Cracking the management code

Archives de mots clés: direction

Pourquoi je candidate à la direction de Sciences Po Paris

Vous avez été nombreux et nombreuses à m’adresser des signes d’encouragement pour ma candidature à la direction de Sciences Po Paris et je vous en remercie.

Je souhaite ardemment mettre mes compétences et mon expérience de manager, d’enseignante, de chercheuse, de mère de six enfants au service de ce projet.

Je propose de décrire ici en quelques lignes le projet que je porte pour Sciences Po Paris, et qui s’inscrit dans ma vision de l’enseignement supérieur.

Pourquoi candidater

Ma candidature connait plusieurs motivations :

La première est de saisir l’opportunité de contribuer au développement d’une institution emblématique de l’enseignement supérieur français. La fonction de directeur-trice ( ?) de Science Po s’inscrit pleinement dans le prolongement de mes engagements dans l’enseignement supérieur. Sa « marque », son histoire, son rayonnement, ses moyens sont exceptionnels, et lui donne la possibilité mais aussi le devoir de l’exemplarité, et d’être une tête de proue de l’enseignement supérieur.

La seconde motivation procède de l’exercice démocratique, au sens du débat dans l’Agora. En candidatant, je pensais m’inscrire dans un échange à plusieurs voix portées par de nombreuses candidatures. Il me semble que l’idée d’un Forum autour de la destinée d’une institution aussi emblématique permet de faire rayonner des idées diverses, de créer des controverses apprenantes, et de contribuer à la vision à 10, 20 ans de l’enseignement supérieur.

Enfin, et c’est une motivation plus personnelle, il me semble que c’est important d’oser ! Pourquoi pas une femme universitaire à la tête de cette institution de bientôt 150 ans ?

Ce que je souhaite de grand et beau à Sciences Po Paris

Je reprends les points saillants de mon projet qui décrivent ma vision de l’enseignement supérieur à 5, 10 ans et même au-delà …

Voici ce que je souhaite pour Sciences Po Paris, que je souhaite à tous les étudiants et les équipes qui les accueillent dans leur formation :

Mon projet s’intitule : « Un temps d’avance dans un monde à construire »

 Il vise à porter l’exigence d’avoir toujours « un temps d’avance », non dans un esprit stérile de compétition mais bien dans le dépassement de soi, car les esprits libres portent en eux une capacité d’innovation et de régénération constante. Ce temps d’avance traduit la responsabilité d’une institution que l’on écoute, d’une vigie du monde contemporain qui analyse les grandes évolutions politiques, socio-économiques, technologiques avec la profondeur de l’histoire et l’excitation d’un futur qu’elle contribue à façonner. Ce temps d’avance se décline dans toute la chaîne de valeur de Sciences Po : la recherche bien sûr qui doit être forte d’une capacité prospective, l’éducation dans ses contenus et ses méthodes, l’impact sur la société par ses innovations, les liens tissés à travers le monde avec les talents les plus prometteurs, jusqu’à la vie-même de l’institution qui devra garantir à chacune et chacun bien-être, développement de soi, et en attendre engagement et implication.

Les propositions sont au nombre de 10 :

1/ Se donner les moyens d’une politique de recherche rayonnante

Les sujets à l’ordre du jour dans le débat public sont autant d’occasion de mettre en avant les travaux académiques et la qualité des chercheurs de l’institution : l’« éclairage Sciences Po » doit devenir un réflexe médiatique pour prendre de la hauteur dans les turbulences de l’actualité d’un monde toujours plus complexe.

L’objectif est de mettre en avant une identité intellectuelle de Sciences Po à partir des objets de recherche transdisciplinaires : mondialisation, mutations du travail, développement urbain, inégalités et discriminations

2/ Former des esprits agiles capables de s’insérer sur un marché du travail en pleine mutation

Dans un monde ouvert, où l’emploi migre en fonction de la disponibilité des talents, il est vital pour une université de former ses jeunes aux métiers d’avenir. Puisque les carrières ne sont plus linéaires et que les métiers changent extrêmement vite, le maître mot est d’entretenir la capacité d’apprentissage. A fortiori alors que se dessine une perspective inédite pour les étudiants, celle de la mise en concurrence de leurs capacités cognitives avec des intelligences artificielles, qui s’imposent progressivement sur toute la gamme des débouchés actuels de Sciences Po (métiers du droit, de l’audit, du conseil, de la finance, du journalisme, etc.). L’intelligence artificielle ne sera pas seulement exécutive et technique : à mesure que le temps passera, elle sera créative et humaine. Pour tenir la distance, il faut résolument faire le pari de l’esprit critique, de l’ouverture, de l’adaptabilité et autres soft skills, appuyés par une solide culture générale.

