Le 28ème Congrès de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU) a eu lieu à l’Université de Mons du 18 au 22 mai 2014. La thématique était : « Entre recherche et enseignement ». En voici mes principales remarques et réflexions, partagées sur place avec mes collègues du Laboratoire d’Innovation Pédagogique de l’Université Catholique de Lille, Louis-Etienne DUBOIS, Flovic GOSSELIN, Jean-Paul PINTE, Claude ROCHE et Thierry SOBANSKI, ci-dessous et dans un ordre qui n’a rien de hiérarchique en termes d’importance.
Les participants au congrès de l’AIPU sont en grande majorité des enseignants-chercheurs (praticiens ou non), des conseillers pédagogiques, des doctorants ou jeunes docteurs, ainsi que des administratifs (bibliothèques, services,…) ou des personnalités ayant des responsabilités politiques (mais c’est plus rare). Malgré cette diversité, ces personnes ne sont pas vraiment représentatives de la population d’enseignants-chercheurs de l’université. Il s’agit surtout d’universitaires intéressés par des problématiques pédagogiques, voire des innovations en ce domaine. Beaucoup d’entre eux viennent chercher des solutions à leurs problèmes, tout en essayant de mieux les comprendre. Ce sont souvent des enseignants qui ont envie (besoin) de se former. Lors des communications, ils ont l’occasion de présenter des travaux de recherche (ou d’analyse de données) sur leurs pratiques pédagogiques ou de décrire (pour les praticiens) des expériences qu’ils mènent dans leurs établissements respectifs. C’est pour eux l’occasion d’échanger avec d’autres sur ces pratiques et retours d’expériences. On est donc très loin dans ces ateliers de discours de théoriciens.
La thématique de cette édition 2014 était le lien entre la recherche et l’enseignement, mais aussi celui avec la société (dont le transfert de la recherche vers les attentes sociétales). Sur ce dernier point, on peut constater que la copie est restée vierge ! A titre d’illustration, l’atelier collaboratif que nous avions monté sur ce thème et qui faisait le lien entre recherche universitaire et entreprises a réuni seulement six participants pour trois animateurs, soit 1% des participants au colloque ! Le même niveau de participation a été observé dans les communications (et ateliers) dont les thématiques étaient les plus originales ou innovantes, alors que les autres présentés par des personnalités connues sur des thématiques classiques ont fait le plein.
Ambiance à l’AIPU. A noter que les « ambiances » des congrès AIPU sont très différentes d’une année à l’autre. Elles dépendent notamment du pays organisateur (Belgique, Canada, France,…) et de la ville d’accueil. L’AIPU est un lieu important de réseautage dans le monde de la pédagogie universitaire francophone. Les sujets abordés pendant le colloque sont toujours très intéressants, mais pas toujours abordés sous l’angle de l’innovation. Une pratique fréquente dans ce genre de colloque est de présenter une nouvelle expérience, menée de manière empirique ou avec méthode, puis de revenir deux ans plus tard (au colloque suivant) pour un véritable retour d’expérience. Le colloque réunit des gens qui se posent de véritables questions sur le plan pédagogique et qui profitent de la présence de nombreux experts pour tenter d’y répondre. Les centres d’intérêt de la conférence sont malgré cela souvent très éloignés des préoccupations à court terme des enseignants-chercheurs. La dimension « outils » est quant à elle faible dans beaucoup d’ateliers, sauf quand elle est abordée par les expériences et les pratiques, ce qui la rend alors très intéressante.
Conférences et communications. Bien sûr, on peut venir chercher à l’AIPU de nouvelles idées pour compléter sa « boîte à outils numériques », mais ce n’est pas là que se situe la préoccupation majeure des participants. Ces derniers cherchent surtout à partager des expériences pédagogiques, à communiquer sur des enquêtes réalisées dans leurs établissements et à échanger sur des pistes d’innovation pédagogique. A noter qu’il y a très peu de débats contradictoires dans les échanges qui font suite aux communications, l’ensemble des participants semblant vouloir éviter toute sorte de controverse. Ce sont les présentations les plus pointues (proches d’exposés de résultats de travaux de recherche) qui récoltent le plus de questions « difficiles ». Mais à l’exception de très rares situations (par exemple celle vécue lors d’une présentation réalisée par une doctorante sur son sujet de thèse concernant l’étude de la motivation des étudiants), les conférenciers n’ont pas été mis en difficultés. Ambiance « bon enfant » dans l’ensemble. Sur le fond, on évoque très souvent lors des présentations l’importance de développer le niveau de réflexivité des étudiants, mais les enseignants qui en parlent ne se posent pas cette question pour eux-mêmes. Il en est de même pour d’autres critères comme la responsabilité, la responsabilisation, l’autonomie, le respect des contraintes, le délai des livrables,… on ressent même une volonté des uns qui souhaiteraient que les autres appliquent leurs concepts, suivent leurs conseils,… mais sans réelle volonté (ou même sans y penser) que cela puisse être réciproque. Très peu d’intervenants se remettent en question lors de l’une ou l’autre de leurs pratiques ou tentent de décrire les erreurs qu’ils pensent avoir commises. On a l’impression que tout ce qui est fait est plutôt bien et que le seul souci des praticiens (ou des observateurs) est de s’améliorer (sous la pression des étudiants qui sont de plus en plus changeants et exigeants).
