Je me souviens … de mes 25 années à l’Université
Le premier Juillet, je quitte l’Université pour rejoindre INSEEC U. , groupe d’enseignement supérieur privé qui accueillent 25 000 étudiants. Ce n’est pas passer de l’autre côté du miroir (ce sera l’objet d’un autre billet), ce n’est pas aller très loin, et je suis enchantée de démarrer un nouveau projet.
Comme pour toute transition, et j’en ai connu beaucoup dans ma vie professionnelle, c’est l’occasion de regarder par-dessus son épaule, de jeter un regard en arrière (25 années à 3 mois près, puisque je suis entrée à l’Université le 1er Septembre 1993). J’ai enseigné du bac+1 au bac +8, en IUT, en école doctorale, en STAPS, en faculté de sciences éco, en IAE, en fac de droit, en IEP ….
C’est l’occasion des « Je me souviens …», avec tendresse, avec émotion, avec amusement, avec un peu de distance … mais sans regret, ni remord ! Et ces « Je me souviens » sont aussi des petits instants de vie universitaire qui résonneront certainement chez bien d’autres.
Alors, c’est parti ! Je me souviens …
Je me souviens des « transparents » qu’on posait sur des gros rétroprojecteurs qui surchauffaient,
… des escaliers sans fin, des couloirs sombres et dédalesques à parcourir pour trouver la salle de cours,
… des panneaux d’affichage qui annonçaient au dernier moment l’absence inopinée du prof,
… des kilos de repros à porter en plus du rétroprojecteur portable pour assurer son cours.
Je me souviens des bureaux de scolarité fermés aux heures de pause, des bureaux exigus que se partageaient 5/6/10 enseignants …
Je me souviens des discussions sans fin pour le recrutement d’un étudiant en IUT, et des entretiens de 10 minutes pour le recrutement d’un maître de conférences à vie.
… des débuts d’Internet, avec des collègues passionnés qui rêvaient de « cyber-soutenances » !
… de mon premier modem (en 1995) qui me permettait de rester « connectée » !
Je me souviens de réunions où nous critiquions le comportement des étudiants en cours « hypnotisés par leur Facebook », en pianotant sur nos smartphones…
Je me souviens des soutenances de tous mes doctorants, ce moment qui termine des années de compagnonnage, la fierté et le soulagement que j’ai ressentis pour chacun d’eux. Je me souviens tout particulièrement d’Abdelmourhit qui a soutenu, alors qu’il était en fin de vie.
Je me souviens des cérémonies de remises de diplômes, où l’on rencontre tous ses regards heureux, et résolument tournés vers l’avenir,
… de la première fois où j’ai revêtu la robe universitaire pour la cérémonie Honoris Causa d’Issey Miyake.
Je me souviens de ces lettres, puis de ces mails qui commencent par « cher collègue » et qui se terminent par « bien cordialement » alors qu’ils distillent des horreurs,
… de toutes ces résolutions prises en réunion pour être revues dans les couloirs,
… de ces collègues qui se connaissent, se côtoient, se détestent ou s’adorent depuis des décennies …
Je me souviens de toutes les premières promos de diplômes que j’ai créés ou dirigés …
Je me souviens de ce DESS du département Tourisme qui ne pouvait accepter que 17 étudiants parmi des centaines d’excellentes candidatures car la salle qu’on lui avait attribuée n’avait que 17 chaises !
Je me souviens de cours de management dans des salles de chimie avec les becs Benzène devant le visage des étudiants, des amphis alors qu’on a prévu des travaux de groupes, des salles sans prise alors qu’on veut projeter des slides, des salles sans wifi alors qu’on veut travailler en ligne …des techniciens qui n’arrivent pas, de « L’étudiant-expert » qui va trouver la solution….
Je me souviens des applaudissements à la fin des cours, des élèves qui s’endorment pendant que l’on enseigne, de ceux que l’on découvre le jour de l’examen, de ceux qui vous sollicitent systématiquement …
Je me souviens des réunions, des comités, des commissions en tous genres, pour un oui ou un non, comme celle où nous avons passé une après-midi à répartir un budget de façon équitable pour nous rendre compte qu’on parlait de 12,50 euros par personne !
…. Des enseignants-chercheurs qui sont en poste là où ils ont fait leurs études,
Je me souviens des commissions incendie avec le regard accablé des pompiers qui nous expliquent que le bâtiment est un « gruyère » ! Et des profs qui refusent de sortir de leur salle ou de leur bureau pendant l’exercice d’alerte.
Je me souviens des innovations pédagogiques : les business games, les classes inversées, les cours en ligne … avec leurs joies et leurs peines !
Je me souviens des mots de ceux et celles qui vous remercient, et qui vous disent que vous avez changé leur vie !
Je me souviens de ce professeur d’économie, directeur d’UMR qui ne comprenait pas « pourquoi l’Etat n’avait donné qu’une subvention de 20 millions d’euros et non de 40 » pour la rénovation d’un bâtiment universitaire !
Je me souviens des distractions improbables offertes par les asso, qui agaçaient prodigieusement les « collègues » … tout particulièrement la venue du dromadaire et les mails irrités disant que « l’Université n’est pas un cirque » !
Je me souviens des votes systématiques, au nom de la « collégialité »
Des turbo-profs,
Des acronymes en tous genres : UMR , EA, JE, JO, UFR, PR,STAPS, COMUE, SOSIE, SIFAC, UPR etc etc ….
Des diplômes et des composantes disparus : DESS, DEA, IUP …
Je me souviens des fusions, des groupements, des dégroupements … des regroupements …
Des procédures complexes, des systèmes d’informations improbables,
Des jeunes Maîtres de Conférences sous-payés et surchargés de responsabilités,
Des colloques dont on sort plus intelligents, de ceux où on se demande ce qu’on fait là,
Des classements, des classements, des classements,
Des équipes administratives hyper engagées quand les profs rechignent,
Je me souviens des horloges arrêtées, du premier article paru, du premier livre édité,
25 ans, c’est long et c’est très court aussi ! A suivre ….