 3/ Affiner la stratégie de développement international pour importer davantage de talents et exporter davantage de savoir-faire

Les alliances académiques sont un pilier essentiel de la compétitivité des programmes, qu’illustrent notamment les doubles diplômes internationaux. Ils offrent de la visibilité et permettent de se faire reconnaître dans le cercle des meilleures universités. Sciences Po doit désormais s’assumer pleinement comme une université-monde et une tête de pont dans les meilleurs réseaux internationaux à l’heure où la compétition internationale en matière d’enseignement supérieur et de recherche s’intensifie. L’institution doit œuvrer à la constitution d’une grande alliance universitaire pan-européenne qui permettra d’atteindre des tailles critiques, de rivaliser avec les principales universités anglo-saxonnes et asiatiques, et de disposer d’une meilleure capacité de projection pour créer un campus commun à l’étranger.

L’avenir de l’enseignement supérieur se joue sur d’autres continents que le nôtre, à commencer par l’Afrique qui constitue autant un vivier de talents qu’un véritable laboratoire en matière de dynamiques géopolitiques et socio-économiques.

4/ S’appuyer sur la mutation structurelle du modèle économique pour enclencher un cercle vertueux

Le modèle économique de Sciences Po s’est considérablement transformé à mesure de son développement. D’abord, par un poids économique global qui ne cesse de croître et dépasse aujourd’hui les 200 millions d’euros. Ensuite, par une évolution profonde de la structure budgétaire qui sera manifestement amenée à se prolonger dans le mesure où le soutien public ne cesse de s’effriter. Dans un contexte de rigueur budgétaire de l’Etat, il convient de redoubler d’efforts pour préserver a minima le niveau de financement public, tout en restant lucide sur les risques d’une baisse éventuelle à moyen terme.

Pour autant, il n’est plus question d’augmenter les droits de scolarité en formation initiale, qui ont désormais atteint un plafond au-delà duquel les effets d’éviction seraient préjudiciables. Dans un contexte de faible inflation persistante, un gel des frais d’inscription en valeur absolue pendant quelques années aurait au contraire une portée symbolique forte : en décidant de ne pas alimenter une spirale de l’endettement étudiant qui commence à être décriée dans les pays anglo-saxons, Sciences Po ajouterait une nouvelle corde à son arc d’université responsable.

Le défi est de taille pour assumer un financement toujours plus volontariste de l’effort de recherche, une stratégie d’expansion internationale, une politique d’aide sociale généreuse et un investissement de haut niveau en capital humain. Ces priorités sont au fondement d’une dynamique vertueuse dans la mesure où le succès et la visibilité de Sciences Po alimentent en retour la croissance des ressources de l’établissement.

 5/ Réussir la transformation digitale de l’institution

Le numérique change la donne pour l’ensemble des métiers de Sciences Po, oblige à repenser le fonctionnement des campus et l’enseignement du futur. Pour autant, il n’écarte pas du tout le présentiel ni le facteur humain : les gains de productivité réalisés sur les tâches administratives, par exemple, sont une opportunité pour que chacun se recentre sur son cœur de métier, car c’est là que se trouve la véritable valeur ajoutée. Il n’est pas non plus nécessaire de suivre tous les exemples à l’extérieur mais il faut rester ouvert. C’est avant tout une culture de l’expérimentation (test and learn), du collaboratif et du do it yourself qui doit se diffuser à l’échelle de l’établissement. Sciences Po doit être en capacité d’inventer ses propres façons d’utiliser les outils numériques dans sa pédagogie, sa recherche et son organisation.

6/ Faire fructifier le potentiel considérable des alumni

D’une part, leur soutien financier est indispensable pour le développement de l’institution. D’autre part, leur valorisation en termes de relations humaines et d’expertise est au moins aussi essentielle que les apports financiers : en matière d’insertion professionnelle, ils peuvent être de véritables catalyseurs d’opportunités pour les étudiants.

