déstabilise, dont on craint les sautes d’humeur et les changements de cap. Ce type de managers existe, nous l’avons tous rencontré, et nous ne souhaitons pas en avoir parmi les alumni de nos business schools.

2. Le degré 1 dans tous les critères définit un manager autocentré
Le manager auto-centré ne vit que pour son intérêt propre, son horizon est sa promotion. Il évite les réunions d’équipe qui lui semblent inutiles ou à risques. Il est aussi obsédé par la loyauté de ses collaborateurs et ne recrute que des gens qui lui ressemblent.

3. Un manager professionnel a 2 dans tous les critères
Le manager pro connait bien l’activité de l’entreprise, il est expert dans son champ de compétences techniques mais il gère en mode routine. Même s’il n’est pas réfractaire au changement, il ne le recherche pas.

4. Avec 3 dans tous les critères, il s’agit d’un manager acteur
Le manager acteur anime les équipes, connait bien l’activité de l’entreprise dans son environnement. Il sait gérer le changement et propose volontiers des plans d’actions pour l’accompagner.

5. Le manager intelligent tel que nous l’appelons de nos vœux dans les business schools a 4 à tous les critères.
Ce manager intelligent a une vision pour l’entreprise. Il est capable d’une analyse prospective et d’innovation. Il est pilote du changement. Il sait exercer  une capacité de veille. Il anime et fédère les équipes. Il est en capacité d’apprendre et de transmettre.
En substance, on pourrait comparer le manager « intelligent » dans tous les domaines à un conducteur intelligent : il ne se contente pas de savoir manipuler une voiture, mais il tient compte de l’environnement physique, de la configuration de la route, de la qualité du revêtement  et de la météo !

La réalité est bien sûr beaucoup plus complexe, et les managers ont des profils beaucoup plus nuancés avec des pôles où ils sont plus performants et d’autres où ils ont des marges de progrès.
Quoiqu’il en soit, il est toujours utile de pouvoir définir et évaluer ce qui peut rester une conception « valise », de celles où l’on met ce que l’on souhaite comprendre, notamment pour aller vers des critères partagés, entre Business Schools et entreprise.