Ateliers réflexifs. Les ateliers programmés lors du colloque sont très (trop) nombreux et très (trop) peu interactifs. Ils se limitent, à part quelques exceptions, à une suite de communications de trente minutes (questions comprises). Les thématiques sont plutôt larges et bien réparties tout au long du colloque. Les intervenants sont très souvent de très bon niveau avec des présentations plutôt bien faites (pas toujours pédagogiques, mais très souvent didactiques). L’usage des technologiques de l’information et de la communication (TIC) n’est pas toujours abordée (ce qui n’est pas un mal en soi). Quant aux réflexions éthiques, on peut dire qu’elles ont été presqu’inexistantes (ou que je les ai manquées). Enfin, on peut remarquer que la notion d’innovation pédagogique se limite pour certains à juste changer de méthodes ou d’outils, mais à continuer finalement à faire les mêmes choses. On est donc plus dans une démarche de substitution que d’innovation.
A noter parmi les interventions que j’ai trouvées les plus intéressantes :
Un enseignant-chercheur en probabilité et statistique de l’Université d’Oujda (Maroc) qui utilise, avec le logiciel « Symbaloo », les « Environnement Personnels d’Apprentissage » (EPA) ou Personal Learning Environment (PLE) de ses étudiants pour leur permettre de compléter le cours qu’il ne fait pas (volontairement) de manière complète.
Une étude comparative sur l’utilisation des réseaux sociaux par les étudiants marocains et français, permettant d’envisager leur utilisation en innovation pédagogique.
Un enseignant-chercheur en sciences physique de la Faculté de Sciences Appliquée (Université d’Artois) qui a construit un cours de type « do it yourself » dans lequel les étudiants construisent une grande partie du contenu, lui-même se contentant de traiter les notions fondamentales par séquences classiques (académiques) de 45 minutes.
L’expérience de la classe inversée à l’Université de Sherbrooke avec leurs capsules d’autoformation et l’accompagnement en classe.
Le jeu de cartes inventé par des enseignants-chercheurs de l’Université de Laval qui permet une démarche réflexive sur les méthodes d’enseignement.
Les « Ateliers de la traduction » dans lesquels des étudiants de l’Université de Mons montent une mini-entreprise qui simule un bureau d’étude en traduction linguistique : un bel exemple d’apprentissage actif qui entre dans une démarche dite de « situation authentique ».
A noter quelques phrases et idées que j’ai relevées pendant le colloque :
Il est difficile de dire ce qu’est un bon cours,… c’est plus facile de repérer les mauvais !
Techno-pédagogie : il faut y aller de manière intelligente et réfléchie. A garder en tête que la technique doit rester au service de la pédagogie et non le contraire.
L’usage des réseaux sociaux ne doit pas être ignoré dans nos réflexions en innovation pédagogique.
Les innovations pédagogiques qui utilisent les outils numériques doivent penser au BYOD (bring your own devices) qui permet à chaque étudiant d’utiliser son environnement personnel d’apprentissage (EPA), mais aussi à d’autres approches comme la gamification (serious games) ou l’utilisation des MOOCs avec du présentiel,…
Au sujet des MOOCs ou de tout autre mode similaire d’enseignement en ligne, il convient de faire « courT » et non pas seulement « courS » !
Il existe des mythes quant aux technologies de l’apprentissage et de l’éducation : elles sont bonnes pour socialiser les étudiants, mais pas pour les aider à apprendre ; seuls les profs sont capables d’enseigner et d’apprendre à être critiques.
Autre mythe : Toujours vouloir innover… pourquoi pas, mais sans se demander pourquoi ?