Sciences Po doit avoir pour préoccupation majeure de développer l’affectio societatis des anciens élèves pour leur université, en tissant une relation émotionnelle et intellectuelle fondée sur un rapport de reconnaissance (« give back ») au regard de ce qu’ils y ont reçu.

7/ Réinventer l’expérience Sciences Po à partir du projet Campus 2022

L’implantation du nouveau campus au cœur de Saint-Germain-des-Prés permet de capitaliser sur un héritage intellectuel revitalisé du quartier et d’ancrer l’institution dans une mémoire spatiale commune. Sciences Po deviendra alors le centre névralgique d’un vaste espace de circulation des idées et de la culture au cœur de la métropole parisienne. En réunissant dans un même lieu de vie collective les centres de recherche, les salles d’enseignement, les bureaux, la bibliothèque, des logements sociaux étudiants et des offres de restauration, ce campus « oxfordien » favorisera le brassage intellectuel, l’interdisciplinarité et la créativité, accroîtra le potentiel d’innovation et l’attractivité de l’institution.

En dépit de l’ampleur du projet parisien, les campus en région ne devront pas être laissés pour compte : ils sont autant de témoignages de la décentralisation réussie de Sciences Po, de leviers pour accompagner le dynamisme des métropoles régionales et de racines territoriales dans lesquelles l’institution puise ses talents pour projeter ses ambitions internationales.

8/ S’affirmer comme une université responsable et engagée

Sciences Po se doit de répondre au double défi de l’excellence et de l’exemplarité, parce qu’elle est la vitrine de son propre savoir-faire. Son volontarisme en matière de responsabilité sociale et d’initiatives d’intérêt général donne une portée concrète à son propre effort de recherche et appuie la stratégie de marque en se positionnant comme une référence sur des enjeux au cœur du débat public : promotion de la diversité et de l’égalité des chances, déontologie et transparence, égalité entre les femmes et les hommes, accessibilité pour les publics en situation de handicap, lutte contre le harcèlement et les discriminations, dialogue social, développement durable, valorisation de l’engagement civique. Cette responsabilité particulière de Sciences Po est au fondement de la fierté d’appartenance qui anime chaque membre de sa communauté, d’où l’importance de l’entretenir constamment.

9/ Être en conversation avec son environnement économique

Parce qu’une université incarne la transition vers le marché du travail et se constitue en haut lieu d’innovation, elle se positionne structurellement comme un hub en interaction toujours plus étroite avec le monde de l’entreprise. Ainsi, une intégration en amont des entreprises aux projets éducatifs de Sciences Po offre la meilleure préparation possible aux étudiants en garantissant l’adéquation de leur formation à l’emploi visé. Cette proximité autorise aussi une connaissance mutuelle facilitant la mobilisation de managers souhaitant témoigner ou enseigner dans les différents cursus de Sciences Po. Elle permet également de créer des réflexes de formation tout au long de la vie, d’accueil de stagiaires et d’alternants. Elle offre enfin des opportunités pour mener des recherches-action amorçant ainsi le cercle vertueux de création de connaissance actionnable et de publications pour les chercheurs de l’institution. L’enjeu est donc d’imaginer des modalités concrètes de collaboration pour transformer utilement ces structures productives en véritables acteurs de la formation et partenaires de recherche.

10/ Cultiver un esprit convivial d’université à visage humain

Une université est avant tout une communauté vivante de femmes et d’hommes, toutes et tous engagés dans un projet commun organisé autour de trois axes qui s’enrichissent mutuellement : créer de la connaissance dans des domaines dédiés, former des apprenants, diffuser le savoir dans la société. La recherche en sciences humaines et sociales, l’enseignement et toutes les activités de transmission constituent un capital immatériel à nul autre pareil. Les expertises, les procédures, les outils de reporting sont indispensables mais insuffisants car ce sont les personnes sur le terrain au quotidien (les enseignants-chercheurs, les intervenants professionnels, les équipes administratives) qui sont garantes de l’excellence des formations, qui portent l’image de l’institution, qui font sa notoriété et son attractivité.

