Texte complet avec illustrations à télécharger sur : Innovation pédagogique par communautés apprenantes
Deux jours pour créer un nouveau cours, pour l’inventer ou le réinventer. Deux jours pour questionner ses pratiques pédagogiques et les partager avec ses collègues,… Quelle drôle d’idée ! Mais après tout, pourquoi pas ? Deux jours pour tenter une expérience plutôt originale dans un espace qui vous oblige à « sortir de la boîte ». Dit comme cela, c’est presque tentant. Enfin, deux jours pour découvrir les « petits secrets » de l’innovation pédagogique et le plaisir de construire ensemble de nouveaux modes d’enseignement,… alors là c’est sûr… on signe !
Pour une première édition, le Laboratoire d’Innovation Pédagogique (LIP) de l’Université Catholique de Lille a lancé une session de formation à usage des enseignants et intitulée : « Communauté apprenante pour l’innovation pédagogique ». Les deux journées ont été co-construites et co-animées par Titoun LAVENIER, Luc PASQUIER, Thierry SOBANSKI, Grégory AIGUIER, Claude ROCHE, Jean-Charles CAILLIEZ et Mélanie KOZAK (Service des Ressources Humaines de l’Institut Catholique de Lille), une équipe pluridisciplinaire de « hackers pédagogiques ». Elles se sont déroulées dans une salle hyper-connectée, spacieuse et conviviale, appelée à devenir un laboratoire de pédagogie expérimentale. Ce Learning Lab des temps modernes, conçu pour permettre d’imaginer de nouvelles façons d’enseigner, est un lieu propice aux interactions. Il servira par la suite d’observatoire pour des activités de recherche s’intéressant à l’étude de l’impact de ces nouvelles pratiques pédagogiques sur les apprenants.
CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTE APPRENANTE. L’objectif de cette formation, dont la première édition a réuni une quinzaine d’enseignants et intervenants d’origines différentes (lettres et sciences humaines, langues étrangères, droit, économie et gestion, sciences et technologies, éthique,…), est de construire une communauté apprenante au sein de l’université, pouvant devenir l’élément moteur de l’innovation pédagogique. Bien sûr, on pourrait se poser la question. Pourquoi axer la formation sur la constitution de communautés apprenantes ? Il suffirait juste de sensibiliser les enseignants à l’innovation pédagogique et les inciter à expérimenter quand bon leur semble. C’est une approche beaucoup plus simple et qui a déjà été tentée en de nombreux lieux. On s’aperçoit seulement qu’elle est peu efficace et surtout très peu durable. En effet, seul un nombre limité d’enseignants l’adopte en se lançant dans l’élaboration de nouveaux cours, alors que les autres ne changent en rien leurs pratiques. Tout au plus, ils espèrent que les technologies numériques les aident à innover. Il faut donc avoir une ambition plus grande, celle de faire interagir de manière dynamique et durable l’ensemble des acteurs impliqués dans la pédagogie, dont les étudiants eux-mêmes, afin qu’ils puissent sans cesse faire évoluer nos modes éducatifs. Et pour cela, quoi de mieux qu’une communauté apprenante ?
Les objectifs de ces deux premières journées ont été clairement définis. Il s’agit de mieux connaître l’environnement et les problématiques de l’enseignant, d’introduire les pratiques innovantes collaboratives, d’exploiter l’interdisciplinarité et de co-élaborer une séquence de formation. La première journée consiste à partager les pratiques d’enseignement, à présenter les visées institutionnelles, à explorer les outils et les pratiques innovantes collaboratives et à expérimenter un atelier créatif. Lors de la deuxième journée, les participants doivent se poser plusieurs questions comme : « Qu’en pensent les acteurs externes à l’enseignement ? Peut-on envisager une séquence de formation intégrant des facteurs d’innovation pédagogique ? Vers quels prolongements ? Pouvons-nous être porteurs de projet ? ». Des interrogations qu’il convient d’avoir en tête avant de s’engager dans une véritable expérimentation sur le terrain.
