Cracking the management code

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Et si on parlait des managers irresponsables ?

La responsabilité sociétale des organisations (RSO) est sans conteste le nouveau paradigme du management en ce début de XXIe siècle. Cette aspiration à une entreprise plus responsable dans les domaines de l’économie, de l’environnement et du social se décline au sein des équipes avec la promotion d’un “management responsable”. Des managers qui exercent leurs fonctions de façon éthique, respectueuse de l’environnement, et qui sont capables de gérer la diversité de leurs équipes.

Cette évolution des attentes envers les entreprises impacte évidemment les écoles de commerce, qui forment les managers de demain. Or si la définition du management responsable semble simple, sa mise en œuvre est plus complexe.  Sa pratique met au jour des dilemmes toujours plus nombreux et souligne la difficulté à leur donner de « bonnes » réponses. Cela peut créer des frustrations chez les managers.

Pour mieux comprendre le phénomène, examinons les travers, les lâchetés, les ratés de l’exercice managérial au quotidien, qui dessinent les contours de l’irresponsabilité en management (1).

De la dénégation au mensonge

Un manager irresponsable n’est pas forcément un manager qui insulte ses équipes, s’absente sans crier gare, harcèle l’un ou l’autre de ses collaborateurs ou prend des décisions risquées pour l’organisation. Être irresponsable, c’est ne pas assumer ses responsabilités et il y a alors de nombreuses façons de le faire : la dénégation, le déni, le mensonge, la dissimulation et l’oubli.

Il y a déni quand on fait comme si les choses n’existaient pas. C’est le cas dans certaines entreprises dans la non-prise en compte de discriminations, de personnes qui posent problème en termes de comportements, de l’obligation d’avoir à opérer des changements dans la façon de travailler…  Il s’agit souvent de vouloir sauver la face organisationnelle, de préserver la paix et  l’ordre établi.

La dénégation a lieu quand, mis devant l’évidence, on nie cette réalité, on la contourne, on donne des explications trafiquées, on accuse quelqu’un d’autre. Les exemples sont nombreux : dénégation d’une mauvaise décision, dénégation de sureffectifs, dénégation de pratiques obsolètes… L’enjeu est de fuir ses responsabilités et l’éventuelle sanction (“ce n’est pas moi, je n’y suis pour rien”).

La dissimulation consiste à camoufler – l’erreur, le trou dans la caisse, le dysfonctionnement, l’incompétence –, car on a peur de la sanction ou d’être pris en faute. Le camouflage, c’est souvent reculer pour mieux sauter, mais c’est aussi parfois la possibilité de ne sentir que le vent du boulet.

Le mensonge, c’est travestir les faits, raconter une toute autre histoire. Ce sont les CV arrangés, les chiffres maquillés, les faux ordres de mission, mais aussi les messages rassurants quand tout va mal, les fausses informations pour déstabiliser…

Il est facile de constater que l’intentionnalité est graduelle dans les quatre postures que je viens de décrire.

Un autre comportement complète ce périmètre, il s’agit de l’oubli, intentionnel (dissimulation) ou pas (déni). Il y a oubli, quand on laisse le temps “faire son œuvre”, qu’on ne répond pas, qu’on laisse les choses problématiques s’enliser. Ce sont les dossiers enterrés, les mails ou les courriers qu’on laisse sans suite, les relances qu’on ne fait pas… Il semble important de bien l’identifier tant il est fréquent dans les entreprises.

On comprend bien que l’ensemble de ces comportements peuvent être du fait d’un individu ou de groupes d’individus. On peut aussi identifier des organisations où ces procédés sont systématisés voire institutionnalisés. Pour que ces comportements « tiennent », il faut leur ajouter un climat de mépris et de peur auprès de l’ensemble des collaborateurs.

Une responsabilité plus modeste mais de terrain

Pour réduire l’irresponsabilité, il s’agit, dans un premier temps, d’accepter de regarder en face les situations qui dérangent et que notre grille d’analyse permet d’identifier. Pas la peine de faire la chasse aux coupables (sauf quand il y a illégalité bien sûr). Admettre que chacun à son niveau, dans son espace de missions, met en œuvre, de temps en temps, sans systématisation ni caractère de gravité extrême, de tels comportements est bien souvent suffisant pour avancer. Il faut ensuite agir selon cinq axes.

1) Identifier des situations de “dilemmes managériaux”

Nous connaissons tous ces situations où des décisions difficiles doivent être prises et qui nous laissent ensuite, quelle que soit la façon dont nous les avons gérées, dans un inconfort certain. Quelle décision prendre quand on est témoin d’un comportement qu’on désapprouve? Interpeller? Dénoncer? Se taire? Comment gérer une demande légitime mais qui risque de remettre en cause des équilibres acquis ? Ne pas répondre? Refuser au risque de mécontentement? Accepter le risque de retour de bâton?  Analyser ces dilemmes managériaux permet ensuite de définir les réponses les moins mauvaises possibles compte tenu des circonstances, et en adéquation avec la stratégie de l’entreprise. Disposer d’une règle, d’une prescription à laquelle se référer, homogénéise les comportements et soulage bien des managers.

