Cracking the management code

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Quoi de neuf ? La recherche-intervention !

 

Pourquoi faire de la recherche-intervention ?

J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises ces derniers temps de témoigner de ma pratique de la recherche-intervention, et je constate qu’il y a une demande forte de la part de nombreux collègues de cette façon de mener des recherches (1).

Pourquoi cela ? Mon hypothèse est que la recherche-intervention (RI) converge depuis quelques années avec les évolutions de la société, des chercheurs, du management et des business models des organisations scientifiques.

Tout cela à la fois ? Il me semble bien que OUI.

Un peu d’histoire pour comprendre le désamour de la RI

La recherche-intervention existe depuis fort longtemps et même avant d’avoir été nommé ainsi. En effet, si on relit les premiers papiers considérés comme relevant des sciences de gestion (on peut citer Fayolle, Taylor, Maslow, Lewin ….), on ne peut que constater qu’elle a été au départ de ce qu’on considère maintenant comme une discipline scientifique installée. Quels sont les attributs de cette installation ? Une communauté de chercheurs, un numéro de section (le 6) à l’Université, un concours d’agrégation, des associations savantes ….

Seulement, comme discipline (encore) jeune (le premier concours d’agrégation la portant sur les fonds baptismaux universitaires date de 1976), comme discipline creuset, elle a longtemps été source d’introspection et de controverses quant à sa scientificité, d’un point de vue épistémologique.

Il a donc fallu, pour se rassurer, trouver deux grands parachutes : le premier a été d’envoyer les premiers enseignants chercheurs en sciences de gestion aux USA, à une époque où tout ce qui était made in America ne pouvait être que bon ! le second a été la mathématisation, l’hypothético -déductif, et la mise en équations (structurelles) de phénomènes pourtant purement humains, et portant donc une grande part d’irrationalité.

La messe était dite ! Les quelques pionniers voulant obstinément promouvoir la recherche-intervention se condamnaient à une forme de marginalisation, sinon même de discrédit.  Revendiquer une méthode d’essence française ET une recherche qualitative, ancrée dans la pratique de entreprises, ne pouvait que porter atteinte à la scientificité tant désirée de la discipline gestion.

J’ai mené ma recherche doctorale au début des années 90 (soutenance en 94) au sein de l’ISEOR et je ne peux que témoigner (avec mes collègues de l’époque) de la forme d’ostracisme que nous avions à vivre.

Il est donc extrêmement intéressant et sympathique de voir que la roue tourne et que la recherche-intervention connait maintenant un intérêt qui n’est pas que de la curiosité.

Elle répond maintenant à des grandes attentes.

Rencontre avec l’évolution de la scientificité

Comme l’ont analysé de grands épistémologues, et tout particulièrement Kuhn avec sa notion de « paradigmes », la science est un construit sociétal : ce qui est science est ce qui correspond, à un moment donné, à une conception du cadre de référence d’une communauté de scientifiques. Les phénomènes observés sont explicables avec ce cadre jusqu’à un certain moment, et, la connaissance avançant, ce cadre (ce paradigme) devient invalide et se superpose un nouveau cadre de référence. C’est comme cela que la mécanique quantique s’est installée en lieu et place de la mécanique newtonienne.

En sciences de gestion, nous avons longtemps été soumis à l’obsession de la modélisation, avec la construction de modèles selon des règles hypothético-déductives avec des validations statistiques.

La recherche-intervention propose une autre vision d’une connaissance d’intention scientifique des phénomènes : elle postule de l’inachèvement théorique. Son principe est la variation maîtrisée de l’objet de recherche, c’est-à-dire la conduite du changement dans une organisation pour comprendre comment et pourquoi l’organisation évolue, plus particulièrement dans les interrelations entre personnes, et dans les relations entre personnes et objets de gestion (process, outils, locaux etc …).

Elle interpelle en cela la notion même d’hypothèse : elle inscrit l’hypothèse dans une dynamique de compréhension, sans chercher à vouloir la valider ou l’invalider. Le « corps d’hypothèses »  en recherche intervention bouge, évolue, jusqu’à la fin de la recherche. C’est très orthogonal aux critère de la scientificité tels qu’ils ont toujours été vus car issus des sciences dites dures.

En recherche-intervention, ce qui compte c’est le chemin, même si, paradoxalement, il y a obligation de réussite pour l’organisation qui a accepté cette méthodologie, car le chercheur-intervenant doit être capable de tenir ses promesses. Et ces promesses sont contractualisées avec l’organisation au début de la recherche : aller vers une organisation « idéale », en tous les cas meilleurs, où les dysfonctionnements seront moins nombreux, où la performance économique ne chassera pas la performance sociale.

Or, cette vision du « chemin » est de plus en plus celle qui inspire la science et les organisations. Avec la postmodernité, ou l’hypermodernité, on a bien compris que le « grand soir » de la découverte n’était qu’une chimère. Le progrès n’est plus vu comme un Graal, mais comme un équilibre précaire.

En cela la recherche-intervention incarne pleinement une nouvelle vision du geste scientifique dans son acceptation de l’inachèvement théorique.

Rencontre avec les nouvelles compétences en management

Un autre point important sont les compétences que mobilise toute recherche-intervention. Quelles sont-elles ?

  • La capacité à conduire le changement en toute responsabilité, c’est-à-dire à dessiner une vision,
  • Le talent de mobiliser des équipes diverses et pas toujours partantes,
  • L’aptitude à mener des projets de façon abductive, c’est-à-dire à garder une forme d’agilité d’esprit qui évite de prédire le futur avec les éléments du présent mais bien à imaginer l’avenir,
  • Le chercheur-intervenant développe aussi ces soft skills si recherchées : la résilience, l’opiniâtreté, l’empathie, la reliance … surtout la réflexivité. Plus que dans tout autre dispositif, conduire une recherche-intervention oblige à faire et à se regarder faire au sens d’exercer son sens critique pour apprendre et apprendre à apprendre en continu.

Rencontre avec la légitimité des organisations scientifiques

De façon plus pragmatique, mais il faut aussi considérer la science en action, la recherche-intervention rencontre le besoin de légitimité de nombre d’organisations scientifiques. On peut le voir de deux façons :

  • La première est le financement que peut motiver facilement la recherche-intervention. En effet, répondant à des attentes des entreprises, leur proposant un résultat et des livrables (ce qui n’exclut pas l’objectif de production de connaissances), elle est légitime aux demandes de financement. Elle est crédible dans le sens où il y aura un ROI.
  • La seconde façon est la légitimité qu’elle apporte à des organisations qui se voient de plus en plus comme des acteurs « en société ». La recherche-intervention est éligible à la mesure d’impact sur la société, elle permet de faire « bouger les lignes » de façon lisibles pour les parties prenantes, ce qui est source d’une attente forte des laboratoires de recherche de l’Université, des Grandes Ecoles. J’ajoute que si cela va plus ou moins de soi dans les sciences de la vie ou les sciences dites dures, est plus difficiles avec les sciences comme la gestion qui évoluent dans l’immatériel.

Les chercheurs -intervenants sont définitivement des talents. La preuve en est que de très nombreux docteurs passés par cette voie sont considérés comme des potentiels à forte valeur ajoutée par les entreprises.

Rencontre avec un monde gorgé de fake news

Dernière rencontre d’importance, la recherche-intervention introduit dans les organisations où elle est pratiquée des réflexes de réflexivité. Dans sa pratique quotidienne, elle oblige les acteurs des entreprises à se positionner différemment vis-à-vis des phénomènes qu’ils vivent ou qu’ils observent. Ils ne deviennent pas tous chercheurs mais adoptent des capacités de décryptage que ne leur donne pas d’autres méthodes ou le chercheur est « en dehors » de l’organisation. Etant co-producteurs de la connaissance, ils sont alors mieux à même de distinguer ce qui est du domaine de l’opinion et de prendre le nécessaire recul avec les fake news.

 

J’en arrive à la conclusion d’une démonstration qui va certainement être battue en brèche par nombre de chercheurs. Cette réflexion relève de l’affirmation et de la conviction amis elle est nourrie par 20 ans d’enseignements d’épistémologie en master recherche et école doctorale, de mon expérience de chercheuse et de directrice de recherches doctorales en recherche-intervention.

« Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie » disait Kurt Lewin. Il n’y a rien de plus inspirant qu’une recherche-intervention. Son seul défaut est d’entrer difficilement dans les canons de la publication « main stream » mais là encore, les lignes bougent, et ces mouvements viennent d’outre-Atlantique, le pays du « publish or perish ».

Les planètes s’alignent pour les chercheurs qui souhaitent être des intervenants ! 

 

(1) je signale l’excellent stage organisée par la FNEGE et animé par mon collègue Laurent Cappelletti Professeur au CNAM, qui témoigne de cet intérêt.

 

 

Les Herbiers vs le PSG ! A quand l’ESDES vs HEC ? (1)

Il y a quelques temps, nous avons pu suivre un de ces évènements sportifs improbables, qui repose sur la « glorieuse incertitude du sport » : la finale de la Coupe de France de football entre le PSG et les Herbiers ! C’est l’occasion de raconter une belle histoire : celles des petits poucets qui défient les Géants, David contre Goliath … Comme le montre l’infographie suivante :

C’est aussi l’occasion de nourrir un certain suspense dans un univers qui finalement est très prévisible, c’est encore le moment de grandes unions sacrées (on nous a décrit avec abondance la mobilisation de tous les habitants des Herbiers) dernières les équipes. Et c’est enfin la possibilité de montrer que les fameux classements très hiérarchiques et dépendants de critères essentiellement financiers peuvent être bousculés quand on s’en donne les moyens, et ceci au bénéfice de tous.

En effet, on peut faire l’hypothèse que ces « happenings » dopent les audiences médiatiques, le merchandising des clubs, et surtout l’engouement global pour le football comme sport.

On compare beaucoup le monde des business school à celui du football particulièrement avec l’idée du Mercato pour les enseignants-chercheurs. L’autre similitude la plus forte est cette question des classements, et de la hiérarchie qu’ils installent.

Secouer le cocotier est toujours stimulant, et je trouve intéressant de regarder ce qui se passe dans le foot, ce qui pourrait être stimulant pour les business schools, en partant de l’hypothèse qu’elles aient envie  de faire bouger les lignes. Mais c’est seulement une hypothèse bien sûr …

Evidemment, deux questions se posent : pourquoi le faire ? et vis-à-vis de qui ?

Pourquoi le faire ?

C’est une bonne question, surtout pour les écoles de première partie du tableau qui n’ont pas intérêt à se mettre en danger, et qui peuvent craindre de déstabiliser le marché du travail à la sortie du diplôme.

J’apporterais deux arguments.

Le premier est celui largement mobilisé par Loïck Roche (directeur de GEM et président du chapitre des BS au sein de la CGE) sous le vocable de « théorie du lotissement » et qui veut que, pour maintenir leur légitimité globale dans l’enseignement supérieur, comme pour garantir la qualité de leur offre de formation, les 35 business schools grade master française doivent jouer « collectif ». La perte, la dégringolade d’une seule d’entre elle pouvant nuire à leur réputation globalement, et fausser des équilibres. L’impact de la disparition ou quasi disparition des BS ayant choisi le regroupement France Business School n’a jamais été évalué, même si on se doute des trous géants qu’elles ont laissés dans leur environnement local, le soutien des partenaires économiques locaux pour certaines (on peut penser à Clermont-Ferrand) étant une preuve par contraste.

Le second est de s’inscrire dans un contexte où de nombreux codes sont bousculés. Les attentes ne sont plus la verticalité, les silos, le « chacun pour soi », l’ « homogénéité », l’ « élitisme », tout particulièrement dans le monde du travail. Il serait intéressant que les écoles mettent à l’œuvre ce qu’elles enseignent tous les jours à leurs élèves et apprenants. A savoir : la collaboration l’horizontalité, l’égalité des chances …. On est loin du modèle de la « coopérative », mais des partenariats comme celui initié par GEM et EM Normandie, ou comme celui existant entre Strasbourg Montpellier et Rennes, sont intéressants à analyser dans leur création de valeur. Certes il y a beaucoup de collaborations avec des écoles étrangères, mais c’est déjà vu et plus simple. Dans le jeu global, il y a bien une concurrence franco-française ! Et c’est cela qui est plus compliqué.

