De la créativité à l'innovation

Chasse à l’innovation pédagogique… l’oeil affûté du trappeur québécois !

À la chasse aux innovations pédagogiques : retour sur le cours de génétique en DIY.

Merci à Louis-Etienne DUBOIS, candidat Ph.D (management) à HEC Montréal et MINES ParisTech, chercheur associé à l’Université Catholique de Lille pour son regard aiguisé face à mon expérience d’innovation pédagogique pour des étudiants en licence de sciences de la vie.

Peut-être parce que la pédagogie nouvelle s’appréhende mieux à la pénombre, un peu comme à la chasse où l’aurore, c’est bien connu, est souvent le moment le plus propice aux prises légendaires (on m’accusera au passage d’entretenir ici le mythe du canadien trappeur). Peut-être parce que les nouveaux modes d’enseignement se vivent mieux en état de semi-éveil, au beau milieu d’un cycle circadien ou encore en déficit de vitamine D dû au manque de luminosité d’un matin de février à Lille. Toujours est-il qu’il fallait se lever de bonne heure pour apercevoir la bête et prendre part à la nouvelle mouture du cours de génétique telle que proposée par Jean-Charles Cailliez. Un bien petit sacrifice pour être aux premières loges de cette expérience unique, sur laquelle je vous livre ici mes premières impressions.

binoculars

Ce qui surprend à prime abord, c’est le rythme soutenu, voire sportif du cours. Certes, lorsque l’enseignant est reconnu pour ses exploits dans des épreuves de 100 km ou plus,  un tel format sans temps mort, marqué par les «déjà?» et les «ah non pas tout de suite» des étudiants ne devrait étonner personne. N’empêche, c’est à la course que s’apprend ici les fondements de la génétique; un rythme qui n’autorise pas pour autant une qualité d’apprentissage moindre, mais au contraire qui se justifie par la distance supplémentaire parcourue par les étudiants dans le temps imparti. Conséquence, ceux-ci semblent nettement plus engagés et actifs durant toute la durée du cours, un constat renforcé par l’absence de pages Facebook ouvertes sur les écrans des ordinateurs. Mais un tel rythme interroge forcément sur le potentiel de réplicabilité du modèle : est-ce qu’un enseignant, ou un étudiant, qui n’est pas un sportif cognitif avéré peut soutenir un tel effort dans la durée? Si l’apprentissage est un processus lent, faut-il alors prévoir des moments de réflexion ou d’incubation? En outre, lorsque le succès de cette approche dépend d’un certain savoir-faire en matière de casting (savoir bien assembler les équipes d’étudiants), de compétences d’animation ou de facilitation, d’un changement de posture de l’ensemble des parties prenantes et d’une grande sensibilité quant au niveau d’énergie des apprenants, il a lieu de soulever  l’incontournable question que l’on oppose systématiquement aux innovateurs : «its nice, but does it scale?».

Il fallait bien être dans un cours de génétique pour s’interroger sur l’évolution de cette nouvelle pédagogie, ou plus précisément, sur la capacité adaptive des organismes vivants exposés à ce format. L’ingéniosité des étudiants étant ce qu’elle est, je ne peux m’empêcher de sourire en pensant aux moyens de détourner certains des mécanismes proposés dans le cours, notamment le fait de pouvoir choisir par le biais d’une évaluation commune quels chapitres composeront majoritairement l’évaluation finale. Une simple concertation, pour ne pas dire collusion, permettrait de dégager les chapitres plus problématiques, pour ne garder que les mieux compris et plus accessibles.  De manière générale, il faut anticiper les mutations ou adaptations des étudiants qui chercheront un jour ou l’autre à faire fonctionner ce système pour eux. La pédagogie étant historiquement à la remorque des étudiants, l’inversement actuel n’est une déstabilisation temporaire de cet équilibre. Mais tout n’est pas négatif, car d’une certaine manière, s’ils parviennent à faire fonctionner ce format pour eux, c’est que les étudiants l’auront d’abord bien compris. Force est d’admettre qu’un tel constat n’en serait pas un d’échec.

Dans l’écosystème des innovations pédagogiques, le format PBL (project ou problem-based-learning) fait encore aujourd’hui figure de référence. La prémisse d’inversion de la classe n’est pas donc pas unique à ce cours de génétique, et encore moins un format novateur. Mais lorsque l’expérience est lancée, on comprend vite que même le PBL est dépassé et que les enjeux en matière d’acquisition de connaissances ont eux aussi évolués depuis son introduction il y a de ça 30 ans. Car devant la masse de connaissances qui s’offre aux étudiants aujourd’hui,  le défi n’est plus de trouver et de rapporter les plus pertinentes, mais plutôt d’en faire sens. À Lille, l’enseignant ne propose pas une énième présentation powerpoint sur la génétique – une simple recherche sur Google permet d’en sortir des centaines – qui aurait au demeurant une valeur ajoutée marginale quasi nulle. Dès lors, le rôle de l’étudiant consiste à s’engager dans une activité de «sensemaking» (Weick) afin de dégager, puis synthétiser, de cette masse indiscriminée et indertiminée de sources les éléments qui permettent une véritable compréhension. Ce que j’ai pu observer (ici un peu plus réveillé qu’au départ) est donc une approche pédagogique qui favorise le développement d’une capacité d’absorption (Cohen et Levinthal), c’est-à-dire l’acquisition de fondements théoriques et de filtres pratiques qui permettent de mieux repérer, interpréter et surtout rendre actionnable les connaissances qui les entourent.  Puisque cette tendance à la démultiplication des sources d’informations et des répertoires de connaissances n’est pas prêt de ralentir, le développement de telles approches – qui misent non pas sur la possession ou l’acquisition des connaissances, mais plutôt sur la capacité à en faire sens – est souhaitable, voire même essentielle.

Impossible, en conclusion, de ne pas soulever la dimension culturelle de cette approche. Formé dans un système nord-américain, axé sur la performance individuelle et la compétition entre les étudiants, je serais probablement le premier à monter aux barricades face à l’introduction de telles approches où trop d’éléments d’évaluation dépendent d’un contexte collectif et du bon vouloir de mes pairs. Certes, je ne peux m’opposer aux prémisses, au fond et aux modalités d’enseignement du format proposé, qui reflète parfaitement les systèmes complexes et collectifs dans lesquels évolueront plus tard les étudiants. C’est sur la forme et les modalités d’évaluation que mon parcours académique se heurte et ma différence culturelle doute. Cependant, lorsque je constate que je peux au sortir d’une seule séance expliquer de manière (relativement) satisfaisante le processus par lesquels une enzyme parviennent à réparer les extrémités (télomères) chromosomes en fin de réplication (invitez-moi à diner et je vous expliquerai!), je ne peux que m’incliner devant la puissance du dispositif mis en place par Jean-Charles. Les conseils de chasseurs n’étaient donc pas sans fondement : c’est effectivement au lever du jour que l’on réalise les meilleures prises.

Commentaires (5)

  1. Aude Liefooghe

    BRAVO et MERCI à Jean-Charles pour cette audacieuse expérience partagée et à Louis pour ce délicieux « regard » 😉 anthropologique !!!

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