Il faut d’abord (surtout) s’intéresser à la pédagogie avant les technologies. Ce sont les usages qui restent importants à considérer. Sinon, on risque de créer une nouvelle « fracture numérique » !
Pourquoi vouloir créer une opposition entre les méthodes traditionnelles (la classe académique qui est toujours présentée comme ennuyeuse) et celles plus innovantes (la classe inversée dans laquelle l’enseignant a changé de posture) ? La complémentarité est sans doute la meilleure voie.
La pédagogie a besoin parfois de mettre en cause la tradition.
L’efficacité en matière d’innovation pédagogique rend heureux… et inversement.
Une mauvaise pédagogie est souvent l’indice d’une bonne science
Les enseignants qui savent guider leurs élèves sont ceux qui savent se poser des questions.
Les élèves sont de très bons juges des enseignants.
On ne peut pas faire de pédagogie sans se poser la question politique (notamment celle de l’explicitation).
Les « nouveaux » étudiants sont convivialistes, n’aiment pas les inégalités ou les confrontations (point de vue du Québec).
Par l’innovation pédagogique, on peut passer d’une logique de l’identification (l’image du maître) à une logique de l’appropriation (une démocratie à consolider)
Les savoirs doivent aussi être explicités par les enseignants « ex cathedra », donc dans un mode d’enseignement non académique. Les enseignants doivent apprendre à leurs élèves à mobiliser leurs savoirs (et non uniquement à les mémoriser).
Les jeunes vont de plus en plus à l’université pour « essayer ». Ils ont de nouvelles attentes comme beaucoup dans la société : innovation, créativité, résolution de problèmes,…
Il faut soutenir toutes les initiatives en matière de pédagogie active.
Il faut toujours clarifier ses objectifs d’apprentissage, surtout en démarche d’innovation pédagogique. Les enseignants qui veulent innover doivent se faire accompagner de leurs services de pédagogie.
Les utilisateurs des MOOCs peuvent se classer en cinq catégories qui sont l’absent, l’évaluateur, le lecteur curieux, l’actif indépendant et l’actif social.
Le profil d’engagement dans un MOOC est le meilleur prédicteur de la persévérance dans ce cours.
L’enseignant peut avoir une influence forte sur la confiance en soi de l’étudiant.
Les étudiants s’engagent plus facilement dans des tâches qui présentent un défi ; ils s’investissent s’ils sentent qu’ils peuvent réussir et s’ils sont capables de gérer leur stress ; ils ont très souvent tendance à vouloir se comparer aux autres (ce qui peut les démotiver quand ils se sentent moins forts).
Parmi les difficultés rencontrées par les étudiants, on trouve dans l’ordre décroissant : la gestion du temps, la motivation pour les études, la concentration, la mémorisation, la prise de notes, la préparation aux examens,…, la recherche bibliographique.
Les étudiants qui ont le plus confiance en eux ne sont pas forcément ceux qui réussissent le mieux leurs examens.
Dans le monde de l’éducation, on se méfie beaucoup de l’innovation.
En conclusion, la participation au colloque de l’AIPU doit nous inciter à réfléchir sur l’évolution de nos pratiques pédagogiques et notamment sur les actions que pourrions mener dans le cadre de notre Laboratoire d’Innovation pédagogique (LIP). Quelles leçons à tirer ? Quelles retombées pour notre université ? Est-on en avance ou pas à l’Université Catholique de Lille dans nos pratiques, celles qui visent à faire évoluer nos enseignements ? Comment la cellule TICE peut-elle nous aider dans la réalisation de l’ensemble de nos projets (Horizon 2020)… en balisant le chemin pour accompagner les enseignants (pour les aider à « mettre le pied à l’étrier) ? Peut-on imaginer de construire des grilles de compétences professionnelles pour les enseignants (cf. intervention de Marcel Lebrun) ? L’usage du portfolio autrement que pour aider les étudiants à s’insérer professionnellement est aussi une piste intéressante à creuser. On peut imaginer qu’il puisse les aider à choisir un second cycle (école ou master) de manière plus réfléchie quand ils sont en licence ou bien les « récupérer » lorsqu’ils se retrouvent en situation d’échec. Voilà qui peut être vraiment intéressant. Deux idées fortes pour le LIP, enfin, seraient de travailler sur les « communautés d’accompagnement » et sur le « networking » à construire que ce soit pour les étudiants comme pour les enseignants.
Notes de Jean-Charles Cailliez, 26 mai 2014
Pingback: Pédagogues en quête d’innova...
Pingback: Pédagogues en quête d'innovation,&...