L’idée est donc de pouvoir bousculer (un peu) les codes pour créer de la valeur globale pour les formations supérieures en management.

 

Quelles seraient les cibles ?

Le match Les Herbiers/PSG et tout ce qui s’est joué pour en arriver là est clairement destiné aux amateurs de foot, et arrivent à drainer des personnes qui jusque-là n’étaient pas particulièrement intéressées mais qui se « prennent au jeu » pour des raisons diverses et variés : pression médiatique, goût du suspens, besoin d’affiliation, fantasme du petit qui prend sa revanche …

Les fédérations de sports collectifs américaines se sont clairement positionnés sur cet objectif de créer une véritable incertitude pour entretenir le suspens et donc l’intérêt des spectateurs et téléspectateurs jusqu’au bout du championnat.

Concernant les écoles de management, on peut envisager deux cibles :

les étudiants qui seraient gagnants dans le sens où ils s’autoriseraient à intégrer une école qui leur convient vraiment sans se polariser sur le classement,

les entreprises qui accueillent les stagiaires, alternants, diplômés qui auraient accès à des talents moins « évidents » pour elles, mais qui, au bout du compte, leur conviendraient tout autant ou même mieux.

On lutte ici contre le fameux principe de précaution, qui affecte aussi bien les entreprises en matière de RH, que les étudiants quand il s’agit de leurs études. Bousculer les classements et montrer d’autres facettes des formations seraient une façon de faire baisser le risque perçu, qui, comme chacun sait est le frein principal de l’engagement dans le service (redisons-le : la formation est un service).

 

Alors comment ?

Je propose de regarder les similarités entre le secteur des BS et les clubs de foot français

Les deux figures ci-dessous montrent un parallélisme étonnant. La place dans le classement est lié (à quelques exceptions près) au budget.

La première figure est extraite du rapport financier du football professionnel français pour la saison 2016-2017, document du DNCG.

J’ai construit le second graphique à partir de deux sources : les indicateurs 2017 mis en ligne sur le site de la CEFDG et le « classement des classements » proposés par L’Essentiel du Sup. Il y aurait beaucoup à redire sur la qualité de ces données : les budgets sont du déclaratif, les classements mobilisent des critères discutables et s’appuient sur les données transmises par les écoles, le classement des classement est une moyenne des rangs acquis dans les classements les plus médiatiques  etc etc …

Mais finalement les règles même tronquées sont les mêmes pour tout le monde, et cela donne une idée générale avec une tendance suffisamment marquée pour avoir une base de discussion légitime.

 

Comment mettre bousculer la hiérarchie des business schools ?

L’idée est de trouver un tiers. Ce n’est pas simple car beaucoup de tiers possibles sont liés à ces fameux classements. Il en est ainsi des classes prépas, elles même évaluées sur le classement des écoles qu’intègrent leurs étudiants, il en est ainsi des entreprises qui ont tout intérêt à travailler avec les « meilleures ».

Je propose trois pistes, qui sont juste un début de réflexion :

1/ La première est de mobiliser l’existant et d’intégrer dans les classements des compétitions qui existent et qui sont communes à beaucoup d’écoles : les compétitions sportives comme la coupe EDHEC, le rallye 4L, les Négociales, et tous les concours que proposent les entreprises.

Ce ne sont pas toujours les écoles les mieux classées qui gagnent, et les intégrer aux classements pourraient avoir du sens, car la participation à ces concours, les talents qu’ils mettent au jour sont certainement symptomatiques des écoles. Mais ce ne serait qu’un début

2/ Développer d’autres challenges en entreprises ou par les entreprises, de façon à ce qu’elles bénéficient de la diversité des écoles et de leurs apports, mais aussi puissent constater (le cas échéant) que le rang du diplôme n’est pas la garantie absolue de la qualité du diplômé.

3/ Intégrer dans les classements des évaluations tierces auxquelles se soumettraient tous les étudiants de toutes les écoles : c’est maintenant possible avec les évaluations en ligne et sur des grands nombres. Et cela peut être décliné dans de nombreuses thématiques. Il existe déjà quelques certificats, mais cela demanderait un développement conjoint et massif. Il serait intéressant de recenser des certificats existants aux USA.

 

Dans ces conditions, on pourrait imaginer un match ESDEC vs HEC, sans présager du résultat, en se disant qu’on rebrasse les cartes de façon à développer la valeur de l’ensemble des business schools, plutôt que de se la partager en tranches de plus en plus fines, comme y conduit une vision par la hiérarchie des classements.

 

(1) première et dernière écoles au classement des classements proposé par « L’essentiel du Sup » Headway année 2017

 Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux

Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …. ou l’apprentissage par l’exemple

 

J’ai le sentiment en écrivant ces lignes que de nombreux lecteurs vont estimer que j’enfonce des portes ouvertes, que d’autres vont dire rapidement « mais ce sont des erreurs grossières » ou : « je ne me serais jamais trouvé dans cette situation » …

Donc, pour ceux et celles qui sont des pros des réseaux sociaux et qui en connaissent tous les tours et les détours : passez votre route ! Vous allez perdre votre précieux temps.

Pour les autres, qui souhaitent se lancer dans le partage d’idées ou d’expériences sur le Web, par l’intermédiaire de blogs, Linkedin, Tweeter ou autre, je vous propose de partager une expérience récente qui relève de l’ « apprentissage par l’erreur ».

Pour cela, il faut littéralement « autopsier » le phénomène, une fois qu’il est bien refroidi, pour comprendre ce qui s’est passé, et chercher à en tirer quelques enseignements.

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La chronologie des faits

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Je dresse un rapide exposé des événements qui constituent l’objet de cette analyse.

Le 2 Août 2017, un article parait dans le Canard Enchainé à propos de la responsable de communication de la campagne d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye. Dans cet article, le journaliste fait allusion à un texto qu’aurait (le conditionnel est essentiel) envoyé Sibeth Ndiaye à un de ses collègues journalistes. A la demande de confirmation de la mort de Simone Veil (personnellement, je trouve la démarche étonnante, mais bon …). Sibeth Ndiaye aurait répondu par un texto pour le moins lapidaire : « Yes, la meuf est dead ! ». Dans les heures qui suivent, la polémique enfle autour de ce texto (réel ou pas ?). Je lis plusieurs commentaires et analyses. Il y a ceux qui condamnent sans se poser la question de la confirmation de l’existence de ce sms, et ceux qui cherchent à calmer le jeu en expliquant le caractère confidentiel de l’échange … L’unanimité se fait sur le manque d’élégance des propos concernant une personne que tout le monde respecte et qui est une grande figure française au parcours exceptionnel, mais, à ma connaissance, personne n’a vraiment vu le texto qui est démenti par sa présumée auteure.

Deux jours après, je me dis que ce qui s’est passé est intéressant d’un point de vue « vie au travail » ou plus largement relationnel. En effet, ce texto qui fait scandale me rappelle des crises que j’ai pu connaitre suite à des mails ou des textos mal rédigés, mal compris, ou partis trop vite sous le coup de la colère ou d’un verre de trop ….

Mon objectif : rappeler les dégâts que peuvent faire ces nouveaux moyens de communication que je qualifie de « oraux-écrits », c’est-à-dire qu’on manie comme s’ils étaient de l’oral, en oubliant que le décalage dans le temps et dans les contextes entre émission et réception peuvent être dévastateurs. J’identifie dans ce billet six situations avec les risques qu’elles peuvent engendrer, illustrées par six cas de catastrophes vécues ou observées.

L’article complet peut être lu à ce lien : http://www.liberation.fr/debats/2017/08/04/textos-attention-aux-auto-gaffes_1588115

J’envoie le texte à Libération Idées car je me dis que cela peut les intéresser, et en effet une heure après l’envoi, je recueille leur intérêt pour ce billet, qui est mis en ligne quelques heures après, soit le 4 août midi.

Et là, je vois mon fil tweeter s’affoler avec des commentaires agressifs voire menaçants, avec des dérives complètes dans l’interprétation, qui vont jusqu’à forger une « théorie du complot » mettant en cause et dans le même sac le support (Libération), l’auteur (moi), la présumée coupable (Sibeth Ndiaye)… les migrants, les Juifs, les noirs, les journalistes etc etc …

Je m’empresse de dire qu’il y avait aussi pas mal de « like » et de « retweets », et que le billet partagé sur Linkedin a été bien reçu avec des commentaires positifs, montrant que sur ce réseau, les lecteurs avaient bien compris le sens du billet (qu’ils soient d’accord ou pas), à savoir inciter à une réflexion sur la façon dont nous communiquons et à la tolérance dans les cas de dérapages.

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La plongée dans le côté sombre du web (1),quelques éléments d’explication

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Plus que d’une plongée, il s’agit davantage d’une « trempette » du côté sombre du web, car je ne veux pas non plus exagérer le phénomène, mais cela ne lui enlève pas sa valeur d’exemple.

J’ai commis plusieurs erreurs :

Sur le fond :

  • J’ai sous estimé la dimension politique du sujet, en le prenant « toute chose égale par ailleurs », et en ignorant le contexte de « Macron bashing» qui s’est développé pendant l’été,
  • J’ai aussi largement sous estimé la dimension sexiste et raciste de la situation : je rappelle que Sibeth Ndiaye est une jeune femme noire, d’origine africaine.

Sur la forme

  • J’ai choisi un titre qui m’est venue spontanément, sans en peser la « charge émotionnelle », puisque j’ai intitulé ce billet « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndiaye ! ».

Je n’ai pas évalué la proximité avec les « Je suis », « Je suis Charlie », « Je suis Paris », « Je suis Nice » … tellement entrés dans la conscience collective, et liés à des drames nationaux.

 

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La dramaturgie en cinq actes

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Un retour en arrière montre qu’il y a cinq stades, que j’illustre avec quelques tweets emblématiques.

1/ La mise en cause du billet, à partir du titre (Yes, nous sommes tous des Sibeth Nadiaye !):

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2/ La mise en cause des protagonistes :

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3/ La dérive avec élargissement de la polémique à d’autres sujets :

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4/ Les « débats » croisés entre « tweeters » :
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5/ La théorie du complot : comment le media m’a instrumentalisée pour se faire bien voir par Macron …

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L’analyse et les enseignements à partager

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1/ Dans un billet 90% est dans le titre : il accroche et il résume même ce qu’il ne veut pas dire, et sur tweeter, de nombreux adeptes se contentent de cela. Le dosage entre le désir d’accroche et risque de mésinterprétation est donc délicat ! La preuve en est que Libération a changé le titre au bout de 24 heures (2), et que le billet qui était numéro 4 dans le top 100 des idées de Libé a rapidement dégringolé dans le « hit parade ».

2/ Le support n’est pas neutre : Libération n’est pas Linkedin qui n’est pas Tweeter … Les mêmes idées écrites de la même façon ne touchent pas les mêmes personnes, un truisme …mais c’est la preuve par l’exemple.

3/ Le tempo est essentiel : la décontextualisation n’est pas toujours possible « à chaud », il vaut mieux attendre que la polémique refroidisse si on veut justement ne pas y être mêlé. Sinon, elle vous embarque sans tenir compte de vos précautions (ce qui était le cas dans mon billet).

 

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Une conclusion ironique :  

une parfaite illustration de mon billet

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 En fait, l’ironie est que toute cette polémique est une parfaite illustration de mon billet : on écrit comme on pense, on profite de son anonymat pour déverser sa haine, on comprend les choses à moitié, on se trompe de sujet (voir ci-dessous) etc etc ….

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Bref, beaucoup de bruit pour rien, comme disait le grand Shakespeare, mais une bonne leçon de choses, avec ces étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …

Si vous avez aimé ce billet, partagez- le ! 🙂

(1) Pas le Dark-Web, il s’agit de bien autre chose !

