La Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris a accueilli le 5 juin 2013 devant plus de 500 personnes la première édition du Forum « Changer d’ère » sur la thématique « des clés pour comprendre et construire ensemble le monde de demain ». L’objectif de cette journée au programme consistant, avec huit heures de tables–rondes, ateliers et une visite de Fablab, était de susciter un dialogue intergénérationnel et pluridisciplinaire sur la nécessité de réagir face aux bouleversements engendrés par la civilisation numérique et de se mobiliser pour « faire bouger les choses »,… reculer certains murs, dont ceux défendus par les plus ardents résistants au changement. Il s’agissait aussi de ne pas se limiter à l’échange d’idées et à la confrontation d’opinions, mais de dégager aussi des axes d’actions concrètes, notamment en construisant à partir d’expériences de terrains déjà bien engagées.
Aimablement invité par Célya GRUSON-DANIEL, diplômée en neuroscience cognitive et comportementale et community-manager d’un réseau social scientifique, fondatrice de Hack Your PhD, j’ai eu la chance de participer à l’événement, et aux premières places ! Je vous relate dans ce premier billet (car il y aura une suite…), avec mon regard ouvert à l’interdisciplinarité, ce que j’ai retenu de la première table ronde (Manager la complexité pour « sur-vivre ») et le lien que j’en fais avec les enjeux de la recherche et de l’innovation. Bref, un retour forcément subjectif sur des échanges de très grande qualité.
Du « Groupe des Dix » au forum « Changer d’ère ». Le titre de cette première édition du forum a été inspiré de l’ouvrage « Changer d’ère » (Seuil 1989) de Jacques ROBIN (1919-2007), cofondateur du « Groupe des Dix », groupe de philosophes, chercheurs, économistes, médecins, politiques,… fondé en 1969 et qui se réunira jusqu’en 1976. Leur idée fondatrice était d’échanger et de débattre afin de relier les connaissances entre elles, de décloisonner les disciplines et de rapprocher les citoyens (scientifiques, politiques,…) pour lancer une nouvelle réflexion dynamique sur les problématiques sociétales. Dans ce groupe qui comptera très rapidement plus de dix membres, on trouvera Robert BURON (1910-1973), Henri LABORIT (1941-1995), Edgar MORIN, Jack BAILLET, Jean-François BOISSEL, Gérard ROSENTHAL, Jacques SAUVAN, Bernard WEBER, Alain LAURENT…. Puis René PASSET, Jacques ATTALI, Joël de ROSNAY, Henri ATLAN, Michel SERRES, Michel ROCARD et Jacques DELORS.
Les premiers mots d’accueil formulés par Claudie HAIGNERE, Présidente d’UniverScience, pour lancer le forum annoncent clairement la couleur : il s’agit pour le « Groupe des Dix » de passer le relai avec la nouvelle génération, celles et ceux qui surfent sur internet (Génération Y, Netgene), qui rédigent avec leur pouces (les Poucettes)… celle avec laquelle on aimerait, quelle que soit sa génération, avoir le « même âge numérique ».
Manager la complexité pour « sur-vivre ». Comment métamorphoser un monde de compétition et de rapports de force et donner plus de sens à sa vie personnelle et professionnelle ? Comment restaurer la confiance dans un monde de défiance ?
