Peut-on « benchmarker » en innovation pédagogique ? Et si oui… où cela ? Existe-t-il des lieux en la matière ? Comment trouver quelques communautés de « hackers pédagogiques » prêtes à vous accueillir et échanger avec vous sur leurs pratiques ? Où trouver de nouvelles idées pour faire progresser vos propres enseignements ? Quelles nouvelles postures adopter pour innover en pédagogie et interagir ainsi différemment avec ses étudiants ? Voici des préoccupations pouvant trotter dans la tête d’un enseignant à l’université.
Un début de réponse m’est apparue cette semaine, ayant eu la chance de pouvoir m’immiscer le temps d’un cours dans l’atmosphère particulière d’une classe inversée, à l’invitation d’un collègue biologiste enseignant comme moi à l’université. Nous sommes dans les locaux de la faculté de médecine de Cochin à l’Université de Paris Descartes dans la « classe inversée » d’Antoine TALY (Centre de Recherche Interdisciplinaire) au milieu d’une promotion d’étudiants en première année de licence « Frontières du Vivant ». La salle de classe est conviviale, aux murs couverts de schémas et de post-its multicolores, aux tables à roulettes disposées en demi-rectangle de manière à ce que tout le monde puisse se voir et interagir efficacement. Le prof est dans un coin à côté des étudiants qui s’approprient l’espace de manière tout à fait naturelle. Les bouquins sont sur les tables et les portables sont connectés. On pourra les utiliser pour tenter de répondre aux questions posées. Deux heures de « cours » nous attendent, mais personne ne stresse. Tout le monde a l’air détendu,… même le prof ! On sent bien qu’il va se passer quelque chose, de l’inattendu, voire même du « sympathique ».
Premier quart d’heure. Une étudiante et deux de ses collègues se sont levés, fiches et notes à la main. Ils vont se relayer devant l’écran en projetant un schéma coloré, de leur propre fabrication, pour nous expliquer ce qu’est l’empreinte génomique. Pourquoi nos allèles sont-ils traités différemment selon que l’on soit un homme ou une femme ? Que se passe-t-il au moment de la fécondation ? Quelles sont les conséquences pour la fabrication future des gamètes, c’est-à-dire des spermatozoïdes et des ovules ? Certains gènes seraient-ils censurés ? Vastes questions et réflexions scientifiques, plutôt ardues pour des étudiants en première année… d’autant plus qu’ils apprennent le contenu de leurs chapitres par eux-mêmes, puisque le prof a décidé de ne rien leur apprendre en cours ! Des étudiants qui se débrouillent donc seuls et dont il faut avouer qu’ils s’en sortent très bien. Je suis présent dans la salle, bien sagement assis à côté d’eux, et je les observe. Ils m’impressionnent. Je les trouve plutôt clairs dans leurs questions et à l’aise dans leurs explications, malgré de petits moments de doute (mais qui n’en auraient pas ?). Je constate aussi la très grande pertinence de leurs propos, que ce soit pour formuler des questions ou tenter d’y répondre. Le prof les laisse faire, non sans les scruter un par un du regard. Tel un chef d’orchestre ayant posé momentanément sa baguette au coin du pupitre pour écouter ses musiciens interpréter la partition sans qu’il ne donne la cadence,… juste qu’il corrige les couacs !
Ici pas de démonstration, ni de Powerpoint ! On opte pour les conversations et pour les pages Wiki qu’il s’agit de construire ensemble. Le cours doit s’apprendre individuellement ou en groupe. Cela peut se faire à la maison ou dans les locaux de l’université… et il doit être su lorsque l’on arrive en classe. Le face-à-face sera ensuite complètement dédié à réfléchir sur ce qui aura été compris ou pas lors de l’apprentissage du cours. Place aux échanges et aux débats scientifiques…
Quand une explication tentée par un étudiant semble un peu hasardeuse, presque tous les regards se tournent vers le prof. Aussi bien celui du courageux qui l’a faite que de ses camarades de classe qui pensent avoir compris. Le possesseur du savoir, le « sachant », va-t-il confirmer ou corriger les « apprenants » ? Suspense… et bien, ni l’un, ni l’autre ! Il enchaine juste par une autre question à l’attention du groupe : « OK,… what else ? ». La dynamique de la réflexion engagée dans la classe par la succession des questions n’est pas interrompue et surtout pas par des explications d’ordre académique. Rien ne sera traité de façon magistrale. Pas le temps, ni l’envie d’ailleurs. Et puis, à quoi cela servirait-il puisque les étudiants disposent de l’ensemble du cours dans un ouvrage complet, celui qui leur a été distribué en début de semestre et avec lequel il travaillent depuis la rentrée ? Lorsqu’une question n’amène aucune réponse, le prof la reformule, ce qui relance le groupe. Aucun blanc… Quand le groupe pense avoir fait le tour de la question, le prof peut alors relancer s’il le souhaite : « Est-ce que l’on a bien répondu à la question ? ». Et ainsi de suite…
Souvent la réponse apportée par un étudiant à une question posée n’est pas tout à fait bonne, voire même inexacte. Parfois un schéma dessiné sur le tableau commence par une belle erreur ou une petite confusion. Un chromosome de bactérie se met à ressembler, le temps d’un instant, à un chromosome humain ! Il n’est plus circulaire et possède un centromère. Pas de problème. Le prof ne corrige pas dans la seconde. Il laisse le débat avancer en intervenant juste pour demander aux étudiants s’ils sont sûrs de ce qu’ils décrivent, de ce qu’ils voient, de ce qu’ils comprennent ? Le simple fait de leur demander cela les incite à revoir leurs premières interprétations et à se corriger par eux-mêmes. Et c’est ce qu’ils font ! Le groupe avance dans la discussion et finalement se rapproche, petit à petit, de la bonne explication.