(2) Le : « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndyaye ! », est devenu : « Textos, attention aux auto-gaffes ».

Dessine-moi un manager intelligent ! So what ?

Si on regarde, même de façon rapide, les « mission statements » des business schools à travers le monde, leur projet est souvent de former des managers « intelligents ».

Mais qu’est-ce que l’intelligence managériale ? L’intelligence est cette capacité à repérer dans notre environnement ce qui constituera l’ensemble des informations à prendre en compte pour avoir un comportement adapté, ou mieux, proactif, c’est-à-dire anticipateur des futurs événements.
L’intelligence s’évalue aussi dans la capacité à identifier les informations. Car l’environnement est vide d’informations en soi, beaucoup de signes n’apparaissent comme pertinents qu’avec un certain degré d’expertise.
Dans la vie professionnelle, l’objectif est d’adopter des comportements adéquats à l’environnement avec pour but d’effectuer des choix, de prendre des décisions, d’établir des relations avec les autres, de mener un projet, d’animer une équipe, le tout avec efficacité et efficience. Cet ensemble complexe construit la performance. S’y ajoute la capacité à comprendre les enjeux, à saisir les opportunités, à repérer et interpréter les signaux faibles, et à capitaliser pour être dans une logique d’apprentissage. Nous sommes alors dans l’intelligence managériale.

Pour décrire les degrés d’intelligence, on peut avoir recours à l’image de cercles concentriques. Au centre : l’individu. Le premier cercle se limite à la personne elle-même et décrit un manager autocentré, seulement préoccupé par lui-même et ses propres actions. Chaque cercle successif décrit ensuite, en s’élargissant, la capacité à prendre en compte un environnement plus riche et plus complexe, incluant des éléments de plus en plus nombreux .

Proposition d’une typologie de l’intelligence managériale

Je propose cinq degrés de l’intelligence managériale. Ils vont du degré zéro ou le manager n’est dotée d’aucune intelligence de son environnement, jusqu’au degré quatre où se retrouvent des personnes ouvertes sur le monde et en grande capacité d’évolution et d’anticipation.

Je résume l’ensemble dans le tableau suivant (cliquez pour agrandir)

manager intelligentJe retiens six domaines à analyser grâce à cette échelle de l’intelligence managériale :

Le positionnement : définir ses missions. Pour qui je travaille ? Quel impact ont mes actions ? Comment je me situe dans l’organisation ?
Le projet : penser ses fonctions en termes de résultats et de projets. Pourquoi je travaille ? Qu’attend-on de moi ? Quelle est ma contribution à l’entreprise ?
L’adaptation : dans un monde professionnel en mutation continue, quelle est l’attitude vis-à-vis du changement ? Passivité ? Lutte ? Refus ? Enthousiasme ?
L’horizon : se projeter dans le temps, est-ce au jour le jour ? La semaine ? Le cycle d’activité de l’entreprise ? Au-delà ?
Le décryptage : repérer des signaux faibles dans l’environnement et anticiper les besoins. Quelle ouverture aux autres ? Quelle capacité à interpréter leurs messages et gérer les interactions ?
–  L’apprentissage : c’est le désapprentissage et le réapprentissage. Quels bilans ? Quels acquis ? Quelles erreurs à ne pas reproduire ?

Les archétypes du manager : du manager nuisible au manager intelligent

1. Le degré zéro sur tous les critères décrit un manager nuisible
C’est un manager qui gère par à-coups, aux décisions imprévisibles, qui n’hésite pas à faire des retours en arrière. Un manager qui déboussole, déstabilise, dont on craint les sautes d’humeur et les changements de cap. Ce type de managers existe, nous l’avons tous rencontré, et nous ne souhaitons pas en avoir parmi les alumni de nos business schools.

2. Le degré 1 dans tous les critères définit un manager autocentré
Le manager auto-centré ne vit que pour son intérêt propre, son horizon est sa promotion. Il évite les réunions d’équipe qui lui semblent inutiles ou à risques. Il est aussi obsédé par la loyauté de ses collaborateurs et ne recrute que des gens qui lui ressemblent.

3. Un manager professionnel a 2 dans tous les critères
Le manager pro connait bien l’activité de l’entreprise, il est expert dans son champ de compétences techniques mais il gère en mode routine. Même s’il n’est pas réfractaire au changement, il ne le recherche pas.

4. Avec 3 dans tous les critères, il s’agit d’un manager acteur
Le manager acteur anime les équipes, connait bien l’activité de l’entreprise dans son environnement. Il sait gérer le changement et propose volontiers des plans d’actions pour l’accompagner.

5. Le manager intelligent tel que nous l’appelons de nos vœux dans les business schools a 4 à tous les critères.
Ce manager intelligent a une vision pour l’entreprise. Il est capable d’une analyse prospective et d’innovation. Il est pilote du changement. Il sait exercer  une capacité de veille. Il anime et fédère les équipes. Il est en capacité d’apprendre et de transmettre.
En substance, on pourrait comparer le manager « intelligent » dans tous les domaines à un conducteur intelligent : il ne se contente pas de savoir manipuler une voiture, mais il tient compte de l’environnement physique, de la configuration de la route, de la qualité du revêtement  et de la météo !

La réalité est bien sûr beaucoup plus complexe, et les managers ont des profils beaucoup plus nuancés avec des pôles où ils sont plus performants et d’autres où ils ont des marges de progrès.
Quoiqu’il en soit, il est toujours utile de pouvoir définir et évaluer ce qui peut rester une conception « valise », de celles où l’on met ce que l’on souhaite comprendre, notamment pour aller vers des critères partagés, entre Business Schools et entreprise.

 

Former à l’éthique : le pari pascalien du XXIème siècle

Former des managers éthiques ? Ce beau projet, à y réfléchir, peut ressembler à un pari pascalien ! En effet, si l’on peut être garant de l’intention et de la qualité des formations à l’éthique, il est beaucoup plus difficile d’être affirmatif quant au résultat. L’intervention de Laurent Spanghero à l’EM Strasbourg laisse entrevoir une piste à suivre : laisser la parole à ceux qui ont expérimenté les désastreuses conséquences d’un management contraire à l’éthique. 

Comment former des managers éthiques ? Y croire avant tout !

Comment évaluer l’impact de tels projets pédagogiques ? Pour cela, il faudrait pouvoir mesurer, quelques années après la formation, la qualité éthique des comportements de managers en situation, et pouvoir attribuer à la formation prodiguée ce différentiel éthique, le cas échéant. Un comportement éthique de nos alumni serait alors la résultante des enseignements prodigués en la matière durant leur scolarité, à condition d’avoir un groupe de contrôle qui n’aurait pas bénéficié de telles formations (avec le problème éthique de couper des étudiants de tels enseignements). En l’absence de certitude, on se lance dans un pari pascalien : on y croit et on parie sur le meilleur.
Citons Pascal quand il parle de croire en la religion : « S’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la Religion ; car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur la mer, les batailles ! Je dis donc qu’il ne faudrait rien faire du tout car rien n’est certain ; et qu’il y a plus de certitude à la Religion, que non pas que nous voyions le jour de demain.  Car il n’est pas certain que nous voyions le jour de demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n’en peut pas dire autant de la Religion. Il n’est pas certain qu’elle soit, mais qui osera dire qu’il est certainement possible qu’elle ne soit pas ? Or, quand on travaille pour demain, et pour l’incertain, on agit avec raison[…] »  Une démonstration qui pourrait se traduire de façon plus triviale en ce qui concerne l’éthique : « Si  on n’est pas sûr qu’une bonne couche d’éthique fasse du bien, on est sûr ça ne peut pas faire de mal ! ». Il y a donc tout à gagner à l’enseigner.

Comment motiver des comportements managériaux éthiques ?

En la matière, la théorie telle que peuvent la prodiguer des cours classiques est nécessaire mais combien insuffisante. Et c’est bien le passage à l’acte qui nous intéresse. L’intention de « manager éthique » ne suffit pas. Comme en amour, il faut des preuves ! A savoir passer d’une attitude : « j’ai l’intention de », au comportement : « je fais ». Comme pour beaucoup des compétences douces (soft skills), une fois les quelques principes premiers transmis et acquis, il faut « donner envie ». Ce n’est pas la peur du gendarme ou de la sanction qui fait avancer la cause d’un management éthique, mais bien une motivation profonde.
C’est là où l’expérience « vicariante », c’est-à-dire l’expérience transmise par les autres, trouve toute sa place, et que le professeur, aussi expert soit-il, doit s’effacer devant le témoignage. C’est ce que j’ai vécu il y a quelques jours. Je viens de recevoir une belle leçon d’éthique, d’éthique et d’humanité ! C’est Monsieur Laurent Spanghero qui me l’a donnée, et avec moi à plus de 200 étudiants de l’EM Strasbourg lors de la journée de l’éthique 2015.

Une leçon magistrale d’éthique par Laurent Spanghero

Laurent Spanghero est né à Bram le 12 juin 1939, il est fils d’immigrés italiens et l’ainé de huit enfants. Il est un joueur de rugby à XV au RC Narbonne comme ces cinq frères dont deux évoluent au plus haut niveau. Il est cofondateur avec son frère Claude de l’entreprise « A la table de Spanghero» spécialisée dans les produits à base de viande, notamment pour la préparation du cassoulet, et basée à Calstelnaudary. En 2013, l’entreprise est au cœur d’un important scandale alimentaire, les produits qu’elle vend comme à base de viande bœuf contiennent en réalité de la viande cheval. Le nom de Spanghero est alors associé à des pratiques frauduleuses alors que l’entreprise avait été cédée par la famille en 2008 (avec l’utilisation du nom). Le 5 juillet 2013, Laurent Spanghero reprend l’entreprise, rebaptisée La Lauragaise, afin de sauver les emplois et de « laver le nom de la famille ». La Lauragaise a été reprise en 2014 et Laurent Spanghero se lance dans l’aventure de Nutrimat, dont le métier est la production de pâtes appétentes et contenant des protéines végétales pour la population des grands seniors, trop souvent dénutris.

« Il y a toujours un problème d’argent derrière les comportements non-éthiques»

C’est le cas dans la crise de la vache folle qui est véritablement médiatisée en 1996 alors que de nombreuses personnes étaient au courant en Angleterre depuis 1986. Mais personne n’a vraiment lancé l’alerte car trop de marchés et de profits étaient en jeu. Il aura fallu les premiers morts et une pandémie animale dramatique pour que les pouvoirs publics réagissent. C’est le cas aussi dans le cas du scandale à la viande de cheval, où le but était d’exploiter une viande bien moins chère que celle du bœuf afin d’augmenter les profits.

« Le manque d’éthique a un coût incommensurable»

Il y a avant tout le coût humain puisque dans le cas de la vache folle, 200 personnes sont mortes de maladie de Creutzfeldt-Jakob, par ingestion du prion contenu par la viande (et des milliers sont peut-être à venir compte tenu du temps d’incubation de cette maladie). Il y a aussi le coût de la perte des emplois comme dans le cas de l’entreprise Spanghero où plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées licenciées.
Il y a enfin le coût réputationnel : « Mon nom et celui de ma famille a été sali » nous confie Laurent Spanghero. Il extrêmement difficile de se relever de ce type de situation car les associations négatives entre un nom ou une marque, et un scandale continuent bien au-delà des réparations ou de la réalité des actions. On n’arrête pas la rumeur.

« La justice et les institutions politiques sont trop impuissantes »

Si on pense l’éthique uniquement de façon réactive, par peur de la sanction ou d’une condamnation en justice, il y a toutes les chances que ce ne soit pas pérenne ou ancré dans les comportements. Compte tenu des faibles interventions de la justice ou du politique en la matière, les dérives sont faciles et peuvent rester impunies pendant des années. Ainsi, les prévenus pour la crise de la vache folle ou pour le scandale de la viande de cheval, n’ont pas été condamnés. L’éthique doit être fondée sur des motivations intrinsèques pour résister à toutes les dérives possibles dans un contexte d’injonction au développement et d’hyperconcurrence.