Nos sociétés sont rigides. Elles ont découpé les savoirs en compartiments et se sont organisées de manière pyramidale. Elles privilégient le court terme et le local au détriment du long terme et du mondial (le global). C’est un constat qui décrit une situation bien dépassée aujourd’hui car nous avons besoin de voir les choses de manière différente, de manière multidimensionnelle. Dans un monde qui est de plus en plus complexe, les mathématiques, le droit,… et autres disciplines en tant que telles ne suffisent plus au management de nos organisations. Il faut les conjuguer en les associant entre elles de manière nouvelle. La société dans laquelle nous vivons doit se réclamer d’un pouvoir beaucoup plus transversal, et non simplement vertical. C’est une révolution culturelle qui s’amorce. Dans ce contexte, il ne s’agit plus de vivre avec les autres, mais de vivre « plus » avec les autres, c’est-à-dire de « sur-vivre » ! Nous sommes entrés dans une société de la recommandation et non plus uniquement de l’information, une société de la co-évolution… puisqu’elle change radicalement l’environnement dans lequel elle se trouve. Il nous faut maintenant travailler plus en profondeur pour faire évoluer positivement certains de nos comportements qui sont l’empathie et l’altruisme. Nos réflexions doivent nous amener à penser une société de la connaissance, …une société de la co-naissance ! C’est une approche vers une autre croissance, une approche catalytique (une désintermédiation) qui va accélérer notre nouvelle façon de vivre ensemble. On peut parler d’un management catalytique qui va se caractériser par un renforcement du lien social, une relation à l’autre qui soit plus importante avec une attention plus particulière à l’écoute intergénérationnelle. La génération des digital natives (Netgene, Poucette,…) cohabite aujourd’hui avec celles des imigrants natives, élevés avant l’avènement du 2.0 mais qui ont su l’apprivoiser. On peut,… on doit y arriver. Pour cela, quatre mots-clés à intégrer qui nous aideront à favoriser le dialogue et donc à changer d’ère : Comprendre – Vouloir – Aimer – Construire.
Changer d’ère en société, que ce soit dans une entreprise ou même dans un laboratoire ou une équipe de recherche est particulièrement difficile. Nous sommes tous formatés. Le premier qui bouge se met en « position sacrificielle » ! Il n’est pas encore dans toutes les mentalités, loin de là, le fait de décider ou d’accepter d’aller à contre-courant. Mais cela peut venir progressivement. Au niveau des pays développés, on peut évoquer l’exemple de la transition énergétique (l’arrivée de la pensée du low-carbone) qui nécessitera un engagement des citoyens qui soit à la fois spatial, temporel et politique. Par cet exemple, on voit très bien le lien à faire avec le monde de la recherche et de l’innovation. De nouveaux ponts sont à créer entre la société et les chercheurs. La recherche peut nous aider à changer d’ère, mais à condition qu’elle sorte elle-aussi de ses cadres conventionnels, de ses chemins tracés. Le problème majeur est que nos connaissances sont cloisonnées. Une illustration est celle de l’accès aux publications qui est fermé et très souvent (pour ne pas dire plus) payant. Il faut donc encourager l’open-source pour aller vers l’open-science ! Les chercheurs doivent sortir de leurs tours d’ivoire pour s’ouvrir à l’environnement de leurs concitoyens. Ils commencent à le faire, mais nous n’en sommes qu’aux prémisses. Pour les entreprises, c’est le même enjeu. Elles doivent se diriger vers la création de croissance de qualité, vers la création d’emploi en investissant dans le capital humain… tout ce qui leur permettra de relever les défis de la société. Malheureusement, l’Entreprise aujourd’hui est délégitimée dans la pensée publique. Elle est associée presqu’exclusivement aux agents économiques. Il convient donc de changer cela aussi.