2) Travailler sur le “triangle des valeurs”

Il est essentiel que, face à une décision difficile, ce que l’individu aimerait faire soit au plus près de ce que l’entreprise attend de lui et de la décision qui est finalement prise. C’est le “triangle des valeurs”. Appliquer ce qu’on désapprouve ou mettre en œuvre une procédure qui sera ensuite désavouée ne peut générer que de la souffrance, qui précédera le désengagement et la démotivation.

3) Lier la responsabilité sociétale au “core business”

Il faut organiser la cohérence autour du métier de l’entreprise afin qu’un comportement irresponsable ne relève plus seulement de la faute morale mais bien d’une faute professionnelle. Comment demander à des managers de bureaux d’intérim de refuser toute demande discriminante de leurs clients s’ils sont rémunérés sur le chiffre d’affaires ? Comment désapprouver officiellement les “pots de vin” et bâtir une politique de rémunération sur les marchés emportés dans certaines régions du monde où la pratique des dessous de table est institutionnalisée ? À l’inverse, un management de la diversité sera d’autant plus évident s’il est concomitant à une politique de diversification des marchés, une politique d’ouverture sociale se fera d’autant plus aisément dans des secteurs dits à métiers “pénuriques”…

4) Être exemplaire à tous les niveaux de l’entreprise

Le quatrième levier du management responsable est l’exemplarité au plus haut niveau dans l’entreprise. Il n’y a pas de prés carrés ou de terres d’excellence de la responsabilité du manager, c’est toujours  et partout qu’elle doit être mis en œuvre.

5) Accepter de dialoguer

Un dialogue productif implique de l’écoute mais aussi de renoncer à l’idée de tout comprendre, de tout maîtriser. C’est cette dialectique entre distance respectueuse dans l’écoute et proximité empathique dans la recherche de solutions qui permettra la co-construction de comportements reconnus comme responsables par tous.

L’analyse que je viens de vous proposer doit permettre d’humaniser le management et le manager et d’admettre que les faiblesses font aussi partie de la vie des organisations. Il s’agit aussi de proposer une grille de diagnostic afin de progresser concrètement dans la construction d’un management plus responsable qui serait, peut-être plus modestement, un management moins irresponsable.

1) Ce post reprend un travail mené en commun entre chercheurs en management, psychologues et psychanalystes s’appuyant sur ce qu’on appelle “les négations à soi-même”, lors du colloque I.P&M à Clermont-Ferrand, fin 2012.

Ne dites pas à mes parents que je suis doctorant en management, ils croient que je cherche un emploi

513CJEJYAZL._ Au-delà du clin d’oeil rhétorique à un ouvrage bien connu faisons un constat: en 2013, la perspective de se lancer dans un programme doctoral en sciences de gestion ne fait pas rêver beaucoup d’étudiant et d’étudiantes. Ils sont en effet de moins en moins nombreux à avoir le projet de continuer leurs études après le master 2. Pourquoi se lancer dans une telle aventure ? C’est la question que posent de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur, comme prochainement l’ABG et l’AEF.

Faire une recherche doctorale en sciences de gestion c’est bien sûr aller vers un diplôme à bac + 8. Mais c’est avant tout construire un projet de connaissance. La thèse consiste, suivant les cas et les ambitions, à proposer de nouvelles théories, à en enrichir ou à revalider des cadres théoriques dans des contextes nouveaux. Elle offre également  un apport managérial, respectant en ceci le projet des sciences de gestion se définissant comme des sciences de l’action. Il s’agit de produire une connaissance praticable, actionnable, au service des organisations et de leurs dirigeants.

Je dirige et j’accompagne de nombreux thésards depuis plus d’une décennie. L’EM Strasbourg que je dirige actuellement est l’une des rares Business School en mesure de délivrer le doctorat, grâce à  son appartenance à l’université de Strasbourg. Voilà qui m’a permis d’identifier aussi bien les arguments en faveur qu’en défaveur de l’aventure que représente un programme doctoral.

Les raisons de ne pas faire une thèse de doctorat

Commençons par les six grands arguments récurrents à l’appui des préventions et des refus de se lancer dans un doctorat.