Aussi, le premier devoir d’un directeur de Sciences Po est-il naturellement d’animer ces communautés, d’être au contact et en dialogue constant avec elles, d’accompagner leur développement et de s’assurer de leur bien-être, en trouvant le juste équilibre entre bienveillance et exigence. Cet aspect de la mission est essentiel et garantit l’engagement de celles et ceux qui aiment et font Sciences Po.

 

Ne dites pas à mes collègues que je dirige des thèses, ils croient que je corrige des copies !

Il y a quelques jours, j’ai vécu ma première soutenance de thèse de doctorat (en science de gestion) « nouveau protocole ». Le directeur de thèse était seulement invité à la délibération par le jury si celui-ci l’acceptait ; le cas échéant, il n’avait qu’une voix consultative, et in fine ne pouvait apposer sa signature sur le compte rendu de soutenance.

Nous avons tous eu un sentiment très désagréable et une gêne véritable s’est installée à la lecture de ces nouvelles règles dûment rappelées à l’écrit par l’école doctorale, relayant en cela le texte national.

Après 4 années d’accompagnement de son thésard, notre collègue se retrouvait sur un strapontin au moment de l’évaluation finale de ce travail doctoral. C’est une nouvelle vision du travail de direction de thèse qui s’imposait à nous, et il me semble intéressant de voir ce que cela implique et les questions qui se posent.

 

La direction de thèse : un chemin de plus en plus semé d’embûches

 

Sans revenir plus de 40 ans en arrière, période où les premières thèses de doctorat en sciences de gestion ont été soutenues (1974), force est d’observer que diriger un travail doctoral est de plus en plus compliqué.

La première difficulté est de trouver des candidats à la thèse. Dans notre discipline, ils sont de moins en moins nombreux à vouloir choisir cette continuation d’étude après un Master qui leur offre un accès qualitatif et rémunérateur au marché du travail. Malgré la (toute relative) déqualification des Masters, l’emploi à bac +5 en management reste attractif.

Même si le doctorat ne conduit pas automatiquement au métier d’enseignants chercheur dans la fonction publique, rappelons que le salaire à la sortie d’un étudiant d’IAE ou de business school se situe autour de 35 000 euros par an alors qu’un Maître de conférences après son doctorat, sa qualification et la course au poste démarre à 25 000 euros annuels …

Le nombre de vocations s’est encore réduit avec la suppression des Masters Recherche qui permettaient de tester pendant une année la motivation du thésard comme son potentiel à poursuivre vers le doctorat.

C’est maintenant dans les Masters Pro qu’il faut aller chercher des candidats qui n’auront pas bénéficié de cette année de « banc test » qui permettait de murir un projet pourtant si impliquant.

La deuxième difficulté s’est installée récemment, c’est le rejet de la liberté du directeur de thèse de choisir ses futurs thésards, et plus largement de la latitude laissée au tandem de se constituer. Il est vrai que les critères étaient souvent personnels, fondés sur la relation plus que la raison, et pouvaient paraître opaque à l’entourage. Mais quand on est amené à collaborer durant 4 années en moyenne (parfois plus), il n’est pas aberrant de penser que l’envie de travailler ensemble compte au moins tout autant que des critères durs comme la moyenne des notes de master.

L’installation de comités dans les laboratoires et dans les écoles doctorales qui évaluent le potentiel du candidat au doctorat évacue l’engagement d’un binôme au profit d’évaluations critérisées par des enseignants chercheurs ayant certes l’Habilitation à Diriger les Recherches mais l’ayant souvent peu ou pas pratiqué, méconnaissant de fait, ce travail de longue haleine, et par essence impossible à standardiser.

L’inscription en thèse devient elle-même un véritable défi, qui peut décourager plus d’un directeur de thèse comme plus d’un étudiant.

La difficulté est encore amplifiée avec un « principe de précaution » implicite mais maintenant bien ancré dans beaucoup d’écoles doctorales.

 

La recherche doctorale soumise au principe de précaution

 

On le savait, les doctorants en CIFRE, les professionnels en emploi, et, tous les profils atypiques, étaient plus tolérés que véritablement acceptés par la communauté des enseignants -chercheurs. Combien de fois avons-nous entendu ces petites phrases qui pointaient la « spécificité » de ces impétrants et de leurs recherches ? Ils font pourtant le lien entre le « terrain » de recherche et l’académie, mais souffrent d’une incompétence présumée en théorisation, certainement du fait de leur investissement opérationnel.

