De la créativité à l'innovation

L’évaluation inversée,… une autre façon d’aborder l’innovation pédagogique !

A lire ci-dessous, une interview de Jean-Charles CAILLIEZ par Aurore ABDOUL-MANINROUDINE (AEF) intitulée : « L’évaluation inversée permet d’évaluer les compétences et non les connaissances »

À l’Université catholique de Lille, « nous avons décidé de changer certaines de nos approches en essayant de partir de l’évaluation pour aborder l’innovation pédagogique », indique Jean-Charles Cailliez, vice-président Innovation et développement de l’université et directeur du Laboratoire d’Innovation Pédagogique (LIP), dans un entretien à AEF le 12 janvier 2015. « En effet, poursuit-il, innover dans l’évaluation oblige à faire évoluer son enseignement. L’inverse n’est pas vrai. »

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Il revient notamment sur les expérimentations d' »évaluation inversée » menées dans le cadre de son cours de génétique moléculaire de L3 depuis l’an dernier : « Les étudiants construisent le cours eux-mêmes et le professeur qui les accompagne peut se transformer en ‘étudiant‘. Ce changement de posture va permettre aux étudiants d’évaluer ses connaissances et à ce dernier d’évaluer en retour leurs compétences ». Do it Yourself ! Des étudiants de L3 ont expérimenté le 13 février 2014, lors d’un cours de génétique moléculaire, « un DS dans lequel le rôle de l’enseignant se limite à ouvrir la porte aux étudiants, les laisser s’organiser de manière autonome et à attendre les notes en fin d’épreuve« . La méthode DIY (do it yourself) avait été présentée aux étudiants avant.

AEF : Sur votre blog consacré à l’innovation pédagogique (blog de JC2), vous abordez l’enjeu de l’évaluation et décrivez les expérimentations menées dans le cadre de votre cours de génétique moléculaire, en L3. Pourquoi mettre l’accent sur l’évaluation ?

Jean-Charles Cailliez : Au début, à l’université catholique de Lille, nous avons souvent abordé l’innovation pédagogique sans nous poser la question de l’évaluation. Nous avons donc multiplié de belles expérimentations, tout en maintenant une évaluation classique. Conséquences : cela donne du grain à moudre aux détracteurs de l’innovation pédagogique. En effet, si vous innovez dans votre cours, mais pas dans votre évaluation, les étudiants ont toutes les chances de rater leurs examens, suscitant incompréhension de leur part et délégitimant l’enseignement innovant. Nous avons alors décidé de changer certaines de nos approches en essayant de partir de l’évaluation pour aborder l’innovation pédagogique. Nous avons alors décidé de changer certaines de nos approches en essayant de partir de l’évaluation pour aborder l’innovation pédagogique. En effet, innover dans l’évaluation oblige à faire évoluer son enseignement. L’inverse n’est pas vrai. En outre, cette approche permet de sensibiliser plus facilement des collègues réticents, soit parce qu’ils estiment que leur méthode fonctionne bien, soit parce qu’ils n’ont pas le temps de modifier leur cours. Par ailleurs, à Londres, l’Open university décrit dans son rapport « Innovating Pedagogy 2014« , les 10 leviers de l’innovation, dont l’un est l’évaluation progressive, bien différente de l’évaluation de niveaux.

AEF : L’une de vos expériences consiste à aller au bout de la logique de la classe inversée en demandant aux étudiants de s’évaluer entre eux, voire de vous évaluer. Quel est l’objectif de cette démarche d’ « évaluation inversée » ?

Jean-Charles Cailliez : Le principe général de la classe inversée est le suivant : les étudiants font cours chez eux et réalisent les devoirs en classe. En allant plus loin dans l’expérience que j’ai menée à Lille, nous avons transformé ce concept en « classe renversée » ou « do it yourself ». Les étudiants construisent le cours eux-mêmes et le professeur qui les accompagne peut se transformer en « étudiant ». Ce changement de posture va permettre aux étudiants d’évaluer ses connaissances et à ce dernier d’évaluer en retour leurs compétences (celles de construire en équipe des chapitres). Le changement de posture va permettre aux étudiants d’évaluer les connaissances de l’enseignant et à ce dernier d’évaluer en retour leurs compétences. Au niveau pédagogique, ce n’est pas anodin. On dit souvent que la meilleure façon d’apprendre, c’est d’enseigner. Écrire des questions pertinentes avec un barème intelligent, réaliser un corrigé, évaluer ses camarades, voire l’enseignant, c’est compliqué. Cela suppose bien évidemment de connaître son cours mais aussi de saisir ce qui est essentiel et ce qui relève du détail, d’avoir un regard critique… Dans le cadre de l’expérimentation, j’adapte la qualité de mes réponses à la qualité de leur travail : si les questions sont bien posées, je fais des réponses précises. Si les questions sont mauvaises, alors je leur donne des réponses de mauvaise qualité et c’est à eux de faire un corrigé pertinent. J’essaie de leur faire comprendre que dans leur vie professionnelle future, leur patron ne vérifiera pas leurs connaissances et qu’il ne connaît pas lui-même les réponses aux questions qu’il pose. Par ailleurs, en les mettant ainsi en situation, je me place clairement dans une optique d’évaluation des compétences et non des connaissances. Ils sont d’ailleurs connectés pendant l’évaluation et ont accès à tous les documents souhaités. J’essaie de leur faire comprendre que dans leur vie professionnelle future, leur patron ne vérifiera pas leurs connaissances et qu’il ne connaît pas lui-même les réponses aux questions qu’il pose. Il faut donc aller les chercher en équipe et avoir défini précisément ce qu’on veut savoir. C’est tout l’enjeu de la bonne formulation de la question.