  1. La longueur du projet. Il faut, après 5 années d’études (si tout s’est bien passé) repartir sur un projet qui s’annonce sur 3 ans mais s’organise plutôt sur 4 voire 5 années. Une véritable prise de risque alors que le marché du travail reste très favorable aux diplômés bac +5 en management (ressources humaines, marketing/vente, contrôle de gestion, audit …). Dans cette discipline, l’alternative est donc de refuser des offres d’emploi pour s’inscrire dans une poursuite d’études longues.
  2.  La précaritéMême si l’âge d’insertion sur le marché du travail recule d’année en année, il peut sembler peu raisonnable de s’installer encore, à 23 ou 24 ans, dans une perspective de poursuite d’études rejoignant le stéréotype du « Tanguy », vivant au domicile de ses parents, dans une semi-précarité. Même si les écoles doctorales sont de plus en plus exigeantes sur le financement des programmes doctoraux (écartant les financements précaires type petits jobs), ce n’est pas systématique, et le niveau des « bourses doctorales » reste faible (aux environ de 1700 euros par mois). Il faut donc assumer un statut d’étudiant prolongé, avec des revenus qui ne permettent pas facilement d’envisager l’installation dans une vie avec ce que cela implique en termes d’investissements matériels, de stabilité affective voire familiale.
  3. L’implication H24. Tous ceux et celles qui ont tenté l’aventure en témoignent : une thèse, c’est du temps, qui mord sur les soirées, les week-ends et les vacances. Il n’est en effet guère envisageable de travailler à sa recherche à des horaires « de bureau », tant le temps de la recherche souffre des interruptions. Il ne s’agit pas d’un simple projet professionnel mais d’un projet de vie et, dans les cas où le doctorant a déjà une vie familiale, il est extrêmement important que compagnon, compagne et enfants soient bien informés et acceptent ce pacte qui, quoiqu’il arrive, pèsera sur leur vie. Il n’est pas rare de voir aux soutenances des parents ou des conjoints épuisés de ces années qui ont remis en cause leur propre organisation de vie et les ont amenés à épauler le nouveau docteur dans des moments de doutes et de stress, plus nombreux qu’à leur tour.
  4. Le stress et le doute. On ne mène pas un tel projet, sur une période aussi longue, sans stress ni doute. Malgré la présence du directeur de thèse comme des collègues de l’équipe de recherche, le thésard est souvent seul face à ses angoisses. De quelle nature ? Ne pas avoir su mobiliser de façon pertinente la littérature existante sur le sujet, ne pas arriver à stabiliser sa question de recherche, avoir des questions sur la robustesse de son modèle, sur la méthode choisie, ne pas obtenir les résultats attendus, l’angoisse de la page blanche en phase de rédaction… Le travail de recherche est par définition une conduite de projet, avec toute l’incertitude associée quant au résultat attendu.
  5. Le manque de valorisation des métiers d’enseignant-chercheur. Franchement : qui rêve en 2013 de démarrer après 8 années d’études et le grade de docteur, à 2 000 euros bruts par mois (salaire du maître de conférences débutant), alors que le salaire moyen d’un master 2 en gestion oscille autour de 36 000 euros annuels? Bien sûr, les écoles de commerce n’hésitent pas à renchérir sur les salaires des (bons) enseignants-chercheurs. Mais admettons qu’il y a un problème de fond de valorisation du statut, qui n’aide pas à convaincre des étudiants brillants de choisir le programme doctoral.
  6. Le moyen le plus sûr de perdre tout contact avec la réalité. Dernier argument, en lien avec des représentations qui ont la peau dure (mais nous devons travailler avec les ressentis et les représentations), la perspective de devenir un « professeur Tournesol », un savant certes, mais complètement déconnecté de la « vraie vie ». Il faut bien admettre que les mois passant, le doctorant acquiert un langage de plus en plus codé, abscons, il ou elle s’identifie de plus en plus à une communauté avec ses rites et ses codes, qui peut sembler être repliée sur elle-même. Les quelques managers qui fréquentent des congrès de recherche en management sont souvent tiraillés entre la non-compréhension des apports possibles à leur pratique et l’effroi de voir leur propre activité disséquée, évaluée, recodifiée… à tel point qu’ils ne la reconnaissent plus.

Les raisons de faire une thèse de doctorat en sciences de gestion

Après ce tour d’horizon, qui peut paraître sombre, il est important d’aborder la face claire du travail doctoral et les bonnes raisons de se lancer!