« Regarder les choses globalement : l’alimentation est une cause écologique »

Penser éthique, c’est penser large, sans se limiter à un périmètre d’entreprise, de secteur d’activité, de filière, ou à un territoire donné. C’est ainsi que penser l’éthique alimentaire, c’est s’inscrire dans une réflexion écologique globale. La production de viande coûte très chère à la planète (pour produire un kilo de poulet, il faut 1,2 kilos de céréales, pour un kilo de porc, c’est 4,7, pour un kilo de bœuf c’est 10 kilos de céréales). Si dans les pays développés, une prise de conscience a eu lieu et que la consommation de viande a tendance à stagner ces dernières années, elle monte en flèche dans les pays émergents, comme la Chine, car manger de la viande est un signe de richesse . L’éthique alimentaire doit tenir compte de ces grands mouvements démographiques et économiques, tout en respectant les exigences écologiques. C’est de cette vision inclusive qu’est né l’Institut d’Ethique Alimentaire à Strasbourg, pour éclairer les consciences de ces sujets complexes et encore peu connus.

« Une seule personne a décidé de mettre l’éthique avant l’argent, mais les autres se sont tues. ».

Cette question de l’Omerta dans les entreprises est lancinante, alors que tous ou beaucoup savent, personne ne lance l’alerte. Pourquoi ? Par peur ? Par résignation ? Par refus de dénoncer ? Les raisons sont complexes mais que ce soit la grande tricherie de Volkswagen, la fraude des implants mammaires PIP, ou la viande de cheval chez Spanghero, beaucoup de salariés étaient au courant et ont choisi de se taire. Laurent Spanghero raconte comment le directeur de production, boucher de son métier avait compris que la viande qu’il désossait n’était pas du bœuf, sans bien savoir ce que c’était. Il n’a pas su dénoncer le trafic et est mort trois semaines après sa découverte d’une crise cardiaque. D’autres ont accepté de modifier les factures ou encore de changer les codes des étiquettes lors de la réception de la marchandise.

«Il fallait agir !  Éthiquement, je ne pouvais pas ne rien faire !»

L’éthique, c’est aussi la résilience et la capacité à se battre. Laurent Spanghero, à 74 ans, a décidé de se reprendre une « entreprise assassinée », plus de clients, plus de fournisseurs, plus de réputation … « Je ne pouvais pas ne rien faire ». Il a mis tout son temps et son argent personnel pour rebâtir une entreprise et sauver une centaine d’emplois, qui sont autant de personnes et de familles. Il explique comment il a dû se battre pour faire repartir une entreprise en état de mort cérébrale : « J’ai appelé tous les grands patrons d’enseigne de la grande distribution et je leur ai dit : les gars, j’ai besoin de vous ! », et certains ont répondu présents.

 « L’éthique peut être source d’innovation. »

Si Laurent Spanghero a su réagir et a sauvé en partie l’entreprise en recréant La Lauragaise, sur son énergie, ses relations et ses fonds personnels, il a aussi décidé de faire avancer la cause de l’éthique alimentaire. Il a choisi de lancer à 77 ans une nouvelle entreprise Nutrimat qui a pour vocation de produire et commercialiser des pâtes alimentaires de bonne qualité et enrichies de protéines végétales, car à destination du marché des seniors, population extrêmement dénutrie. C’est une première expérience dans un marché extrêmement prometteur mais également fondée sur une réflexion éthique globale. Un regard éthique n’est pas forcément un regard de sanction, il peut être source d’innovation et de créativité.

« Se comporter correctement »

C’est la synthèse de monsieur Laurent Spanghero : « Toute ma vie, j’ai cherché à me comporter correctement », dans le sport en étant avec ses frères au plus haut niveau de compétition en Rugby à une époque où il s’agissait encore d’un sport amateur ; dans la vie professionnelle, mais aussi dans le respect des autres au quotidien. Il évoque ainsi la souffrance animale lors de l’abattage et souligne la seule méthode qui exclut l’anesthésie : le « sagatage » obligatoire dans le cas de viande halal ou casher. Interpellé sur le sujet, il rappelle être profondément respectueux des religions juive et musulmane tout en ne pouvant que constater les effets néfastes de ces rites d’abattage. Son enfance de fils d’immigré dans une relative pauvreté, sa carrière de sportif, ses croyances religieuses semblent autant de piliers de son comportement professionnel, puisque nous n’avons abordé que cette partie de sa vie.
Ce témoignage nous a en effet montré que l’éthique ne se limite pas à ne pas nuire à autrui, mais bien de considérer que chacun est responsable d’autrui. L’éthique doit être première dans toute organisation humaine en se fondant sur le souci de l’autre, car « on est une personne que si l’on est regardé comme une personne ». C’est ce qui distingue l’homme de l’animal comme nous l’a rappelé le philosophe Yann matin dans un autre forum de la journée de l’éthique à l’EM Strasbourg. La première vertu éthique est la bienveillance. C’est cette bienveillance que nous avons perçue dans le témoignage de Laurent Spanghero.

Une magnifique leçon d’énergie et de justesse, qui a soulevé l’enthousiasme des étudiants, et qui résonnera certainement longtemps dans leurs cœurs, quand les échos des enseignements se seront éteints.

Écoles de management : des enfants surdoués ?

Les écoles de management ont tous les talents. Elles ont développé la recherche, moteur indispensable de la vitalité d’une discipline et de la qualité de la transmission de la connaissance. Elles proposent des formations qui savent se renouveler avec de véritables innovations répondant aux attentes des apprenants. Elles ont une très forte attractivité sur un marché en plein développement. Enfin, leur modèle fait qu’elles ont les moyens d’accompagner les étudiants qu’elles sélectionnent, ceux qui correspondent au projet qu’elles développent. Sans oublier le fait que ces étudiants leur font suffisamment confiance pour considérer que leur frais de scolarité sont un investissement pour leur avenir, ce qui leur donne les moyens de leurs projets.

Les analyses de tous bords interpellent les écoles de management pour qu’elles changent leurs business models afin de mieux s’adapter aux menaces de l’environnement. Cette vision peut laisser supposer que le projet intrinsèque est à revoir. Certes, tout projet est évolutif et dispose de marges d’amélioration mais on peut poser autrement la question de leur avenir.

Présentons la situation sous cet angle : les écoles de management ont tous les talents. Elles doivent continuer à se réinventer comme elles savent le faire depuis des décennies, mais doivent surtout trouver un nouveau terrain d’expression dans les grands changements actuels.

Les Business Schools sont comme un enfant surdoué dans une classe où l’enseignement, le professeur, l’espace semblent trop restreints. Dans ce contexte, quels nouveaux terrains peuvent-elles investir ?

Quelle est cette nouvelle donne ?

Le changement le plus important de ces dernières années est la globalisation de l’enseignement supérieur en management avec la montée en puissance de propositions alternatives qu’ont pourrait qualifier de « pure players », c’est-à-dire des écoles qui se sont créées en se pensant d’emblée globales et en phase avec les attentes de l’environnement … Et des accréditations internationales. On peut citer comme critères gagnants : l’enseignement en anglais, une recherche dynamique, des process d’apprentissage en blended learning, des ressources TICE, des locaux adaptés et ergonomiques …

A côté de ces pure players, les écoles françaises ont évolué avec plus ou moins de succès d’un modèle « mortar » (tout est pensé à partir du lieu et de la structure) vers du « click and mortar » (adoption des MOOC, du blended learning…).

Cette difficile adaptation, sous pression d’une « concurrence » dynamique et réactive, ne pointe pas forcément les faiblesses intrinsèques des écoles mais souligne l’étroitesse des cadres dans lesquels elles évoluent.

Quels sont les cadres actuels ou en devenir ?

Parmi les cadres classiques : l’appartenance consulaire, qui semble marquer ses limites comme le démontrent les analyses actuelles, dont le récent rapport de l’Institut Montaigne. Mais ce cadre semble presque caduc avec les nouvelles dispositions légales proposées. Un autre cadre est celui du secteur privé, avec des appartenances à des groupes plus ou moins internationaux, plus ou moins importants, plus ou moins tournés vers l’éducation. Je n’ai pas compétence sur ces dispositifs et leurs modalités de fonctionnement, qui, comme tout modèle, doivent présenter leurs forces et leurs faiblesses, leurs avantages et leurs inconvénients.

On trouve enfin le cadre universitaire, et, à date, seule l’EM Strasbourg peut prétendre en France à cette appartenance, puisque seule école de management à être composante d’une grande université pluridisciplinaire, sur le standard international.

Rapprocher IAE et Business Schools

Issue de la fusion en 2008 d’une école de commerce créée en 1919 l’IECS et d’un IAE créé en 1953, l’EM Strasbourg appartient à la fois au réseau des IAE et au chapitre des écoles de management dans la Conférence des grandes écoles (CGE). Le rapport de l’Institut Montaigne y voit un modèle d’avenir en invoquant la richesse potentielle du rapprochement des IAE (écoles universitaires de management) et des écoles de management (consulaires, associatives, privées).

Les auteurs prônent un «rapprochement rapide» entre les écoles de commerces, les IAE et les universités, pour créer «des synergies profitables à toutes les parties prenantes». Cela permettrait selon le rapport «de combiner des savoir-faire complémentaires» et de «faire baisser […] aussi bien le coût de la recherche que les droits d’inscription des étudiants».

C’est cette proposition qu’il me semble intéressant d’approfondir en réfléchissant plus précisément aux conditions de réussite d’un tel projet que je qualifie de modèle hybride.

Une grande école de management dans une université : un modèle hybride

Envisager une grande école de management dans une université, c’est construire un modèle hybride. L’hybridation est clairement un moteur de l’innovation, par contre, il faut que les conditions soient réunies pour permettre aux organismes par définition de natures très différentes de travailler ensemble et d’aller dans la même direction. Additionner des forces pour compenser des faiblesses est une arithmétique valable sur le papier, encore faut-il la mettre en œuvre.

L’EM Strasbourg étant citée comme un modèle à suivre par le rapport Montaigne, j’ai été sollicitée par une journaliste de News Tank Education pour parler de notre situation. Il me semble intéressant d’aller un peu plus loin et de réfléchir aux conditions nécessaires à un cadre propice au développement de l’école.

La donne est de faire travailler ensemble (et pas seulement cohabiter) deux univers : celui de l’université et celui des grandes écoles. Quand on sait que les grandes écoles ont été créées (dont l’IECS en Alsace) à la demande des chefs d’entreprise sur le diagnostic que l’université était déficitaire dans les formations attendues par les entreprises… On perçoit déjà le défi !

Université et grandes écoles de management : le même combat mais des armes différentes

L’Université et les grandes écoles de management mènent le même combat : celui de conduire à la connaissance et à l’insertion professionnelle des jeunes qui se destinent à être des managers (intermédiaires, supérieurs, dirigeants) ou des experts de métiers identifiés comme relevant des sciences de gestion et qui correspondent aux grandes fonctions des organisations. Universités et grandes écoles partagent donc le même cœur de métier : la recherche et la formation, en l’occurrence en management.

Ensuite, pour parvenir à cet objectif, elles n’utilisent ni les mêmes armes ni les mêmes chemins.

Inversion du contrat pédagogique

La première grande différence réside dans l’inversion du contrat pédagogique, (du moins pour les premières années car le même modèle se retrouve en master universitaire). L’université ne peut sélectionner ses étudiants, et donc ne peut leur offrir une pédagogie adaptée, alors que la grande école cible les étudiants qui seront le plus en phase avec sa pédagogie, gage de réussite.
Le contrat pédagogique de la grande école est à l’entrée avec un accompagnement le plus adapté possible pour aller vers le diplôme et l’insertion professionnelle. Celui de l’université est à la sortie : avec ce phénomène darwinien que nous connaissons tous (et au grand dam des universitaires qui sont aux premières loges) : ceux qui ne s’adaptent pas quittent le système, d’où le taux d’échec si souvent dénoncé.