DIALOGUES CONCENTRIQUES. Des cercles personnes sont constitués de manière à échanger sur des questions qui permettent d’échanger et de confronter les expériences : « Que sait-on de nos étudiants ? Quelles sont nos observations pendant les cours ? Pouvons-nous décrire ce qui a changé chez eux avec le temps ? En quoi leurs pratiques sont-elles aujourd’hui différentes ? ». Les participants sont ensuite répartis en différents sous-groupes et passent de l’un à l’autre de manière à mixer efficacement le face-à-face. C’est le temps de l’émulsion. Les idées principales sont extraites de ces cercles de dialogue, puis reportées méticuleusement par chacun dans un tableau, document collaboratif sous Google docs, pour être débattues en plénière. C’est le temps de la décantation.
CARTES SUR TABLES. Lors de cet atelier, on demande à chaque participant de se concentrer sur un type de cours, par exemple celui qu’il a l’habitude de faire ou bien celui qu’il préfère. C’est comme il le souhaite. Il doit ensuite écrire sur un post-it les objectifs de ce cours, tout au moins le principal. On regroupe alors dans un tableau les informations collectées, après avoir collé sur le mur la production de chacun. Les participants sont ensuite invités à se placer l’un en face de l’autre par petites tables comme s’ils allaient jouer aux cartes,… ce qu’ils vont faire !
Des cartes illustrées composées pour l’occasion et symbolisant les différentes caractéristiques d’un cours (lieu, contenu, méthode pédagogique, outils, mode d’évaluation,…) leur sont distribuées. Elles permettent à chacun de constituer son propre jeu. Pour un joueur, ce sera : amphithéâtre, cours magistral, transmission de savoir, tableau et écran pour projeter des PowerPoint, interrogations par QCM. Pour l’autre : salle de travaux pratiques, étudiants travaillant en petits groupes, manipulations, évaluation d’une réalisation, ordinateurs portables et connexion au web, travail à rendre ou à présenter à l’oral, évaluation des compétences. Sur chaque carte, se trouve une photo ou un schéma qui permet de visualiser un concept ou un outil utilisé par l’enseignant pendant son cours. Il est même possible de créer sa propre carte,… son joker !
Une fois étalé sur la table, le jeu permet d’expliquer à la personne assise en face de soi comment on travaille dans son cours, ce que l’on attend de ses étudiants et comment on les évalue ? Une réflexion collective s’enclenche ainsi par binôme et le véritable jeu commence. Si on changeait une carte ? Que ferait-on si elle disparaissait de son jeu ? Si on intervertissait deux cartes, en les changeant de jeu par exemple ? Tout le monde écoute les consignes et les exécute. Il est demandé à chacun de réagir au changement de jeu imposé par l’autre, sur la même table, et de décrire comment il s’organiserait en fonction de la nouvelle contrainte. Chacun s’explique sur les solutions qu’il va mettre en place, compte tenu de ces contraintes. Le dialogue s’engage, table par table. Tout le monde reporte sur une fiche les avantages et les inconvénients qu’il rencontre face à aux changements de cartes, mais aussi les questionnements que cela soulève quant aux objectifs de son cours et à la manière de les atteindre. Les débats se déroulent aussi bien dans le champ de la pédagogie que dans celui de la technologie.
BENCHMARKING. Il est ensuite demandé à chacun de partir « explorer un monde inconnu », de faire un détour dans un univers décalé. La méthode nous oblige à diverger pour être plus créatif. Toujours par petits groupes, les participants explorent sur le web les pratiques, parmi les plus diverses, qui existent autour de nous. Et ceci, quels que soient les contextes et les matières enseignées. Sorte de benchmarking des pratiques innovantes dans le domaine de la pédagogie, développées au niveau local, national et international. Chaque groupe retient les trois idées qu’il trouve les plus pertinentes et les projette aux autres en les commentant sous la forme d’un pitch.