Deux métaphores liées au monde du sport sont utilisées lors de la table ronde, car pouvant nous aider à modifier notre façon de voir les choses, puis nos comportements. La première est celle du surf. Il faut apprendre à « surfer la vie » ! Le surfeur, contrairement à ce que l’on pense n’est pas en équilibre sur la vague. Il est en constant déséquilibre, mais contrôlé, car soumis au déterminisme de la vague. Il répond donc aux sollicitations de l’environnement qui le déstabilise sans cesse… tout en gardant sa totale liberté, celle de surfer dans la direction qu’il a choisi et en faisant les figures qui lui plaisent. L’autre métaphore est celle du rugby. Dans un monde où l’économie circulaire nous invite à rompre avec les approches linéaires et à nous comporter de manière plus systémique, il convient de penser « solidarité ». Comme dans une équipe de rugby où tous les joueurs, selon leur taille ou leur poids, trouvent une place qui leur convient et à laquelle ils mettent leurs compétences au service des autres pour remporter le match,… nous devons nous organiser de manière moins linéaire et académique et imaginer d’autres modes d’organisation tenant compte de l’apport de chacun. Pour cela, il est possible (voir recommandé) d’utiliser des outils collaboratifs qui sont par nature créateurs de lien (le lien social). Le monde de l’internet nous permet de choisir aujourd’hui parmi un nombre important et croissant de ces outils de communication et d’échange qui favorisent la découverte d’alternatives. C’est ce qui est déjà expérimenté dans l’économie collaborative. Ces outils 2.0 permettent à des profils très différents, mais partageant les mêmes objectifs, de se regrouper autour de valeurs et de se retrouver sur des moments d’échanges. Ils avancent ainsi ensemble en bâtissant des projets en commun,… jusqu’à les financer par les mêmes moyens. Du crowdsourcing au crowdfunding, tout devient alors réalisable. Qui plus est, cette capacité à développer les potentiels individuels est compatible avec une organisation collective. Elle nécessite bien sûr une organisation de type managériale… différente des formes hiérarchiques classiques, notamment par l’importance qu’elle accordera à l’esprit d’équipe et à la solidarité. Elle favorisera aussi la complémentarité des profils et l’interdisciplinarité qui sont sources d’innovation. A ce terme d’innovation d’ailleurs, trop souvent galvaudé, on préférera celui de systèmes innovants. En la matière, ce sont les exemples d’internet, du GPS, du post-it,… dans lesquels on observe une convergence (transdisciplinaire) des secteurs… permettant de trouver de nouveaux filons à exploiter. Pour changer d’ère, il convient alors de catalyser les systèmes innovants pour concevoir de nouveaux objets, ce que certains qualifient « d’inconnus désirables » !
Dans les écosystèmes de recherche, la problématique est exactement la même. Afin d’innover, il est nécessaire de penser et d’agir différemment, sans doute en utilisant des approches similaires à celles de l’économie collaborative,… mais aussi en élargissant le champ des acteurs, c’est-à-dire en impliquant d’égal à égal les non-chercheurs (usagers, consommateurs, citoyens,…). La transdisciplinarité associée à l’élargissement des acteurs est très certainement une piste avant-gardiste de la conduite du changement en matière de recherche innovante. Bien sûr, cela nécessitera aussi de nouveaux modes d’animation en recherche, de nouveaux modes d’’organisation,… et donc très certainement de nouveaux profils de ressources humaines, de nouveaux métiers : des intermédiaires, traducteurs simultanés et créateurs de liens… ce dont notre recherche a besoin pour « sur-vivre » !
A suivre…
« Comprendre – Vouloir – Aimer – Construire »
Comprendre: le propre de la recherche. Le savoir sans a priori, simplement la volonté incessante d’avancer et d’accumuler des connaissances…certes de plus en plus pointues et cloisonnées. Quant à la « censure » du savoir imposée par des maisons d’édition avares de profit, surfant sur la production sans fin de l’ingénu scientifique idéaliste, c’est un véritable scandale. Mais quelques nouveaux éditeurs pointent le bout de leur nez et révolutionnent ceci, et c’est tant mieux.
Vouloir: c’est bien là le point commun de tous ces farfelus chercheurs! La volonté d’avancer.
Aimer: là je reste dubitatif! Aimer ce que l’on fait, ce que l’on produit est important sinon nécessaire. Mais y a-t-il une dimension humaine dans cette réflexion? Aimer simplement son prochain, i.e. avancer en communauté, tels des fourmis, en respectant et en acceptant la place de chacun; pour un bien-être et une satisfaction personnelle avant une efficience permanente, voire une rentabilité incessante. À voir…
Construire: à n’en point douter le pilier de ces quatre mots! Celui qui en tout cas nécessite de comprendre et de vouloir!
La recherche est nécessaire.
Diriger et manager des recherches complexes doit se faire dans le temps. Et hors contraintes !
100% d’accord avec la première ligne et le début de la deuxième. Cordialement, JC2
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