La deuxième grande différence porte sur les moyens financiers des dispositifs de formation. La contribution des étudiants à leur formation, vécue par eux comme un investissement d’avenir donne à la grande école les moyens de tenir les promesses faites à l’entrée. Le paiement crée une triple dynamique : celle de l’exigence vis-à-vis de l’école, celle de l’engagement de l’étudiant (ce n’est pas gratuit), et celles des moyens alloués pour que cela fonctionne. C’est un constat simple et objectif.

Les 4 conditions pour que l’hybridation prenne

1/ Aller dans la même direction

Il faut pour cela que le plan d’actions stratégiques de l’école de management s’inscrive dans celui de l’université. C’est certainement le cas pour les grands items : qualité de la recherche, qualité de la formation, réussite en termes d’insertion ; mais il faut aussi s’en assurer dans les déclinaisons. La garantie de la pérennité de l’association réside dans cette mise en adéquation. Et la légitimité de l’école passera aussi par sa contribution à l’université.

2/ Avoir un accord de collaboration des instances de gouvernances

Etre une école dans l’Université ne doit pas marquer la rupture avec ses autres partenaires naturels que sont la CCI, la Région, la Ville, les acteurs économiques du territoire. Il y a deux enjeux :
– une bonne cohérence des instances de gouvernance qui seront plusieurs, du fait même de la nature du projet (la chambre régionale de commerce et l’université par exemple)
– un équilibre dans la gouvernance, car sinon, l’école de management peut n’en référer qu’à une seule soit par habitude (elle reste dans le sillage consulaire), soit par désengagement de certaines instances de gouvernances.
On pourrait parler d’un besoin d’union sacrée autour du « projet Business School ».

3/ L’université doit assumer sa Business School

La Business School est très spécifique dans son projet et son fonctionnement, comme nous l’avons vu. Elle se différencie de beaucoup – sinon de toutes – les autres composantes. Cela signifie des arbitrages dans les instances délibératives ou consultatives de l’Université que sont le CFVU, le CA, où siègent les représentants des différentes parties prenantes, étudiants, personnels administratifs et enseignants… Qui, à titre individuel ou syndical ne partagent pas forcément la vision de l’enseignement supérieur tel qu’il est mis en œuvre dans une grande école.

4/ La reconnaissance scientifique du management

Il n’est pas toujours simple dans une université pluridisciplinaire de faire valoir les disciplines relevant de l’humain et du social (dites SHS). La légitimité accordée aux sciences du vivant, aux sciences dites « dures » n’est pas acquise d’emblée pour la gestion. Pourtant, sans adossement à la recherche, sans production de connaissances, une école de management ne peut prétendre pour ses formations à l’évolutivité et à la prospective nécessaires à l’excellence.

Les 3 défis à relever

La problématique au quotidien est donc de développer un projet de nature entrepreneuriale évoluant dans un milieu hyper concurrentiel, au sein d’un cadre public, par essence démocratique et très centralisé. Les enjeux portent sur trois sujets majeurs : la gestion des ressources humaines, la gestion financière et les marges de manœuvre pour pouvoir innover.

1/ Concernant les personnes, je retiens trois problématiques

attirer des compétences dans un contexte où la ressource est rare avec des surenchères sur les salaires, ce qui met en tension les niveaux de rémunération standards à l’université. Il faut alors trouver des solutions pour garantir cette attractivité sans déstabiliser les équilibres existants.

garantir la qualité des prestations des fonctions supports (relations entreprises, relations internationales, communication, gestion administrative de la scolarité …) pour tenir la promesse de l’individualisation des suivis, des choix des parcours, de l’expérience à l’international… Cela implique de dépasser les ratios habituels à l’université en termes de fonctions supports.

permettre des évolutions de carrière pour pérenniser les engagements des personnels contractuels dans un contexte de progression de carrière linéaire avec le fonctionnariat.

2/ Concernant les moyens financiers, on peut pointer deux sujets stratégiques

– Assurer la réactivité nécessaire pour évoluer dans un environnement hyperconcurrentiel et globalisé, avec les outils et les règles de la comptabilité publique française. C’est un vrai défi qui implique une compréhension mutuelle et une envie de trouver des solutions innovantes.

– Faire vivre une organisation qui a des structures de coûts et de dépenses très différentes des autres composantes universitaires, ce qui amène à respecter des spécificités qui peuvent, surtout si le contexte est dégradé, apparaître comme inadéquates.

3/ Concernant l’innovation, elle est tout simplement obligatoire pour se distinguer dans le concert des grandes écoles…

Elle nécessite un écosystème favorable, ce qui se traduit par :

– la nécessité de pouvoir mener à bien la création de diplômes ou de cursus pas toujours « dans les clous » du cadre universitaire, particulièrement en ce qui concerne les frais de scolarité

– des innovations pédagogiques (comme la classe inversée, les coachings…) qui peuvent paraître en décalage avec les usages universitaires

– la mise en place de nouveaux dispositifs de soutien ou d’accompagnement qui peuvent être évalués comme superfétatoires ou ostentatoires (le dispositif des accueils autour des concours par exemple)

On analyse facilement la complexité de la situation, et la solution semble pencher naturellement vers la contractualisation entre les organisations : le contrat d’objectifs et de moyens.  C’est en effet pour l’instant l’outil désigné pour dessiner le cadre d’une collaboration en interne et porter sa mise en œuvre. Est-il suffisamment dimensionné pour tous les enjeux ? Telle est la question à poser. Et s’il dessine la lettre, il ne contraint pas l’esprit dans lequel il sera ensuite interprété.

Un modèle innovant

Un projet comme celui préconisé par le rapport de l’Institut Montaigne et, jusqu’à présent porté uniquement à l’EM Strasbourg, constitue en effet un modèle innovant et répondant aux enjeux qui s’imposent aux écoles de management françaises et à leurs gouvernances : concentrer des moyens, et porter une vision stratégique pour s’imposer dans la concurrence internationale

Il faut néanmoins bien poser les conditions d’une mise en œuvre efficace, efficiente et pérenne, et mesurer la volonté et la capacité de l’environnement à procéder à ses propres adaptations pour en garantir la réussite.

Le vrai problème pour les écoles de management, c’est qu’elles sont pleines de talents et de projets. Or, la question n’est plus de penser différemment dans le cadre ou hors du cadre mais de pouvoir changer de cadre.

Les managers doivent apprivoiser la Vérité

La « Vérité » sera le thème de philosophie cette année pour les classes préparatoires aux grandes écoles économiques et commerciales. Une bonne occasion de se poser la question de la place que prend ce concept en management.

Pour bien l’appréhender, examinons dans un premier temps trois facettes, ou trois visions, de la vérité :

1. L’attente de transparence

« La vérité des prix », « la vérité des chiffres »… Ces expressions courantes dans le monde du travail nous mettent sur la piste de la première facette de la vérité en management. Elles renvoient à l’idée qu’il est possible de faire une représentation de l’activité de l’entreprise et à l’idée que ce sont les chiffres qui sont le plus à même d’en produire une image fidèle.

Force est de constater que les représentations les plus mobilisée des flux d’activités des entreprises sont le bilan comptable, le compte d’exploitation, ou encore les camemberts ou autres histogrammes narrant la vie de la production, des ventes, ou des ressources humaines de l’organisation. La question de la vérité renvoie alors à la « fidélité » de l’image ainsi dessinée. Les chiffres sont-ils fidèles à « la » réalité de l’activité ? Ou sont-ils tronqués, aménagés, modifiés pour servir des desseins à destination d’interlocuteurs ciblés ?

A ces questions, la réponse n’est jamais évidente : des erreurs sont possibles dans l’élaboration des chiffrages ; des choix de redressement de ces chiffres peuvent être faits , sans intention de tromperie, mais pour optimiser le portrait. Evidemment il existe des choix délibérés de produire des chiffres faux. Dans les trois cas, les chiffres ne sont pas vrais : ils transmettent néanmoins une représentation de l’organisation qui servira de base à des décisions stratégiques.

Finalement, le mot « vérité » est rarement prononcé dans l’entreprise. C’est la « transparence » qui a pris son relais. Il est important d’être « transparent », c’est-à-dire de pouvoir donner accès aux sources et aux choix qui ont permis l’élaboration des chiffrages proposés.

Le même souci de transparence se retrouve pour tout ce qui va toucher aux informations et aux messages qui circulent dans l’entreprise : que ce soit un mémo, une plaquette, un discours du dirigeant. Comme salarié, comme client, ou comme simple spectateur extérieur porteur de l’opinion générale, je me pose des questions : Quelle fiabilité puis je accorder à ces messages  ? Me parle-t-on « vrai » ou bien me raconte-t-on une tout autre histoire ? Pour me rassurer, pour me faire acheter, ou pour que j’aie une bonne image de cette entreprise ?

2. L’exigence de traçabilité

Pour les produits, la vérité renvoie à l’idée de traçabilité. A l’heure des grands scandales comme celui de la « vache folle », celui du « Mediator » ou encore des « implants mammaires », les clients comme l’ensemble des parties prenantes et l’opinion publique veulent toute la vérité sur l’origine des produits qu’ils consomment.

La prise de risque n’est pas une option quand il s’agit de manger un hamburger, d’acheter une peluche à son bébé, ou de contracter un emprunt immobilier. Paradoxalement, Internet, comme formidable machine à diffuser de l’information a amélioré cette transparence en mettant à la disposition de chacun un ensemble inépuisable d’informations, mais a aussi contribué à créer de l’opacité et de l’angoisse  en ne faisant pas le tri de ces informations et en contribuant à la « rumeur » non vérifiée, et souvent non fondée. La traçabilité est alors souvent brouillée et brouillonne. Et la vérité de l’origine est sujette à caution.

3. Le besoin d’authenticité

Un autre terme connexe à la notion de vérité en management est celui d’ « authenticité ». Le monde des organisations aime l’authenticité, qui concerne les produits comme les comportements.  En entreprise, il s’agit d’avoir un comportement authentique, un comportement « vrai », c’est-à-dire ne pas se déguiser, ou ne pas travestir ses sentiments ou sa vision des évènements et des personnes dans le cadre de son activité professionnelle. Le « parler vrai » est attendu surtout pour les dirigeants, à qui on attribue alors une forme de courage, celui d’assumer une stratégie, un cap dans un environnement incertain et angoissant.

La même exigence se retrouve à l’endroit des collaborateurs, il est inenvisageable qu’ils camouflent des informations ou en donnent de fausses, par contre, ils sont moins attendus sur un comportement trop « vrai » ou trop « authentique » qui pourrait être perçu comme de l’insubordination ou tout au moins un manque de respect pour la hiérarchie. Cet avatar de la vérité rejoint la notion de transparence, sans toutefois s’y substituer complètement : le comportement authentique et la transparence des messages se renforcent mutuellement mais on peut très bien adopter un ton « franc », sans toutefois donner les bonnes informations.

Pour les produits, cette authenticité se retrouve dans les grandes tendances à vouloir consommer bio, local, plus en phase avec les saisons ou les territoires. Il s’agit souvent d’une authenticité revue et corrigée, surtout dans les produits alimentaires où les producteurs comme les supermarchés sont passés maîtres dans la mise en scène d’une « hyperréalité » de l’authenticité : pots en terre pour les yaourts, paille pour l’emballage des fromages, comme pour garantir un retour aux sources, pourtant maintenant bien lointaines.

Comment la vérité est-elle appliquée en entreprise ?

Nous avons identifié trois concepts : la transparence des informations, la traçabilité des produits et des flux financiers, l’authenticité des comportements et des produits. Nous avons aussi souligné combien ils étaient attendus par l’ensemble des parties prenantes : salariés, clients, fournisseurs, gouvernance, simples citoyens … Mais qu’en est-il réellement dans le monde de l’entreprise, et quels enseignements pouvons-nous en tirer sur la vérité en particulier ?