Et la technologie dans tout cela ? Est-elle indispensable ? On l’aborde dans la foulée en présentant au groupe ce qui se fait, ou peut se faire en la matière. Il s’agit de mieux connaître les outils, en particulier numériques, et de voir en quoi ils peuvent accélérer (et non créer) l’innovation pédagogique. Ce sont des outils, pour la plupart collaboratifs, qui favorisent les échanges internes et externes au groupe constitué d’une classe ou d’une promotion d’étudiants et que ces derniers (digital natives) utilisent tous les jours et de manière naturelle. Charge au professeur de se les approprier et de les modeler progressivement à usage de sa matière. Les participants à la formation expriment alors des besoins qui peuvent être communs ou spécifiques. Ils échangent sur leurs pratiques et partagent leurs connaissances sur les nouvelles méthodologies qui leur sont présentées : Moodle et autres plateformes collaboratives, tableaux interactifs, visioconférences, tablettes numériques pour les évaluations,… bref, les environnements numériques de travail qui ont déjà commencé à envahir nos univers d’enseignants au bénéfice de l’évolution de notre pédagogie,… quand ils sont bien domptés !
La fin de cette approche benchmark est consacrée aux communautés apprenantes. Qui sont-elles ? Quelles sont les règles du jeu en la matière ? Dans quel domaine en trouve-t-on ? Sont-elles efficaces ? En existe-t-il dans celui de l’innovation pédagogique ? Et pourquoi ne pas en créer de nouvelles au sein de notre université, que l’on pourrait ensuite et même très rapidement lier aux autres ? Toute une série d’interrogations sur lesquelles on reviendra le lendemain.
DE NOUVELLES SEANCES POUR DE NOUVELLES SEQUENCES. En fin de première journée, un véritable challenge est proposé aux participants, celui de créer dans un premier temps et de manière collective une séance pédagogique. C’est une première étape de co-création nécessaire au travail du lendemain quand il leur sera demandé de construire une séquence complète (suite de séances) pour inventer un nouveau cours. Le premier exercice consiste donc à préparer une nouvelle séance d’un cours mono- ou pluridisciplinaire,… un cours qui existe déjà ou un cours inventé. Toujours par groupe, les participants choisissent un type de cours à imaginer. Ils vont en créer le scénario pour une séance d’une heure et demie. Ils devront bien sûr préciser le contexte de cette séance et ses liens avec le cursus. D’un point de vue pratique, libre cours à leur imagination est laissé quant à la façon de présenter cette séance : par un schéma, un dessin, une animation ou même en jouant une petite saynète. Chaque groupe présente la séance qu’il a imaginé de créer ou de transformer, s’il s’agit d’un cours existant. Une discussion en plénière fait suite de manière à échanger avec l’ensemble des participants pour mettre en commun ses représentations. Chacun peut faire des suggestions de changement ou de modifications, voire même développer une idée pour un prolongement possible de la séance.
UNE DEMARCHE ITERATIVE. Le deuxième jour est presqu’entièrement consacré à la co-création d’un nouveau cours, c’est-à-dire sous la forme d’une nouvelle séquence. On commence l’exercice en revenant rapidement sur les séances de la veille. Chacun écrit ce dont il se souvient et décrit ses propres suggestions et propositions de prolongement de la séance. On échange en groupe : « Quelles sont les critiques ? Quelles sont les attentes ? ». Puis, qu’avons-nous pensé de l’exercice, ce qui nous a surpris et ce que nous avons appris ? Cette réflexion est faite de manière individuelle, dans un premier temps, puis collective.
Pour le dernier exercice, le plus long car prenant l’essentiel de la journée, la méthodologie proposée est celle du codesign ou de la conception concourante. Il s’agit d’alterner des phases de divergence (plutôt abstraites) avec des phases de convergence (plutôt concrètes). Les deux hémisphères cérébraux, droit et gauche, sont donc sollicités à même fréquence, mais alternativement. Les phases de divergence permettent d’explorer de nouveaux territoires et de s’ouvrir à de nouvelles idées. A la fin de celles-ci, on intègre les contraintes et on imagine de nouvelles pistes qui n’en présentent plus (ou beaucoup moins). Les phases de convergence permettent d’approfondir les idées fortes. Ce sont elles qui conduisent aux premières élaborations du projet. C’est une démarche itérative.