AEF : Pour déterminer les compétences à évaluer, vous êtes-vous appuyé sur les référentiels de compétences de la faculté et pensez-vous, cette année, utiliser les nouveaux référentiels ?

Jean-Charles Cailliez : Non, j’aurais effectivement pu prendre le portefeuille de compétences de ma faculté, noter les compétences qu’il détaille et les évaluer. Mais d’une part, je trouve que ces portfolios ne s’adaptent pas facilement aux cours magistraux ; d’autre part, j’ai préféré utiliser des compétences très générales, qui m’ont permis d’être flexible : s’organiser en équipe, être ponctuel, respecter le délai de production des livrables, s’évaluer entre étudiants… Au final, j’en ai retenu seulement 5 ou 6.

AEF : Quels sont les points positifs et les limites identifiés lors de ces exercices d’évaluation inversée ?

Jean-Charles Cailliez : De manière générale, les étudiants apprécient qu’on leur fasse confiance, le changement de posture et le côté ludique. En revanche, ce mode d’évaluation ne rentre pas dans leur cadre habituel de pensée. Qu’on évalue les compétences en stages ou enTP, cela leur semble normal. Dans le cadre d’un cours classique, c’est incongru. Ils restent convaincus que l’évaluation a pour seul but de vérifier les connaissances. Sur le fond, dans le cadre de l’exercice, je constate que les étudiants pensent souvent que le but de la question est de permettre d’en dire le plus possible, non de répondre de manière intelligente à un problème donné.

AEF : Votre démarche s’inscrit-elle au sein d’une politique d’établissement structurée ?

Jean-Charles Cailliez : Tout à fait, nous avons d’ailleurs réalisé début décembre un séminaire sur l’évaluation, ouvert à l’ensemble des enseignants des facultés et écoles de l’université, qui a réuni environ 50 participants. Nous voulons par ailleurs expérimenter bientôt l’idée de convier les étudiants eux-mêmes à ces séminaires. Sur l’année, notre laboratoire d’innovation pédagogique organise trois ateliers de ce type et collabore avec notre commission académique et pédagogique à six petits-déjeuners thématiques. Les formations à l’innovation pédagogique, bien qu’elles offrent des outils et des méthodologies, ne servent à rien si elles ne s’inscrivent pas dans le cadre de « communautés apprenantes ». Les formations d’enseignants à l’innovation pédagogique, bien qu’elles offrent des outils et des méthodologies, ne servent à rien si elles ne s’inscrivent pas dans le cadre de « communautés apprenantes ». Sans ces échanges, les enseignants se contentent souvent de transposer un outil, une recette à leur cours. Or, précisément depuis cinq ans, nous avons construit des écosystèmes innovants (learning lab, meeting lab, medialab) au sein desquels les enseignants-chercheurs peuvent échanger sur leurs pratiques.

AEF : En termes d’évaluation, s’il n’y avait qu’une seule mesure à prendre pour favoriser la réussite des étudiants à l’échelle nationale, quelle serait-elle ?

Jean-Charles Cailliez : Il faudrait réformer le système de notation actuelle en mixant davantage les évaluations de connaissances avec celles de compétences, en mélangeant sans compensation des notes sur 20, des notes avec des lettres, des codes de couleurs ou toutes autres méthodes sans doute à inventer. D’un point de vue intellectuel, c’est déjà aberrant de compenser des notes sur 20 dans des disciplines différentes. Cela l’est encore plus avec les compétences.

Commentaires (3)

  1. pelvillain

    Bienvenue dans le monde du socioconstructivisme.

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    1. RICHARD Micheline

      J’ai, grâce à la formation que j’ai reçue à l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage dans le cadre de l’Education Nationale appris à ne travailler que sur la base de projets innovants dont les élèves étaient les acteurs qui permettaient de les mettre en situation motivante et ensuite d’être dans la situation d’évaluer eux-mêmes leur réussite et celle de leur camarades par la mise en œuvre de grilles d’évaluation définissant clairement les objectifs attendus dans la mise en œuvre des compétences. Les apports de connaissance étaient toujours donnés d’abord par les élèves (car ils savent beaucoup de choses !) mais aussi par des enquêtes vers l’extérieur (car d’autres que nous savent et ne sont pas forcément « professeur ») enfin, le professeur pouvait apporter à partir des données rassemblées et au fil d’un plan restructuré pour en favoriser la mémorisation (ledit plan pédagogique utilisé de manière permanente, pouvant au bout d’un moment être complètement intégré par les élèves et les rendre assez rapidement eux aussi les « professeurs » des autres plus en difficulté d’apprentissage, ou ayant besoin de plus de temps pour intégrer des données. L’évaluation découlait ensuite de ces pratiques : évaluation formative d’abord et sommative à d’autres moments pour répondre aux attentes du système éducatif dominant qui ne vit que par les notes /20 aux épreuves d’examen et dans les bulletins de fin de période.

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  2. Coralie ulysse

    Tout à fait d’accord de partir du mode d’évaluation clairement identifié pour impliquer le plus possible l’étudiant dans sa démarche de projet.Mon projet actuel est de faire réaliser par les élèves de terminale S un audio guide par équipe pour mieux faire comprendre la géologie sur le terrain.Quatre items ont été choisis,chacun évalué par seulement 3 critères de réussite discutés ensemble, avant de partir en randonnée.Après 2 jours de marche , ils ont commencé à le faire en ligne dans le bus jusqu’à 22heures!

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