  1. Les enjeux pour la société. L’objectif de la recherche en gestion reste de produire de la connaissance en management pour accompagner les entreprises et leurs dirigeants dans une meilleure compréhension de leurs pratiques pour inventer leur avenir. Le doctorant en sciences de gestion a pour mandat, s’il l’accepte, d’aider les entreprises à agir sur leur environnement et à ne pas à le subir. C’est un enjeu important et positif et il est réjouissant de contribuer, même modestement, à un projet de société.
  2. Les enjeux pour une discipline. Si les sciences de la vie, la philosophie ou encore la sociologie ou l’économie, n’ont plus à prouver leur légitimité, c’est encore un défi pour cette science neuve qu’est la gestion. Faire une recherche doctorale en sciences de gestion, c’est intégrer une communauté qui se construit depuis un peu plus de 50 ans. C’est là un projet tout à fait stimulant, qui laisse aussi de la place aux initiatives de jeunes chercheurs, car le bouillonnement est encore suffisamment important pour que la normalisation ne soit pas trop contraignante.
  3. La formidable stimulation intellectuelle de tout projet doctoral. « Apprendre à apprendre » et « apprendre à travailler »  ne sont pas des vains mots.  Tous les témoignages concordent sur ces mois de jubilation intellectuelle. On observe souvent une addiction à cette stimulation que le jeune chercheur voudra ensuite retrouver tout au long de sa carrière. C’est ce qui peut le conduire à rejoindre la communauté des enseignants-chercheurs, malgré les faibles revenus. Vus sous cet angle, la durée, le stress, le doute apparaissent comme des conditions qui favorisent de nouveaux apprentissages.
  4. Un portefeuille de compétences inédites et rares. Le doctorant acquiert trois compétences auxquelles aspirent de nombreux managers de haut niveau. D’abord, la capacité de déchiffrage, grâce au capital de connaissances acquis par les innombrables lectures et partages d’expériences de la recherche. Ce que ne peut jamais faire un manager en action, faute de temps et de maîtrise des codes de cette littérature. Or les concepts sont de puissants accélérateurs de la compréhension et de l’interprétation du monde qui nous entoure, ils servent à identifier ce qui peut « marcher », en capitalisant sur les expériences engrangées par d’autres dans d’autres contextes. Ensuite, il obtient une compétence de réflexivité, c’est-à-dire cette capacité à se regarder faire, à relire ses propres actions et leur inscription dans un environnement qu’il a appris à déchiffrer. Cette capacité d’interprétation de l’action intègre la compétence à identifier les signaux faibles, souvent invisibles aux yeux des opérationnels. La capacité à gérer le doute sans le nier est également une compétence rarement identifiée dans les organisations. Enfin, le doctorant acquiert une compétence d’apprentissage « continué » (qui implique la capacité à désapprendre et à engranger de nouvelles connaissances en continu). 
  5. Le bac + 8 : la nouvelle frontière des cadres à haut potentiel. Avec la réforme LMD, tous les étudiants cherchent désormais le bac + 5. Les taux de poursuites d’études en attestent, même après des diplômes dits « professionnalisants ». Il est donc une nouvelle donne : la montée en puissance des niveaux de diplomation pour accéder à des postes ou fonctions. Cette inflation rend la concurrence de plus en plus difficile et met la barre toujours plus haut pour  les cadres à haut potentiel.  Avec le doctorat, les métiers du management rejoignent ceux des sciences dites « dures », où les entreprises recrutent depuis longtemps des docteurs pour leurs centres de recherche et développement ou leurs laboratoires. Déjà les docteurs en finance sont largement recrutés dans des institutions bancaires.
  6. Un projet excitant et distinctif. Je n’ai jamais rencontré un docteur regrettant son choix. Sur la durée, il est évident pour tous que le bilan des acquisitions des connaissances et des compétences compense largement les mauvais moments, qui, à leur façon, ont aussi contribué au développement personnel et professionnel du doctorant. Terminer son parcours avec sa soutenance et obtenir le titre de docteur est une joie à nulle autre pareille. C’est rejoindre une communauté de personnes qui ont connu le même cheminement et qui se distinguent par leur soif d’apprendre et de comprendre, avec des outils et des méthodes pour cela. Avoir un doctorat n’est pas un aboutissement comme on pourrait le penser, mais c’est bien l’adoption d’une nouvelle posture face à la vie, une vision de l’existence où tout semble possible, une fois le cap établi et la volonté affirmée.

Finalement, y aller ou pas ?

Oui, trois fois oui ! Commencer une thèse de doctorat c’est identifier avec passion une énigme à résoudre. C’est vouloir mieux comprendre et interpréter le monde qui nous entoure. C’est le « pourquoi » de l’enfant que nous avons été et qui cherchait des réponses à tout ce qui l’étonnait, mais avec des outils et des méthodes que l’on maîtrise. Faire une recherche doctorale, c’est aussi sortir des croyances et des idées toutes faites, conquérir l’objectivité qui permet de sortir des conflits construits sur les « on dit ».

Soyons clair, une recherche doctorale en sciences de gestion a peu de probabilité de modifier le cours de l’histoire du management et des organisations, mais elle peut y contribuer, modestement, et c’est déjà très bien, comme elle contribue à la connaissance sur les pratiques managériales.

Si une recherche doctorale ne change pas le monde, elle change, à coup sûr le doctorant qui la conduit. Et ce processus est sans prix.