Le principe de précaution sur le « fond de la thèse » s’accompagne maintenant de celui sur le financement. Se généralise l’exigence du financement des 3 années de recherche doctorale « hors financement personnel », ce qui exclut de facto tous les doctorants n’ayant pu avoir accès à une bourse ou à un contrat CIFRE, ou à un emploi (sachant que démarrer emploi et thèse en même temps est mission quasi impossible).

Ce financement « a priori » devient vite une course d’obstacles pour le candidat et son directeur de thèse. Prenons l’exemple du contrat CIFRE : le dossier n’est retenu administrativement qu’accompagné de l’accord du laboratoire et celui de l’école doctorale à accueillir le candidat (outre celui de l’entreprise bien sûr), mais il faut 3 mois de délai administratif (qui devrait être réduit à 2 …) pour le traitement du dossier, qui peut en outre,se solder par un refus.

Le candidat doctorant doit donc attendre décembre ou janvier (s’il a réussi à finaliser son dossier en septembre) pour savoir s’il pourra être inscrit, l’école doctorale suspendant son inscription à ce financement… Il faut être sacrément motivé pour résister à de telles incertitudes, d’autant plus quand l’Ecole Doctorale souhaite une inscription avant mi Décembre.

Le chemin le plus sûr est alors celui des bourses doctorales qui sont bien sûr en nombre inférieur au nombre de candidats, ce qui alimente le jeu de la concurrence et surtout celui de la normativité car les critères d’évaluation sont standardisés. L’effet malthusien est garanti. Et la diversité, pourtant source de richesse et de créativité n’est plus au rendez-vous. On se prive de talents qui, passée la première année sur fonds personnels, continuaient leur recherche sous contrat de moniteur ou d’ATER. Pour améliorer le taux de soutenances (les abandons ayant un coût quasi nul étant donné qu’il n’y a aucune rémunération pour le suivi doctoral), on refuse aux doctorants hors-système la chance d’une intégration, certes plus longue, mais souvent réussie au final.

On peut aussi ajouter l’exigence de plus en plus forte des écoles doctorales pour le suivi de séminaires obligatoires pendant les trois années, qui sont de véritables casse têtes pour les doctorants ayant une activité professionnelle.

Ces filtres de plus en plus puissants mis bout à bout découragent les vocations tant du côté doctorant que direction, et obligent à quitter l’idée que la recherche doctorale en sciences de gestion est un compagnonnage.

 

L’abandon du compagnonnage

 

La mise à l’écart du directeur de thèse pendant la soutenance n’est que la face émergée de l’iceberg de sa mise à distance programmée. Le doctorat évolue vers un diplôme d’Ecole Doctorale où le collectif doit prendre le pas sur le compagnonnage.

Cette évolution est justifiée par la recherche d’excellence et une plus grande homogénéité du doctorat. On oppose aux critiques des exemples de « copinage », d’endogamie dans certaines équipes, de manque d’exigence avec des doctorats accordés sans être au niveau attendu.

Il y a certainement eu quelques abus comme dans tout dispositif basé sur la confiance, mais il y toujours eu une régulation par les pairs.

Tout directeur de recherche doctorale sait que la thèse est loin d’être un long fleuve tranquille. La prédiction de réussite est très difficile : un doctorant plein de potentiel au démarrage peut s’effondrer la dernière année, comme un doctorant moins brillant au départ peut soutenir une excellente thèse.

C’est une des grandes difficultés de la direction de thèse : admettre que le chemin est fait d’essais-erreurs, d’alternance de succès et d’échecs, la route vers la thèse n’est pas rectiligne et le directeur de thèse est souvent là pour remotiver, recadrer, relancer le processus. Sans lui, beaucoup de thésards abandonneraient.