Dans le monde des affaires, le contraire de la vérité n’est pas le faux, mais la représentation et  l’interprétation. En effet, le management entretient avec la vérité des relations en demi-teinte : une certaine opacité, une semi-transparence, donnent des marges de manœuvre que n’offre pas (ou plus rarement) la vérité. En résumé, la performance des affaires ne supporte pas une trop forte transparence.

« Toute vérité n’est pas bonne à dire »

Selon cette hypothèse, l’illusion entretient l’espoir (que l’usine ne fermera pas, que le concurrent n’est pas aussi menaçant que cela, que les salaires vont augmenter ou que les conditions de travail vont s’améliorer). En entretenant l’espoir, il y a de plus fortes chances que le management des hommes et des femmes soit facilité. En leur disant ce qu’ils veulent entendre, on éviterait les remous, les grèves, les blocages ou, tout simplement, la désillusion et la crainte de l’avenir. Cette attitude peut aussi relever de la méthode Coué, mais il faut reconnaitre qu’il y a de fortes chances que l’auto-prophétie se réalise en mettant en mouvement les personnes grâce à l’énergie positive instillée.

On retrouve cette même idée pour les relations entre collaborateurs. Vouloir tout dire à tout prix sous le prétexte de « parler vrai » peut mettre à mal la cohésion sociale. L’entreprise reste un petit théâtre avec beaucoup de mise en scène de soi. Mais cette convention des comportements est surement le prix à payer pour que la vie au quotidien soit gérable et que la confiance, huile indispensable du rouage des organisations, soit au rendez-vous.

Les représentations plus fortes que la réalité?

La seconde hypothèse est l’idée que la stratégie est fondée sur des représentations du monde. La prise de décision s’opère sur la base d’informations partagées. Peu importe la réalité, l’essentiel est la capacité à se représenter les événements et l’environnement que les acteurs concernés (souvent en concurrence) partagent. A quoi bon vouloir LA vérité quand UNE vérité, même toute relative, permet de développer une activité ?

La vérité est réservée à l’élite

On peut par ailleurs opposer la vérité au secret plutôt qu’au mensonge.  L’hypothèse qui préside à cette relation est que la vérité est un bien trop précieux pour être mis entre toutes les mains. La vérité serait alors réservée à une élite : les « grands » qui président aux destinées du Monde. Les informations seraient réservées à un cercle d’initiés du monde politique ou du monde économique qui sauraient en faire bon usage dans la façon dont ils les communiqueraient à leurs collaborateurs.

De la même façon, l’affranchissement du jeu des apparences, guère envisageable dans le quotidien du monde du travail serait réservé à cette élite qui pourrait, de par son expertise, son savoir et son pouvoir, s’autoriser au « parler vrai », sans précaution, sachant que, de plus, on lui en sait gré.

 La vérité, un levier à usage unique…

Nous avons observé qu’il existe dans le monde du management un rapport à la vérité qui relève d’une extrême ambigüité avec un jeu de cache-cache fondé sur des semi-vérités, des vérités arrangées, un jeu d’ombres et de lumières tamisées.

Au-delà de l’objectif de sauvegarder la confiance et d’entretenir l’espoir que nous avons déjà évoqué, il y a le constat que la vérité est un levier très peu performant de la vie des entreprises, car, finalement, elle est à « usage unique ». Qu’il s’agisse de relations entre personnes, de messages, d’informations chiffrées … la vérité ne se dit qu’une seule fois, contrairement à la tromperie, à la copie, à la contrefaçon qui sont recyclables indéfiniment. La vérité est une arme à un coup, avec un risque très fort d’effet boomerang contre son pourvoyeur. Cette vision de la mobilisation de la vérité éclaire alors les fortes tentations ou propensions à se retenir d’agir « en vérité ».

« Je ne peux pas tout dire », « Je vais créer des espoirs ou des désillusions que je ne pourrais pas contrôler », « Mon entreprise ne va pas se relever de ce scandale », « Je ne peux lui dire ce que je pense de son comportement car je m’expose à des sanctions »… sont autant de raisons, au quotidien de ne pas mettre la vérité ou ses trois avatars –  la transparence, la traçabilité, l’authenticité – au centre de l’action managériale.

… mais qui constitue un besoin impérieux!

Pour autant, l’envie, le besoin de vérité est impérieux chez chacun d’entre nous, dans nos vies professionnelles, le sentiment (ou la présence attestée) de mensonges, de faux messages, de contrefaçons, d’illusions … nous minent au quotidien, dans nos rapports à nos collègues, à nos collaborateurs, à nos hiérarchies. Le « risque perçu » lors de l’achat d’un produit ou d’un service nous angoisse. L’incertitude plombe notre confiance en l’avenir, quand des informations tombent : emplois supprimés, scandales sanitaires ou sociaux.

Les théories du complot ont alors des autoroutes ouvertes devant elles pour prospérer à la vitesse de la lumière. Les discours performatifs de charlatans qui font du bien-être un fond de commerce font florès.  Comment sortir de cette tension ?

Revenir à la philosophie pour avancer

L’analyse proposée par le philosophe Yann-Hervé Martin, qui intervient régulièrement à l’EM Strasbourg pour des « master class » sur des thématiques managériales, jette un éclairage sur la notion de vérité qui aide notre réflexion à avancer. Pour lui:

« Tout questionnement sur la vérité exige d’abord un acte de foi. Il nous faut reconnaitre avant toute chose, il nous faut croire d’abord que nous sommes capables de penser, de décider, d’agir, de vivre en vérité ».

Il nous invite à entendre cette expression, « en vérité », « littéralement », c’est-à-dire:

« Depuis le lieu de la vérité qui seul donne sens à ce que nous pouvons penser ou faire. Agir et penser depuis un autre lieu, celui de nos opinions convenues, de nos dogmes ampoulés, de nos intérêts mesquins, de nos croyances naïves par exemple, ce serait se condamner à l’erreur, au mensonge, à l’errance, aux idées fausses et aux décisions faussées ».

Il nous invite à voir la vérité comme relation :

« La vérité est d’abord relation ou, pour le dire autrement, il ne saurait y avoir d’expérience de la vérité depuis son dehors. A ce titre, le contraire de la vérité n’est ni l’erreur, ni le mensonge. Se tromper, en effet, n’a de sens que pour celui qui cherche la vérité et qui, par là même, se tient en rapport avec elle. De même, le menteur ne peut mentir que parce qu’il connait la vérité qu’il cache à autrui. Le contraire de la vérité est donc plutôt un rapport faussé à ce qu’on est, à ce qu’on fait, à soi-même ou à autrui. D’ailleurs, pour reprendre l’exemple du mensonge, il consiste moins à cacher la vérité à autrui qu’à fausser ma relation à lui. La vérité est donc essentiellement relation, rapport ».

Le philosophe situe la vérité dans le rapport à trois choses :

1) Le rapport au monde, qu’il nous invite à ne pas voir que comme un espace à exploiter et à détruire pour des usages personnels, égoïstes et court termistes;

2) Le rapport aux autres à voir dans le respect de leur personne;

3) Le rapport à soi : en ne nous considérant pas comme des individus à améliorer, en oubliant que nous n’avons pas à « réussir nos vies » mais bien à les accepter avec gratitude pour nous percevoir dans toute notre richesse personnelle et pas seulement comme un outil de performance.

Pour un management éthique et responsable

Cette vision de la vérité me semble éclairer d’un jour nouveau le rapport du management à la vérité. En effet, cette idée d’une vérité dans mes rapports au Monde, aux autres et à moi-même renvoie à une vision d’un management éthique et responsable. Il n’écarte pas l’action managériale de sa vocation de performance économique (l’inscrivant bien dans son rôle d’acteur créateur de richesses pour la société), bien au contraire.

Ce management responsable s’inscrit dans la pérennité : de l’environnement (au sens écologique), de l’entreprise (refusant ainsi l’entreprise jetable soumise à une gouvernance financière coupée des réalités économiques), des destins des hommes et des femmes qui contribuent à l’activité de l’organisation. Ce management responsable accueille aussi l’idée que chacun peut trouver dans sa vie professionnelle une source de réalisation.

Apprivoiser la vérité

A l’issue de cette réflexion, je vous invite à rejeter une vision réduite de la vérité en management, limitée à des concepts guidés par des jeux tactiques, des présupposés peu ou mal interpellés, ou des habitudes dont il est difficile de se défaire.

Il n’y aura pas de grand soir de la vérité dans les entreprises, mais son apprivoisement est à mettre à l’ordre du jour de façon urgente. Il faut faire bouger les lignes des rapports à l’opacité, aux petits jeux, aux manœuvre dilatoires qui font que quand la vérité « éclate », elle fait toujours l’effet d’une bombe nucléaire, laissant sur son passage son lot de blessés, de déçus, d’estropiés du monde du travail.

Fière d’être chercheur en sciences du management !

La lecture de l’article d’Educpros : « Les secrets d’une progression fulgurante en recherche » m’a laissée dégoûtée et révoltée. Un tel témoignage ne peut rester sans réponse. C’est en tant que chercheur en sciences de gestion que j’essaie de comprendre comment on a pu en arriver là, et que je veux montrer que d’autres voies sont possibles.

L’erreur fondamentale : confondre recherche et publication

Publier n’est pas faire de la recherche, et cet article est l’aboutissement d’une confusion qui dure depuis des années. Sous le prétexte que les publications sont l’indicateur de la qualité et de la vitalité d’une recherche, qu’elle soit individuelle ou d’équipe, on s’est enfermé dans l’idée que ceux qui publiaient étaient les meilleurs chercheurs.

L’erreur fondamentale est qu’on confond recherche et publication. Le rôle de la recherche est d’éclairer la réflexion stratégique des entreprises et des organisations. Celui de la publication s’est peu à peu réduit à la promotion des chercheurs.

Il y aurait des secrets de fabrique en recherche !

Arrêtons avec cette fable : s’il y a des techniques qui sont mises en avant dans cet article pour publier, il y a des « méthodes » pour faire de la recherche. Tout chercheur digne de ce nom, éthique, sait que le chemin de la construction d’une méthode et de l’accès à des données est long, très long. Ce n’est pourtant qu’à ce prix que les résultats obtenus, souvent insatisfaisants et limités, seront robustes.

Tous les chercheurs le savent : les données ne sont jamais données, elles sont construites, par le chercheur en interaction avec le terrain, et souvent dans la douleur et la frustration. Mais l’honnêteté et la fiabilité des résultats est à ce prix.

Le management ne se réduit pas  la finance !

Vive la finance ! Mais le management, dans sa pratique, comme dans ses recherches ne se réduit pas à ce domaine ! Les dérives financières du management des organisations ont été suffisamment dénoncées, les dégâts d’une gouvernance purement financière sont trop visibles pour que la recherche tombe dans les mêmes dérives.

Le management, c’est aussi la stratégie, les ressources humaines, le marketing, la supply chain, la comptabilité, le contrôle de gestion, l’audit … pour rester aux grands champs fonctionnels des organisations…et j’en oublie !

Là aussi, le désir de tout compter, de classer à tout prix, a laissé de côté les recherches privilégiant le « mou », c’est-à-dire l’humain !

On peut l’expliquer facilement. Le complexe fondamental des sciences de gestion de ne pas être suffisamment « scientifique » les a conduit aux mêmes dérives qu’a connu avant elle l’économie avec le glissement maintenant dénoncé de l’ « économétrie ».

Au lieu de rénover les critères classiques de la scientificité construits au fur et à mesure des siècles par les sciences « dures » (mathématiques, physiques, chimie …), la gestion a déporté peu à peu sa scientificité sur la méthode. C’est ainsi que les recherches quantitatives, fondées sur les chiffres, les équations, les indices de toutes sortes, ont pris le haut du pavé, privilégiant les domaines où les données chiffrées sont plus évidentes.

La Finance est alors devenue le chainon entre le management et l’économie, entrant plus facilement dans les exigences des revues « rankées » en économie, bien plus nombreuses, bien plus anciennes, bien plus structurées ! La boucle était bouclée.