Ce qui est demandé aux participants, à nouveau répartis en groupes, est de scénariser une séquence de formation qui soit vraiment innovante d’un point de vue pédagogique. Il n’y a pas de thématique imposée. On peut choisir un enseignement existant et le transformer radicalement ou en monter un de novo dans un domaine qui ne soit pas forcément académique. La consigne est d’imaginer une séquence d’un module de formation et d’en construire la trame. Les seules contraintes imposées par les formateurs sont de favoriser l’interdisciplinarité, la mobilité des étudiants, la réduction des espaces, l’utilisation d’outils technologiques et collaboratifs et la pertinence des méthodes d’évaluation.
Pour cette phase, on utilise une méthode de travail qui consiste à faire tourner les équipes porteuses d’un projet de séquence d’une table à l’autre où les attend un « hôte de table » (l’un des membres de chaque groupe) ? Celui-ci va organiser la réflexion en leur faisant intégrer les contraintes et en les aidant à trouver de nouvelles propositions de solution. Les trois étapes de réflexion imposées pour chaque équipe de projet sont les facteurs imposés par l’interdisciplinarité et la mobilité, imposés par l’interdisciplinarité et l’utilisation des outils collaboratifs, imposés par l’utilisation des outils collaboratifs et la mobilité. Chaque groupe franchit ainsi ces items par rotations de 15 à 20 minutes. Chaque proposition travaillée par un groupe est poursuivie par le groupe suivant qui va faire de nouvelles propositions en intégrant les critères retenus et débattus par le précédent. On termine par un retour à la configuration initiale pour que chaque groupe puisse faire un réajustement et préparer le pitch de présentation de son « nouveau cours ». Lors de cette présentation, la méthode des « six chapeaux de Bono » est utilisée pour faire réagir (toujours par groupe) les autres participants.
La formation se termine par un échange au cours duquel on demande aux personnes quelle suite elles entendent donner à ces deux premières journées. Deux possibilités s’offrent à elles : participer à nouveau collectivement à une troisième journée lors de laquelle on pourrait approfondir un nouveau point en lien avec l’innovation ou bien être accompagnée individuellement par le LIP sur une expérience « in vivo » de transformation de sa pédagogie, que ce soit pour une simple séance ou pour une séquence complète. A voir dans quelques mois, ce qu’il en adviendra ?
Hackers pédagogiques ? A voir sur : Hackers pédagogiques
Note de Jean-Charles Cailliez, 13 octobre 2014
Excellent !
Merci Jean-Charles pour ce partage.
Curieux de la suite effectivement d’ici quelques semaines ou mois …
Quelles seront les transformations pédagogiques effectives et intégrées ?
Ne faut-il pas un suivi / « coaching » pour faciliter la transformation des pratiques au delà des 2 jours de formation ??
Bien à toi
Marc
Ça donne envie !
Pour la prochaine formation, il faudrait rajouter un dessinateur humoristique qui se promènerait en direct de table en table.
J’en connais un…
…et en plus, il est joueur !!!
Great blog!
Merci pour la formation cette semaine. J’ai apprécié partager avec des collègues des facultés variées. J’ai plein d’idées maintenant! Donnez-moi les clefs du Learning Lab!
Un grand Merci pour l’organisation et l’animation des ateliers.
Me voici armée de nouvelles clés pour mettre en place des conditions favorables au développement de l’innovation pédagogique.
– Comment construire et animer une communauté apprenante
– Les changements de comportement que suscite l’innovation pédagogique
– Des méthodes de quo-design favorisant la réflexion et la mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes
Tout ceci dans un superbe environnement de travail, le learning Lab de la Catho de Lille.
Très intéréssant !!
Quelle est la date de la prochaine formation ? Je souhaiterai y participer.
J’enseigne à l’IESEG ; Géopolotique de l’Asie et de l’Inde.
Merci.
Cordialement.
Alain Bogé.