Parfois une question est mal formulée ou n’a pas lieu d’être posée. Un étudiant se demande par exemple « comment font les fragments d’Okasaki pour se pas se perdre en se dispersant lors de la réplication sur le brin retardé d’une molécule d’ADN en cours de réplication ? ». Le prof pourrait lui expliquer en deux minutes qu’il n’y a pas de problème puisque ces fragments sont appariés sur le brin matrice, donc bien attachés, et que la question ne se pose pas ! Il laisse au contraire les autres étudiants tenter de répondre à l’auteur de la question. Au fur et à mesure des explications qui sont toutes fausses dans un premier temps, le débat s’engage dans le groupe et finalement, après cinq à dix minutes de débat contradictoire, la bonne réponse surgit comme par magie… toutes les mauvaises ayant été épuisées ! Je suis vraiment impressionné. Si la solution au problème avait été donnée immédiatement, je suis sûr qu’elle aurait été rapidement oubliée par les étudiants, une fois rentrés chez eux. Le fait d’avoir laissé perduré le débat, sur cette question à l’origine inappropriée, fera qu’ils se souviendront bien plus longtemps de la réponse. On pourrait donc apprendre durablement en utilisant cette méthode !
Questions et considérations. Comme les étudiants travaillent leurs chapitres avant d’arriver en classe, notamment en utilisant l’ouvrage qui leur décrit le cours des concepts les plus simples aux plus complexes, leur niveau de connaissances peut être fragmenté. Ainsi une étudiante me surprend lorsque dans son explication à une question posée, en l’occurrence « comment la télomérase peut-elle réparer les extrémités des chromosomes en fin de réplication ? », elle se trompe complètement en proposant un mécanisme proche de celui de la réplication de l’ADN avec des « fragments d’Okasaki »… mais tout en concluant par une considération personnelle qui fait appel à une notion du cours qu’elle avait parfaitement assimilée : « … de toutes façons, ce n’est pas très grave, puisque les télomères qui constituent les extrémités du chromosomes ne sont pas codant, donc ne servent pas à faire des protéines… ». Autrement dit, tout en donnant une mauvaise explication qui sera corrigée par la suite, elle montre qu’elle a parfaitement compris et retenu une notion importante du cours. Vraiment intéressant !
Une salle de classe dynamique ! Pendant le cours, les étudiants restent à leur place, bien assis devant leurs documents, ou bien se lèvent et se regroupent par deux ou par trois le temps d’une explication ou tout simplement pour rechercher une réponse dans le paragraphe d’un livre ou sur internet. Tout le monde peut poser une question sur une partie du cours qu’il n’a pas très bien comprise. Les « meilleurs » interviennent alors pour aider ceux qui ont plus de difficultés à comprendre. Ceux qui ne disent rien lors d’un échange, ou qui n’écrivent rien momentanément, n’en restent pas pour autant inactifs… ils écoutent avec attention. Peut-être plus d’ailleurs que si c’était le prof qui leur faisait une longue démonstration au tableau ! De temps en temps, certains sortent de la salle pour revenir, une ou deux minutes plus tard avec un verre d’eau ou une boisson gazeuse. Ils peuvent s’assoir à nouveau ou choisir de rester debout. L’atmosphère est détendue, tout en restant extrêmement studieuse. Aucun d’entre eux n’a l’air de s’ennuyer et les deux heures passent très vite ! Après tout, ils sont là pour comprendre ce qu’ils ont appris et non pour remplir leur crâne de nouvelles connaissances.
De nouvelles idées ! Voilà pour ma première expérience de benchmark dans une université parisienne réellement engagée dans l’innovation pédagogique. J’ai vraiment beaucoup apprécié de la vivre au milieu de cette classe inversée où se sentaient la très grande implication des étudiants et leur plaisir à progresser avec leur professeur dans la connaissance du cours. J’en reviens avec quelques idées pour mon propre cours, dont la méthode est expérimentale elle-aussi. Le mois prochain, ce sera à Antoine de venir à Lille et de «benchmarker » dans une pédagogie de Génétique moléculaire en « Do it Yourself » avec mes étudiants en troisième année de licence. Je suis sûr qu’il sera autant inspiré que je l’ai été à Paris.
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