De l’internationalisation à la McDonalisation de la recherche en management

Une couche supplémentaire est arrivée avec l’injonction de l’internationalisation de la recherche. Ce qui est une excellente chose en soi devient un vrai casse-tête quand on ne manipule pas des chiffres ou des termes scientifiques issus du latin ou du grec.

En effet, les mathématiciens ou les physiciens ou les chercheurs en sciences du vivant peuvent échanger en  « globish » sans rien enlever à l’excellence de leur recherche, car l’essentiel de leurs travaux s’expriment dans un langage global : les chiffres, les termes scientifiques..

Il en va tout autrement quand on travaille sur l’expression des personnes, leurs « verbatims » et où chaque traduction devient trahison, tant les mots comptent, comme le contexte dans lequel ils ont été dits.  Les recherches dites « qualitatives » ont peu à peu été distancées dans la course à la publication, car tellement difficiles à traduire en anglais, sans que soit remis en cause leurs résultats.

Le risque est grand de dériver de l’internationalisation, exigeante et généreuse, à la McDonalisation de publications aseptisées et lues uniquement par le microcosme.

Vive la recherche-action et la recherche-intervention

Je pratique depuis 20 ans maintenant la recherche-action, la recherche-intervention et j’observe qu’elles  peinent toujours autant à être légitimes dans les milieux de la recherche.

Faire de la recherche-action, c’est accepter de travailler sur le temps long, ce qui veut dire que les publications devront attendre. C’est choisir d’aller sur le terrain, c’est-à-dire en entreprise, avec le défi d’avoir accès aux personnes, et ne pas travailler sur des bases de données préfabriquées, ce qui requiert de l’obstination et de la confrontation. C’est prendre le risque de voir sa recherche interrompue, par la volonté d’un dirigeant. C’est aussi travailler à des sujets importants pour les entreprises, et qui ne correspondent  peut être pas aux thèmes attendus par les numéros spéciaux des revues rankées. La simple confrontation des « hot topics » des entreprises avec les thèmes de recherche mainstream montre bien la disjonction.

Il est alors désespérant pour des chercheurs qui mènent leurs  recherches avec et dans les entreprises de s’entendre dire à longueur de temps que la recherche est absconse et inutile !

Les entreprises et les organisations ont droit à une recherche digne, pas à des usines à publications

Si nous voulons stopper ce désamour entre » le monde qui pratique » et « le monde qui cherche », il faut absolument éviter les dérives décrites par le journaliste d’Educpros dans « Les secrets d’une progression fulgurante en recherche » !  Même si elles sont exagérées, le simple fait de pouvoir les exprimer est terriblement inquiétant pour les chercheurs comme pour les managers.

Les organismes accréditeurs qu’on accuse souvent d’avoir conduit à ces dérives, nous rappellent régulièrement que ce sont les « contributions intellectuelles » qui sont attendues et valorisées, pas uniquement les papiers catégories 1 ou 1 +, réservée à un microcosme d’experts.

Il faut que tous les chercheurs en soient convaincus et joignent leurs actes à leurs déclarations d’intention. Il faut aussi que tous les appareils à classement remettent à plat leurs critères de sélection. La FNEGE a beaucoup œuvré dans ce sens, mais le chemin est encore long.

En finir enfin avec le « publish ou perish » !

On entend régulièrement que la recherche coûte trop cher aux écoles de management, que plus les chercheurs sont publiants, moins on ose les mettre devant les étudiants ou les entreprises ! La plus belle récompense des chercheurs pour leur publication serait  d’être déchargés de leur cours, comme si la pédagogie était une punition !

Ce n’est pas la recherche qui est en cause, c’est la vision dévoyée qu’on en a à travers le prisme déformant de la course aux publications.

Les entreprises ont besoin des chercheurs pour éclairer leurs analyses, pour décrypter un environnement complexe et incertain, pour les aider à innover … Les managers doivent agir et réagir vite ! Ils n’ont pas ce temps long et ce recul qui sont la richesse du chercheur. Ils sont bien sûr demandeurs d’études chiffrées, d’analyses numériques, de résultats définitifs…  Mais ils ont aussi un besoin vital d’échanges collaboratifs, d’espaces de dialogues, de co-constructions , de co-élaborations. Tout cela est apporté par une recherche plus contingente, plus lente, moins prescriptive fondée sur des méthodes qualitatives qui privilégient l’observation, l’expression des personnes aux chiffres.  Une recherche invisible car moins publiante !

Pour le pratiquer depuis des années, seule ou en équipe, je suis convaincue que cette recherche à visée compréhensive et interprétative est d’une richesse incroyable pour les managers. Elle leur permet d’être mieux armés face aux défis qu’ils ont à relever. Nous sommes loin des trucs et des astuces, loin du souci des classements et du « toujours plus ». Nous sommes alors dans une recherche qui privilégie avant tout les attentes des entreprises.

Je veux rappeler que cette recherche, recherche-action, recherche-intervention, recherche qualitative, interprétative, quel que soit le nom qu’on lui donne, existe et qu’elle est une formidable proposition, malheureusement trop méconnue, pour le monde du management.

Mon vœu est que  les dérives racontées dans l’article d’Educpros puissent mettre un coup de projecteur sur ce qu’est véritablement la recherche en management dans toute sa diversité et toute sa richesse !  Puissions-nous en finir une bonne fois avec le « publish or perish » qui domine la recherche depuis tant d’années !

A lire : les Carnets du management, le nouveau magazine de l’EM Strasbourg fondé sur les travaux menés par ses enseignants-chercheurs.

La fierté  de manager, la fierté d’entreprendre

Il y a quelques jours, l’EM Strasbourg a accueilli l’Université d’été du Medef en Alsace sur le thème de la « Fierté ». Ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à ce sentiment, assez mal compris et finalement assez peu partagé en France, patrie de l’autocritique et de l’autoflagellation.

Pourquoi débattre de la fierté ?

Il y a un an, quelques jours avant la  réunion qui devait choisir le thème de cette Université d’été, je traversais l’esplanade du Trocadéro à Paris, parmi une foule dense et cosmopolite. Des milliers de personnes venant des quatre coins du monde se croisent tous les jours dans ce lieu, et, vous l’ignorez peut être, marchent sur des dalles où sont gravés les premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le premier étant :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité »

Je connaissais bien le tailleur de pierres, maintenant décédé, qui a gravé ces mots. Tailleur de pierre de père en fils, il m’a toujours dit sa fierté de faire ce métier, et il avait été tout particulièrement fier d’avoir été choisi pour graver ces mots initiateurs des Droits de l’Homme au Trocadéro. Il ne gagnait pas très bien sa vie mais il était fier de son métier, fier de ses œuvres, fier de laisser une trace aux yeux de tous de son art.

Je me suis alors posée la question.  Sommes-nous tous ainsi fiers de ce que nous faisons, fiers de ce que nous sommes ?

Qu’est-ce que la fierté ?

L’étymologie nous donne trois pistes intéressantes à explorer :

  1. L’origine latine du verbe fidere qui a permis de décliner tous les mots français autour de la confiance : se fier à, se confier;
  2. Le détour anglais par l’anglais : en effet, le mot pride (confiance en anglais) vient du vieux français « preux », synonyme de « courageux ». Il me semble que cette alliance de la confiance et du courage renvoie bien aux bonnes pratiques du management. Elle est une excellente raison de revendiquer la fierté d’être manager ou entrepreneur;
  3. Il existe une troisième origine : le mot latin ferus qui signifie « farouche », « sauvage », et qui renvoie à une face plus obscure de la fierté, quand elle décrit une personne réservée, peu accessible, voire même susceptible, et attestant d’une haute opinion de sa valeur.  Cette fierté-là confine à l’orgueil. Si la fierté est un sentiment noble qui permet d’avancer avec assurance dans la vie, sans avoir à se mesurer aux autres, ni à les rabaisser, l’orgueil exprime « le mépris de tout, sauf de soi-même », selon le philosophe Théophraste.

Ce lien avec l’orgueil explique certainement cette méfiance pour la fierté que nous avons dans le contexte culturel français. L’orgueil est en effet, dans la religion catholique, un péché capital, puisqu’il exprime du mépris pour les autres, et par là-même pour la création divine et pour Dieu.  La culture judéo-chrétienne prône plutôt l’humilité et son expression directe qu’est la modestie. L’humilité, qui est la  qualité de se voir de façon réaliste, ne s’oppose pas à la fierté. Au contraire, une personne peut être fière de ce qu’elle a fait, parce qu’elle possède suffisamment d’humilité pour évaluer les efforts qu’elle a dû fournir pour y arriver.

Soyons donc fiers, loin de tout orgueil.

De quoi pouvons-nous être fiers ?

  1. Être fiers de ce que nous sommes, même si nous n’y sommes pas toujours pour grand-chose quand il s’agit d’être fier d’être Français ou bien fier d’être Alsacien;
  2. Être fiers de ce que d’autres font pour nous, en tant que communauté : ainsi nous pouvons être fiers de nos champions sportifs même si nous ne sommes pas sur le tatami ou dans le bassin olympique avec eux;
  3. Être fiers de ce que nous faisons indirectement, fiers de nos enfants, fiers de nos collaborateurs, comme des salariés peuvent être fiers de leur entreprise;
  4. Et enfin, être fiers de ce que nous réalisons, d’autant plus fiers qu’il y a des difficultés, des défis à relever. La fierté renvoie alors au mérite. C’est là que s’exprime véritablement la fierté : celle qui est lié au mérite, mérite d’avoir réussi, d’être devenu ce que nous sommes, d’avoir contribué à des succès partagé.

Être fier de ses échecs

Un sujet tout à fait intéressant, et longuement débattu lors de l’Université d’été du Medef alsacien, a été l’échec. En effet, le parcours de toute vie, est semé de réussites mais aussi, bien souvent, d’échecs. Or, le rapport à l’échec en France est complexe. En effet, l’échec est souvent assimilé à la faute.

Rappelons-nous : dès notre plus tendre enfance, on ne nous corrige pas des erreurs d’orthographe mais des « fautes » d’orthographe… Au square, les parents américains poussent leurs enfants à grimper aux structures de jeux, les parents français menacent les leurs de la chute. Cela crée indéniablement des repères pérennes.

Il a beaucoup été rappelé que dans d’autres cultures, particulièrement aux Etats-Unis, l’échec est vu comme une façon d’apprendre. Un entrepreneur nous a raconté que, lors de son premier voyage d’affaires aux Etats-Unis, ses interlocuteurs lui avaient demandé combien de fois il s’était « planté », et que sa réponse « zéro fois » le rendait suspect à leurs yeux.

Les témoignages ont été nombreux, de managers comme de politiques, du sentiment de honte ou de l’humiliation vécus lors d’échecs. Ils ont aussi raconté le regard posé sur eux, par leur entourage ou leurs pairs qui les « jugeaient » comme des perdants ou des incapables, au lieu de voir dans cet échec, le projet, l’envie de faire, et toute l’énergie et l’intelligence mobilisées.

Il y a vraiment, en France, un travail à faire, individuel et collectif, sur cette notion d’échec. Nous devons considérer qu’échouer est un socle d’apprentissage extraordinaire. Au lieu d’essayer d’oublier ou de camoufler l’échec, il faut être fier d’avoir tenté, d’avoir relevé le défi qui a été à son origine. Il faut apprendre à apprendre de ses échecs et de ses erreurs, pour ne pas les renouveler, ou pour redémarrer dans des conditions plus favorables.

Le rôle des écoles de management

Les écoles de management ont un rôle essentiel dans ce rapport à l’échec. Des enseignements sur la faillite d’entreprise, sur la gestion de crise, sur la façon dont on mène des fermetures de site… doivent être aussi naturels que ceux qui promeuvent des projets vertueux.

Des témoignages de chefs d’entreprises comme nous en avons reçus à l’Université du Medef à l’EM Strasbourg sont aussi à privilégier. Il n’est plus possible de camoufler ce qui, il y a peu encore, était une honte. On n’est pas un perdant quand on a dû mettre fin à une aventure managériale ou entrepreneuriale. Le savoir-faire du diagnostic lucide contribue aussi à cette construction d’une posture positive.