 

Joies et peines de la direction de thèse

 

En m’appuyant sur mon expérience personnelle (j’ai fait soutenir 11 thèses depuis 2012) et de nombreux échanges avec des collègues lors de jurys de soutenance, je peux dresser un petit panorama des joies et des peines de la direction de thèse  (pour les raisons de faire une thèse : relire mon post : http://blog.educpros.fr/isabelle-barth/2013/06/10/ne-dites-pas-a-mes-parents-que-je-suis-doctorant-en-management-ils-croient-que-je-cherche-un-emploi/ )

 

Les joies de direction de thèse sont nombreuses, je peux citer :

  • Celle de travailler avec des personnes intelligentes, ayant soif de savoir et qui vous challengent au quotidien,
  • l’acquisition de nouvelles expertises grâce à cette fréquentation assidue des thésards,
  • le sentiment de faire grandir des personnes,
  • et un vrai compagnonnage dans la recherche, la construction de la thèse, et la co-publication de communications et d’articles.

 

Les peines sont nombreuses aussi :

  • La direction de thèse ne se limite pas à l’expertise en épistémologie ou méthodologie, c’est souvent être à la fois père, mère, psychologue, coach
  • Il faut aussi accepter d’être patient, quand le doctorant se trouve dans un « pot-au noir » et n’avance plus, ou qu’il ne vous donne aucune nouvelle pendant des semaines,
  • c’est aussi se mobiliser pour des rendez vous souvent fort longs où rien n’avance, sur la base de documents qui ont été envoyés quelques heures à peine avant le rendez vous, ou entièrement réécrits alors que vous aviez travaillé sur la version précédente,
  • le plus difficile est certainement l’ingratitude du thésard (pas toujours …) qui préfère penser qu’il ne doit sa réussite qu’à lui-même, et oublie la part de son directeur de thèse,
  • il y a enfin les collègues, dans le laboratoire, ou dans les différents séminaires doctoraux qui ne ménagent pas leurs critiques ou leurs réserves sur le travail en cours, en oubliant de souligner les points positifs. Ces collègues qui ignorent qu’un propos d’étape d’une recherche doctorale ne peut être évalué comme un article.

 

Ce mélange doux-amer rebute bien des Professeurs et HDR qui préfèrent garder leur temps et leur énergie pour leurs propres recherches et leurs propres publications. Ce sont souvent ceux-là qui sont les plus critiques et les plus exigeants avec les doctorants … des collègues !

Pourtant, diriger des thèses est essentiel pour le développement de la discipline scientifique « gestion ».

 

La direction de thèse : la survie d’une discipline scientifique

 

On compte les thèses à l’observatoire des thèses de la FNEGE et on observe que depuis des années, le nombre de thèses soutenues en science de gestion reste autour de 350 par an. Ce nombre a d’ailleurs plutôt tendance à diminuer légèrement alors que notre discipline est interpellée par des attentes de plus en plus nombreuses des entreprises.

Cette incitation au développement d’une discipline ne suffit pas, elle peut même être contreproductive quand  on regarde les sujets retenus par les thésards (et leurs directeurs), tant ces sujets sont éloignés des préoccupations des managers.

Pourtant, diriger des thèses a deux effets indispensables à la survie-développement de notre discipline :

  • L’élargissement du vivier d’enseignants-chercheurs, sans quoi, l’avenir de notre discipline semble être bien compromis,
  • la contribution à la construction du savoir, puisqu’une thèse, par définition développe une valeur ajoutée en théorie qui doit contribuer à l’édification de la théorie et bénéficier au plus grand nombre.

 

Diriger des thèses, c’est affronter ces défis et ces difficultés. Beaucoup l’acceptent encore volontiers et avec enthousiasme. On peut craindre que, si la reconnaissance même de ce travail est balayée par des nouvelles dispositions comme la mise à l’écart du directeur de thèse, il devienne difficile de maintenir la motivation.

Certains vont m’opposer la PEDR (Prime d’Encadrement et de Recherche) qui est une reconnaissance certaine, mais qui ne tient pas longtemps devant le volume d’heures qu’implique une direction de recherche doctorale. D’ailleurs, de nombreux directeurs de thèse ont commencé se tourner vers les DBA ou es PHD, plus souples, sans cet excès de normalisation, et beaucoup plus rémunérateurs.

Au nom de la collégialité, au nom de l’égalité de traitement, au nom de l’excellence, on décourage peu à peu les projets qui finalement ne se construisent que sur l’envie, l’initiative personnelle et la prise de risque.

 

Bref, ne dites pas à mes collègues que je dirige des thèses, ils me croient en train de corriger des copies ! C’est plus rassurant !

Si vous avez aimé ce billet, partagez-le ! 🙂