C’est aussi une culture à apporter sur l’apprentissage par l’erreur. La capacité à la prise de risque est indissociable d’autres apprentissages du management, et, comme beaucoup, elle n’est pas innée mais s’éduque. Aux Business Schools d’être les moteurs de cette formation.

Du sentiment individuel à la fierté du collectif

Un des défis du manager est de diffuser ce sentiment de fierté à toutes les personnes avec qui il travaille, de passer de l’individuel au collectif. La fierté rejoint alors la notion d’appartenance à un groupe, que connaissent bien les sportifs. Il faut alors promouvoir le collectif, mais le faire dans le respect de chacune des personnes qui le constituent.

Cette fierté de collaborer à une entreprise est intimement liée au bien-être au travail, et constitue une des conditions de la performance.

D’autres ressorts de l’entreprise comme la créativité et l’innovation sont en lien avec la fierté, dans le sens où se crée un cercle vertueux. En effet, la fierté, par la confiance en soi qu’elle autorise, facilite le chemin de la réussite, et la réussite donne un sentiment de fierté, fierté d’avoir passé les obstacles, fierté du travail bien fait. Le contexte est alors beaucoup plus porteur pour créer et innnover.

L’essence du management est de donner du sens aux missions des personnes pour collaborer ensemble à la réussite de projets communs. La fierté constitue un ciment indispensable de l’acte managérial.

Fier d’être manager, fier d’être entrepreneur

Toutes les conditions sont réunies pour être fier d’être manager, fier d’être entrepreneur, et ce, de façon complètement légitime. Les défis relevés, les difficultés affrontées sont autant de raisons qui façonnent au quotidien le mérite de la réussite de l’entrepreneur comme du manager. Ses échecs et ses erreurs, s’il les admet et en fait quelque chose pour progresser encore, participent de ce même mérite.

Il y a tout lieu pour les entrepreneurs et les manageurs français d’être fiers, fiers de leurs réalisations, fiers de leurs entreprises, fiers de leurs collaborateurs. A leur façon, ils gravent les mots de la liberté et de la dignité au fronton de leurs entreprises, en écho à ceux qui le sont sur le parvis du Trocadéro.

Fête de la musique : quelques notes qui résonnent pour le management

La fête de la musique est une excellente source d’inspiration pour le chercheur en management, comme pour le manager d’ailleurs, et certainement aussi pour les étudiants en management. Après avoir passé comme tout le monde (ou alors, il fallait vraiment avoir décidé de se couper de la société) une après-midi et une soirée au son de musiques diverses et variées, j’ai envie de proposer quelques notes (non pas musicales malheureusement) pour partager mes observations et mes interrogations quant à ce que la musique peut apporter au management. Il n’y a évidemment aucune ambition ni d’exhaustivité, ni d’expertise (même si je peux revendiquer 12 années d’études de solfège, de piano, et d’orgue).

Quels liens entre musique et management ?

La musique est constitutive de la vie en société depuis les débuts de l’humanité comme en attestent les reliques d’instruments dans les fouilles préhistoriques . Toutes les sociétés humaines ont, sans exception des rites musicaux, des instruments spécifiques, des répertoires.

Par ailleurs, la musique peut elle-même être perçue et analysée comme une société. Elle provoque de nombreux projets qui deviennent des organisations : groupes de musique, chorales, sociétés de spectacle …. qui, de façon plus ou moins formelle, sont managés (ne parle-t-on pas d’ « industrie de la musique ? »)  Enfin, après des  décennies (la modernité ?)  où la musique a déserté le monde des entreprises, elle les réinvestit peu à peu depuis quelques années par des chemins divers : contribution à la formation au management, mécénat, levier du sentiment d’appartenance … C’est donc un lien évolutif, parfois ténu mais toujours réel, qui réunit musique et management.

J’égrène donc mes observations comme j’ai déambulé pendant cette dernière fête de la musique dans les rues, au hasard de rencontres musicales…

 Do : la richesse des configurations organisationnelles en musique

On peut faire une musique extraordinaire dans toutes les configurations possibles : soliste, duo, trio, quatuor, orchestre de chambre, orchestre symphonique … Pour faire de la qualité, il n’y a pas de notion de « taille critique » quand il s’agit de faire de la musique, même si, bien sûr, les compositeurs écrivent leurs œuvres pour certaines formations. Cette richesse des configurations organisationnelles est inspirante pour le monde du management.

 Do dièse : l’importance de l’amateur sur le professionnel

Ce côté « amateur » est fascinant : on peut pratiquer la musique en « amateur », cela semble très éloigné du monde du management. Peut-on envisager de faire du management en « amateur » ? Les risques sont certainement plus grands que celui de faire des fausses notes.

 Ré  : le métier passion

On ne choisit pas d’être musicien professionnel sans passion, sans envie, c’est un constat. Qu’en est-il des vocations en management ?

 Ré dièse : la contribution de tous à un projet commun

Bien souvent,  le « ding » du triangle qui n’intervient qu’une seule fois, ou la contribution de quelques secondes du tambour sont indispensables à l’œuvre musicale où dominent largement les cordes et les instruments à vent. La chaine de la valeur par la preuve !

C’est ce que nous dit Riccardo Muti :

« Un orchestre symphonique est la plus belle métaphore de la société que je connaisse. Chacun est indispensable, mais doit savoir s’effacer pour faire vivre une réalité supérieure ».

Mi : le goût de l’apprentissage

Jouer peut être inné pour certains très privilégiés, mais pour beaucoup, bien jouer  de la musique, bien chanter aussi procède d’un apprentissage continu, sans cesse renouvelé, mais que les musiciens assument sans broncher. A-t-on la même motivation quand il s’agit d’apprendre le management ?

Fa : la synchronisation

Elle n’est pas un choix, dès qu’on doit faire de la musique à plusieurs, il n‘est pas question de jouer solo (même si on est soliste, et encore !) et la notion d’accord n’est pas une métaphore ou un vain mot : il faut être dans le même ton et en harmonie. Si la synchronisation est vitale en management, elle n’est pas suffisamment audible pour qu’on la respecte spontanément.

 Fa dièse : le tempo !

Le rythme est essentiel en musique, il faut le respecter avec ses Accelerando , Adagio, Agitato, Andantino, Adagietto, Andante … Or, on sait de mieux en mieux que le temps est une variable essentielle en management, le court terme, le long terme, les accélérations, les attentes, les nécessaires pauses se conjuguent aussi bien pour les individus que pour les organisations, mais ne sont pas forcément respectés.

 Sol : le rôle de l’émotion

« La musique est un cri qui vient de l’intérieur », a chanté Bernard Lavilliers, l’émotion fait partie intégrale de la musique, elle la produit comme le démontrent les musiques de films qui génèrent tristesse, peur, angoisse, joie …  Le management reste le monde de la rationalité même si les choses évoluent et que peu à peu, les émotions sont prises en compte, que ce soit en gestion des ressources humaines, ou en marketing. A suivre.

Sol dièse : la créativité

C’est certainement ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la musique : avec seulement 7 notes (un peu plus avec les dièses et/ou les bémols), les compositeurs créent sans cesse de nouvelles mélodies, et, ce depuis des temps immémoriaux. Cette créativité avec finalement si peu de ressources est fascinante pour le monde du management ou le mot est surtout prononcé de façon incantatoire. Surtout quand on écoute Mozart en expliquer le ressort:

« J’essaie simplement de mettre ensemble des notes de musique qui s’aiment »

 La : le lâcher prise !

Je pense à la célèbre phrase de Herbert Von Karajan :

«  L’art de diriger, c’est savoir abandonner la baguette »

Oui, savoir lâcher prise, faire confiance, prendre du recul … combien de managers savent le faire ? Ou souhaitent le faire ? Si peu, malgré les plaintes, les envies, et les burn out …

Si bémol : l’énigme du don

Il y a une spécificité en musique : c’est l’importance du don personnel. Si on ne peut faire un constat aussi radical en management, se pose-t-on suffisamment la question des pré-dispositions ? On pourrait peut-être éviter beaucoup d’erreurs en redisant qu’on ne s’improvise pas manager, et que le bon expert ne fera pas forcément un bon manager comme on le laisse souvent penser.

Si : l’universalité du langage

La musique parle à tout le monde, elle est un langage universel, comme le rappelle le film de Steven Spielberg : « Rencontre du troisième type ». En effet, partout, le do est un do, le ré est un ré (même si les notes ont des noms très divers selon la langue ou la culture). Les agencements ne sont pas les mêmes (gammes chromatiques vs gammes pentatoniques) … mais qu’on soit d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’ailleurs, la musique est entendue et comprise par tous.

L’anglais sera-t-il un jour la langue universelle du monde des entreprises ? Si ce n’est pas déjà le cas, ça y ressemble fort ! La globalisation du management est bien avancée mais encore très en retard sur celle de la musique

Do : l‘interculturel

Malgré cette universalité, la musique reste tribale : les tribus des fous d’opéra, celle du rock, celle de la pop, du reggae, de la folk, de la biguine, de l’orgue, des percussions …Elle a aussi des racines profondes dans une culture, dans un territoire, et peut accompagner chacun dans ses exils. Elle est signe de reconnaissance et d’identité. Si elle transcende les frontières, elle donne des repères.

Le management travaille aussi avec la culture mais la respecte-t-il vraiment ? Mais la « McDonaldisation » guette aussi le monde de la musique après s’être étendue depuis longtemps sur le monde des entreprises.

Ré bémol : le sentiment de maîtrise du geste

La perte de sens est une des causes de la souffrance au travail, les salariés ont en effet le sentiment d’avoir perdu toute maîtrise de ce qu’ils font au travail, tellement il s’est disloqué, taylorisé. Le musicien peut, lui, vérifier en instantané le produit de ses efforts : son mélodieux ou fausses notes,  c’est du pareil au même au regard de ce critère.

Ré : l’adaptation aux nouvelles technologies comme aux réseaux sociaux

L’arrivée de nouvelles technologies a permis de créer des instruments inédits comme les synthétiseurs ou la musique électrique. Les réseaux sociaux ont bousculé les relations entre créateurs et auditeurs, les rémunérations classiques (les droits d’auteurs) ont été mises à bas. Il faut encore continuer cette adaptation, et les acteurs du monde de la musique le savent bien. Mais la musique « vivante » continue à faire la démonstration de sa vitalité et chaque année, le 21 Juin en est la preuve !

 Contrepoint

Après cette montée de gamme chromatique, soyons aussi capables d’un peu de recul. Tout n’est pas rose dans le royaume de la musique. Ainsi, la formation est encore basée dans de très nombreux endroits sur un apprentissage fastidieux du solfège puis de l’instrument de façon dogmatique et aride. Le projet est d’avantage de former une élite « douée » que d’encourager des bonnes volontés moins talentueuses, l’élitisme est de mise, avec la sélection qui va avec.

La diversité des musiques organise de très nombreuses chapelles : « on ne mélange pas » le classique et la variété, la pop et le reggae, l’opéra et la variété … même si on peut voir, de ci delà, des exemples intéressants de ce franchissement de frontières jusque-là étanches. Le purisme est souvent au centre des esprits.

La concurrence est érigée en système comme le montrent les formules organisées par la télévision : The Voice, Star Academy…

Si une partie des musiciens ou des mélomanes se sont saisis de façon souvent innovante des réseaux sociaux, il y a encore de nombreuses résistances qui semblent parfois relever de combats d’arrière-garde : pensons à la loi HADOPI et à ses avatars.

Outro

Il ne s’agit donc pas d’être naïf : la musique n’adoucit pas toujours les mœurs, loin de là ! Et les entreprises ne sont pas que des lieux de souffrance.Mais cette interpellation, en ce lendemain de fête, du management par la musique, permet de prendre du recul … en chantant ! Ce qui ne peut pas faire de mal !